plus fructueuses. Presque au début de son ouvrage les Sources, Conseils pour la conduite de l’esprit[203.1], il dissuade vivement tout homme « qui croit vouloir penser et parvenir à la lumière » de permettre « à la perturbatrice de tout silence, à la profanatrice de toutes les solitudes[203.2], à la presse quotidienne, de venir,
- Page 7. (Paris, Téqui, 1904 ; in-18.) ↩
- Sur la solitude, son influence principalement sur les gens de lettres, et son importance pour les travaux littéraires, j’emprunte au livre de M. Albert Collignon, la Religion des Lettres, pp. 246-247, les hautes et suggestives réflexions suivantes : « L’efficacité de la solitude, dit Thomas Carlyle, qui la chantera ? Des autels devraient être élevés au silence, à la solitude. Le silence est l’élément dans lequel les grandes choses se forment et s’assemblent. » « Quoiqu’une vie de cabinet, toujours froide et non stimulée, ne fût pas sa vocation, le Père Lacordaire était né avec le goût et l’amour de la solitude ; il y restait toujours avec une joie nouvelle. « Je sens avec joie, disait-il, la solitude se faire autour de moi : c’est mon élément, ma vie. On ne fait rien qu’avec la solitude : c’est mon grand axiome. » « Un homme, disait-il encore, se fait en dedans de lui et non en dehors. Un homme a toujours son heure : il suffit qu’il l’attende…. Je n’ai jamais vécu avec les gens du monde, et je crois difficilement à ceux qui habitent cette mer où le flot pousse le flot sans que jamais rien y prenne consistance. Les meilleurs perdent à ce frottement continuel…. » La solitude est possible en tous lieux. Le désert est partout où l’on sait vivre seul. On se cherche des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes. « Retire-toi plutôt en toi-même, dit Marc-Aurèle, nulle part tu ne seras plus tranquille. » Le philosophe ou, pour mieux dire, l’homme intelligent sait trouver l’isolement partout, dans le tapage d’un club, dans les bruits de la rue, comme dans un salon. En quelque endroit que le hasard le jette, même au milieu des foules, ou dans une bataille, il observe avec sans-froid, il pense…. L’homme de lettres, dit encore M. Albert Collignon (op. cit., p. 252), doit être avare de son temps. S’il le perd en visites, en politesses, dans toutes les aimables frivolités des salons, il deviendra un homme du monde et non un écrivain. Il faut se résigner à passer pour un ours, fuir les bals, éviter les soirées, les longs dîners, etc., quand on a l’ambition difficile de faire un bon livre. C’est ici qu’une fin supérieure justifie des moyens peu aimables à pratiquer. Mais, sans la solitude, sans le travail continu qu’elle comporte et qu’elle seule rend possible, sans la privation des distractions énervantes du monde parisien, le génie le mieux doué ne fera jamais rien de grand. » Voir aussi Ducis (lettre du 22 ventôse an XII, et lettre du 2 avril 1815 : Lettres de Ducis, pp. 169 et 376 ; cf. supra, t. I, p. 171) : « Je pense donc que si l’on veut faire usage de ma devise, on peut, au lieu d’Abstine et sustine, choisir ces mots, qui étaient la devise de Descartes : Bene vixit, qui bene latuit. Je les préférerais même aux mots Abstine et sustine…. La solitude est plus que jamais pour mon âme ce que les cheveux de Samson étaient pour sa force corporelle. » Et Chamfort (Dialogue xxiv ; Œuvres choisies, t. I, p. 184 : cf. supra, t. I, p. 171) : « Il faut vivre, non avec les vivants, mais avec les morts, » c’est-à-dire avec les livres. Et Doudan (lettre du 1er avril 1854 : Lettres, t. III, p. 7) : « En avançant dans la vie, on trouve que c’est encore la complète solitude qui trompe le moins et qui froisse le moins. » ↩