« Jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse que moi de livres », disait Bayle (1647-1706)[135.1].
Emerson (1803-1882), « avec cette intrépidité d’assertion qui le caractérise, affirme quelque part que les hommes de génie doivent être de grands liseurs Je ne sais pas trop si, l’histoire en main, on pourrait prouver que cela est exact. Leibnitz, Voltaire, Gœthe, avaient énormément lu ; Descartes et Rousseau[135.2] étaient, au contraire, de petits liseurs, peu au courant de la tradition…. De nombreuses lectures, si elles sont judicieusement dirigées, faites avec discernement, avec un sérieux désir de s’orienter dans le monde intellectuel, n’oppriment point l’esprit, ne l’alourdissent point, comme on se plaît à le répé-
- Ap. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 369. ↩
- Jean-Jacques Rousseau, écrit David Hume, « a très peu lu durant le cours de sa vie, et il a maintenant renoncé tout à fait à la lecture. Il a très peu vu, et n’a aucune sorte de curiosité pour voir et observer. Il a, à proprement parler, réfléchi et étudié fort peu, et n’a, en vérité, qu’un fonds peu étendu de connaissances. Il a seulement senti durant tonte sa vie ; et, à cet égard, sa sensibilité est montée à un degré qui passe tout ce que j’ai vu jusqu’ici ; mais elle lui donne un sentiment plus aigu de peine que de plaisir. Il est comme un homme qui serait nu, non seulement nu de ses vêtements, mais nu et dépouillé de sa peau, et qui, ainsi au vif, aurait à lutter avec l’intempérie des éléments qui troublent perpétuellement ce bas monde. » « Certes, ajoute Sainte-Beuve, après avoir cité cette lettre de David Hume (Causeries du lundi, t. II, pp. 79-80), il est impossible de mieux représenter l’état moral et physiologique de Rousseau. Cf. infra, chap. xii, p. 306. ↩