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L’invention d’Albert Cim

« Les plus graves parmi nous étaient — et cela arrive souvent — les plus jeunes. Concentrés en leur passion littéraire, ils entraient dans la lutte quand nous nous flattions d’entrevoir déjà le repos. Le plus distingué représentant de cette génération ardente et cultivée était Albert Cim. Nous en faisions grand cas, à cause de la sincérité qu’il apportait dans sa vocation et du soin qu’il mettait à son travail. Volontiers nous l’eussions offert en exemple aux autres jeunes gens. Claretie disait plaisamment : « Si Albert Cim n’existait pas, il faudrait l’inventer. » L’invention, certes, eût été bonne et nous n’aurions qu’à nous en féliciter.

J’avais rencontré Cim dans un journal impossible, l’Ami des Arts, di­rigé par Henry Maret, et dont le bureau de rédaction était situé rue du Mail, au milieu d’un magasin de pianos. C’est là que nous nous mîmes à causer de toutes choses et plus spécialement de littérature, de cette langue française que Cim connaît si bien dans son histoire et manie avec tant de précision. Il nous a été donné de continuer jusqu’à présent ces bonnes conversations. Cim possède et la tradition éloignée, et la tradition plus voisine de ce milieu de siècle. Il est assurément l’écrivain qui a le mieux compris les rapports d’un passé récent avec l’époque actuelle et qui a le plus heureusement marqué cette transition. »

Milieu de siècle. Mémoire d’un Critique, Jules Levallois
(Paris, La librairie illustrée, 1896), pp. 277-278.


La rencontre avec Albert Cim

J’ai croisé pour la première fois l’auteur de la monographie Le Livre, en juillet 1973. Ce jour-là, un petit groupe d’officiels s’était réuni devant notre logement du 3 rue de la Résistance à Bar-le-Duc. L’occasion était d’inaugurer la plaque commémorative, apposée à notre façade, informant le passant du caractère particulier du lieu par ces mots :

L’écrivain
Albert Cimochowski
dit Cim
est né
dans cette maison
en 1845

Après cet événement fait d’un peu de marbre rose pâle, de lettres dorées, et de la fierté nouvelle qu’il apportait à notre famille, se réveilla chez ma mère le souvenir de ses lectures adolescentes, des descriptions faites par Albert Cim de notre quartier de la Ville Haute, des personnes qui y avaient vécu, qu’elle avait connues, dont les noms résonnaient encore dans l’ombre des hôtels Renaissance qui bordent les places et les rues de l’antique cité ducale.

L’illustre homme de lettres — méconnu aujourd’hui du plus grand nombre — est longtemps resté à mes yeux, l’auteur d’anecdotes, de quelques chroniques locales oubliées du présent, tout autant que l’était notre petite préfecture. Ce n’est qu’assez récemment, dans le cadre d’un projet professionnel, que je devais observer avec plus d’attention le parcours et l’œuvre de cet homme avec lequel je partageais sans le savoir, plus qu’une adresse. À la recherche d’un texte du domaine public destiné à éprouver des savoir-faire acquis pour la réalisation d’éditions au format numérique, je découvrais en marge des contes, des souvenirs et des textes pour enfants, une littérature savante, toute entière consacrée au livre. Si ma première idée avait été d’adopter pour mon étude, l’un des textes courts d’Albert Cim, tels les Contes et souvenirs de mon pays ou encore Le Petit Léveillé, la lecture de son Petit manuel de l’amateur de livres devait me convaincre que je tenais ici, le texte parfait, la pleine adéquation entre l’objet et son sujet.

Publié en 2013, la réédition de ce petit manuel, extrait tout entier des cinq volumes de l’Encyclopédie du Livre, devait inévitablement m’amener à considérer comme nécessaire, de donner une existence nouvelle à l’œuvre d’origine.

Alex Gulphe

Le Livre, tome II, p. 177-193

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 177.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 177 [193]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 178.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 178 [194]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 179.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 179 [195]. Source : Internet Archive.

VIII. Le calendrier des livres

L’idée de dresser un Calendrier des livres, c’est-à-dire de classer, suivant les saisons, les lectures qu’on fait ou qu’on se propose de faire, est certainement venue à plus d’un lecteur. L’auteur de l’Année d’un ermite, Jules Levallois (1829-1903), alors qu’il habitait son ermitage de Montretout, a composé un de ces calendriers, dont nous allons résumer les grandes lignes[177.1].

[II.193.177]
  1.  Cf. l’Année d’un ermite, pp. 29-44. (Paris, Librairie internationale, Lacroix, Verboeckhoven et Cie, 1870 ; in-18.) Comme complément des jugements portés sur Jules Levallois par Sainte-Beuve, par Jules Troubat et Jules Claretie, et reproduits dans notre tome I, page 204, note 2, voici quelques extraits du portrait tracé par un des publicistes les plus en renom et les plus lettrés de notre temps, M. Henry Maret, dans la France contemporaine, tome II, sans pagination (Paris, Clément Deltour, 1903) : « … En notre époque pratique où les journaux n’insèrent que les manuscrits qu’ils ont commandés, et ne se servent des autres que pour les mettre au cabinet, on ignore qu’autrefois les directeurs de journaux, qui, chose incroyable, étaient eux-mêmes des journalistes, confiaient à un homme intelligent et instruit le soin de leur rendre compte de la valeur des romans et autres travaux qui leur étaient envoyés. On recevait ou l’on refusait, et il n’était pas extraordinaire qu’on insérât ceux qu’on avait reçus…. Jules Levallois fut un des lecteurs les plus avisés et les plus consciencieux. Combien je connais d’hommes qu’il a fait arriver à la notoriété, puis à la gloire, après les avoir tirés de la misère, et qui l’en ont d’ailleurs récompensé, comme on récompense en ce bas monde, par la plus touchante indifférence ! Mais Levallois est un philosophe modeste, aux goûts simples, sans ambition, et déjà trop content que ceux qu’il a obligés ne lui aient pas fait trop de mal. C’est ce qu’il appelle sa chance. Il fut un de ceux qui contribuèrent à faire de l’Opinion nationale un des journaux les mieux rédigés de Paris. Ses fonctions l’y mirent naturellement en rapport avec tous les hommes en vue dans les lettres, dans les arts et même dans la politique. Il connut About, et aurait pu, tout comme un autre, fréquenter les salons de la princesse Mathilde. Mais il n’aimait pas le monde, et tout son bonheur consistait à vivre avec ses livres et à recevoir de temps en temps quelques amis dans un petit ermitage qu’il habitait à Montretout, sur les hauteurs de Saint-Cloud. Là se révélait un autre Levallois, celui des Chansons ; un Levallois inconnu, d’une jeunesse et d’un esprit étincelants. Il aimait à se délasser de ses articles graves en chantant lui-même, et d’une façon fine et charmante, des couplets satiriques, qu’il improvisait ou à peu près, et où étaient caricaturés et portraiturés avec humour les faits et les hommes contemporains. Quelques-unes de ces chansons, dont beaucoup sont de purs chefs-d’œuvre, ont été publiées. La plupart restent inédites…. C’est une figure peu ordinaire que celle de cet écrivain, qui a toujours vécu dans la retraite, ne demandant rien à personne, ne se mêlant à aucune agitation, et qui, bien que républicain et spiritualiste, n’est même pas décoré, n’est même pas de l’Académie…. Jules Levallois est un esprit du xviiie siècle, que, dans sa marche, l’humanité a oublié. Il aurait dû converser avec Diderot, Grimm, Mme d’Houdetot ; on ne voit pas ce qu’il a à dire aux marchands de coton. C’est pourquoi il s’est terré. Jules Levallois est le dernier homme de lettres. » Ajoutons, puisqu’il vient d’être question de Diderot, qu’on a très justement dit de Jules Levallois (dans le journal la Vie littéraire, numéro du 22 mars 1877) ce qu’on a dit de Diderot même : « Qui ne l’a pas entendu causer ne peut le connaître ».  ↩