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Mot-clé : « Renan (Ernest) »

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Le Livre, tome II, p. 207-223

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 207.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 207 [223]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 208.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 208 [224]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 209.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 209 [225]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 210.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 210 [226]. Source : Internet Archive.

d’abord à la caisse ; et, plus il versera, plus son mérite sera grand, son génie transcendant. « Silence au pauvre ! » Ce cri, poussé par Lamennais, en 1848, à propos de la situation faite à la presse, est plus vrai que jamais[207.1].

[II.223.207]
  1.  Cf. Hippolyte Castille, Portraits historiques au xixe siècle, Lamennais, p. 36. Sainte-Beuve a même, en quelque sorte, appliqué ce mot à toute la littérature contemporaine ; il l’a englobée tout entière dans cette accusation et cet anathème : « L’argent, l’argent, on ne saurait dire combien il est vraiment le nerf et le dieu de la littérature d’aujourd’hui ». (Portraits contemporains, t. III, p. 431.) Sur le rôle et l’influence de l’argent à notre époque, Renan a publié les belles et profondes réflexions suivantes, qu’on peut rapprocher du « Panégyrique de la pauvreté », tracé par Proudhon, et que nous avons reproduit dans notre tome I, pages 206-207 : « J’appelle ploutocratie un état de société où la richesse est le nerf principal des choses, où l’on ne peut rien faire sans être riche, où l’objet principal de l’ambition est de devenir riche, où la capacité et la moralité s’évaluent généralement (et avec plus ou moins de justesse) par la fortune, de telle sorte, par exemple, que le meilleur critérium pour prendre l’élite de la nation soit le cens. On ne me contestera pas, je pense, que notre société ne réunisse ces divers caractères. Cela posé, je soutiens que tous les vices de notre développement intellectuel viennent de la ploutocratie, et que c’est par là surtout que nos sociétés modernes sont inférieures à la société grecque. En effet, du moment que la fortune devient le but principal à la vie humaine, ou du moins la condition nécessaire de toutes les autres ambitions, voyons quelle direction vont prendre les intelligences. Que faut-il pour devenir riche ? Être savant, sage, philosophe ? Nullement ; ce sont là bien plutôt des obstacles. Celui qui consacre sa vie à la science peut se tenir assuré de mourir dans la misère, s’il n’a du patrimoine, ou s’il ne peut trouver à utiliser sa science, c’est-à-dire s’il ne peut trouver à vivre en dehors de la science pure. Remarquez, en effet, que quand un homme vit de son travail intellectuel, ce n’est pas généralement sa vraie science qu’il fait valoir, mais ses qualités inférieures. M. Letronne a plus gagné en faisant des livres élémentaires médiocres que par les admirables travaux qui ont illustré son nom. Vico gagnait sa vie en composant des pièces de vers et de prose, de la plus détestable rhétorique, pour des princes et seigneurs, et ne trouva pas d’éditeur pour sa Science nouvelle. Tant il est vrai que ce n’est pas la valeur intrinsèque des choses qui en fait le prix, mais le rapport qu’elles ont avec ceux qui tiennent l’argent. Je puis sans orgueil me croire autant de capacité que tel commis ou tel employé. Eh bien ! le commis peut, en servant des intérêts tout matériels, vivre honorablement. Et moi, qui vais à l’âme, moi, le prêtre de la vraie religion, je ne sais en vérité ce qui, l’an prochain, me donnera du pain. La profonde vérité de l’esprit grec vient, ce me semble, de ce que la richesse ne constituait, dans cette belle civilisation, qu’un mobile à part, mais non une condition nécessaire de toute autre ambition. De là la plus parfaite spontanéité dans le développement des caractères. On était poète ou philosophe, parce que cela est de la nature humaine et qu’on était soi-même spécialement doué dans ce sens. Chez nous, au contraire, il y a une tendance imposée à quiconque veut se faire une place dans la vie extérieure. Les facultés qu’il doit cultiver sont celles qui servent à la richesse, l’esprit industriel, l’intelligence pratique. Or ces facultés sont de très peu de valeur : elles ne rendent ni meilleur, ni plus élevé, ni plus clairvoyant dans les choses divines ; tout au contraire. Un homme sans valeur, sans morale, égoïste, paresseux, fera mieux sa fortune en jouant à la Bourse, que celui qui s’occupe de choses sérieuses. Cela n’est pas juste ; donc cela disparaîtra. La ploutocratie est donc peu favorable au légitime développement de l’intelligence. L’Angleterre, le pays de la richesse, est de tous les pays civilisés le plus nul pour le développement philosophique de l’intelligence. Les nobles d’autrefois croyaient forligner en s’occupant de littérature. Les riches ont généralement des goûts grossiers et attachent l’idée de bon ton à des choses ridicules ou de pure convention. Un gentleman rider, fût-il un homme complètement nul, peut passer pour un modèle de fashion. Moi, je dis tout bonnement que c’est un sot. La ploutocratie, dans un autre ordre d’idées, est la source de tous nos maux, par les mauvais sentiments qu’elle donne à ceux que le sort a faits pauvres. Ceux-ci, en effet, voyant qu’ils ne sont rien parce qu’ils ne possèdent pas, tournent toute leur activité vers ce but unique ; et, comme pour plusieurs cela est lent, difficile ou impossible, alors naissent les abominables pensées : jalousie, haine du riche, idée de le spolier. Le remède au mal n’est pas de faire que le pauvre puisse devenir riche, ni d’exciter en lui ce désir, mais de faire en sorte que la richesse soit chose insignifiante et secondaire ; que, sans elle, on puisse être très heureux, très grand, très noble et très beau ; que, sans elle, on puisse être influent et considéré dans l’État. Le remède, en un mot, n’est pas d’exciter chez tous un appétit que tous ne pourront satisfaire, mais de détruire cet appétit ou d’en changer l’objet, puisque aussi bien cet objet ne tient pas à l’essence de la nature humaine, qu’au contraire il en entrave le beau développement. » (Ernest Renan, l’Avenir de la Science, pp. 415-418.) La devise de lord Henry Seymour (milord l’Arsouille : 1805-1859) : « Avec de l’argent, on peut tout avoir et tout corrompre : il suffit d’y mettre le prix » (H. de Villemessant, Mémoires d’un journaliste, t. I, p. 245 ; et Larousse, Grand Dictionnaire, art. Original) est tout à fait celle d’une société ainsi organisée, de notre ploutocratie. Les preuves surabondent : une seule suffira. Le nom qui représente le mieux l’argent aujourd’hui, qui est synonyme de richesse, est, sans conteste, le nom de Rothschild. Dernièrement (mai 1905) est mort un des chefs de cette famille, et, dans l’énumération des titres et dignités du défunt, pas un panache ne manque ; Crésus a été tout ce qu’il a voulu et tout ce qu’on peut être ici-bas : noble. — baron (il eût pu être aussi bien duc ou prince), comme si ses aïeux avaient pris part aux Croisades, — membre de l’Institut, commandeur de la Légion d’honneur, grand dignitaire de tous les ordres imaginables, etc., tandis que des écrivains des plus éminents, des penseurs, polémistes ou stylistes de tout premier ordre, comme Proudhon, comme Balzac, Louis Veuillot, Barbey d’Aurevilly, Guy de Maupassant, etc., sont morts pauvres, et, — en supposant qu’ils aient attaché une importance quelconque aux distinctions officielles, — n’ont rien été du tout, absolument rien, pas même petits officiers d’Académie. Ce sont de telles anomalies, — c’est cette écrasante et abominable omnipotence de l’argent qui explique — certains ajoutent même : et qui justifie — les revendications des socialistes et des anarchistes. Heureusement encore, comme nous le disions en parlant de la pauvreté (t. I, p. 207), que les biens les plus appréciables de ce monde, la santé, la bonne humeur, l’amitié, l’intelligence, etc., échappent à cette odieuse tyrannie et ne s’achètent pas !  ↩

Le Livre, tome II, p. 187-203

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 187.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 187 [203]. Source : Internet Archive.

romans devint pour les femmes une véritable cause d’abais­sement[187.1] ».

Gœthe, « le plus grand des critiques[187.2] », ne voyait pas les choses sous un jour aussi sombre, et voici, d’après son fidèle auditeur et disciple Eckermann, l’opinion qu’il professait à ce sujet : « … La conversation en vint alors aux romans et aux pièces de théâtre en général, et à leur influence morale ou immorale sur le public. « Ce serait malheureux, dit Gœthe, si un livre avait un effet plus immoral que la vie elle-même, qui, tous les jours, étale avec tant d’abondance les scènes les plus scandaleuses, sinon devant nos yeux, du moins à nos oreilles. Même pour les enfants, on ne doit pas être si inquiet des effets d’un livre ou d’une pièce. La vie journalière, je le répète, en apprend plus que le livre le plus influent. — Cependant, remarquai-je, devant les enfants on prend garde de ne rien dire de mal. — On a parfaitement raison, répondit Gœthe, et moi-même je ne fais pas autrement, mais je considère cette précaution comme tout à fait inutile. Les enfants sont comme les chiens, ils ont un odorat si fin, si subtil, qu’ils découvrent et éventent tout, et le mal avant tout le reste[187.3]. »

[II.203.187]
  1.  Ernest Renan, Réponse au discours de réception à l’Académie française de M. Jules Claretie : Feuilles détachées, p. 231.  ↩
  2.  Cf. supra, t. I, p. 189.  ↩
  3.  Gœthe, Conversations recueillies par Eckermann, trad. Délerot, t. II, p. 222.  ↩

Le Livre, tome II, p. 186-202

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 186.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 186 [202]. Source : Internet Archive.

IX. Les romans

Quelle influence la lecture des romans exerce-t-elle sur l’esprit et particulièrement sur la moralité du public ? Cette influence peut-elle être dangereuse ?

L’austère janséniste Nicole (1625-1695) n’hésitait pas à considérer romanciers et poètes comme des « empoisonneurs publics[186.1] », et un célèbre médecin protestant affirme que, « de toutes les causes qui ont nui à la santé des femmes, la principale a été la multiplication des romans depuis cent ans[186.2] ».

Sans aller aussi loin, Renan, lui, prétend que, dans notre siècle, « la lecture presque exclusive des

[II.202.186]
  1.  « Un faiseur de romans et un poète de théâtre est un empoisonneur public, non des corps, mais des âmes…. » (Nicole, ap. Sainte-Beuve, Port-Royal, t. VI, p. 108.)  ↩
  2.  Jean Darche, Essai sur la lecture, p. 111. Et le pieux Jean Darche ajoute en cet endroit : « Consultez les hommes qui pensent bien, tous attribueront au roman la perversité qui règne dans le monde ». — « C’est l’imprimerie qui met le monde à mal. C’est la lettre moulée qui fait qu’on assassine depuis la création ; et Caïn lisait les journaux dans le paradis terrestre, » a écrit Paul-Louis Courier. (Lettres au rédacteur du Censeur, X ; Œuvres, p. 61 ; Paris, Didot, 1865.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 017-033

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 017.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 017 [033]. Source : Internet Archive.

vérité. Tout n’est ici-bas que symbole et que songe. Les dieux passent comme les hommes, et il ne serait pas bon qu’ils fussent éternels. La loi qu’on a eue ne doit jamais être une chaîne. On est quitte envers elle quand on l’a soigneusement roulée dans le linceul de pourpre où dorment les dieux morts[017.1]. »

« … La vie n’a de prix que par le dévouement à la vérité et au bien[017.2]. »

Et enfin cette solennelle attestation et ces actions de grâces : « … C’est Renan sain d’esprit et de cœur, comme je le suis aujourd’hui, ce n’est pas Renan à moitié détruit par la mort et n’étant plus lui-même, comme je le serai si je me décompose lentement, que je veux qu’on croie et qu’on écoute. Je renie les blasphèmes que les défaillances de la dernière heure pourraient me faire prononcer contre l’Éternel. L’existence qui m’a été donnée sans que je l’eusse demandée a été pour moi un bienfait. Si elle m’était offerte, je l’accepterais de nouveau avec reconnaissance…. A moins que mes dernières années ne me réservent des peines bien cruelles, je n’aurai, en disant adieu à la vie, qu’à remercier la cause de tout bien de la charmante promenade qu’il m’a été donné d’accomplir à travers la réalité[017.3]. »

Quant à cette « faillite » qu’on reproche parfois

[II.033.017]
  1.  Ernest Renan, Souvenir d’enfance et de jeunesse, p. 72.  ↩
  2.  Id., op. cit., p. 136.  ↩
  3.  Id., op. cit., pp. 377-378.  ↩

Le Livre, tome II, p. 015-031

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 015.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 015 [031]. Source : Internet Archive.

Comme Proudhon (1809-1865)[015.1], Jouffroy se trouva ainsi amené et astreint à cette constatation : « Je ne crois plus, je sais ou j’ignore, » aveu qui semble être le formulaire ou symbole de leur siècle et encore plus du nôtre.

L’historien des Origines du Christianisme, Ernest Renan (1823-1892), est, sans conteste, un des penseurs et des maîtres qui ont le mieux pratiqué la religion des lettres, le mieux célébré ce culte de la justice, de la raison et de la vérité. Voici quelques-unes de ses déclarations : « … Je veux, dis-je, qu’on mette sur ma tombe : veritatem dilexi. Oui, j’ai aimé la vérité ; je l’ai cherchée ; je l’ai suivie où elle m’a appelé, sans regarder aux durs sacrifices qu’elle m’imposait. J’ai déchiré les liens les plus chers pour lui obéir. Je suis sûr d’avoir bien fait. Je m’explique. Nul n’est certain de posséder le mot de l’énigme de l’univers, et l’infini qui nous enserre échappe à tous les cadres, à toutes les formules que nous voudrions lui imposer. Mais il y a une chose qu’on peut affirmer, c’est la sincérité du cœur, c’est

[II.031.015]
  1.  Ap. Sainte-Beuve, P.-J. Proudhon, p. 123.  ↩

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