sous de frais ombrages : celui qui vous ignore continue à marcher d’un pied fatigué, ou tombe épuisé sur la route ; celui qui vous connaît, nymphes bienfaisantes, accourt à vous, rafraîchit son front brûlant, lave ses mains flétries, et rajeunit en vous son cœur. Vous êtes éternellement belles, éternellement pures, clémentes à qui vous revient, fidèles à qui vous aime. Vous nous donnez le repos, et, si nous savons vous adorer avec une âme reconnaissante et un esprit intelligent, vous y ajoutez par surcroît quelque gloire. Qu’il se lève d’entre les morts et qu’il vous accuse, celui que vous avez trompé ! »
Cette superbe apothéose des Lettres mérite d’avoir pour corollaire ou pendant l’admirable page que Silvestre de Sacy (1801-1887), dans la péroraison de son article sur le Catalogue de la bibliothèque de feu J.-J. de Bure, a consacrée à sa propre bibliothèque et où il lui adresse ses adieux, cette émouvante et mémorable oraison funèbre, tant de fois citée[222.1], et qui est comme la « Tristesse d’Olym-
- Et tant de fois altérée et faussée, car cette célèbre invocation a eu le sort des Provinciales et des Pensées de Pascal, « qu’on tronque toujours quand on le cite », selon la piquante remarque de M. Ferdinand Brunetière (Histoire et Littérature, t. I, p. 314). Comme exemples de ces inexactitudes et déformations, cf. Fontaine de Resbecq, Voyages littéraires sur les quais de la Seine, p. 134 ; — Rouveyre, Connaissances nécessaires à un bibliophile, 3e édit., t. II, pp. 163-164 ; — etc. Le pieux Jean Darche a fait mieux : il s’est approprié le texte, l’a démarqué et rebaptisé, puis l’a terminé en sermon : « O mes livres, mes chers livres, à moins que mes enfants soient dignes de vous posséder et qu’ils aient du Ciel le don de vous savoir apprécier et goûter, mes bien-aimés livres, un jour peut-être vous serez mis en vente ; d’autres vous achèteront et vous posséderont, possesseurs moins dignes de vous sans doute que votre maître actuel ! Ils sont bien à moi pourtant, ces livres, je les ai tous choisis un à un…. Mais, ô mon Dieu ! rien n’est stable en ce monde ! et ce sera bien ma faute si…. Amen ! » (Essai sur la lecture, pp. 374-375.) — Cet article de Silvestre de Sacy a paru dans le Journal des Débats du 25 octobre 1853, et il fait partie des Variétés littéraires, morales et historiques de cet écrivain (Paris, Didier-Perrin, 1884, 2 vol. in-12, 5e édit. : la 1re édit. est de 1858), t. I, pp. 242-255. « L’article mémorable… chef-d’œuvre de M. de Sacy, a été celui du mardi 25 octobre 1853, sur le Catalogue de la bibliothèque de feu J.-J. de Bure. » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XlV, p. 191.) ↩