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Le Livre, tome II, p. 307-323

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 307.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 307 [323]. Source : Internet Archive.

thèque. Il avait très peu lu dans son enfance, et souvent il disait à ses amis : « Depuis l’âge de seize ans je n’ai pas ouvert un livre ». Il a dit encore : « Si j’avais lu autant de livres que tels et tels, je serais aussi ignorant qu’ils le sont[307.1] ».

« Les génies [hommes de génie] lisent peu, pratiquent beaucoup et se font d’eux-mêmes, » affirmait Diderot[307.2]. Ce qui est en complet désaccord avec l’assertion si « intré­pide[307.3] », si téméraire d’Emerson, que nous avons vue citée par Jules Levallois : « Les hommes de génie doivent être de grands liseurs ».

Il y a même eu des gens de lettres partisans de la destruction des livres.

Dans le Mercure du 15 février 1794, le critique La Harpe (1739-1803), ci-devant membre de l’Académie française, et pour le quart d’heure fougueux démagogue, en attendant qu’il devînt aristocrate forcené, se contente de demander qu’on supprime les armoiries « des tyrans » sur les plats des volumes de la Bibliothèque nationale, qu’on fasse disparaître

[II.323.307]
  1.  Fertiault, les Amoureux du livre, p. 358.  ↩
  2.  Ap. Albert Collignon, la Religion des Lettres, p. 359.  ↩
  3.  « Emerson, avec cette intrépidité d’assertion qui le caractérise…. » (Jules Levallois : cf. supra, chap. iv, p. 135). D’autre part. — et pour tâcher de faire entendre tous les sons, — H. de Balzac a noté que « les grands conteurs : Ésope, Lucien, Boccace, Rabelais, Cervantes, Swift, La Fontaine, Lesage, Sterne, Voltaire, Walter Scott, les Arabes inconnus des Mille et une Nuits, sont tous des hommes de génie autant que des colosses d’érudition ». (Petites Misères de la vie conjugale, p. 164 ; Paris, Librairie nouvelle, 1862.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 215-231

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 215.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 215 [231]. Source : Internet Archive.

Terminons par ce relevé des avantages et mérites de la presse, soigneusement établi par M. Albert Collignon, dans son livre la Vie littéraire[215.1] :

« On dit beaucoup de mal des journaux, et cependant ils sont indispensables dans la vie littéraire et politique. Par eux les Français, de Lille à Marseille, sont reliés entre eux ; ils éprouvent tous ensemble les mêmes sentiments patriotiques. Les journaux sont utiles, même dans leurs annonces, même dans leurs faits divers. Le fait divers, bien lu, par un esprit qui réfléchit, est un traité de morale en action, de morale en exemples. Les conséquences désastreuses de la paresse, de l’ivrognerie, du vice, relatées au jour le jour, sont autant d’avertissements salutaires pour tous ceux qui sont capables d’expérience. Dans toute sa partie supérieure, le journal est une institution libérale et démocratique. C’est le moyen le plus simple, le moins coûteux et le plus sûr par lequel le lecteur commence à s’instruire, à s’intéresser à la chose publique ; sans cesse amélioré, il deviendra le moyen par lequel la religion des Lettres pénétrera peu à peu dans les nouvelles couches, dans les masses profondes du peuple. »

Ainsi soit-il !

[II.231.215]
  1.  Page 305.  ↩

Le Livre, tome II, p. 203-219

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 203.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 203 [219]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 204.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 204 [220]. Source : Internet Archive.

plus fructueuses. Presque au début de son ouvrage les Sources, Conseils pour la conduite de l’esprit[203.1], il dissuade vivement tout homme « qui croit vouloir penser et parvenir à la lumière » de permettre « à la perturbatrice de tout silence, à la profanatrice de toutes les soli­tudes[203.2], à la presse quotidienne, de venir,

[II.219.203]
  1.  Page 7. (Paris, Téqui, 1904 ; in-18.)  ↩
  2.  Sur la solitude, son influence principalement sur les gens de lettres, et son importance pour les travaux littéraires, j’emprunte au livre de M. Albert Collignon, la Religion des Lettres, pp. 246-247, les hautes et suggestives réflexions suivantes : « L’efficacité de la solitude, dit Thomas Carlyle, qui la chantera ? Des autels devraient être élevés au silence, à la solitude. Le silence est l’élément dans lequel les grandes choses se forment et s’assemblent. » « Quoiqu’une vie de cabinet, toujours froide et non stimulée, ne fût pas sa vocation, le Père Lacordaire était né avec le goût et l’amour de la solitude ; il y restait toujours avec une joie nouvelle. « Je sens avec joie, disait-il, la solitude se faire autour de moi : c’est mon élément, ma vie. On ne fait rien qu’avec la solitude : c’est mon grand axiome. » « Un homme, disait-il encore, se fait en dedans de lui et non en dehors. Un homme a toujours son heure : il suffit qu’il l’attende…. Je n’ai jamais vécu avec les gens du monde, et je crois difficilement à ceux qui habitent cette mer où le flot pousse le flot sans que jamais rien y prenne consistance. Les meilleurs perdent à ce frottement continuel…. » La solitude est possible en tous lieux. Le désert est partout où l’on sait vivre seul. On se cherche des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes. « Retire-toi plutôt en toi-même, dit Marc-Aurèle, nulle part tu ne seras plus tranquille. » Le philosophe ou, pour mieux dire, l’homme intelligent sait trouver l’isolement partout, dans le tapage d’un club, dans les bruits de la rue, comme dans un salon. En quelque endroit que le hasard le jette, même au milieu des foules, ou dans une bataille, il observe avec sans-froid, il pense…. L’homme de lettres, dit encore M. Albert Collignon (op. cit., p. 252), doit être avare de son temps. S’il le perd en visites, en politesses, dans toutes les aimables frivolités des salons, il deviendra un homme du monde et non un écrivain. Il faut se résigner à passer pour un ours, fuir les bals, éviter les soirées, les longs dîners, etc., quand on a l’ambition difficile de faire un bon livre. C’est ici qu’une fin supérieure justifie des moyens peu aimables à pratiquer. Mais, sans la solitude, sans le travail continu qu’elle comporte et qu’elle seule rend possible, sans la privation des distractions énervantes du monde parisien, le génie le mieux doué ne fera jamais rien de grand. » Voir aussi Ducis (lettre du 22 ventôse an XII, et lettre du 2 avril 1815 : Lettres de Ducis, pp. 169 et 376 ; cf. supra, t. I, p. 171) : « Je pense donc que si l’on veut faire usage de ma devise, on peut, au lieu d’Abstine et sustine, choisir ces mots, qui étaient la devise de Descartes : Bene vixit, qui bene latuit. Je les préférerais même aux mots Abstine et sustine…. La solitude est plus que jamais pour mon âme ce que les cheveux de Samson étaient pour sa force corporelle. » Et Chamfort (Dialogue xxiv ; Œuvres choisies, t. I, p. 184 : cf. supra, t. I, p. 171) : « Il faut vivre, non avec les vivants, mais avec les morts, » c’est-à-dire avec les livres. Et Doudan (lettre du 1er avril 1854 : Lettres, t. III, p. 7) : « En avançant dans la vie, on trouve que c’est encore la complète solitude qui trompe le moins et qui froisse le moins. »  ↩

Le Livre, tome II, p. 188-204

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 188.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 188 [204]. Source : Internet Archive.

Descartes (1596-1650), de son côté, reconnaît que « la gentillesse des fables réveille l’esprit,… que la poésie a des délicatesses et des douceurs très ravissantes[188.1]…. »

Élevant et étendant le débat, Turgot (1727-1781) affirme, lui, que « les auteurs de romans ont répandu dans le monde plus de grandes vérités que toutes les autres classes réunies[188.2] ».

Turgot, en émettant cet avis, que d’aucuns pourront trouver hyperbolique, songeait certainement à l’auteur de Don Quichotte, à celui de Gil Blas, à celui de Clarisse Harlowe, à celui de Candide et de Zadig, à celui de la Nouvelle Héloïse, etc. Quoi qu’il en soit, un juge des plus éclairés et des plus compétents en la question, le grand liseur et grand lettré Doudan, à qui j’ai fréquemment recours[188.3], n’est pas loin de partager l’opinion de Turgot : « … C’est pourtant par les bons romans que la France, l’Angleterre et l’Allemagne ont été en partie civilisées. Ils ont plus contribué que toutes les prédications pédantesques à faire passer dans la masse des hommes des étincelles d’esprit poétique ; ils ont

[II.204.188]
  1.  Discours de la Méthode, p. 12. (Paris, Didot, 1884 ; in-18.)  ↩
  2.  Ap. Albert Collignon, la Vie littéraire, p. 321.  ↩
  3.  C’est Doudan, ainsi que nous l’avons vu (p. 57), qui, n’aimant pas à lire « ces livres à surprises, le dos tourné, comme un condamné qu’on mène sur une charrette à l’échafaud, » allait droit au dénouement et commençait la lecture des romans par la fin.  ↩

Le Livre, tome II, p. 169-185

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 169.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 169 [185]. Source : Internet Archive.

s’accroît en vieillissant ; il a ses bizarreries et ses replis à l’infini, comme toutes les avarices. Les tours malicieux, les ruses, les rivalités, les inimitiés même qu’il engendre, ont quelque chose de surprenant et de marqué d’un coin à part. »

Une bonne remarque, un excellent conseil, relatif aux livres anciens et aux livres modernes, et qui résume bien la question, me semble être celui-ci :

Pour les ouvrages scientifiques, rechercher les volumes les plus récents, c’est-à-dire ceux qui enregistrent, tous les progrès et les derniers perfectionnements de la science ; pour les livres de littérature, s’attacher aux meilleurs, aux chefs-d’œuvre, si anciens qu’ils soient, la littérature classique étant, comme on l’a dit[169.1], toujours moderne.

[II.185.169]
  1.  Albert Collignon, Notes et Réflexions d’un lecteur, p. 17. « … Pour nous autres bibliophiles obstinés, plus retentit à nos oreilles le marteau des démolisseurs, plus nous devons nous appliquer à défendre contre lui nos vieux livres. Leur amour est une dernière barrière à opposer à cette malfaisante passion pour le neuf à tout prix qui irritait déjà Milton, au point qu’il prétendait qu’il vaut presque autant tuer un homme qu’un bon livre (Areopagetica). Celui qui tue un homme, remarque le poète, tue une créature raisonnable, image de Dieu ; mais celui qui détruit un bon livre détruit, pour ainsi dire, la raison elle-même, tue l’image de Dieu dans l’œil où elle habite. Beaucoup d’hommes vivent, fardeaux inutiles de la terre ; mais un bon livre est le précieux sang vital d’un esprit supérieur, embaumé et religieusement conservé comme un trésor pour une vie au delà de sa vie…. » Prince Augustin Galitzin, ap. Fertiault, op. cit., p. 215.)  ↩

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