Mastodon Mastodon Mastodon Mastodon Mastodon

Mot-clé : « Gautier (Théophile) »

Fil des textes

Le Livre, tome II, p. 344-360

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 344.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 344 [360]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 345.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 345 [361]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 346.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 346 [362]. Source : Internet Archive.

Chères délices de mon âme,
Gardez-vous bien de me quitter.
Quoiqu’on vienne vous emprunter !
Chacun de vous m’est une femme,
Qui peut se laisser voir sans blâme
Et ne se doit jamais prêter.

Ce qui n’empêcha pas Colletet, lorsqu’il reçut de Richelieu « la somme énorme de six cents livres » pour six vers seulement, consacrés à la description de la pièce d’eau des Tuileries, de remercier le généreux cardinal par ce distique, plus digne d’un trafiquant que d’un bibliophile :

Armand, qui, pour six vers, m’as donné six cents livres.
Que ne puis-je, à ce prix, te vendre tous mes livres[344.1] !

Les livres prêtés — pour revenir à eux — « les livres prêtés ne sont jamais rendus…. Parfaitement !

[II.360.344]
  1.  Cf. Théophile Gautier, les Grotesques, p. 216. (Paris, Lévy, 1859.) « Certainement jamais vers, même alexandrins, c’est-à-dire les plus longs qui soient, n’ont été payés aussi cher à aucun poète du monde, » ajoute ici Théophile Gautier. — A propos de Guillaume Colletet et de sa bibliothèque, Charles Asselineau a écrit une très intéressante page (ap. Eugène Crépet, les Poètes français, t. II, p. 496), que je me reprocherais d’omettre : « … Chevreau s’est trompé lorsqu’il a dit que Colletet ne laissa à son fils que son nom pour héritage. Ce nom serait déjà quelque chose ; mais Colletet put transmettre à son héritier un legs plus positif et plus palpable, sa bibliothèque, — bibliothèque considérable et célèbre, même en son temps, au témoignage du Père Jacob, de Châlons, l’auteur du Traité des plus belles bibliothèques du monde, et qu’il sut conserver cinquante [quarante ?] ans, malgré son peu de fortune, pour la léguer à ce fils. La pauvreté et les instances de la veuve forcèrent, dans le courant de l’année, François Collelet à se défaire de son héritage, et les regrets qu’il lui a consacrés seront une conclusion touchante pour cette notice. « Vente, dit-il, qui tire presque des larmes de mes yeux et des soupirs de ma bouche, toutes les fois que j’y pense, et qui rappelle en ma mémoire la faiblesse d’un homme intéressé, qui, pouvant me conserver ce seul petit héritage que m’avoit laissé mon père, a mieux aymé le donner en proye à la justice que de m’en laisser la jouissance ; advantage certe qui lui donne bien peu de gloire, aussi bien qu’à ceux qui, pouvant inspirer à la vefve de nobles et généreux sentiments en ma faveur, n’ont pas été fidèles conseillers ny juges équitables dans ma cause. C’est un ressentiment qui me tient trop au cœur pour l’étouffer ; et l’indignation que j’eus, dès ce tems-là, d’une action si contraire au sang et à la nature m’inspira une ode de cent vers, qui seront quelque jour imprimez, et dont voici le commencement :
    •  Chères délices de mon père,
      Livres doctes et précieux,
      Qui de ses écrits curieux
      Fûtes l’entretien ordinaire ;
      Vous qu’en quarante ou cinquante ans,
      Malgré les misères du temps,
      Il acquit avec tant de peine,
      Eh quoi ! je ne vous verrai plus !
      Puisqu’il faut que cette semaine
      A l’encan vous soyez vendus, »
      Etc.

     « Quoique cent fois supérieurs à l’Ode à Namur, ces vers, dit Charles Nodier, — continue Asselineau, — sont assez mauvais ; mais il y a, dans tout ce passage, une fleur de sentiment qui fait penser, une mesure d’expression qui fait réfléchir, et qui satisfait mieux mon cœur et mon esprit qu’un vain luxe de paroles. L’homme qui n’accuse son spoliateur que de faiblesse, qui ne voit dans sa marâtre que la veuve de son père, qui ne trouve dans les conseillers de cette femme que des juges peu équitables, valait bien mieux à aimer que ce triste Boileau. Il n’aurait jamais stigmatisé d’un opprobre éternel le malheur d’avoir besoin de pain et d’en demander aux valets, extrémité cruelle sans doute, mais préférable à la honte d’attendre de l’or de leurs maîtres. »  ↩

Le Livre, tome II, p. 196-212

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 196.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 196 [212]. Source : Internet Archive.

« La lecture des journaux, écrit, de son côté, un journaliste qui était en même temps un très brillant styliste, Théophile Gautier[196.1] (1811-1873), la lecture des journaux empêche qu’il n’y ait de vrais savants et de vrais artistes ; c’est comme un excès quotidien qui vous fait arriver énervé et sans force sur la couche des Muses, ces filles dures et difficiles, qui veulent des amants vigoureux et tout neufs. Le journal tue le livre, comme le livre a tué l’archi­tecture[196.2],

[II.212.196]
  1.  Mademoiselle de Maupin, préface, p. 34. (Paris, Charpentier, 1886.)  ↩
  2.  « … L’archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice (Notre-Dame de Paris), puis, étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table, et sa main gauche vers Notre-Dame, et promenant un triste regard du livre à l’église : « Hélas ! Dit-il, ceci tuera cela » …. « Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice…. La presse tuera l’église…. L’imprimerie tuera l’architecture…. » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, livre V, chap. i et ii, t. I, pp. 205, 207 et 208 ; Paris, Hachette, 1858.) Il est à remarquer que si le livre a pu porter atteinte à l’Église (avec un grand É), aux dogmes catholiques et autres, il n’a nullement tué l’édifice gothique, que l’imprimerie n’a pas du tout nui à notre vieille et nationale architecture, au contraire. « C’est par lui (le livre), par les recherches et les écrits des Boisserée, des Vitet, des Victor Hugo, des Michelet, des Montalembert, des Viollet-le-Duc, qu’elle a retrouvé la faveur, qu’elle a reconquis l’admiration. » (Jules Levallois, la Vieille France, chap. viii, p. 161 ; Tours, Mame, 1882.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 059-075

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 059.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 059 [075]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 060.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 060 [076]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 061.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 061 [077]. Source : Internet Archive.

ont de la peine à s’y faire. Il est vrai qu’on peut apprendre à parcourir métho­diquement[059.1] ».

Pour tous ceux qui vivent dans les livres, dans les imprimés et les manuscrits, et y opèrent de fréquentes recherches, « l’art de parcourir » est indispensable.

Le savant bibliothécaire florentin Magliabecchi (1633-1714) « avait une manière particulière de lire ou plutôt de dévorer les livres ; quand un ouvrage nouveau lui tombait sous la main, il examinait le titre, puis la dernière page, parcourait les préfaces, dédicaces, tables[059.2], jetait un coup d’œil sur chacune

[II.075.059]
  1.  Doudan, loc. cit., t. III, p. 345. Cf. supra, t. I, p. 193.  ↩
  2.  A propos des préfaces et des tables des matières, et de leur importance au point de vue de la connaissance du contenu des livres, voici quelques considérations, où la fantaisie et le badinage s’entremêlent au sérieux et à la vérité, empruntées à Théophile Gautier (les Jeunes-France, préface, pp. i et suiv. ; Paris, Charpentier, 1880) : — « Je ne sais si vous avez la fatuité de ne pas lire les préfaces, mais j’aime à supposer le contraire, pour l’honneur de votre esprit et de votre jugement… Moi, pour mon compte, et je prétends vous convertir à mon système, je ne lis que les préfaces et les tables, les dictionnaires et les catalogues. C’est une précieuse économie de temps et de fatigue : tout est là, les mots et les idées. La préface, c’est le germe ; la table, c’est le fruit : je saute, comme inutiles, tous les feuillets intermédiaires. Qu’y verrais-je ? des phrases et des formes ; que m’importe !… Il en est des livres comme des femmes : les uns ont des préfaces, les autres n’en ont pas ; les unes se rendent tout de suite, les autres font une longue résistance ; mais tout finit toujours de même… par la fin. Cela est triste et banal ; cependant que diriez-vous d’une femme qui irait se jeter tout d’abord à votre tête ?… La préface, c’est la pudeur du livre, c’est sa rougeur, ce sont les demi-aveux, les soupirs étouffés, les coquettes agaceries, c’est tout le charme…. O lecteurs du siècle ! ardélions inoccupés qui vivez en courant et prenez à peine le temps de mourir, plaignez-vous donc des préfaces qui contiennent un volume en quelques pages, et qui vous épargnent la peine de parcourir une longue enfilade de chapitres pour arriver à l’idée de l’auteur. La préface de l’auteur, c’est le post-scriptum d’une lettre de femme, sa pensée la plus chère : vous pouvez ne pas lire le reste…. Je vous le proteste ici, afin que vous le sachiez, je hais de tout mon cœur ce qui ressemble, de près ou de loin, à un livre : je ne conçois pas à quoi cela sert. Les gros Plutarque in-folio, témoin celui de Chrysale, ont une utilité évidente : ils servent à mettre en presse, à défaut de rabats, puisqu’on n’en porte plus, les gravures chiffonnées et qui ont pris un mauvais pli ; on peut encore les employer à exhausser les petits enfants qui ne sont pas de taille à manger à table. Quant à nos in-octavo, je veux que le diable m’emporte si l’on peut en tirer parti et si je conçois pourquoi on les fait. Il a pourtant été un temps où je ne pensais pas ainsi. Je vénérais le livre comme un dieu ; je croyais implicitement à tout ce qui était imprimé ; je croyais à tout, aux épitaphes des cimetières, aux éloges des gazettes, à la vertu des femmes. O temps d’innocence et de candeur ! Je m’amusais comme une portière à lire les Mystères d’Udolphe, le Château des Pyrénées, ou tout autre roman d’Anne Radcliffe ; j’avais du plaisir à avoir peur, et je pensais, avec Gray, que le paradis, c’était un roman devant un bon feu*…. Le seul plaisir qu’un livre me procure encore, c’est le frisson du couteau d’ivoire dans ses pages non coupées ; c’est une virginité comme une autre, et cela est toujours agréable à prendre. Le bruit des feuilles tombant l’une sur l’autre invite immanquablement au sommeil, et le sommeil est, après la mort, la meilleure chose de la vie. »
    •  * Théophile Gautier pousse ici la fantaisie jusqu’à dénaturer le mot de Gray (et son nom aussi : il écrit Grey), qui estimait que « rester nonchalamment étendu sur un sofa et lire des romans nouveaux donnait une assez bonne idée des joies du paradis ». (Walter Scott, Notice sur Le Sage, ap. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, tome dernier (sans numéro), Table, p. 28.) Cf. infra, chap. ix, les Romans, p. 192.  ↩

Le Livre, tome I, p. 208-232

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 208.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 208 [232]. Source : Internet Archive.

au fond, a été le grand, l’unique souci de ma vie : tremper et former mon âme, la mettre au niveau des choses et au-dessus des événements ; saisir le côté par lequel, chétif atome perdu dans l’immensité, je pouvais faire œuvre utile, concourir à la marche de l’ensemble, jouer ma partie dans le suprême concert, et, dans cette immensité même, ne pas me sentir rouler sans raison et sans conscience comme l’inerte grain de sable[208.1]. »

Et n’est-elle pas émouvante et belle entre toutes, cette apostrophe de Jules Janin (1804-1874) ? « O mes livres ! mes économies et mes amours ! une fête à mon foyer, un repos à l’ombre d’un vieil arbre, mes compagnons de voyage !… et puis, quand tout sera fini pour moi, les témoins de ma vie et de mon labeur[208.2]. »

« L’art — c’est-à-dire l’amour du Beau et du Vrai, l’étude et le culte des Lettres — est ce qui nous console le mieux de vivre, » disait Théophile Gautier (1811-1872)[208.3].

L’art, ce consolateur des misères humaines !

proclame de son côté François Ponsard (1814-1867)[208.4].

[I.232.208]
  1.  Jules Levallois, l’Année d’un ermite, p. 202.  ↩
  2.  Courrier de la librairie, mai 1858. Cf. aussi l’amour des livres, du même écrivain, pp. 35 et 59 : « O mes livres ! mon juste orgueil ! ma fête suprême ! Oraison funèbre qui ne saurait périr ! » Etc.  ↩
  3.  Poésies, t. I, préface, p. 7 (Paris, Lemerre, 1890).  ↩
  4.  L’Honneur et l’Argent, III, vi ↩