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Le Livre, tome I, p. 154-178

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 154.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 154 [178]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 155.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 155 [179]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 156.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 156 [180]. Source : Internet Archive.

du Conseil de juillet 1763. Elle a passé depuis en masse dans la Bibliothèque du Roi[154.1]. »

La Bruyère (1646-1696) a tracé un célèbre portrait de bibliomane, qui ne lit jamais, — qui, par conséquent, n’a rien de commun avec les amis des livres et des Lettres, — qui ne s’occupe que de faire luxueusement relier ses volumes, et dont la bibliothèque n’est qu’une tannerie[154.2] :

« Je vais trouver cet homme, qui me reçoit dans une maison où, dès l’escalier, je tombe en faiblesse d’une odeur de maroquin noir dont ses livres sont tous couverts. Il a beau me crier aux oreilles, pour me ranimer, qu’ils sont dorés sur tranche, ornés de filets d’or, et de la bonne édition ; me nommer les meilleurs l’un après l’autre, dire que sa galerie est remplie, à quelques endroits près qui sont peints de manière qu’on les prend pour de vrais livres arrangés sur des tablettes, et que l’œil s’y trompe ; ajouter qu’il ne lit jamais, qu’il ne met pas le pied dans cette galerie, qu’il y viendra pour me faire plaisir ; je le remercie de sa complaisance, et ne veux, non plus que lui, voir sa tannerie, qu’il appelle biblio­thèque[154.3]. »

[I.178.154]
  1.  Sainte-Beuve, op. cit., t. II, p. 168, n. 1.  ↩
  2.  Ce maniaque « était un financier du nom de Morel, dont le descendant, M. Morel de Vindé, fut aussi bibliophile, mais avec une ardeur plus intelligente. » (Édouard Fournier, l’Art de la reliure en France, p. 206.)  ↩
  3.  La Bruyère, Caractères, De la mode, p. 349. (Paris, Dezobry, 1849.) Ce vigoureux burin n’a pas manqué de mettre aux champs plus d’un bibliographe. L’un d’eux, L. Derome, a riposté de cette sorte : « … On n’a rien écrit à cet égard de plus brutal et de plus grossier que ces paroles de La Bruyère : « Je vais, dit-il, trouver cet homme, — le bibliophile, — qui me reçoit dans une maison où, dès l’escalier, » etc. (Encore une fois rappelons bien qu’il ne s’agit pas d’un bibliophile, d’un ami des livres, mais d’un maniaque, qui ne lit jamais.) « La Bruyère, continue rageusement L. Derome, était un parasite, habitué à vivre dans la domesticité des grands ; il leur rendait en dédain et en mauvais propos l’hospitalité qu’ils lui accordaient. Campé derrière Sénèque et Diogène, sur les hauteurs de la philosophie stoïcienne, il faisait profession de médire de beaucoup de choses qui lui manquaient. D’abord des femmes, parce qu’il avait une figure de soldat, selon l’expression d’un auteur contemporain, et n’avait point le don de leur être agréable ; du pouvoir, qui n’était point à sa portée ; des richesses, qui lui faisaient aussi défaut ; de la noblesse, parce qu’il n’avait pas de naissance ; du luxe des vêtements, parce que le prince de Conti lui laissait porter des habits râpés ; des palais et de ce qu’ils contiennent, y compris les livres, n’ayant de quoi loger ni des livres, ni un mobilier, ni sa personne. C’est l’éternelle fable du renard et des raisins qui sont trop verts. Vivant d’ailleurs dans les coulisses du grand théâtre de la cour, il n’avait qu’à se pencher pour voir défiler une à une les vanités du xviie siècle, et il était merveilleusement doué pour en saisir à première vue les côtés grotesques. Aucun détail de mœurs ne lui échappe : son œil pénétrant ne laisse passer aucune misère sans la noter d’un mot qui est un stigmate. Dans le musée qu’il nomme Caractères, la vérité coule à flots pressés ; mais regardez à celui qui la dit, et mesurez, si vous pouvez, l’amertume de son fiel ; nulle part l’éloge ne tempère l’animosité chagrine ; la religion elle-même n’est qu’un sauf-conduit qui sert d’enseigne à son humeur, et l’austérité un manteau qui le défend. II parle des livres du ton d’un homme en colère ; on dirait qu’ils l’ont mordu à la jambe. Ce n’est pas à eux qu’il en veut, mais à ceux qui les possèdent, qui les couvrent de leurs armoiries. Or, ce ne sont pas des manants. Ce sont les grands du royaume, les hommes d’État, les gens d’Église, l’aristocratie mondaine et lettrée, quiconque a, en France, une place considérable au soleil. Le coup de poing du sombre janséniste tombe sur eux comme une lettre de cachet. Leur effarement est inutile et leurs menaces vaines ; le roi n’entend pas qu’on touche à ce bouledogue ; il lui accorde la protection dont jadis il a honoré Molière. » (L. Derome, le Luxe des livres, pp. 29-32.)  ↩