I. Le Papier
Importance du papier : élément essentiel du livre. Tirages à part effectués pour les bibliophiles. — Historique : papyrus, parchemin, papier de chiffon et de coton. Introduction du papier en Europe. Ce que coûtaient autrefois le papier et le parchemin. Production et consommation actuelles du papier ; ses emplois divers. — Les succédanés du chiffon. — Fabrication du papier : papiers à la forme, papier à la mécanique. Pâte de bois mécanique, chimique. — Charge. — Collage ou encollage du papier ; collage animal, végétal. — Papier collé, non collé, demi-collé. Papier buvard, brouillard. — Papiers de couleur. — Glaçage et satinage ; foulage. — Filigrane au laminoir. Papier quadrillé. — Papier couché. — Inconvénients et dangers des papiers trop glacés ou trop blancs. Papiers teintés, azurés, verts, bulle, etc. ; la meilleure teinte pour les yeux. Dangers des papiers roses, des papiers à fond rouge : « Ménagez vos yeux ». — Main, rame, bobine. Prix approximatif des papiers actuels. Tableau des principales sortes de papiers, avec leurs dimensions et usages. — Papiers de luxe : vergé, hollande, whatman, vélin, chine, japon, simili-japon ; nombreux usages du papier chez les Japonais. — Papiers divers ; papier de ramie ; papier d’alfa ; papier indien d’Oxford : livres microscopiques ; papier léger ; papier-parchemin ou faux parchemin ; papier serpente, pelure, joseph, végétal ou à calquer ; papier-porcelaine ; papier bulle. — Carton, bristol. — Mauvaise qualité de la plupart des papiers modernes. Décoloration et désagrégation. Examen et contrôle des papiers. Moyens proposés pour l’amélioration des papiers d’imprimerie.
Le papier est l’élément essentiel et fondamental du livre. De même qu’un homme doué d’une solide constitution, ayant « un bon fond », résistera mieux qu’un être chétif et débile aux assauts de la maladie et retardera d’autant l’inévitable triomphe de la mort, de même un livre imprimé sur papier de qualité irréprochable bravera, bien mieux qu’un volume tiré sur mauvais papier, les injures du temps et les incessantes menaces de destruction.
Aussi les bibliophiles ont-ils toujours attaché une importance capitale à la qualité du papier des ouvrages destinés à leurs collections. Les splendides reliures de Jean Grolier n’abritaient que des exemplaires de choix, des « exemplaires en papier fin et en grand papier, que les imprimeurs tiraient exprès pour lui[002.1] ». « MM. de Thou » (notamment le célèbre historien Jacques-Auguste de Thou), « qui ont été si longtemps chez nous la gloire et l’ornement des belles-lettres, dit Vigneul-Marville[002.2], n’avaient pas seulement la noble passion de remplir leurs bibliothèques d’excellents livres, qu’ils faisaient rechercher par toute l’Europe ; ils étaient encore très curieux que ces livres fussent parfaitement bien conditionnés. Quand il s’imprimait en France, et même dans les pays étrangers, quelque bon livre, ils en faisaient tirer deux ou trois exemplaires pour eux, sur de beau et grand papier qu’ils faisaient faire exprès, ou achetaient plusieurs exemplaires, dont ils choisissaient les plus belles feuilles, et en composaient un volume, le plus parfait qu’il était possible. »
Jules Janin, le duc d’Aumale et bien d’autres bibliophiles d’élite ont plus d’une fois suivi l’exemple des de Thou[003.1].
La reliure à part, c’est de la qualité du papier que dépend presque toujours le prix de vente d’un ouvrage non épuisé, non d’occasion, qui se trouve en librairie, comme on dit, et figure dans le catalogue d’un éditeur. Prenons, par exemple, la collection Jannet-Picard, portée sur le Catalogue de la librairie Flammarion, année 1896[003.2], et qui comprend les œuvres de Molière, de Rabelais, Villon, Régnier, Marot, etc. Le volume broché, papier ordinaire, de cette collection, coûte 1 franc ; le volume broché, papier vergé, 2 francs ; papier whatman, 4 francs ; papier de Chine, 15 francs.
De même pour la « Nouvelle Bibliothèque classique », fondée par l’éditeur Jouaust, et annoncée dans le même Catalogue de la librairie Flammarion[003.3] : un volume de cette collection sur papier ordinaire in-16 elzevierien est coté 3 francs ; sur papier de Hollande, 5 francs ; sur papier de Chine ou whatman, 10 francs ; sur grand papier (c’est-à-dire papier à grandes marges), chine ou whatman, 30 francs.
L’édition des œuvres complètes d’Alfred de Musset (10 volumes format petit in-12) publiée par l’éditeur Lemerre est de même tarifée[004.1] ; le volume sur papier vélin, 6 francs ; sur hollande, 25 francs ; sur chine et sur whatman, 50 francs ; sur japon, 75 francs.
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Le papier, qui tire son nom du mot latin papyrus, roseau jadis très abondant en Égypte[004.2], et dont l’écorce, aisément détachée en larges et légères bandelettes, recevait l’écriture des anciens scribes, est d’origine très lointaine et très incertaines[004.3]. C’est ce qui a permis de dire que le papier semble « nous avoir été transmis par un don spécial de Dieu[005.1] ». Il a cela de particulier et d’admirable qu’étant le produit de substances presque sans valeur et souvent de matières de rebut[005.2], le résultat d’une trituration de loques et de chiffons, une fois façonné et imprimé, devenu livre ou journal, il acquiert une puissance sans pareille, une sorte de souveraineté universelle. Il modifie nos idées et nos croyances, transforme nos mœurs et nos lois, renverse ou restaure les États, décide de la paix et de la guerre : il gouverne le monde, pour ainsi dire ; et il s’est tant multiplié de nos jours, on en fait une si grande et si envahissante consommation, que cette particularité est devenue une caractéristique de notre époque, qu’on a surnommé notre âge « l’âge du papier ».
Le papyrus subsista « jusque dans les premiers siècles de notre ère[006.1] », et même jusqu’au xie siècle[006.2]. Il était d’un prix très élevé, coûtait, — rapporte M. G. d’Avenel, dans une étude très soignée et très intéressante[006.3], à laquelle je me référerai souvent, — « cinq cents fois plus, a-t-on dit, que notre papier actuel[006.4], et, pour ce motif même, il avait à soutenir la concurrence des tablettes de cire et des peaux de mouton [parchemin][006.5] savamment préparées. Ces dernières finirent par remporter tout à fait. Il y avait des centaines d’années qu’en France on écrivait exclusivement sur du parchemin, lorsque, vers le règne de saint Louis, apparut le papier de chiffon[007.1]. »
Quant au parchemin, « il est possible que ce soit à Pergame qu’il ait été amélioré, qu’on l’y fabriquait et qu’on en faisait le commerce, puisque ce produit en a tiré son nom. On croit qu’il était connu quinze siècles avant l’ère actuelle. Les peaux de chèvre, de mouton et d’âne étaient utilisées pour sa préparation, qui était à peu près identique à celle de nos jours[007.2]. Les premiers parchemins étaient si défectueux qu’on ne s’en servait que pour envelopper les livres en papyrus et les tablettes, et pour faire des étiquettes. Ce n’est que vers le ve siècle avant notre ère que l’usage d’écrire sur parchemin fut couramment admis. A mesure que sa préparation devint meilleure, il se répandit de plus en plus. Dès le xie siècle, cette matière supplanta totalement le papyrus, devenu rare et mauvais. On sait que des ouvrages considérables, manuscrits et imprimés, sont faits sur parchemin ; jusqu’au xviiie siècle on s’en servait toujours pour les actes royaux et les transactions privées[007.3]. »
On semble à peu près d’accord pour reconnaître que le papier, probablement inventé par les Chinois, a été introduit en Europe par les Arabes[008.1].
« La découverte, faite par Casiri, à la bibliothèque de l’Escurial, d’un manuscrit arabe sur papier de coton remontant à l’an 1009, et, antérieur à tous ceux existant dans les bibliothèques de l’Europe, prouve que les Arabes furent les premiers à remplacer le parchemin par le papier, écrit le docteur Gustave Le Bon, dans son bel ouvrage sur la Civilisation des Arabes[009.1]. L’historique de cette invention est aujourd’hui, d’ailleurs, facile à restituer. De temps immémorial, les Chinois savaient fabriquer du papier avec des cocons de soie. Cette fabrication avait été introduite à Samarcande dès les premiers temps de l’hégire, et, quand les Arabes s’emparèrent de cette ville, ils y trouvèrent une fabrique installée. Mais cette découverte précieuse ne pouvait être utilisée en Europe, où la soie était à peu près inconnue, qu’à la condition de remplacer cette dernière par une autre substance. C’est ce que firent les Arabes en lui substituant le coton. L’examen de leurs anciens manuscrits montre qu’ils arrivèrent bientôt, dans cette fabrication, à une perfection qui n’a guère été dépassée.
« Il paraît démontré également que c’est aux Arabes qu’est due la découverte du papier de chiffon, dont la fabrication est fort difficile et qui exige des manipulations nombreuses. Cette opinion est fondée sur ce que l’emploi de ce papier est de beaucoup antérieur chez les Arabes à son usage chez les peuples chrétiens. Le plus ancien manuscrit sur papier qui existe en Europe est une lettre de Joinville à saint Louis, écrite peu avant la mort de ce prince, arrivée en 1270, c’est-à-dire à une époque postérieure à sa première croisade en Égypte. Or, on possède des manuscrits arabes sur papier de chiffon antérieurs d’un siècle au document qui précède. Tel est notamment un traité de paix entre Alphonse II d’Aragon et Alphonse IV de Castille, portant la date de 1178, et conservé dans les archives de Barcelone. Il provenait de la célèbre fabrique arabe de papier de Xatiba [Jativa], dont le géographe Edrisi, qui écrivait dans la première moitié du xiie siècle, parle avec éloge.
« L’extension que prirent en Espagne, sous les Arabes, les bibliothèques publiques et privées, à peu près inconnues alors en Europe, les obligèrent à multiplier leurs fabriques de papier. Ils arrivèrent à employer, avec une grande perfection, du chanvre et du lin, alors très abondants dans les campagnes. »
M. G. d’Avenel écrit, de son côté, à propos de l’invention du papier de chiffon[010.1] :
« Il venait de Chine, ayant marché fort lentement, avec une vitesse moyenne de cent lieues par siècle peut-être. Les peuplades de l’Asie centrale, puis les Arabes, puis les Égyptiens, l’avaient de proche en proche véhiculé jusqu’à nous. En 650, on le voit à Samarcande ; en 800, on le rencontre à Bagdad ; en 1100, il est allé au Caire. Il longe alors le rivage africain, traverse ensuite la Méditerranée, et pendant longtemps ne dépasse pas le Languedoc….
« Au cours de son voyage, le papier s’était transformé ; aux écorces de mûrier, aux fibres de bambou, que les Chinois employaient, les Turcs avaient substitué le linge usé et les vieux cordages. Le changement de matière première ne modifiait d’ailleurs pas beaucoup la fabrication, la méthode originale, qui, dans ses grandes lignes, n’a guère varié : réduire les éléments du futur papier en pâte, en bouillie…, puis recueillir ce liquide sur un tamis, où les parcelles en suspension se déposent, s’agglutinent, tandis que la partie fluide s’échappe en filtrant à travers les mailles et ne laisse qu’une mince couche blanchâtre, qui se solidifie, se dessèche et forme une feuille de papier, tel est le principe que l’on appliqua jusqu’au xviiie siècle au chiffon, et que, depuis quatre-vingt-dix ans, on a successivement adopté pour la paille, l’alfa et les diverses essences de bois. »
N’omettons pas de dire que l’existence du papier de coton a été, dans ces derniers temps, non seulement très contestée, mais absolument niée. Selon divers savants, chimistes et bibliographes, il n’y a jamais eu de papier de coton.
« Toutes les preuves en faveur de ce système (l’existence du papier de coton), fondées seulement sur l’apparence extérieure et superficielle du papier, sur des textes aux définitions vagues, se sont évanouies le jour où l’analyse et l’examen du papier ont été faits par des procédés scientifiques réels. Ce sont MM. Wiesner et Briquet qui, les premiers, ont examiné le papier au microscope. M. Briquet a consigné dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France (5e série, tome VI, 1885) le résultat d’une analyse microscopique de 122 échantillons de papiers provenant des sources les plus diverses et embrassant une période allant du xie au xve siècle.
« Voici le résumé de ses conclusions :
« Il n’y a jamais eu de papier de coton….
« Le papier de chiffe est plus ancien qu’on ne l’a cru ; il remonte au xe siècle.
« Le papier de chiffe a été utilisé d’abord en Orient, il n’a pénétré que deux ou trois siècles plus tard en Occident.
« On a filigrané les papiers dès le xiiie siècle en Occident ; cette habitude s’est transportée plus tard en Orient[012.1]. »
M. G. d’Avenel a relevé ce que coûtaient, au xive siècle et dans les siècles suivants, le papier et le parchemin, à combien revenaient un manuscrit enluminé et un incunable, et voici les chiffres qu’il nous donne, accompagnés de considérations des plus instructives :
« Lorsque le papier commença à se répandre, vers le milieu du xive siècle, la feuille se vendit, suivant le format, depuis 12 jusqu’à 60 centimes de notre monnaie, en tenant compte de la valeur relative de l’argent. Le parchemin, qui coûtait alors de 1 fr. 25 à 2 francs la feuille, qui valait même 2 fr. 40 pour les qualités supérieures provenant de veaux ou de chevreaux, — parchemins « vélins » ou « chevrotins », — semblait condamné à disparaître, puisqu’il était quatre fois au moins, et, dans certains cas, dix fois plus cher que le nouveau papier.
« Il n’en fut rien, les deux marchandises vécurent côte à côte ; quoique le papier ait singulièrement diminué de prix aux époques suivantes, jusqu’à ne plus valoir, dès le xve siècle, que 30 francs au maximum, et le plus souvent 8 et 9 francs les cent feuilles, la valeur du parchemin ne baissa pas, sans doute parce que sa fabrication s’était restreinte d’elle-même, en proportion du petit nombre d’emplois où il demeurait sans rival.
« Pour les manuscrits de luxe, pour les copies enluminées et historiées, les frais de main-d’œuvre dépassaient de beaucoup ceux de la matière ; l’achat du parchemin était peu important. Un Évangile, établi en 1419, à Paris, pour l’hôpital Saint-Jacques, revient à 1 600 francs de nos jours, dont 100 francs seulement pour le parchemin, 220 francs pour la copie, 56 francs pour la couverture en drap, et 1 224 francs pour la dorure. La reine d’Espagne se commande, en 1532, un Psautier de 440 francs ; le parchemin n’entre dans le total que pour 80 francs, tandis que la peinture seule des lettres majuscules y figure pour 160 francs, et les autres peintures pour 120 francs. Pour les livres courants, au contraire, registres de comptes, ouvrages d’éducation, pour la correspondance, le papier devint presque seul en usage.
« Il servait aussi pour les fenêtres : un morceau de grand format, remplissant l’office de vitre, revenait au double des carreaux actuels en verre de même dimension. Lorsque les progrès de l’industrie eurent vulgarisé et embourgeoisé le verre, longtemps réservé aux vitraux des églises et des façades de palais, le papier, évincé peu à peu de ce terrain, voyait son propre domaine démesurément accru par l’invention de l’imprimerie. Un volume de 200 pages in-quarto représentait, au temps de Gutenberg, un débours de 150 francs en parchemin et de 10 francs seulement en papier.
« Le papier, qui fournissait à la même époque la matière des cartes à jouer, de création récente, sert déjà aux emballages. A mesure que l’instruction élémentaire se répand, sa consommation se développe : l’affiche remplace le crieur aux carrefours ; les courriers et messagers partant à date fixe invitent à écrire et à recevoir des lettres. Le papier demeurait précieux pourtant, et noble : Rabelais, dans le chapitre connu, où gravement il recherche qui remplira le mieux, au « privé », certaine fonction des « serviettes indispensables », ne s’avise pas qu’il suffirait, sans se creuser autant la cervelle, d’avoir « du papier dans sa poche[015.1] ». Au xviie siècle naissent les gazettes; au xviiie, les papiers de tenture pour appartements[015.2]. »
Actuellement, outre l’extension considérable prise, dans le monde entier, par la presse périodique, les emplois du papier sont innombrables ; on en consomme des quantités prodigieuses, environ soixante millions de quintaux métriques, soit six milliards de kilogrammes par an[015.3] ; on en fait « du linge » : des cols, des manchettes, des chemises, serviettes, jupons, etc. ; des chaussures, des tonneaux, des vases, des tuyaux, des roues de voiture, des canots, des toitures de maison, des cheminées d’usine, des maisons entières. — sans parler des confetti et des serpentins.
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Les chiffons seuls, voire le coton, les cocons de soie et le bambou, n’auraient pu fournir à une aussi colossale consommation. Heureusement qu’aujourd’hui le papier se fabrique, on serait tenté de dire presque avec tout, mais principalement avec « toute plante légèrement fibreuse », cette sorte de plante pouvant facilement se transformer en pâte[017.1]. Ainsi, la paille, la fougère, l’ortie ordinaire et la ramie (plante exotique de la famille des urticées), le jute, le sparte ou alfa (graminée très répandue en Algérie)[017.2], certains arbres surtout (sapin, épicéa, tremble, peuplier, bouleau, tilleul, etc.[017.3]), peuvent remplacer le chiffon, sont, ce qu’on nomme en langage technique, « des succédanés du chiffon » ; mais le chiffon reste, avec la ramie, le meilleur des producteurs du papier ; c’est le chiffon principalement qui engendre les papiers de luxe, tout papier vraiment beau et vraiment bon.
Les papiers provenant du bois ont l’inconvénient de s’altérer et de se jaunir dans un laps de temps plus ou moins court ; ils offrent moins de solidité et de résistance que les papiers de chiffon, et ils reçoivent aussi moins bien qu’eux l’impression, sont moins « amoureux de l’encre ».
L’essentiel, comme l’a très bien déclaré Edmond Werdet, dans son Histoire du livre en France[018.1], ne serait donc pas « de faire du papier avec telle ou telle matière, mais d’en créer de pareil à celui de chiffon pour la couleur, la bonté, et à meilleur compte » ; or, c’est ce qui n’est pas encore arrivé.
De cette supériorité du papier de chiffon, il résulte que, en thèse générale, les livres d’autrefois, — les livres de condition moyenne, livres ordinaires et à bon marché ; je laisse de côté les ouvrages de luxe, — valent mieux, matériellement parlant, que les livres ordinaires et à bon marché d’aujourd’hui[018.2]. Nous aurons à nous souvenir de cette remarque, lorsque nous traiterons de l’achat des livres.
Parmi les autres matières, quelquefois bien inattendues[019.1], qu’on peut transformer en papier, nous citerons : la mousse, les feuilles d’arbres et de menues plantes, le son, le tabac, la pomme de terre[019.2], les résidus de la canne à sucre[019.3], le crottin de cheval et la fiente de tous les animaux herbivores[019.4], les nids de guêpes[019.5], le tan, le vieux cuir, etc.
Le crottin de cheval, notamment, a été, à différentes reprises, préconisé pour la fabrication du papier. Un savant, nommé Jobard, mort directeur du Conservatoire des Arts et Métiers de Bruxelles, a spécialement et énergiquement soutenu cette thèse. « Il estimait que la paille et le foin avaient déjà subi une première trituration sous la dent et dans l’estomac des chevaux. « Le crottin, disait-il, est en grande abondance ; on peut obtenir de chaque cheval un kilogramme de papier par vingt-quatre heures ; une seule caserne de cavalerie suffirait à la consommation du ministère de la guerre. Il est étonnant que l’on n’ait pas songé plus tôt à cette matière première ; en effet, ce sont les choses qui vous crèvent les yeux que l’on aperçoit le plus difficilement. »
« Je ne pense pas, continue M. G. d’Avenel, que personne ait jamais exploité l’idée de M. Jobard ; mais, en 1864, une usine, située aux portes de Paris et disposant de deux machines, fabriquait du carton et du papier avec le fumier des écuries impériales. Il est vrai que la litière des chevaux de Napoléon III était changée assez souvent pour que le papetier qui la travaillait en pût tirer des marchandises estimables ; je me suis laissé dire que certains des « bulles », en paille demi-blanchie, qui sortaient de ces ateliers, étaient appréciés pour envelopper la pâtisserie. La lessive et le chlore purifient tout.
« Le fumier de cheval n’est pas le seul qui ait tenté les esprits originaux ; une gazette étrangère mentionnait récemment un projet de papier dont l’élément principal serait le fumier d’éléphant, lequel se compose uniquement, quand il a été lavé par la pluie, de courtes fibres mal digérées d’un bambou croissant dans le terreau des forêts vierges. L’éléphant serait ainsi producteur, lessiveur et broyeur de pâte. Il constituerait un appareil automatique, se vidant et se remplissant tout seul, mobile et susceptible de s’installer partout, solide, car l’animal vit très vieux, pas cher, parce qu’il se vend presque pour rien avant d’avoir été dressé[021.1]. »
On est même parvenu, dans ces dernières années, — ce qui n’a pas été chose facile et a nécessité de longues recherches, — à transformer en papier blanc le papier imprimé, les vieux papiers. C’est en Amérique et en Angleterre que ces expériences ont été effectuées[021.2].
Les essais de fabrication du papier avec d’autres substances que le chiffon datent de loin déjà. On voit au British Museum un livre en langue hollandaise, publié en 1772, et imprimé sur 72 sortes de papiers provenant d’autant de matières différentes[022.1]. Quelques années plus tard, le marquis de Villette, l’ami de Voltaire, faisait imprimer à Orléans, sous la rubrique de Londres, un exemplaire de ses œuvres (Œuvres du marquis de Villette ; à Londres, 1786 ; in-18) « sur 20 sortes de papiers : papier d’écorce de tilleul, de guimauve, d’ortie, de houblon, de mousse, de roseau, etc., etc.[022.2] ».
En 1827, le fabricant de papier Louis Piette publia un Manuel de papeterie qui contient 160 échantillons de papiers divers. Une nouvelle édition de cet ouvrage, parue à Dresde, en 1861, renferme 300 de ces échantillons, provenant tous de sources différentes (feuilles d’arbres, chiendent, sparte, fougère, cuir, tourbe, etc., etc.). Ils forment un volume à part, sous le titre d’Appendice au Manuel de papeterie[023.1].
Cette industrie, aujourd’hui si active et si répandue, des succédanés du chiffon, a suggéré à un sagace critique les réflexions suivantes : « La science a découvert de belles et grandes choses, et elle en a inventé aussi de bien jolies : entre autres, la fabrication rapide du papier à très bon marché. Elle l’extrait aujourd’hui du bois et de la paille ; demain, elle le tirera de la houille ; elle trouvera bientôt un moyen de le façonner avec la terre où pourriront nos corps. C’est sur cette ordure qu’on nous imprime, et voilà une fameuse leçon pour l’orgueil de nos constructeurs de monuments ! Ces feuilles, faites avec rien, se décomposent en quelques années, se tachent, s’usent, se déchirent, redeviennent poussière et cendre, et rentrent avec avidité dans le néant dont elles n’auraient jamais dû sortir[024.1]. »
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Exposer par le menu les divers procédés employés pour la fabrication du papier dépasserait de beaucoup les limites fixées à notre travail ; nous nous bornerons à résumer les principales de ces opérations, en renvoyant, pour les détails, aux traités et documents spéciaux[024.2].
Jadis les papiers ne se fabriquaient que dans des cuves, à la forme ; actuellement, grâce à la machine à papier continu, inventée vers 1799 par un ouvrier d’Essonnes, Louis Robert[026.1], et maintes fois perfectionnée depuis, ce mode de fabrication est l’exception. Voici succinctement en quoi consistait et consiste encore, sauf quelques modifications de détails, la fabrication du papier à la forme, dit aussi papier de cuve et papier à la main.
Après avoir lavé les chiffons et les avoir défilés[026.2], les avoir broyés et triturés dans des récipients, appelés piles, garnis de lames tranchantes, on procède à leur blanchiment, ce qui s’effectue de diverses façons, entre autres, en les mettant détremper en contact avec un sel de chlore : le chlore a la propriété de détruire la couleur de toutes sortes de teintures, de rendre blancs tous les tissus, les fils, fibres, etc. Ce sel de chlore est l’hypochlorite de soude, dit, par abréviation et couramment, chlorure.
Ces chiffons, déjà ainsi presque réduits en pâte, — le défilé, c’est le nom qu’on leur donne, — sont ensuite descendus dans des caisses d’égouttage, où ils achèvent de se blanchir, sous l’action du chlorure, des « sels de blanchiment », qu’ils contiennent encore, et où ils perdent peu à peu l’eau dont ils sont imprégnés. De là, ils passent dans des piles raffineuses, où le broyage et le raffinage se complètent, où le défilé devient le raffiné ou pâte proprement dite[027.1].
Pour la transformation en feuilles, la fabrication même du papier, cette pâte est transportée dans une cuve, jadis en métal, aujourd’hui en bois, et, le plus ordinairement, chauffée par un tuyau qui amène du dehors un courant de vapeur d’eau, de manière à « entretenir une chaleur douce dans la cuve »[027.2].
Les feuilles s’obtiennent à l’aide de formes, — châssis en bois d’excellente qualité et très soigneusement faits (afin de résister le mieux possible à l’action de l’eau et de conserver leur rectitude parfaite), dont le fond est garni d’une toile métallique, avec lesquels on puise dans la cuve la quantité de pâte nécessaire.
Pour la fabrication du papier vergé[028.1], cette toile métallique est composée de menus fils de laiton, de vergettes très rapprochées, nommées vergeures, et coupées perpendiculairement par d’autres fils de laiton plus espacés, les pontuseaux. Sur ce fond, cette sorte de tamis, entre les vergeures et les pontuseaux, est entrelacé un autre mince fil de laiton, affectant la forme d’un objet ou les initiales du fabricant, — une « marque de fabrique », destinée à apparaître au milieu de la feuille de papier : c’est le filigrane, qu’on appelle aussi la marque d’eau. Cette marque représentait autrefois soit un pot, soit une cloche, une couronne, un aigle, une grappe de raisin, l’écu de France, le monogramme de Jésus-Christ, IHS, etc., et c’est elle qui a donné son nom à ces divers formats de papier : pot, cloche, couronne, grand aigle, raisin, écu, jésus, etc.
Pour la fabrication du papier vélin[028.2],, la forme est simplement à toile métallique très fine, et, sur ce fond, on ajoute un filigrane, si on le désire.
Sur le cadre auquel sont fixés les fils de laiton, sur le cadre de la forme, on pose un second cadre, également en bois, nommé couverte, couverture ou quelquefois frisquette[030.1], qui, grâce à une rainure, s’adapte très exactement au premier, et est destiné à régler la quantité de pâte que retiendra la forme, après avoir été plongée dans la cuve, c’est-à-dire, en définitive, à déterminer l’épaisseur du papier : plus les bords de ce cadre seront élevés, plus évidemment la forme prendra et gardera de pâte.
La forme plongée dans la cuve, puis retirée, l’eau s’écoule instantanément par les vides de la toile métallique, et l’ouvrier, nommé plongeur ou puiseur, agite aussitôt la forme, la balance doucement de droite à gauche et de gauche à droite, « comme s’il voulait tamiser la pâte[030.2] ». Cette opération terminée[030.3], il pose obliquement la forme sur une planchette fixée à la cuve, en ayant soin auparavant d’ôter la couverte, pour la placer sur une seconde forme qu’il plonge à son tour dans la cuve.
Pendant ce temps, un autre ouvrier, le coucheur, enlève la première forme et la renverse prestement sur une pièce de feutre ou flotre[031.1], où, semblable à une crêpe, la feuille de pâte, c’est-à-dire de papier, vient se déposer, se coucher.
Le plongeur retire de la cuve sa seconde forme, à laquelle il fait subir la même opération qu’à la première. Le coucheur, en rapportant la première forme, prend cette seconde, qu’il va de même retourner sur un second feutre, placé sur la première feuille ; et, sur cette seconde feuille, il applique un troisième feutre destiné à recevoir la troisième feuille, etc.
« Ainsi l’on voit qu’au moyen de deux formes, qui sont toujours en mouvement, il n’y a point de temps de perdu : pendant qu’une forme se plonge, l’autre se couche ; quand le plongeur passe une forme au coucheur, il en reçoit une autre qui est vide, sur laquelle il pose la couverte, qu’il retire de dessus la première, et il plonge de nouveau[031.2]. » Bien entendu, « les deux ouvriers doivent prendre soin de régler leurs mouvements, pour bien travailler d’accord, afin que l’un n’ait pas à attendre l’autre[031.3]. »
Lorsque les feuilles de feutre et de papier, ainsi intercalées et superposées, ont atteint une certaine hauteur, sont au nombre de 150 ou 200[031.4], on transporte en bloc cette pile, dite passe ou porse, — ou, plus exactement encore, porse-flotre[032.1], — sous une presse hydraulique ou à main, et on les comprime pour en faire complètement sortir l’eau et hâter la dessiccation. Ou désintercale ensuite les feuilles, on met en tas d’un côté les feutres, de l’autre les feuilles de papier, les passes blanches ou porses blanches, qu’on replace de nouveau sous la presse et qu’on comprime encore, puis qu’on porte à l’étendage, qu’on fait sécher, jusqu’à ce qu’elles soient absolument solidifiées et fermes, maniables sans risques ni difficultés.
Le papier à la forme — et c’est en quelque sorte là sa caractéristique, le moyen de le reconnaître du premier coup d’œil — a toujours les bords irréguliers, plus ou moins marqués de boursouflures et d’aspérités, ce qui provient du contact de la pâte avec le cadre de la forme. Le papier à la mécanique, au contraire, qui, comme nous allons le voir, se fabrique sans cadre, d’une façon continue, et se sectionne à volonté, se tranche mécaniquement, a toujours cette section très nette, ses bords bien réguliers et lisses.
A propos des anciens papiers de fil, un écrivain anglais du xviie siècle, Thomas Fuller, a fait cette remarque, sans doute plus curieuse qu’exacte, que le papier participe du caractère de la nation qui le fabrique. Ainsi, dit-il, « le papier vénitien est élégant et fin ; le papier français est léger, délié et mou ; le papier hollandais, épais, corpulent, spongieux[033.1] ». Ajoutons que, « si Fuller avait connu le papier gris sur lequel les Allemands impriment leurs ouvrages, il l’eût certainement comparé à la teinte terne et nébuleuse qui assombrit l’esprit dans les cerveaux germaniques[033.2] ».
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Passons à la fabrication mécanique, la fabrication au moyen de la machine à papier continu, dont l’invention, comme nous l’avons dit, est due à l’ouvrier Louis Robert et date de 1799 environ ; et, au lieu de pâte de chiffons, employons de la pâte de bois.
Cette pâte, « qui apparut vers 1867, et révolutionna l’industrie des papiers[034.1], » se prépare de deux façons, mécaniquement ou chimiquement.
La pâte de bois mécanique n’est autre chose que du bois moulu, du bois réduit en poudre. Cette pulvérisation s’obtient au moyen d’une meule de grès très dur, en contact avec des bûches d’environ cinquante centimètres de long, et qui tourne avec une extrême rapidité. « A mesure que la bûche s’effrite, s’émiette et se consomme, un ressort la pousse et la tient clouée à la meule, tandis que la poussière ligneuse est entraînée par un courant d’eau incessant. Peu à peu, les bûches, rongées, disparaissent ; le bois râpé et humide s’épure dans un tamis, d’où il est amené entre d’autres meules horizontales, chargées de le raffiner comme une véritable farine[034.2] ».
La pâte mécanique ne peut toutefois être employée seule ; elle ne donnerait qu’un papier sans consistance et sans « soutien ». Il faut l’allier à la pâte chimique[034.3]. Le bois se compose, comme on le sait, « de cellules allongées, souples et fibreuses, et de matières variées, dites incrustantes. Les premières résistent à l’action des acides ; les secondes se transforment, au contact de ces réactifs, en produits solubles. Les applications industrielles de cette idée ont donc pour objet de désorganiser le bois, tout en conservant intact le tissu primitif ou cellulose[035.1] ». C’est le bisulfite de chaux qu’on emploie pour cette opération. Après avoir été scié et haché mécaniquement en menus morceaux, le bois est renfermé sous pression dans des vases clos, et, ainsi désagrégé, dissous, par l’action du bisulfite ; d’où le nom de cellulose au bisulfite donné aussi à la pâte chimique. Dans la pâte mécanique, les matières autres que la cellulose, les matières incrustantes, ne se trouvent pas éliminées et supprimées, comme dans la pâte chimique : voilà pourquoi la pâte mécanique est inférieure à celle-ci.
Pour la fabrication du papier, la pâte de bois, qui est renfermée dans une cuve, s’écoule d’elle-même et s’étale sur une toile métallique sans fin (c’est-à-dire dont les deux extrémités sont jointes l’une à l’autre), sans cesse agitée d’un double mouvement, — mouvement en avant peu rapide, et mouvement latéral de brusque va-et-vient, de trépidation précipitée, — comparable au balancement que le coucheur faisait subir tout à l’heure à sa forme, après ravoir retirée de la cuve. L’eau s’égoutte à travers cette toile, de même qu’à travers les vergeures et interstices de la forme. La toile passe ensuite entre des cylindres de diamètres variés, qui compriment et affinent progressivement la pâte ; puis autour de rouleaux de fonte creux, dits sécheurs, chauffés par la vapeur et enveloppés de feutre, qui la dépouillent de toute humidité et complètent sa transformation en feuille de papier[036.1].
Si divers que soient les détails de l’opération, si nombreux et si compliqués que soient les organes de la machine actuelle à papier continu, ladite transformation s’effectue en très peu de temps, elle ne demande pas plus « de quelques secondes, surtout s’il s’agit de papier mince, avec lequel, l’évaporation étant très rapide, on peut accélérer le mouvement. Pour le papier-journal, on marche à la vitesse de 70 mètres par minute. Une heure suffit pour obtenir ces énormes rouleaux dont la longueur atteint jusqu’à 5 000 mètres, que les presses rotatives de Marinoni se chargeront de noircir. L’opération s’accomplit toute seule. Un unique ouvrier y assiste, accoudé contre un bâti ; il se penche parfois sur lui cylindre, examine le papier, serre un écrou, verse un peu d’huile, puis rentre dans son immobilité, type expressif du travail moderne.
« De pareilles machines produisent 12 000 kilos par vingt-quatre heures : on en a construit qui atteignent 18 000 kilos ; leur grandeur, leur vitesse, tendent à augmenter sans cesse[037.1]…. »
A la pâte de bois nombre d’ingrédients sont ajoutés, selon la qualité et la sorte de papier qu’on veut obtenir : gélatine, résine, fécule, alun, kaolin (terre à porcelaine), sulfate de chaux, etc. ; on y ajoute même et très souvent des chiffons. Les dosages de ces diverses matières varient de fabrique à fabrique, et sont presque toujours considérés comme « un secret du métier[038.1] ».
Le kaolin et le sulfate de chaux ont pour but de donner plus de poids, plus de charge au papier. « Une certaine quantité de kaolin donne au papier une apparence plus belle et plus fine, un grain plus doux…. Le kaolin, s’il est mis en excès, a l’inconvénient de rendre le papier cassant. N’étant autre chose qu’une poussière minérale, il accroît le poids et le volume de la pâte ; mais il remplit les intervalles qui existent entre les fibrilles sans se feutrer, s’entre-croiser avec elles. On fait également entrer le kaolin dans la pâte des papiers d’impression qui ne sont pas collés. Le kaolin a plus d’inconvénients, dans ce cas, et, s’il est employé en trop grandes proportions, il devient une véritable fraude de la part du fabricant[039.1]. »
La gélatine, la résine, la fécule et l’alun servent à coller ou encoller le papier.
Le collage ou encollage à la gélatine, dit collage animal, s’emploie surtout pour les papiers à la main, qui ne peuvent être encollés qu’après la mise en feuilles[039.2]. « En Angleterre…, les fabricants, qui produisent de si beaux papiers de luxe, n’ont pas cessé d’employer le collage à la gélatine, qui donne au papier un beau lustre et une certaine sonorité[040.1]. »
Le collage végétal, le plus répandu aujourd’hui en tout pays[040.2], s’opère à l’aide d’une sorte de savon résineux, préparé par la fusion de la résine avec du carbonate de soude ; l’addition d’un peu d’alun dans la pile raffineuse[040.3] précipite un composé résineux d’alumine, qui agglutine les fibres du papier, reconstitue ainsi l’adhérence primitive et naturelle existant entre les fibres végétales avant leur transformation en pâte, et permet d’écrire sur ce papier avec de l’encre ordinaire[040.4]..
Le papier collé est donc celui qui ne boit pas l’encre ordinaire, et le papier non collé, celui qui boit cette encre : les papiers buvards ou brouillards[040.5], ainsi que les papiers à filtrer, sont des papiers non collés.
Lorsqu’on veut écrire sur du papier non collé, mettre, par exemple, une dédicace sur le faux titre d’un livre imprimé sur du papier de ce genre, il suffit de déposer à l’endroit où l’inscription doit être faite un peu de sandaraque, qu’on étend en frottant avec le doigt : la sandaraque, qui n’est qu’une variété de résine, colle l’endroit frotté, en obstrue les pores, et empêche l’encre ordinaire d’y pénétrer trop profondément et de s’y étaler trop largement[041.1].
Le papier collé prend aussi moins bien, par la même raison, l’encre d’imprimerie, mais il a plus de solidité et de résistance que le papier non collé[041.2]. Il est aussi moins susceptible de se piquer et de s’altérer dans un air humide.
Le papier non collé a ses partisans : aux yeux de certains, l’impression, plus pénétrante, plus onctueuse, y a meilleur aspect, surtout quand l’ouvrage est accompagné d’illustrations. Pour essayer de contenter tout le monde, les fabricants ont adopté un moyen terme et créé le demi-collé.
Les papiers de couleur se fabriquent en ajoutant, dans la pile raffineuse, au moment de l’encollage, la matière tinctoriale : le jaune s’obtient avec le bichromate de potasse et le sous-acétate de plomb ; les rouges et les roses proviennent de la cochenille (qui produit la belle couleur connue sous le nom de carmin), des bois de Fernambouc, etc.[042.1].
Les papiers se lissent, se glacent et se satinent à l’aide de feuilles de carton ou de feuilles métalliques (acier, zinc ou cuivre) et de presses et de cylindres appelés, selon leur forme, laminoirs ou calandres[042.2]. Bien que les mots glaçage et satinage s’emploient souvent l’un pour l’autre, ils ne sont pas, à vrai dire, absolument synonymes. « En fabrique, le satinage consiste à faire passer sous un cylindre, entre des plaques généralement en zinc, le papier dont on veut faire disparaître le grain, et auquel on veut donner un lustré plus ou moins prononcé. On dit que le papier est satiné lorsque ce cylindrage n’a lieu qu’une fois ; mais, si l’on répète l’opération à diverses reprises, on dit alors que le papier est glacé[043.1]. En imprimerie, au contraire, le mot satinage désigne l’opération qui consiste à faire passer entre des feuilles de carton lisse ad hoc le papier, après tirage et séchage. Ce travail a pour but de rendre le brillant au papier, et d’abattre le foulage produit par l’impression[043.2]. »
Les filigranes, que nous avons vus[043.3] se produire dans le papier au moyen d’une marque placée sur le châssis, sur la forme avec laquelle on puise la pâte, s’obtiennent aussi à l’aide du laminoir. « On filigrane au laminoir en posant les feuilles entre des plaques de zinc et des cartons contenant le dessin en relief, ou entre des plaques métalliques sur lesquelles les rais désirés ont été reproduits en relief par la galvanoplastie ; les plaques d’acier donnent, dans ce cas, les filigranes les plus nets. On se sert de fils de soie ou de coton dressés sur un instrument spécial pour reproduire sur le papier ces lignes droites, aux dispositions variées, qui constituent le papier quadrillé[044.1]. »
Le papier couché est un papier, d’ordinaire très glacé[044.2], qui s’obtient en recouvrant une feuille de papier bien collé d’une couche de colle de peau et de blanc de Meudon mélangés. On y ajoute aussi du blanc de zinc, du sulfate de baryte, du talc, du chlorure de magnésium, etc.[044.3]. Le papier couché est surtout employé pour le tirage des similigravures[044.4], des gravures en couleur et des publications ornées de ce genre de vignettes.
On pourrait parfois confondre les papiers couchés avec les papiers simplement glacés ou satinés. Pour les distinguer, il suffit de mouiller le doigt et de frotter légèrement un coin de la feuille à examiner : si le doigt se salit, se couvre d’un petit dépôt blanchâtre, on a affaire à du papier couché ; dans le cas contraire, à du papier simplement glacé ou satiné.
Ces papiers plâtrés et glacés, d’une blancheur éclatante, si répandus aujourd’hui, et qui, d’ailleurs, sont de date récente[045.1], ont pour la vue de sérieux inconvénients, on peut même dire de très graves dangers. On ne saurait mieux comparer l’effet produit par eux sur la rétine qu’à celui de la réverbération d’une route poudreuse tout ensoleillée ou d’un champ de neige, qu’on serait astreint à regarder. Des médecins allemands ont, il y a quelques années, dirigé des attaques très vives contre les papiers couchés et, en général, contre les papiers trop glacés et trop blancs.
« Nous n’avons pas besoin de faire remarquer, écrit à ce propos la Revue scientifique[045.2], quelle transformation complète s’est produite dans les papiers d’impression. On est bien loin des antiques papiers de chiffon, dotés d’une coloration grise ou bleuâtre[045.3], et d’un grain assez grossier, qui, pour l’impression comme pour l’écriture, exigeaient l’emploi de caractères de dimensions assez grandes[046.1]. On se sert maintenant, pour ainsi dire exclusivement, de papiers faits de fibres végétales diverses, mais dont la caractéristique est de présenter une surface extrêmement lisse, où la plume glisse, où l’impression se fait en petits caractères. Or, qu’on regarde ces papiers perfectionnés, et l’on constatera qu’il se produit souvent à leur surface des reflets intenses…, toute une série de reflets, d’ombres et de lumière, qui fatiguent considérablement l’œil. »
La constatation n’est que trop facile et que trop exacte, et il y a là un fait digne au plus haut point d’appeler l’attention de tous ceux qui lisent, et de les mettre soigneusement en garde.
Certains bibliographes ont reproché aux belles éditions de Firmin Didot d’avoir, par leur blancheur, « rendu myopes nos pères de 1830[046.2] » : que ne dira-t-on pas de nos papiers, bien plus glacés, bien autrement chatoyants et éblouissants ! quels reproches ne méritent-ils pas !
Afin de remédier à ces manifestes et trop réels dangers, quelques éditeurs ont fait choix, pour leurs impressions, de papiers légèrement teintés, soit en jaune, soit en vert, soit en bleu. Vers la fin du xviiie siècle, l’éditeur Cazin a fréquemment employé le papier azuré, et ses charmants petits in-18, bien qu’imprimés en fins caractères, se lisent sans fatigue.
La teinte qui semble la meilleure pour les yeux, « c’est la teinte bulle et principalement celle désignée dans les étoiles sous le nom de teinte mastic[047.1] ». Le papier de cette nuance doit même être préféré au papier vert, parce que l’encre noire apparaît rougeâtre et peu distincte sur le vert, et, par suite, fatigue la vue[047.2].
Mais que penser des industriels qui, pour se singulariser, dans l’espoir de provoquer la curiosité, s’avisent de tirer leurs ouvrages sur papier rose ou rouge vif[048.1] ? Rien de plus pernicieux pour la vue que les papiers rouges ; la lecture d’une simple demi-page de cette couleur laisse dans la rétine des tremblements, des papillotages, qui, de l’aveu unanime des oculistes, peuvent avoir les plus fâcheuses conséquences. Il y a quelques années, un éditeur, déterminé à brusquer le succès, entreprit le lancement d’une collection de mignons petits in-i6, imprimés sur papier rose, papier « cuisse de nymphe ».
« Je sais bien, disait-il avec une aimable désinvolture, que je risquerais d’abîmer les yeux de mes clients, si ces braves gens commettaient l’imprudence d’ouvrir mes volumes, mais ils ne les ouvriront pas. C’est pour la pose et la montre qu’on achète des livres aujourd’hui… quand on en achète ! On ne lit plus ! »
Vous qui êtes de ceux qui lisent encore, vous qui achetez des livres pour vous en servir réellement et efficacement, fuyez, fuyez comme la peste ces papiers aux couleurs éclatantes. « Ménagez vos yeux ! Ayez-en un soin extrême ! » C’est la première règle à suivre, le premier et le plus important conseil que j’aie à vous donner.
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Les papiers se vendent par mains, par rames, et par rouleaux ou bobines.
La main se compose de 25 feuilles, la rame de 20 mains ou 500 feuilles.
Une bobine a de 3 000 à 6 000 mètres de longueur, et de 0 m. 46 à 1 m. 35 de largeur ; son poids est des plus variables. La vente par bobines ne concerne que les journaux.
« On trouve du papier depuis 15 francs les 100 kilos jusqu’à 15 francs le kilo. Le premier est celui des emballages ; il se compose de paille non blanchie. Le second est celui des billets de la Banque de France ; on le tire des chiffons de toile neuve et de la ramie. Celui-ci coûtait même le double, 30 francs le kilo.… L’Imprimerie nationale, qui emploie deux catégories de papiers, paie la première 50 à 80 francs en pâtes de chiffons ou de matières textiles et filamenteuses ; la seconde, celle des pâtes de bois ou matières minérales, lui coûte 36 à 45 francs les 100 kilos…. Le Petit Journal ou le Figaro s’impriment sur du papier à 35 francs les 100 kilos…. Les sortes de papier qui se payent aujourd’hui 35 francs les 100 kilos se payaient 100 francs au lendemain de la guerre de 1870, 65 francs en 1880, et 44 francs en 1888[050.1]. »
On voit quelle ample progression décroissante, due aux perfectionnements de l’outillage et des procédés de fabrication, a parcourue, en moins de quarante ans, le prix des papiers de bois. Et cette baisse n’est pas enrayée, ce prix continue à décroître, toujours, il est vrai, au détriment de la qualité.
Nous donnons, dans le tableau ci-après, la liste des papiers actuellement le plus en usage, ainsi que leurs dimensions métriques[051.1] et leurs modes d’emploi : quant à leurs poids, ils présentent, pour chaque sorte, de telles variations, qu’il nous a semblé plus prudent de ne risquer aucun chiffre.
Dénomination | Dimensions de la feuille | Mode d’emploi |
m m | ||
Grand aigle | 0,75 × 1,06 | Le grand aigle n’est guère employé que pour les cartes géographiques, les tableaux et les registres. |
Colombier | 0,63 × 0,90 | Le colombier est particulièrement propre aux affiches commerciales et aux tableaux des compagnies de chemins de fer. |
Soleil ou petit colombier | 0,58 × 0,80 | |
Grand jésus | 0,56 × 0,76 | Le jésus, la double couronne, le cavalier et le carré sont plus spécialement affectés aux labeurs, aux livres, par exemple : voir le mot labeur p. 182. C’est en jésus et en raisin que se font généralement les in-18. |
Jésus | 0,55 × 0,70 | |
Petit jésus | 0,52 × 0,68 | |
Raisin | 0,50 × 0,65 | Le raisin sert à la fois aux labeurs et à la confection des registres. |
Double couronne | 0,47 × 0,74 | L’in-16 double couronne remplace avec avantage l’in-18 jésus ; la grandeur du volume est la même, et l’impression des 1/4, 1/2 et 3/4 de feuille se fait sans perte de papier. |
Cavalier | 0,46 × 0,62 | |
Carré | 0,45 × 0,56 | |
Coquille | 0,44 × 0,56 | La coquille, dont les dimensions étaient autrefois 0,41 × 0,54, ne diffère plus guère aujourd’hui du carré qu’en ce qu’elle est glacée et souvent quadrillée, et, comme telle, exclusivement consacrée aux travaux commerciaux : factures, lettres, etc., ce qu’en termes de métier on appelle ouvrages de ville, bibelots ou bilboquets. |
Écu | 0,40 × 0,52 | L’écu, la couronne, la tellière, le pot et la cloche servent à l’impression de documents administratifs et commerciaux, et à la confection de cahiers et registres. L’écu s’emploie aussi pour certains labeurs : livres de distributions de prix, albums, almanachs, etc. La couronne est également utilisée pour l’impression des livres : dans ce cas, son format est un peu plus grand (0,37 × 0,47) que quand elle est destinée aux cahiers et aux registres. La double tellière sert aussi à l’impression des livres ; elle donne naissance au format dit in-16 elzevirien (0,113 × 0,18). |
Couronne | 0,36 × 0,46 | |
Tellière (le ou la) ou papier ministre (du nom de Le Tellier, ministre de Louis XIV) | 0,33 × 0,44 | |
Pot ou papier écolier | 0,31 × 0,40 | |
Cloche | 0,29 × 0,39 |
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Bien que nous considérions le livre surtout au point de vue pratique, comme instrument d’étude et outil de travail, il convient de dire quelques mots des papiers de luxe, d’en définir les principales variétés tout au moins.
On appelle papier vergé celui qui laisse apercevoir par transparence les empreintes des fils métalliques formant le fond du moule où il a été fabriqué, comme nous l’avons expliqué plus haut. Nous rappelons que les empreintes les plus rapprochées sont nommées vergeures, et que les plus espacées, perpendiculaires aux premières, sont les pontuseaux.
Il existe du faux vergé, c’est-à-dire du papier vergé fabriqué non à la forme, mais à la machine. On l’obtient en faisant passer la pâte encore fraîche entre des cylindres à cannelures imitant vergeures et pontuseaux (c’est-à-dire transversales pour les vergeures et circulaires pour les pontuseaux), et où sont même au besoin gravés des filigranes ou marques d’eau[053.1].
Le papier de Hollande est, en dépit de son nom, un papier d’invention et de fabrication absolument françaises. Ce sont de nos ancêtres appartenant à la religion réformée, qui, obligés de s’enfuir à l’étranger, après la révocation de l’édit de Nantes, portèrent leur industrie et leurs procédés aux Pays-Bas, et, de là, nous expédièrent leurs produits. Lorsqu’il est de bonne qualité, de pur fil, le papier de Hollande, d’ordinaire vergé, est résistant, ferme, sonore, — sonnant, comme on dit, — et de très bel aspect. De l’avis de certains bibliophiles, il a ou il aurait parfois, quand il est trop collé sans doute, l’inconvénient de ne pas très bien prendre l’encre[054.1], et de donner accidentellement aux impressions une apparence un peu terne et grisâtre.
Le papier whatman, du nom de l’inventeur, l’Anglais Whatman, établi à Maidstone (comté de Kent), vers 1770[054.2], ressemble au papier de Hollande, mais il est toujours dépourvu de vergeures. Comme le hollande, il est grené, très ferme et très solide. On l’emploie beaucoup pour le dessin linéaire et le lavis[054.3].
Le vélin, ainsi nommé parce qu’il a la transparence et l’aspect de l’ancien vélin véritable, provenant de la peau de jeunes veaux, est un papier sans grain, très uni, lisse et satiné, excellent pour le tirage des vignettes. C’est au célèbre et si original imprimeur anglais John Baskerville (1706-1775) qu’est due l’invention du papier vélin ; elle remonte à 1750, et le premier ouvrage tiré sur cette sorte de papier fut une édition de Virgile, datée de 1757 et publiée par Baskerville[055.1]. D’une façon générale, tout papier fabriqué à la forme, tout papier « de cuve », dépourvu de grains et de vergeures, est qualifié de vélin[055.2].
Le papier de Chine se fabrique avec l’écorce du bambou[055.3]. Il a une teinte grise ou jaunâtre, un aspect « sale », plus ou moins prononcé. Cela vient de ce que sa fabrication s’effectue en plein air. Il est, en outre, « très mince et très spongieux à la fois, et doux et brillant comme un foulard de soie. Malgré toutes ses qualités, le papier de Chine, trop inconsistant, doit sa réputation, non pas à sa propre beauté, mais bien à ses affinités particulières avec l’encre d’impression[056.1]. Son tissu, lisse et mou tout ensemble, est plus apte qu’aucun autre à recevoir un beau tirage. Cette propriété fait rechercher le papier de Chine pour le tirage des gravures…. L’impression y vient avec une incomparable netteté. Les livres imprimés en petit texte gagnent particulièrement à être tirés sur chine[056.2]. » Le même bibliographe, qui n’est autre, paraît-il, que M. Alphonse Lemerre, l’éditeur, ajoute : « Nous rappelons aux amateurs que ce papier, fabriqué avec des substances végétales, est soumis à un travail incessant de décomposition, d’où résultent assez promptement ces petites taches jaunes ou piqûres dont aucun papier, d’ailleurs, n’est exempt pour toujours[057.1] ». Il est donc prudent de le faire encoller aussitôt après l’impression.
Le papier de Chine sert non seulement pour certaines éditions de luxe, mais aussi pour les reports lithographiques. La feuille de chine, convenablement encollée au préalable, et portant le texte, croquis ou dessin à transporter, à reporter sur la pierre, est appliquée sur celle-ci, et soumise à une forte pression : un simple mouillage suffit alors pour qu’elle laisse sur la pierre ce texte ou ce croquis, — le report.
Le papier du Japon est un superbe papier blanc ou légèrement teinté en jaune, soyeux, satiné, nacré, à la fois transparent et épais. Il provient de l’écorce d’arbrisseaux de la flore japonaise, tels que le mitsumata (Edgeworthia papyrifera), dont les fibres sont molles, souples, longues et solides ; le kozokodzou (Broussonetia papyrifera), fibres grosses, longues et solides ; le gampi (Wickstræmia canescens), aux filaments très délicats : le papier fourni par ce dernier arbuste est particulièrement fin, souple et lisse[058.1].
Le japon absorbe l’encre très facilement et fait on ne peut mieux ressortir les tons des dessins. Il est d’un maniement qui exige des précautions ; c’est un papier qui redoute les frottements, qui ne peut supporter aucun grattage ni nettoyage sans s’effilocher, aucun lavage ; un papier réputé « fragile », ce qui ne l’empêche pas d’être très consistant et très résistant, très solide, souvent même presque indéchirable[058.2].
On fabrique, depuis quelque temps, un papier qui offre les apparences du japon, sans en posséder toutes les qualités, et qui se vend naturellement à bien meilleur compte : c’est le simili-japon.
L’utilisation du papier du Japon en Europe ne remonte guère au delà de la première moitié du xviie siècle, et c’est Rembrandt qui l’employa le premier. Un de ses compatriotes, un marin hollandais, de retour d’Extrême-Orient, lui fit don d’un certain nombre de feuilles de papier rapportées de ces lointaines contrées, « et le génial auteur de la Ronde de nuit réserva ces feuilles pour les états définitifs de ses estampes[059.1] ».
S’il était vrai, comme on l’a prétendu, « que le rang des peuples dans la civilisation se mesure à la quantité de papier qu’ils consomment, les Japonais pourraient prétendre à la première place ; non seulement ils sont parmi ceux qui emploient le plus de papier pour imprimer et pour peindre au pinceau, mais encore ils se servent du papier pour une foule d’usages : des cahiers remplacent nos mouchoirs et nos serviettes ; les tabourets, utilisés comme coussins, sont revêtus de papier ; au lieu de vitres, les fenêtres ont des carrés de papier, et ce sont des panneaux de la même pâte qui forment les parois mobiles des maisons ; on prend des vêtements en papier enduits de cire végétale pour se garantir de la pluie, et c’est encore du papier qui remplace les capotes de cuir des voitures traînées à bras ; les courroies en papier des machines sont plus résistantes que celles de cuir[060.1]. Certaines espèces de ces produits japonais n’ont pu être encore imitées dans l’Occident ; mais, pour la blancheur des feuilles, la supériorité reste aux manufacturiers anglais et français ; le papier du Japon est toujours un peu jaunâtre[60.2]. »
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C’est avec la ramie, appelée aussi ortie de Chine, et qui se cultive aujourd’hui dans le Midi de la France, que se fabriquent, avons-nous dit, les plus belles sortes de papier. « La ramie produit les plus belles qualités de papier. Elle s’emploie, dans une mesure limitée, pour des papiers de qualité spéciale[061.1]. » Cette fabrication est, en effet, très restreinte, et actuellement le papier de ramie ne sert guère que pour la confection des billets de banque. Il est d’un prix très élevé ; tandis que le papier de chiffon coûte 200 ou 300 francs les 100 kilos, le papier de ramie atteint et dépasse même 400 francs. Cette cherté provient des frais de préparation particulière qu’exige la ramie pour être transformée en pâte.
Le papier d’alfa, dont les Anglais ont jusqu’à présent, pour ainsi dire, le monopole de fabrication, est un papier souple, soyeux, résistant, qui supporte bien la « charge », en d’autres termes, absorbe aisément de fortes proportions de fécule et de kaolin, et qui prend bien l’impression. Son épair est régulier[061.2] ; néanmoins ce papier est rarement blanc, et il a l’inconvénient d’être transparent[062.1].
Le papier indien d’Oxford, de création récente, est à la fois très mince et très opaque. L’impression qu’il reçoit ne transparaît pas. « Cette qualité extraordinaire fait de ce papier une véritable merveille[063.1]. » Il a reçu le nom de papier indien, « parce qu’il a été inventé pour imiter un papier très mince de l’Inde[063.2] ». Les procédés employés pour le fabriquer sont tenus secrets. Depuis 1875, l’imprimerie de l’Université d’Oxford[063.3] est propriétaire de ces procédés ; seule, elle fabrique ce papier, qui convient particulièrement aux livres dont on a besoin de réduire le plus possible la masse et le poids, par exemple, aux volumes contenant un grand nombre de pages et qu’on ne peut ou qu’on ne veut scinder : dictionnaires de poche, guides de voyage, aide-mémoire, vade-mecum, etc., et à ces minuscules ouvrages, curiosités et étrangetés de la bibliographie, dits livres microscopiques.
Le papier indien sert notamment à l’impression des Bibles anglaises. La grande Bible d’Oxford, avec ses 2 690 pages, ne forme, imprimée sur ce papier, qu’un volume du poids d’un kilogramme environ ; sur du papier ordinaire, il aurait fallu au moins quatre volumes. Une autre Bible, dite « Bible diamant », du nom du caractère qui a servi à l’imprimer, compte 1 216 pages, mesure 0m,09 de long, 0m,05 de large sur 0m,02 d’épaisseur, et pèse 80 grammes. Une autre, de 876 pages, mesure 0m,05 de long, 0m,03 de large, 0m,01 d’épaisseur, et pèse 16 grammes seulement. « Elle n’est pas imprimée, mais reproduite par la photographie. Le texte est si fin qu’il faut avoir d’excellents yeux pour le lire. Une pochette, pratiquée dans la couverture, contient une loupe de 0m,002 d’épaisseur, avec laquelle les yeux ordinaires peuvent lire parfaitement[065.1]. » Le papier indien d’Oxford est malheureusement d’un prix élevé.
Depuis quelques années également, on fabrique un papier, ordinairement vergé et épais, à la surface rugueuse, « fruste », d’une très grande légèreté, et dit pour cela papier léger, ou même papier léger comme la plume. Diverses maisons d’édition s’en servent fréquemment pour l’impression de volumes à 3 fr. 50 non accompagnés d’illustrations dues aux procédés photographiques. Il y a là, paraît-il, « une sorte de réaction contre les papiers couchés et glacés », nécessaires pour ces illustrations, et dont se plaignent très justement beaucoup de lecteurs. Plusieurs papeteries françaises fabriquent du papier léger ; il se compose, dit-on, d’alfa, de tremble et d’un peu de chiffon ; mais les quantités proportionnelles de ces matières et les détails de fabrication ne sont pas divulgués. Le papier léger vaut de 60 à 80 francs les cent kilos.
On appelle papier-parchemin, parchemin végétal ou faux parchemin, un papier non collé, trempé quelques secondes dans une solution d’acide sulfurique, opération qui lui donne instantanément une transparence jaunâtre et une consistance rappelant le vrai parchemin[066.1]. Le parchemin végétal, dont la première fabrication remonte à 1846 et est due à l’ingénieur Poumarède et au vulgarisateur scientifique Louis Figuier[066.2], est fréquemment utilisé pour les couvertures de volumes[066.3].
Le papier serpente est un papier très mince et sans colle, destiné principalement à protéger les gravures contre le maculage.
Le papier pelure d’oignon, ou simplement pelure, est aussi un papier très mince, très léger et non collé ; il s’emploie notamment pour les copies de lettres ; une certaine espèce de papier pelure collé est utilisée comme papier à lettre économique : par sa légèreté, elle permet d’éviter les surtaxes postales[066.4].
Le papier joseph (du nom de son inventeur, Joseph Montgolfier : 1740-1810), ou papier de soie, qui est blanc, fin, très souple et soyeux, est employé, comme le serpente, pour protéger les gravures, et aussi pour envelopper de menus objets fragiles, des cristaux, des bijoux, etc.
Le papier végétal, ou papier à calquer, est un papier très fin et transparent, fait de filasse de chanvre ou de lin non blanchie.
On donne le nom de papier porcelaine à un papier recouvert d’une couche de blanc opaque mélangé à de la colle de peau. Ce blanc était autrefois du blanc de céruse : pour éviter les empoisonnements, on se sert aujourd’hui de sulfate de baryte[067.1].
Les papiers bulle sont des papiers teintés, en jaune le plus souvent, et généralement de qualité inférieure.
Quant au carton, il se fabrique soit par la superposition et la compression de plusieurs feuilles de papier, soit par la même méthode que le papier ordinaire, mais avec une pâte moins épurée, composée de déchets plus grossiers. La première sorte est dite carton de collage, la seconde carton de moulage[067.2].
Le carton anglais, connu sous le nom de bristol ou bristol anglais, « n’est, quelle que soit son épaisseur, qu’une feuille de papier faite à la cuve avec les plus belles espèces de chiffons, auxquelles on ajoute une proportion assez considérable de kaolin[067.3] ».
Le bristol français, dit aussi carton de Bristol, est, au contraire, obtenu par superposition : c’est un carton de collage de feuilles blanches laminées avec soin[068.1].
⁂
Tous les papiers (les papiers de fabrication moderne), selon une juste remarque du Mémorial de la librairie française[068.2], « sont plus ou moins sujets à changer de couleur ; cette altération ne consiste, pour la plupart, qu’en un brunissement qui affecte d’abord les extrémités du papier et gagne peu à peu l’intérieur ; parfois aussi elle est uniforme. Dans ce dernier cas, le papier lui-même est altéré ; tandis que, dans le premier, il n’y a qu’intervention d’agents extérieurs, tels qu’une atmosphère ambiante chargée de produits, en combustion, de gaz d’éclairage. Les acides et oxydants produisent l’altération par action directe sur les fibres du papier, ou, si ce dernier contient de l’amidon, la combinaison de ces acides avec cet hydrate de carbone amène une rapide détérioration de couleur. En un mot, l’altération de la couleur des papiers ordinaires à la cellulose est relative à la quantité de résine qu’ils contiennent, ou, plus généralement, à la résine et aux procédés de fixation de cette dernière dans le collage. »
Préoccupés de se procurer des papiers de teinte moins variable et de constitution plus durable, les imprimeurs ont imaginé maints procédés d’examen et de contrôle des papiers.
D’abord, pour distinguer le papier fabriqué à la main, le papier de cuve, du papier confectionné à la machine : « Découper des rondelles de six à huit centimètres dans le papier à essayer, et faire ensuite flotter ces rondelles sur l’eau d’une cuvette : le papier à la machine s’enroulera de deux côtés, dans la direction du centre de la rondelle ; tandis que les rondelles du papier à la main se relèveront en forme de bords d’assiette[069.1] ».
Puis voici quelques indications et divers conseils, donnés par l’Intermédiaire des imprimeurs[069.2] :
« Un papier contenant du bois mécanique est fort reconnaissable à simple vue, il suffit de le regarder par réflexion : on aperçoit des fibres plus brillantes que les autres et non feutrées ; elles ont une longueur variant de 3 à 5 millimètres, suivant leur finesse : c’est du bois râpé de tremble. Le sapin est moins brillant et plus difficile à distinguer, et les réactifs sont souvent indispensables pour en déceler la présence. Le réactif le plus simple est une dissolution de 10 grammes de sulfate d’aniline dans 250 grammes d’eau distillée. Une goutte de ce liquide sur la feuille de papier produit une coloration jaune orange d’autant plus prononcée que le papier contient plus de bois mécanique ou râpé, tremble ou sapin.
« Les papiers contenant du bisulfite ou bois chimique sont à longues fibres, qu’il est facile de distinguer à la déchirure lente ; ce succédané est solide, mais devient cassant lorsqu’il n’a pas été blanchi ou dûment débarrassé de l’acide sulfureux provenant de son traitement. Il est cependant bien inférieur au chiffon et manque de souplesse[070.1].
« Enfin, comme essai de résistance, on peut faire la petite expérience pratique suivante : mettre dans sa poche de côté différents types de papier à essayer, les laisser quelques jours exposés au frottement de l’habit. Alors examinez-les aux plis. Les bons papiers de chiffon seront intacts, tandis que les autres à succédanés seront en lambeaux. On saura alors de quel côté porter son choix. Quant à la transparence, c’est une grande erreur de croire que c’est une qualité. Ce fondu ou épair[070.2] n’est obtenu qu’au détriment de la solidité »
Pour s’assurer si le papier renferme une trop forte proportion de chlore, — les papiers de ce genre sont particulièrement sujets « à se piquer, c’est-à-dire à se remplir, à la longue, de taches plus ou moins foncées qui brûlent et perdent, par conséquent, l’impression qu’on y a mise, » — M. Alfred Lemercier donne le conseil suivant[071.1] :
« On prend un morceau de papier, on le met dans des intercales légèrement mouillées jusqu’à ce qu’il soit, à son tour, devenu humide ; en cet état, on le pose sur une feuille de papier de tournesol : si celle-ci devient d’un ton jaunâtre, c’est une preuve que le papier conserve encore une certaine quantité d’acide ; si, au contraire, la feuille de tournesol ne change pas, c’est que le papier ne contient pas un atome de chlore, et que, par cette raison, il est bon pour l’impression, sans faire courir à l’imprimeur le risque de voir la composition qui se trouve sur la pierre abîmée, et sans exposer l’éditeur à voir à la longue des épreuves [lithographiques], qu’il a souvent payées fort cher, se couvrir de taches qui les détruisent. »
Dans une publication spéciale et particulièrement compétente, la Revue biblio-iconographique, M. Pierre Dauze a traité récemment cette question, « capitale pour les livres, du papier d’imprimerie, et il affirme que, étant donnés les papiers employés par les éditeurs pour leurs tirages ordinaires, on ne trouvera plus, dans cinquante ans, que les vestiges des impressions faites de nos jours[071.2]. Il se demande même si les papiers dits de luxe, papiers de fil, de Chine, du Japon, sur lesquels on tire un certain nombre d’exemplaires de quelques livres, dureront plus que les autres. L’ancien papier du Japon, fabriqué à la main, uniquement avec des matières végétales, ne se fabrique plus, et les éditeurs fabriquent » (ou font fabriquer) « un japon par des méthodes mécaniques où l’élément minéral intervient. Or, ces sortes-là sont susceptibles de se piquer. Quant au papier de Chine, il se pique aisément et contamine les autres papiers ; seulement, il n’est pas rebelle au lavage comme le papier du Japon. Le seul papier qui puisse inspirer une sécurité absolue, c’est le papier de fil sur lequel on imprimait ces éditions d’incunables, qui nous sont parvenues aussi fraîches, aussi nettes, que si elles sortaient des mains de l’imprimeur[072.1]. En sera-t-il de même du papier de fil produit de nos jours ? M. Pierre Dauze suspecte fort l’emploi irréfléchi de substances chimiques ou minérales de nature à introduire des ferments de décomposition prématurée, et il signale, dans des exemplaires tirés sur papier de Hollande, des taches de rouille qui proviennent évidemment de l’emploi du fer dans lesdits papiers.
« L’auteur ne voit qu’un remède : c’est d’exiger des éditeurs qu’ils n’emploient à l’avenir que des papiers analysés ; de rendre obligatoire l’emploi de matières premières exclusivement végétales, et une fabrication pure de toute substance susceptible de compromettre ou d’abréger la conservation ; de proposer aux Sociétés de bibliophiles parisiennes de nommer un ou plusieurs délégués qui feront une enquête auprès des savants professionnels, etc. Cette commission analysera les papiers de luxe employés couramment et rejettera ceux qui n’ont pas les qualités requises. Les éditeurs, ainsi avertis, s’empresseront, pour gagner la confiance des bibliophiles, d’imprimer sur ces papiers favorisés. Les mauvais papiers dits de luxe ne se fabriqueraient plus faute d’acheteurs et feraient place à des papiers de bon aloi[074.1]. »
Et le mal est général, c’est d’un bout du monde à l’autre que l’on se plaint de la mauvaise qualité des papiers d’aujourd’hui, que l’on constate leur altération, leur désagrégation et leur ruine.
« Les employés de la Bibliothèque du Congrès, à Washington, signalent ce fait, que les journaux imprimés sur du papier renfermant de fortes proportions de pâte de bois commencent à tomber en débris et que, dans un temps relativement court, il sera impossible de les consulter.
« Pour éviter cet inconvénient, on a proposé aux éditeurs des principaux journaux de l’Union de faire imprimer, chaque jour, sur papier de chiffons, les exemplaires destinés aux bibliothèques publiques.
« On remarque, en effet, que les feuilles parues avant la guerre de Sécession, alors que l’emploi de la pâte de bois était peu connu, sont dans un excellent état de conservation, tandis que les journaux imprimés plus récemment se sont altérés, à la fois par l’action de l’air et par l’action de la lumière[074.2]. »
A Londres, la Société d’encouragement aux arts et à l’industrie expose ainsi ses griefs contre les papiers modernes, et nous fournit les curieux renseignements suivants :
« Les publications imprimées sur papier de dernière qualité ne servent guère plus de douze à treize mois ; les éditions à bon marché sur papier ordinaire sont complètement détériorées au bout d’une quarantaine d’années.
« A quoi cela tient-il ? Au blanchiment du papier et à ses procédés actifs. Les fabricants de papier abusent des agents chimiques à l’action violente, qui brûlent le peu de fibres contenues dans la pâte. On pourrait leur adresser les mêmes reproches qu’à nos blanchisseurs, qui brûlent notre linge pour le blanchir plus vite. Il faudrait blanchir le papier comme le linge avec lenteur, modération, prudence.
« Outre cet inconvénient, un autre, non moindre, réside dans les détériorations obtenues par la désagrégation et par l’altération des couleurs.
« La désagrégation résulte des altérations produites dans les fibres du papier sous l’effet d’actions chimiques ultérieures. La pâte de bois, de plus en plus employée comme matière première, est obtenue chimiquement ; elle se dévore elle-même dans les réactions multiples, mais d’un effet sûr et rapide.
« Quant à l’altération des couleurs, caractérisée généralement par le brunissement, elle est la résultante de l’action de l’air ambiant : les livres exposés souvent à la lumière du gaz brunissent rapidement. Mais ce qui surtout détériore la couleur du papier, c’est le collage à la résine où cette dernière domine ; alors que, normalement, cette colle ne devrait contenir que 2 pour 100 de résine, cette proportion est presque décuplée ; or, plus il y a de résine, plus vite brunit le papier.
« Les fabricants ajoutent aussi beaucoup de charge dans le papier : on appelle ainsi les substances minérales, à la tête desquelles on peut placer le kaolin. Quand le papier contient plus de 10 pour 100 de charge, les fibres ont de la peine à retenir cette matière inerte ; pour obtenir cette force, on augmente le collage, mais on n’arrive ainsi qu’à produire une résistance factice. Dès que le papier est séché et qu’il a été un peu manipulé, il perd vite la cohésion qu’il semblait posséder[076.1]. »
Pour parer à ce danger si universellement reconnu, à l’anéantissement plus ou moins rapide de la plupart des impressions (livres et périodiques) d’aujourd’hui, M. Gaston Menier, député de Seine-et-Marne, a récemment saisi la Chambre d’une proposition tendant à modifier la loi sur la presse, et stipulant que « les exemplaires des imprimés destinés aux collections nationales ou au dépôt légal devront être tirés sur un papier spécial, dont les conditions de fabrication auront été indiquées par le ministère de l’Intérieur, et portant une vignette d’authenticité[077.1] ».
Il a été question aussi, dans une intention analogue, de demander aux ministères et établissements publics de ne comprendre, sur leurs listes de souscription et d’achat, que les ouvrages tirés sur bon papier et convenablement édités.
Enfin Balzac proposait, lui, un moyen bien autrement radical et dune bien plus certaine efficacité. Constatant que tous les bons papiers s’en vont, que « le papier de Hollande n’existe plus », il ajoute, par la voix de l’imprimeur David Séchard[079.1], que « tôt ou tard, il faudra sans doute ériger une manufacture royale de papier, comme on a créé les Gobelins, Sèvres, la Savonnerie et l’Imprimerie royale, qui, jusqu’à présent, ont surmonté les coups que leur ont portés de vandales bourgeois ».
- P. L. Jacob (Paul Lacroix), Mélanges bibliographiques, page 5. ↩
- Mélanges d’histoire et de littérature, t. I, pp. 26-27. (Paris, Prudhomme, 1725 ; 5 vol. in-12.) ↩
- Cf. Jules Richard, l’Art de former une bibliothèque, p. 30. ↩
- Page 13. ↩
- Page 37. ↩
- Catalogue de la librairie Alphonse Lemerre, 1899, pp. 20-21. ↩
- Chose étrange, le papyrus, cette plante si utile et si employée, a fini, « de nos jours, par disparaître à peu près entièrement de l’Égypte ». (Louis Figuier, les Merveilles de la science, t. II, l’Industrie du papier, p. 155 ; Paris, Furne-Jouvet, s. d. [1873-1876]. — J’aurai fréquemment recours à cette monographie illustrée du papier, de son histoire et de ses procédés de fabrication, qui est très documentée et bien présentée ; malheureusement, elle date de trente ans, et la fabrication du papier, durant ce laps de temps, s’est sensiblement modifiée.) ↩
- Sur le papyrus et la fabrication du papier chez les anciens, voir notre tome I, pages 46 et suiv. Rappelons que la plante dite papyrus par les Égyptiens et par les Romains se nommait en grec πάπυρος, et aussi ϐίϐλος ; que ce dernier mot, qui désignait plus particulièrement l’écorce du papyrus, a, par extension, signifié papier, livre ; et que notre mot livre vient du latin liber, qui avait d’abord le sens d’écorce, partie de l’écorce des arbres (le liber), puis spécialement écorce du papyrus, et de là enfin livre, comme volumen. Cf. H. Géraud, Essai sur les livres dans l’antiquité, pp. 24, 74 et s. ; — Gabriel Peignot, Essai… sur ta reliure des livres, pp. 23-24 : « … Comme cette écorce se nommait liber chez les Latins… Liber dicitur interior corticis pars quæ ligno cohæret, on a, par la suite, donné le nom de livre à toutes sortes d’écrits composés de plusieurs feuilles réunies en un volume » ; — Daremberg, Saglio et Pottier. Dictionnaire des antiquités grecques et romaines, art. Liber et Membrana, très bons articles de M. Georges Lafaye ; — etc. ↩
- « La chose la plus nécessaire aux estudiants est le papier, qu’on peut dire nous avoir été transmis par un don spécial de Dieu. » (L’avocat Montholon, au nom du recteur de l’Université de Paris, Registres du Parlement, 17 janvier 1564, ap. Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, col. 730-731.) Comme nous le verrons plus loin (p. 125), notre roi Louis XII usait de la même hyperbole en parlant de l’imprimerie, d’origine « plus divine qu’humaine », elle aussi. ↩
- « … Personne n’ignore que chose plus abjecte, vile et contemptible, ne peut estre que la matière dont se fait le papier. Tellement qu’à dire le vray, il n’y a rien que la manufacture de l’ouvrier, laquelle est d’autant plus louable et recommandable, comme c’est une industrie très grande, et d’une si vile et contemptible matière, et quasi ex nihilo, faire une chose si utile, si nécessaire et si commode pour tous. » (L’avocat Montholon. ap. id., op. cit., col. 732.) ↩
- Le vicomte G. d’Avenel, le Mécanisme de la vie moderne, 2e série, le Papier, p. 2. (Paris, Armand Colin, 1900.) ↩
- Cf. Louis Figuier, op. cit., p. 176 ; et Albert Maire, Matériaux sur lesquels on écrivait dans l’antiquité : Revue scientifique, 20 août 1904, p. 236. ↩
- L’étude ci-dessus indiquée, pages 1-67 de la 2e série du Mécanisme de la vie moderne. ↩
- « Le papier, quelle que fût sa qualité, fut toujours à Rome d’un grand prix. Une simple feuille avait la valeur de 4 ou 5 francs de notre monnaie. » (Louis Figuier, op. cit., p. 162.) ↩
- Sur le parchemin chez les anciens, et sur les tablettes de cire (tabellæ ceræ), voir notre tome I, pages 60 et suiv. ↩
- G. d’Avenel, op. cit., p. 2. ↩
- Cf. Daremberg, Saglio et Pottier, op. cit., art. Membrana, par M. Georges Lafaye. ↩
- Albert Maire, loc. cit., p. 236. ↩
- « C’est à Saint-Philippe, autrefois Xativa [ou mieux Jativa], que la fabrication du papier fut introduite en Europe par les Arabes, dès leur arrivée en Espagne. » (Ambroise Firmin-Didot, op. cit., col. 705.) « Cette ville de Xativa [Jativa, à 56 kilomètres au sud-ouest de Valence] fut rasée en 1707, après la bataille d’Almanza. Philippe V fit bâtir sur ses ruines une autre ville qu’on nomme à présent San Felipe [Saint-Philippe]. » (Voltaire, Siècle de Louis XIV, chap. xxiii, note : Œuvres complètes, t. II, p. 437 ; Paris, édit. du journal le Siècle, 1867.) « L’usage du papier de coton fut introduit très anciennement en Sicile par les Arabes. » (Ambroise Firmin-Didot, op. cit., col. 670.) Seuls sans doute le papier de chiffon et le papier fait avec certaines plantes, comme le bambou, seraient originaires de Chine. « Il parait que ce fut à la Mecque, vers la fin du viiie siècle, que fut inventé le papier de coton, charta bombycina, cuttunea ou damascena : l’usage s’en répandit promptement en Orient et en Égypte. Au xiie siècle, Eustathe, dans son Commentaire sur l’Odyssée, dit que l’art de faire du papyrus n’était plus pratiqué. En France, Pierre le Vénérable, évêque de Cluny, dit, Dans son Traité contre les Suisses, en 1122 : « Les livres que nous lisons tous les jours sont faits de peau de mouton, de bouc ou de veau, de papyrus ou de papier de chiffon, ex rasuris veterum pannorum… ». En 1189, Raymond Guillaume, évêque de Lodève, donne à Raymond de Popian plein pouvoir de construire sur l’Hérault un ou plusieurs moulins à papier. Dès la fin du xiie siècle, le papier de chiffon devient de plus en plus commun. » (Id., op. cit., col. 729-730, note 4.) Rappelons que, dans son roman les Deux Poètes (Illusions perdues, t. I, pp. 113-118 ; Paris, Librairie nouvelle, 1857), à propos des entreprises et tentatives d’un de ses personnages, l’imprimeur David Séchard, Balzac a succinctement résumé l’histoire du papier. ↩
- Pages 518-521. ↩
- Op. cit., p. 3. Cf. infra, pp. 55-56, notes, ce que disent Élisée Reclus et Louis Figuier sur les Chinois, « inventeurs du papier », et sur l’ « inventeur de génie » Tsaïloun. ↩
- Albert Maire, Matériaux sur lesquels on écrivait dans l’antiquité : Revue scientifique, 20 août 1904, p. 239. ↩
- Si, contrairement à ce qu’affirme M. G. d’Avenel, Rabelais s’en avise très bien, et il le dit en termes formels : « Je me torchay de foin, de paille…, de papier. » (Gargantua, livre I, chap. xiii ; t. I, p. 133 ; Paris, Didot, 1880.) Et bien d’autres que Rabelais attestent que le papier était, dès ce temps-là, communément affecté audit usage. « Toujours… qui son… de papier torche. » (Clément Marot, ap. Rabelais, ibid.) « Il vaut bien mieux se torcher… avec du papier, et principalement en ce temps qu’il est à si bon marché : en quoi nous avons barre sur les anciens…. » (Béroalde de Verville, le Moyen de parvenir, chap. xcii, p. 339 ; Paris, Gosselin, 1841.) ↩
- G. d’Avenel, op. cit., pp. 4-6. ↩
- « Une récente statistique établit que la production européenne du papier, qui, en 1875, s’élevait à 7 791 300 quintaux métriques, a atteint, en 1900, le chiffre considérable de 24 270 000 quintaux métriques. La production du monde entier peut être évaluée à 60 000 000 de quintaux métriques. » (Le Courrier du livre, 15 février 1903, p. 109.) Voici deux autres relevés statistiques bien différents du précédent et différents aussi entre eux (la statistique a de ces surprises !). L’un a été dressé par « un savant anglais », et il est emprunté à la Gazette commerciale (dans le Mémorial de la librairie française, 17 août 1905, p. 439) : « Il existe, parait-il, sur la surface du globe, 4 000 manufactures qui fabriquent annuellement 980 000 000 de kilogrammes de papier. Sur ce nombre, 300 000 000 de kilogrammes sont utilisés par les journaux, 191 000 000 de kilogrammes par la librairie, 100 000 000 de kilogrammes par le commerce, 100 000 000 de kilogrammes par les services administratifs des gouvernements, 93 000 000 de kilogrammes par l’industrie, 85 000 000 de kilogrammes par les écoles ; le reste, 101 [111] millions de kilogrammes, est employé à la correspondance privée. Pour la France, la consommation annuelle du papier est de 135 000 000 de kilogrammes ; les journaux en emploient environ 20 000 000 de kilogrammes. » L’autre statistique est extraite de l’ouvrage de M. G. d’Avenel, déjà plusieurs fois cité (pages 61-62) : « Depuis un demi-siècle, sur la surface du globe, la production du papier a décuplé. Elle était de 221 000 000 de kilos en 1850 ; elle est de 2 260 000 000 de kilos aujourd’hui. Notre fabrication nationale s’est accrue dans la même mesure : de 40 000 tonnes au début du second Empire, à 137 000 tonnes en 1867, à 350 000 tonnes en 1894. » ↩
- Cf. Georges Olmer, Du papier mécanique et de ses apprêts…, p. 14. (Paris, Rouveyre, 1882.) ↩
- Sur le papier de ramie et le papier d’alfa, voir infra, pp. 61-62. ↩
- « Presque toutes les espèces de bois peuvent servir à la fabrication du papier, mais leur rendement est très différent : 100 kilos de noyer ou de chêne ne fourniront que 26 ou 29 kilos de pâte ; on en tirera 38 d’un quintal de saule ou de marronnier. » Etc. (G. d’Avenel, op. cit., p. 30.) Au début néanmoins, la pâte de bois fut très vigoureusement attaquée. En 1874, M. Aimé Girard, professeur de chimie au Conservatoire des Arts et Métiers, déclara qu’il ne considérait la pâte de bois que comme « une matière de remplissage qui n’a aucune des qualités nécessaires à la production du papier », « comme une simple charge, qu’il assimile au plâtre et au kaolin, substances que l’on ajoute au papier à un titre qui frise la fraude ». (Louis Figuier, op. cit., pp. 282 et 286.) ↩
- Tome I, page 52. ↩
- « … Les feuillets sortis de leurs presses (des anciens imprimeurs) se montrent tout brillants de jeunesse, à côté de nos impressions ternes, à demi éclipsées sur les pages jaunies de nos livres nés d’hier. » (Mouravit, le Livre et la Petite Bibliothèque d’amateur, p. 191.) Cf. infra, pp. 72-73, notes. ↩
- On en trouvera une liste détaillée dans Louis Figuier, op. cit., p. 209. ↩
- Cf. Mémorial de la librairie française, 8 juin 1905, p. 313. ↩
- « La bagasse, tissu fibreux de la canne à sucre après l’extraction du jus…. Cette canne ou tige a beaucoup de ressemblance avec le bambou. La bagasse a été traitée avec succès, mais son rendement en pâte est faible, et elle n’est utilisable que pour les sortes inférieures de papiers. » (C.-F. Cross et E.-J. Bevan, Manuel de la fabrication du papier, trad. L. Demarest, p. 175 ; Paris, Baudry, 1902 ; in-8.) ↩
- « En 1841, on prit un brevet pour un procédé pour remplacer le chiffon, dans la fabrication du papier, par la fiente de tous les animaux herbivores. » (Louis Figuier, op. cit., p. 209.) ↩
- C’est le naturaliste allemand Scheffer (….-1790) qui s’avisa de fabriquer du papier avec des nids de guêpes. Il a fait imprimer, en 1761, sur ce singulier papier, un mémoire qui reçut les éloges de l’Académie des sciences de Bavière. (Cf. id., op. cit., p. 208.) ↩
- G. d’Avenel, op. cit., pp. 23-24. ↩
- « Les vieux journaux et imprimé sont d’abord soumis à un bon trempage, puis déchiquetés en petits morceaux par une machine appropriée, et enfin passés au triturateur. La pâte ainsi obtenue subit un premier lavage, puis, après égouttage, est intimement mélangée avec une solution de savon. Celui-ci forme une émulsion entraînant toutes les matières grasses et colorantes contenues dans la pâte ; on s’en débarrasse par un lavage énergique. Suivant le degré d’impureté des papiers traités, on emploie, par 100 parties de papier, de 3 à 24 parties en poids de savon. » (Mémorial de la librairie française, 24 juillet 1902, p. 426.) Cf. G. d’Avenel, op. cit., pp. 24-26, où se trouve un curieux historique de la transformation des vieux imprimés en papier blanc. Mais, conclut M. G. d’Avenel, ces vieux imprimés ne peuvent fournir que des « espèces très ordinaires, car le vieux papier, fût-il de première qualité, est loin, après avoir été trituré…, de valoir du chiffon médiocre ». ↩
- Cf. Charles Laboulaye, Dictionnaire des arts et manufactures, art. Papier. ↩
- Charles Monselet, Curiosités littéraires et bibliographiques, p. 113. « Ce petit volume (du marquis de Villette) est curieux en ce qu’il est imprimé sur des papiers de couleurs fabriqués avec différents végétaux. L’épître dédicatoire à M. Ducrest a été composée par M. Leorier de l’Isle, [ou Léorier Delille, selon l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 30 septembre 1905, col. 470 ; ou encore, d’après Larousse, Léorier Delisle], fabricant de papier, qui annonce avoir soumis à la fabrication du papier toutes les plantes, les écorces et les végétaux les plus communs. Il a joint à ce volume des échantillons, qui sont les extraits de ses expériences, et il a cherché à prouver qu’on pouvait substituer aux matières ordinaires du papier d’autres matières les plus inutiles. Les Œuvres du marquis de Villette, en 156 pages, sont imprimées sur papier de guimauve [sur papier d’écorce de tilleul, dit l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, ibid.] ; ensuite on trouve vingt feuillets composés chacun d’une substance différente, savoir : papier d’ortie, papier de houblon, papier de mousse, papier de roseaux, papier de conferva 1re espèce, papier d’écorce d’osier, papier d’écorce de marsaut, papier d’écorce de saule, papier d’écorce de peuplier, papier d’écorce de chêne, papier de conferva 2e espèce, papier de conferva 3e espèce, papier de racines de chiendent, papier de bois de fusain, papier de bois de coudrier, papier d’écorce d’orme, papier d’écorce de tilleul, papier de feuilles de bardane et de pas-d’âne, papier de feuilles de chardons. On est surpris de ne point trouver de papier de paille dans ce recueil, l’auteur ayant soumis tant d’autres substances à ses procédés. » (Édouard Rouveyre, Connaissances nécessaires à un bibliophile, t. VIII, p. 202, 5e édit.) Sur le fabricant de papier Leorier (sic) de Liste, ou Léorier (sic) Delille, né à Valence (Dauphiné), en 1744, mort à Montargis, en 1826, voir l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 30 septembre 1905, col. 470-473 ; et les dictionnaires de Rabbe, Michaud, Larousse, etc. ↩
- Cf. Louis Figuier, op. cit., p. 209. ↩
- Paul Stapfer, Des réputations littéraires, Épilogue, Quatre Consolations, t. II, pp. 428-429. (Paris, Fischbacher, 1901.) Cf. aussi Voltaire, la Guerre civile de Genève, poème héroïque, chant IV (Œuvres complètes, t. VI, p. 490 ; Paris, édit. du journal le Siècle, 1869) :
- Tout ce fatras fut du chanvre en son temps ;
Linge il devint par l’art des tisserands,
Puis en lambeaux des pilons le pressèrent ;
Il fut papier : cent cerveaux à l’envers
De visions à l’envi le chargèrent ;
Puis on le brûle, il vole dans les airs,
Il est fumée, aussi bien que la gloire.
De nos travaux, voilà quelle est l’histoire ;
Tout est fumée, et tout nous fait sentir
Ce grand néant qui doit nous engloutir. ↩
- Tout ce fatras fut du chanvre en son temps ;
- On peut consulter, par exemple, outre les ouvrages de Louis Figuier (1873-1876), Georges Olmer (1882), G. d’Avenel (1900), C.-F. Cross et E.-J. Bevan (1902 : traité des plus récents et des plus complets), déjà mentionnés par nous : Lalande (Joseph-Jérôme Le Français de Lalande, connu surtout comme astronome : 1732-1807), Art de faire le papier (sans lieu ni typographe ni date [1761] ; in-folio, 150 pp., xiv planches) ; — Paul Charpentier, le Papier (tome X de l’Encyclopédie chimique, publiée sous la direction de M. Fremy ; Paris, Dunod, 1890 ; in-8) ; — G.-A. Renel, la Fabrication actuelle du papier : la Nature, 18 janvier et 15 février 1890, pp. 99-103 et 167-170 (deux très bons articles) ; — V. Mortet, le Papier, le Papier au moyen âge : Revue des bibliothèques, 1891, pp. 195-207 ; et 1892, pp. 349-350 ; — Jolivet, Notice sur l’emploi du bois dans la fabrication du papier : Exposition universelle de 1878 (Paris, Imprimerie nationale, 1878 ; in-8, 15 pp.) ; — Philipon, député, Rapport fait au nom de la Commission des douanes chargée d’examiner le projet de loi relatif à l’établissement du tarif général des douanes : Pâtes de cellulose : Journal officiel, Documents parlementaires, 12 mai 1891, pp. 884-895 ; — Eugène Campredon, le Papier, étude monographique sur la papeterie française, et, en particulier, sur la papeterie charentaise (Paris, Dunod, 1901 ; in-8, 83 pp.) ; — Henry Vivarez, les Précurseurs du papier (Lille, Imprimerie Lefebvre-Ducrocq, 1902 ; in-4, 39 pp.) ; — et les articles « Papier » dans les dictionnaires de Charles Laboulaye, (Dictionnaire des arts et manufactures), Larousse, Bouillet (nouvelle édition refondue sous la direction de MM. J. Tannery et Émile Faguet), etc. ; voir aussi passim : le Magasin pittoresque, la Revue des bibliothèques, le Bulletin du bibliophile, la Revue biblio-iconographique, etc., etc. Pour la fabrication du papier à la forme, j’ai eu recours, en outre, tout particulièrement, à la compétence de M. Gruintgens, des Papeteries du Marais : je le prie d’agréer ici mes remerciements. ↩
- Nicolas-Louis Robert, né à Paris en 1761, mort en 1819. « … Revenu à Paris en l’an II de la République, Louis Robert fut d’abord correcteur d’imprimerie chez Pierre Didot. Ensuite il suivit Léger Didot, fils de Pierre Didot, qui venait de créer la célèbre papeterie d’Essonnes. Louis Robert reçut la direction du bureau et des trois cents ouvriers de cette importante usine. C’est en 1799 qu’il conçut le projet de sa machine…. Robert avait vendu, moyennant 25 000 francs, son invention à Léger Didot. Celui-ci n’ayant pas exactement rempli les conditions stipulées, l’inventeur lui intenta un procès et le gagna. Robert transporta alors sa machine à Darnetal, près de Rouen, où elle fonctionna pendant quelque temps. Plus tard, un arrangement eut lieu entre les deux parties. En 1814, Louis Robert n’ayant pas trouvé l’argent nécessaire pour renouveler son brevet, la machine à fabriquer le papier continu tomba dans le domaine public…. Louis Robert mourut en 1819, laissant pour toute ressource à sa femme et à ses deux filles le revenu d’une école primaire tenue par sa fille aînée, Marie-Eugénie. Lorsque Marie-Eugénie Robert fut devenue vieille et infirme, nos fabricants de papier s’intéressèrent à elle…. Quant à l’inventeur, il avait eu le sort ordinaire des grands inventeurs : la misère. » (Louis Figuier, op. cit., p. 206.) ↩
- Il vaudrait mieux dire effilés. « On défile ce qui est enfilé ; on effile ce qui est tissu avec du fil ; défiler des perles ; effiler du linge. » (Littré, Dictionnaire, art. 1. Défiler.) ↩
- Frisquette est aussi un terme d’imprimerie désignant le châssis qui, au moment du tirage, s’applique sur les marges du papier pour les maintenir d’aplomb et les empêcher de se maculer. ↩
- Lalande, op. cit., p. 53. ↩
- « Il se forme sept à huit feuilles par minute dans les grandeurs moyennes de papier, telles que la couronne. » (Id., op. cit., p. 55.) Sept ou huit feuilles, c’est beaucoup. Ce nombre varie d’ailleurs sensiblement : quelquefois l’ouvrier ne fait que trois ou quatre feuilles par minute. ↩
- Le mot flotre, qu’on écrit aussi flôtre, s. m., « est une altération de feutre ». (Littré, op. cit.) ↩
- Lalande, op. cit., pp. 54-55. ↩
- Louis Figuier, op. cit., pp. 244-245. ↩
- M. G. d’Avenel (op. cit., p. 54) dit 800 feuilles. Louis Figuier (op. cit., p. 246) dit : La passe se compose de 6, 7 et 8 mains » (soit, — la main étant de 25 feuilles, — 150, 175 ou 200 feuilles). On nomme quet « l’assemblage et le nombre de 26 feuilles de papier avec leurs feutres ». (Littré, op. cit.) « Les ouvriers de cuve appellent un quet l’assemblage de 26 feuilles ; la porse est composée d’un certain nombre de quets, qui varie suivant la grandeur du papier. La porse de couronne a 10 quets, ou 260 feuillets, c’est-à-dire une demi-rame, et 10 feuilles de plus pour indemniser le fabricant du cassé. La porse n’est quelquefois que de 100 feuilles, lorsqu’on travaille dans les plus grandes sortes. » (Lalande, op. cit., p. 57.) ↩
- On nomme passe ou porse le paquet de feutres ou flotres destinés à être placés entre les feuilles de papier ; — passe-feutre ou passe-flotre, porse-feutre, ou porse-flotre, le paquet de feuilles qui viennent d’être fabriquées et sont encore intercalées avec les flotres : — passe blanche ou porse blanche, le paquet de feuilles dont les flotres ont été retirés. (Cf. id., op. cit., p. 90 ; Louis Figuier, op. cit., p. 246 ; et Larousse, op. cit.) ↩
- Ludovic Lalanne, Curiosités bibliographiques, p. 108. ↩
- Paul Lacroix, Édouard Fournier et Ferdinand Seré, Histoire de l’imprimerie, p. 96. ↩
- G. d’Avenel, op. cit., p. 27. ↩
- Id., op. cit., pp. 28-29. ↩
- « L’art du fabricant consiste à marier avec sagacité les pâtes chimique et mécanique. L’une est la chaîne, l’autre la trame ; la cellulose sert de soutien et procure la solidité, mais elle est trop chère et trop dure ; le bois pulvérisé, au contraire, donne du moelleux, de l’opacité, et permet d’abaisser le prix de vente. » (G. d’Avenel, op. cit., p. 51.) ↩
- Id., op. cit., pp. 29. ↩
- « Des praticiens affirment que, pour le papier comme pour les étoffes, il n’est pas de mécanisme qui vaille la main de l’homme, que la force au dynamomètre d’un mouchoir en batiste de Courtrai, le dernier textile qui soit fait à la main, est plus grande que celle du même tissu fabriqué à la machine, et qu’il en est de même de l’ancien papier, créé si laborieusement, en comparaison de cette large bande blanche qui s’échappe, en courant continu, d’entre nos rouleaux évaporateurs. » (G. d’Avenel, op. cit., pp. 54-55.) ↩
- G. d’Avenel, op. cit., p. 59. « Les directeurs d’une grande papeterie d’Eisenthal, voulant se rendre compte du temps mis pour transformer un arbre en journal prêt à être lu, ont exécuté ce qui suit : A 7 h. 35 du matin, trois arbres étaient abattus dans la forêt voisine, portés à la fabrique, après avoir été écorcés. La pâte de bois liquide fut conduite jusqu’aux machines, et, à 9 h. 34. la première feuille était livrée. L’imprimerie d’un quotidien était située à 4 kilomètres de là, et, portée par une automobile, la feuille fut mise un instant après sous presse. A 10 heures du matin, elle paraissait imprimée. » (La Construction pratique, dans l’Informateur des Gens de lettres, 30 octobre 1904, p. 264.) Voici, sur cette question du défrichement des forêts et de leur transformation en papier, quelques autres renseignements statistiques, empruntés à la Nature (27 mars 1897, p. 270) : « Dans un volume de l’ « Encyclopédie Léauté », les Succédanés du papier, M. V. Urbain, répétiteur à l’École centrale, montre avec quelle intensité on défriche pour se procurer la pâte à papier. Pendant le cours de l’année 1895, dit-il, on a constaté que la France et l’Angleterre avaient manufacturé plus de 400 000 tonnes de pâte chimique, avec des bois importés de Suède et de Norvège. Ce chiffre doit attirer l’attention des économistes, car il représente le rendement en cellulose de pins ou de sapins âgés de trente ans au moins. Un pin de trente-cinq à quarante ans, de belle venue, ne cube pas plus de 1 mètre cube. Lorsqu’il aura été ébranché, écorcé, etc., il ne pourra donc former plus de 150 kilogrammes de pâte mécanique, propre à la papeterie. Il en résulte qu’un journal à grand tirage absorbe, à lui tout seul, une centaine d’arbres par numéro, en attribuant à son papier moitié de pâte de bois chimique et moitié de pâte de bois mécanique. Dans un demi-siècle, si l’on n’y prenait garde, toutes les forêts d’Europe seraient fauchées et imprimées à fond ; le bocage serait sans aucun mystère, et les rossignols de muraille seraient le dernier souvenir de leur poétique espèce…. » Un article de l’Illustration, analysé dans le Mémorial de la librairie française (22 novembre 1900, p. 622), prétend, au contraire, que cette disparition des forêts et leur transformation totale en papier n’est nullement à redouter. « Les forêts du Canada, lit-on dans cet article, sont, avec celles de la Sibérie, les plus vastes du monde. On les trouve partout, du Pacifique à l’Atlantique, et se renouvelant tous les vingt ans, elles sont, pour ainsi dire, inépuisables. Une des régions de la province de Québec peut, à elle seule, fournir plus de 500 000 tonnes de papier par an, et cela pendant un temps indéfini. » C’est être vraiment trop optimiste, et l’opinion précédente nous semble plus juste. D’abord il faut plus de vingt ans à une forêt pour se renouveler et se reconstituer ; ensuite la bouteille inépuisable est tout aussi chimérique que le mouvement perpétuel. ↩
- Louis Figuier, op. cit., p. 241. ↩
- Louis Figuier, op. cit., p. 241. Il ne faut pas oublier que le kaolin, aussi bien que le sulfate de chaux, ou encore le sulfate de baryte, mêlés au papier, « usent rapidement les caractères d’imprimerie, en altérant chimiquement ces caractères ». (Id., op. cit., p. 263.) ↩
- Cf. id., op. cit., p. 248. Contrairement au papier mécanique, le collage du papier vergé, et, d’une façon plus générale, de tout papier de cuve, de tout papier à la main, se fait à la main, après séchage. A cet effet, les feuilles sont plongées dans de larges récipients contenant le bain préparé à cette intention, puis elles sont de nouveau étendues et séchées. Sur le papier ainsi collé superficiellement, le grattage est impossible ; en tout cas, il serait vite décelé ; c’est pour cela que, parait-il, les papiers timbrés sont ainsi collés. » (Émile Leclerc, Nouveau Manuel complet de typographie, p. 548.) ↩
- Louis Figuier, op. cit., p. 252. ↩
- Id., op. cit., p. 240. Il existe aussi « une espèce de collage mixte, dit végéto-animal : c’est un mélange de gélatine, de résine, de fécule et d’alun ». (Id., op. cit., p. 241.) ↩
- Cf. id., op. cit., p. 239. ↩
- Cf. G.-A. Renel, la Nature, 18 janvier 1890, p. 102 ; Paul Charpentier, op. cit., p. 112 ; etc. ↩
- On fait souvent de papier brouillard le synonyme absolu de papier buvard. (Cf. Hatzfeld, Dictionnaire ; Littré, Larousse, op. cit.). On désigne cependant plus particulièrement sous le nom de papier brouillard un papier non collé mais calandré, d’ordinaire plus mince et plus léger que le papier buvard habituel, et d’ordinaire aussi de couleur brune, jaunâtre ou grise, qui s’emploie en pharmacie et thérapeutique (pansements), et sert en outre tout spécialement à confectionner les papillotes. Une sorte de papier buvard et de papier à filtrer a reçu, en raison de sa couleur, le nom de papier gris. ↩
- Pour empêcher le papier de boire, on peut aussi « faire fondre un morceau d’alun de la grosseur d’une noix environ dans un verre d’eau claire, et humecter ensuite de cette eau le papier qu’on veut préparer ; puis on le laisse sécher. C’est la manière dont les papetiers préparent les papiers à dessin appelés papiers lavés. » (Mémorial de la librairie française, 8 février 1906, p. 67.) ↩
- « Nous nous demandons… pourquoi les livres d’études, qui se tiraient autrefois sur papier collé, s’impriment aujourd’hui sur papier sans colle. Serait-ce parce que ces livres sont plus promptement détériorés par les écoliers, et qu’il faut les remplacer plus souvent ? Cela ne manquerait pas d’une certaine ingéniosité ; mais ce système de vente forcée peut se passer de commentaires. » (Georges Olmer, op. cit., p. 40.) ↩
- Louis Figuier, op. cit., p. 242. ↩
- Paul Charpentier, op. cit., p. 173. ↩
- « Le glaçage est un satinage plus prononcé. » (Louis Figuier, op. cit., p. 256.) ↩
- Georges Olmer, op. cit., pp. 53-54. Foulage, en typographie, désigne : 1º l’action exercée sur la feuille de papier par la platine dans la presse manuelle, par un cylindre dans la presse mécanique ; 2º le résultat de cette action, et particulièrement le relief produit par l’impression sur le revers de la feuille. (Cf. Larousse, op. cit.) ↩
- Supra, p. 28. ↩
- Louis Figuier, op. cit., p. 258. ↩
- Glacé après l’opération dont il va être question, après le couchage. Le papier couché, dont se servaient déjà les relieurs et cartonniers, commença à être employé pour les impressions vers 1878, et c’est le célèbre imprimeur américain Théo L. de Vinne qui s’avisa le premier d’y recourir. « Il avait à exécuter un travail contenant de nombreuses illustrations sur zinc et n’arrivait pas à des résultats suffisants sur les papiers qu’il avait à sa disposition. Par l’entremise de M. W. P. Dane, il s’entendit avec le technicien Ch. M. Gage, qui imagina de recouvrir le papier d’une couche crayeuse et de le satiner ensuite ; et, moyennant cette préparation, le résultat désiré était obtenu. (Mémorial de la librairie française, 9 avril 1903, p. 207.) ↩
- Voir encore, sur le papier couché, le Mémorial de la librairie française, 26 juillet 1900, p. 420. ↩
- Sur la similigravure ou simili, voir infra, p. 237. ↩
- Le papier glacé était, pour ainsi dire, inconnu, ou du moins n’était pas en usage avant le xixe siècle : « … Ce papier glacé, qu’on ne voit guère employé, en effet, au xviiie siècle, même par les mains les plus délicates…. » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. X, p. 107, n. 1.) ↩
- Numéro du 3 juin 1899, p. 696. ↩
- On connaît principalement cette teinte bleuâtre de l’ancien papier de Hollande. Elle provenait de ce que ce papier, fabriqué surtout avec « les eaux saumâtres de Serdam [Saardam appelé aussi Zaandam], où sont situées les papeteries hollandaises…, ne pouvait pas conserver sa blancheur ; il devenait jaune en peu de temps ; pour déguiser ce défaut, les Hollandais ont imaginé de mettre du bleu dans leurs matières, et l’on voit actuellement plus que jamais cet œil bleuâtre dans leurs papiers ; ce n’est pas seulement un blanc de lait comme autrefois, c’est un blanc azuré, ou plutôt un bleu pâle. » (Lalande, op. cit., p. 82.) ↩
- La Nature, 13 décembre 1890, p. 30. « Le papier jaune, de la teinte produite par la pâte de bois », est aussi recommandé par le docteur Émile Javal (Physiologie de la lecture et de l’écriture, pp. 186-187), pour l’impression des livres. ↩
- « Les reflets verts étant facilement supportés par les yeux, on conseille aux hommes d’étude de les préférer à tout autre (tentures, rideaux, abat-jour verts), par suite, emploi du papier vert pour écrire, comme a l’habitude de le faire l’un de nos écrivains les plus féconds, M. Claretie, de l’Académie française. Ce papier a cependant un inconvénient, c’est de faire paraître l’écriture rougeâtre et peu distincte quand on a à se relire. Les papiers jaunes font admirablement ressortir l’écriture et ont des reflets plus doux que ceux du papier blanc. Plusieurs mathématiciens, notamment l’amiral Jonquière, font usage de papier jaune, lorsqu’ils ont à effectuer des calculs longs et compliqués. Les autres couleurs : bleu, rouge, violet, ne donnent pas de bons résultats. » (La Nature, 13 décembre 1890. p. 30.) ↩
- Il est des auteurs qui ont fait effectuer de ces tirages baroques uniquement pour s’amuser et par plaisanterie. « M. Étienne Guyard, auteur d’une Histoire du Monde, son évolution et sa civilisation (Paris, Société d’éditions scientifiques, 1894 ; in-8, ix-690 pages) déclare avoir fait imprimer son livre sur papier rose, afin que le lecteur puisse voir tout en rose. » (L’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 10 avril 1902, col. 535-536.) Henri de Bornier fait tirer dix exemplaires de son drame France… d’abord ! « sur papier rouge, pour les militaires ». (Catalogue de la librairie Dorbon aîné, novembre-décembre 1903, nº 5919.) « Caraccioli, le Livre des quatre couleurs ; Aux quatre éléments, Imprimerie des quatre saisons (Duchesne, 1760, in-12) ; ouvrage imprimé en quatre couleurs… » (Catalogue de la librairie Lucien Dorbon, 15 juillet 1904, nº 807.) ↩
- G. d’Avenel, op. cit., pp. 42, 51 et 52. « La pâte de chiffon se vend de 50 à 100 francs les 100 kilos ; celle de l’alfa, qui rivalise avec le chiffon pour les papiers de belle qualité, vaut de 40 à 45 francs. » (Mémorial de la librairie française, 10 août 1905. p. 425.) A propos du grand abaissement du prix des papiers, dû à l’emploi de la pâte de bois, et qui se produisit en France sous le règne de Napoléon III, Louis Figuier rapporte le curieux fait suivant, un projet de fondation d’une bibliothèque à un franc le kilogramme, dont les volumes seraient mis en vente, non plus seulement chez les libraires, mais chez tous les marchands et détaillants quelconques : « Vers 1865, comme M. Rouher parlait d’établir la liberté absolue de l’imprimerie et de la librairie, M. Aristide Bergès [fabricant de papier à Lancey (Isère)] s’apprêta, à cette époque, à fonder la bibliothèque à un franc le kilogramme, sans distinction de noms d’auteur ni de grosseur de volumes. Il avait calculé qu’on pouvait fabriquer, imprimer et brocher du papier à raison de 1 franc le kilogramme, en laissant un gain convenable aux auteurs et libraires, sauf à n’imprimer que les livres susceptibles d’être tirés à 100 000 exemplaires. Il fallait seulement, pour cela, pouvoir vendre les livres partout, chez le mercier, le quincaillier, le fruitier, etc., et toujours au kilogramme. Les événements ont retardé l’éclosion de cette idée hardie, dont la pâte de bois était le pivot, et que l’auteur n’a pas abandonnée. » (Louis Figuier, op. cit., p. 284.) ↩
- Ces chiffres ne sont pas toujours rigoureusement fixes, et présentent parfois, dans la réalité, des différences en plus ou en moins, comme on peut s’en convaincre en consultant : Paul Charpentier, op. cit., pp. 259-260 ; — Louis Figuier, op. cit., p. 295 ; — E. Desormes, Notions de typographie, p. 499 ; — Émile Leclerc, Nouveau Manuel complet de typographie, p. 286 ; — J.-B. Munier, Nouveau Guide illustré de l’imprimerie…, p. 10 ; — Albert Maire, Manuel pratique du bibliothécaire, p. 375, où se trouve un « Tableau des dimensions et des poids des papiers de France établis, avant le système décimal, en pouces et en lignes » ; — etc. M. Manquest, de la maison Darblay, a bien voulu me fournir aussi d’utiles renseignements sur les dimensions et les modes d’emploi des papiers ; je l’en remercie, ainsi que M. Lebreton, chef du service des impressions de la librairie Flammarion, qui, pour tout ce qui touche le papier, le format, l’impression et l’illustration, m’a maintes fois aidé de ses excellents conseils. — Pour exprimer les dimensions des papiers, il est d’usage de mentionner le plus petit nombre le premier : ex. : Raisin = 0,50 × 0,65 (et non 0,65 × 0,50). ↩
- Nous avons vu (p. 43) que certains filigranes s’obtiennent au moyen du laminage. ↩
- Jules Richard (l’Art de former une bibliothèque, p. 68) va même jusqu’à dire que, pour que « le sec s’opère, … sur les vergés de Hollande ou autres, il faut souvent quatre ans, et parfois davantage. » ce qui est manifestement exagéré. ↩
- Cf. Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, col. 734, qui écrit à tort Whatmann : la véritable orthographe est Whatman (avec un seul n) ; cf. Chamber’s English Dictionary, art. Paper. (London, Chambers, 1898.) ↩
- Un autre papier, employé spécialement pour le dessin, est le papier canson (du nom de l’inventeur, Barthélémy de Canson : 1773-1859) ; c’est un beau papier fort et lisse, qui se fabrique à Annonay. ↩
- Cf. Louis Figuier, op. cit., p. 205 ; et Ambroise Firmin-Didot, op. cit., col. 686. En France, le papier vélin fut employé pour la première fois, en 1780, par MM. Johannot (cf. Gabriel Peignot, Manuel du bibliophile, t. II, p. 428). ↩
- On rencontre fréquemment, dans les catalogues et annonces de librairie, cette locution : « papier de cuve du Marais », « vélin de cuve des fabriques du Marais ». Ce n’est pas à Paris, dans le quartier du Marais, comme certains se l’imaginent, que se trouvent ces fabriques de papier à la forme, mais dans le département de Seine-et-Marne, sur la rivière du Grand-Morin, près et en aval de Jouy-sur-Morin, au lieudit « le Marais ». Non loin de là, sur la rivière du Petit-Morin, en amont de la Ferté-sous-Jouarre, au lieudit « le Gouffre » ou « Usine de Biercy », se trouve une autre papeterie à la forme, qui appartient à la Banque de France, et où elle fait fabriquer le papier de ses billets. ↩
- « Inventeurs du papier, les Chinois en préparent plusieurs espèces qui manquent à l’Europe ; cependant eux-mêmes donnent toujours la préférence aux papiers coréens et japonais. Dès l’année 153 de l’ère vulgaire, Tsaïloun avait enseigné à ses compatriotes l’art de remplacer les tablettes en bambou par du papier, dont les écorces d’arbre, le fil de chanvre, les vieilles toiles, les filets de pêche lui fournissaient la pâte. Depuis cette époque, on emploie aussi pour la fabrication du papier, les jeunes pousses de bambou, le rotin, les algues marines, le glaïeul, la fibre du broussonetia papyrifera, les cocons de vers à soie. » (Élisée Reclus, Nouvelle Géographie universelle, t. VII, pp. 583-584.) Voir aussi, sur le papier de Chine, H. de Balzac, Illusions perdues, t. I, les Deux Poètes, pp. 116-118 (Paris, Librairie nouvelle, 1857). « Un inventeur de génie, Tsaï-lun (Tsaïloun), fabriqua le premier, en Chine, vers l’année 153 après Jésus-Christ, le papier proprement dit…. Le nom de Tsaï-lun est populaire dans le Céleste Empire. Un temple lui a été élevé, et, plus de mille ans après sa mort, on lui offrait des sacrifices. » (Louis Figuier, op. cit., pp. 177-178.) ↩
- Louis Figuier dit, au contraire (op. cit., p. 178) : « On a remarqué que des provisions de papier de Chine, gardées à Paris pendant plusieurs années, se sont très bien conservées sans attirer l’humidité et sans être attaquées par les insectes ». M. Pierre Dauze, directeur de la Revue biblio-iconographique, est d’avis, comme M. Alphonse Lemerre, et ainsi que nous le verrons un peu plus loin (p. 72), que « le papier de Chine se pique aisément ». ↩
- Sur la fabrication du papier du Japon, voir Charles Laboulaye, op. cit., art. Papier ; — le Magasin pittoresque, avril 1877, pp. 114 et 122 ; — la Nature, 5 octobre 1889, p. 291 ; — Paul Charpentier, op. cit., p. 249 ; — Albert Maire, op. cit., p. 373 ; — Félix Régamey, le Japon pratique, pp. 157 et s. ; — etc. ↩
- Nous verrons, en traitant de l’usage et de l’entretien des livres, qu’il faut se servir d’un couteau métallique ou d’un canif pour couper les feuillets d’un volume tiré sur japon : un coupe-papier de bois ou d’ivoire ne mordrait pas aisément, peut-être même pas du tout, et risquerait de se rompre. Cette qualité du papier du Japon, cette extrême solidité, a été mise à profit par les éditeurs de la « Nouvelle Carte de France au 100 000e, dressée par le service vicinal, sous la direction de M. E. Anthoine, ingénieur, par ordre du ministre de l’intérieur ». Ils ont eu l’excellente idée de faire tirer sur japon, ou, plus exactement, sur simili-japon (fabriqué en France, dans le Dauphiné, spécialement pour cette publication), les 587 feuilles de cette carte, ce qui dispense de les faire coller sur toile, d’où une économie d’argent et une facilité de lecture plus grande, les cartes collées sur toile et rendues portatives par le pliage étant nécessairement sectionnées en petits rectangles et présentant ainsi de nombreuses solutions de continuité. Ces cartes sur simili-japon peuvent se plier, se déplier, se manier sans aucune crainte. Il serait très désirable que cette excellente mesure se généralisât, que toute carte ou plan, destiné à être emporté et mis en poche, fût tiré sur papier du Japon ou sur simili-japon. ↩
- Mémorial de la librairie française, 25 février 1904, p. 108. Le même périodique donne, dans son numéro du 24 mars 1904, pages 165-166, d’après la Revue des cultures coloniales, d’intéressants renseignements sur l’industrie du papier au Japon. ↩
- « Le papier, au Japon, est encore très employé dans le rite religieux, comme papier d’offrande. » (Louis Figuier, op. cit., p. 190.) La même coutume règne en Chine. « Le peuple chinois avait autrefois, et a encore aujourd’hui, l’habitude de brûler certaines substances en l’honneur des morts et des ancêtres. Tantôt on enflamme, dans les cérémonies, des allumettes parfumées, tantôt on fait brûler du papier. Les marchands vendent, à cet effet, de grandes quantités d’objets composés de papiers étamés ou dorés et affectant différentes formes. A certaines époques de l’année, on brûle, en souvenir des morts, ces papiers étamés, qui se nomment papiers à brûler ou papiers d’offrande. » (Id., op. cit., p. 187.) ↩
- Élisée Reclus, op. cit., t. VII, p. 831. ↩
- C.-F. Cross et E.-J. Bevan, op. cit., pp. 175-176. Cf.aussi G. d’Avenel, op. cit., p. 42. ↩
- « En plaçant entre le rayon visuel et le grand jour une feuille de papier quelconque, il est possible de juger de la qualité ou des défauts de la fabrication. C’est ce qu’on appelle examiner l’épair d’un papier. Bien que généralement employé par le consommateur, ce moyen n’est pas infaillible, et il ne faudrait pas s’y arrêter d’une manière absolue. En effet, si l’on s’en tenait seulement à l’examen d’un papier à l’épair, on risquerait fort de commettre des erreurs singulières d’appréciation. Ainsi, par exemple, l’épair du papier de paille est plus beau, mieux fondu que celui de pur chiffon. Ce dernier conserve toujours, plus ou moins, une légère impureté, qui ne peut être aperçue qu’à l’épair et qui ne se voit absolument pas à la surface. Un praticien exercé ne s’y trompera pas, mais une personne qui ne serait pas prévenue de cette particularité donnerait à coup sûr la préférence au papier de paille, qui lui semblerait plus propre et mieux fait. Nous avons parlé du fondu, auquel on attache parfois trop d’importance. En effet, un papier ordinaire sera mieux fondu qu’un beau papier, solide et résistant. Celui-ci sera presque toujours nuageux, parce qu’on a soin de laisser aux fibres du chiffon une certaine longueur qui augmente la solidité du papier. » (Georges Olmer, op. cit., pp. 61-62.) ↩
- Cf. id., op. cit., pp. 22-23 ; — G. d’Avenel, op. cit., p. 20 ; — Mémorial de la librairie française, 10 et 17 août 1905, pp. 424 et 437, où il est dit, comme nous l’avons vu tout à l’heure (p. 50, n. 1), que l’alfa « rivalise avec le chiffon pour les papiers de belle qualité ». M. Georges Olmer, op. cit., p. 18) estime, au contraire, que, « de tous les succédanés, le bois chimique est, sans contredit, le meilleur…. A notre avis, continue-t-il, il est de beaucoup supérieur à l’alfa, et présente même certains avantages sur le chiffon. » Avantages d’économie uniquement : plus loin (pp. 20 et 21), le même auteur — qui, d’une façon générale, se montre bien trop prodigue d’éloges envers la pâte de bois chimique, la « cellulose au bisulfite », — avoue que le papier de bois, même de bois chimique, « n’a pas la solidité du papier de pur chiffon », et « qu’il n’est jamais d’un blanc parfait…. En résumé, conclut-il, le bois chimique résoudrait victorieusement la question du papier sans chiffon, si l’on pouvait détruire complètement ses principes colorants et obtenir une blancheur irréprochable. » Comme correctif et mise au point, écoutons ces sages réflexions de M. G. d’Avenel (op. cit., pp. 39-40) : « … La pâte de bois a tout envahi. Les Norvégiens, qui en fournissent les éléments, prétendent que sa qualité est aussi bonne que celle de n’importe quelle autre fibre végétale : Le bois, dit Bjoness, n’est autre chose que du chiffon vierge. Les détracteurs du papier de bois se plaignent, au contraire, qu’il soit raide au toucher et manque de souplesse, ce qui le rend sujet à craquer et à se rompre ; qu’il contienne des taches noires ou brunes, disséminées à la surface, et aussi bon nombre de « bûches », — fibres en paquets mal désagrégées. Les imprimeurs affirment qu’il n’est pas « amoureux », c’est-à-dire que l’encre, mal retenue par lui, ne sèche pas assez rapidement. Personne n’est trompé cependant, puisque les gens du métier savent reconnaître la « pâte mécanique » à là seule inspection du papier, et disposent, s’ils conservent quelque doute, de réactifs à peu près infaillibles pour en déceler la présence. Seulement l’introduction de cette pâte dans le dosage est précisément le seul moyen d’abaisser la valeur marchande au niveau souhaité par l’acheteur. » ↩
- Archives de l’imprimerie, dans le Mémorial de la librairie française, 16 mars 1905, p. 142. ↩
- Ibid. ↩
- « A l’imprimerie de l’Université d’Oxford sont annexées toutes les industries auxiliaires auxquelles l’imprimeur doit recourir en général pour l’exercice de son art. Elle fabrique elle-même son papier, son encre, ses caractères, ses clichés, et possède même un atelier de photographie. Elle fait aussi la reliure. Le papier est fabriqué à environ trois kilomètres d’Oxford, dans le pittoresque village de Woolvercot. L’imprimerie y possède deux moulins, qui produisent une grande variété de papiers. La matière première qui y est employée de préférence est la vieille toile à voile. La grande gloire de la papeterie de Woolvercot, c’est le papier indien, dit d’Oxford…. » (Archives de l’imprimerie, loc. cit.) Il paraît qu’actuellement on fabrique en France, à Angoulême et près de Mantes, du papier indien, ou du moins un papier qui porte ce nom et ressemble plus ou moins à celui d’Oxford. ↩
- Archives de l’imprimerie, loc. cit. ↩
- Émile Leclerc, op. cit., p. 551. ↩
- Paul Charpentier, op. cit., p. 307. ↩
- Id., ibid. ↩
- Paul Charpentier, op. cit., p. 308. Cf. Louis Figuier, op. cit., pp. 211 et 302. ↩
- Numéro du 12 juillet 1900, p. 398. Voir aussi le numéro du 29 novembre 1900, p. 633. ↩
- Dans le Bulletin officiel des maitres imprimeurs de France, cité par le Mémorial de la librairie française, 4 janvier 1906, page 7. ↩
- C’est à peu près ce qu’a dit l’éminent administrateur de notre Bibliothèque nationale, M. Léopold Delisle, dans son discours d’ouverture du Congrès international des Bibliothécaires, tenu à Paris en 1900 : « C’est par milliers qu’il faut compter les volumes modernes que la mauvaise qualité du papier a voués fatalement à une mise hors d’usage dans un avenir plus ou moins rapproché. » (Courrier des bibliothèques, 28 février 1901, p. 52.) ↩
- « … Non seulement la matière principale du papier est moins bonne qu’autrefois, mais elle est encore altérée par le mélange de substances minérales qui le rendent moins durable. Certains livres du temps des Alde et des Estienne ont, après quatre siècles, gardé toute leur fraîcheur, tandis qu’aujourd’hui, dans des volumes qui n’ont pas cinquante ans de date, le papier se couvre de taches, se décompose et se déchire sous le moindre effort. Pour obtenir un papier aussi durable que beau, en vue de quelque publication d’élite, il faut consentir à le payer fort cher, et les fabricants, sans cesse excités, par une concurrence fiévreuse, à baisser les prix de leurs produits, ne fournissent plus que par exception aux imprimeurs des papiers dignes de rivaliser avec ceux que produisaient leurs confrères d’autrefois ». (É. Egger, Histoire du livre, pp. 170-171.) Cf. supra, p. 18, n. 2, ce que dit M. Gustave Mouravit : « … Les feuillets sortis de leurs presses (des anciens imprimeurs) se montrent tout brillants de jeunesse, à côté de nos impressions ternes, » etc. ↩
- Revue biblio-iconographique, dans l’Intermédiaire des chercheurs et curieux, 15 février 1900, col. 275-278. ↩
- Le Journal, 26 février 1903. Il n’y a cependant pas de raison, ainsi que le fait observer le Mémorial de la librairie française (8 juin 1905, page 313), « pour que la cellulose isolée de la fibre de bois ne se conserve pas comme celle du lin ou du coton ». Ce sont les procédés actuels d’extraction, d’isolement, qui altèrent et vicient cette cellulose. ↩
- Cosmos, Revue des sciences et de leurs applications, 15 septembre 1900. p. 320 ; et Revue biblio-iconographique, avril 1901, pp. 206-207. Voir également le Mémorial de la librairie française, 31 octobre 1901, page 604, dont l’article se termine par ces considérations : « … Le rapport de la commission anglaise propose, comme type normal de papier pour les livres, les chiffres suivants : fibres, pas moins de 70 pour 100 de fibres de lin ou de chanvre ; encollages, pas plus de 2 pour 100 de résine : l’acidité finale doit être celle de l’alun pur ; enfin, les matières minérales (cendres) ne doivent pas dépasser 10 pour 100. Il serait à désirer que les fabricants de papiers se conformassent à ces indications, car il est à craindre que les papiers fabriqués avec les procédés actuels soient de détérioration facile et de rapide désagrégation. Les livres ne sont point des produits appelés à disparaître peu après leur apparition ; ils doivent, au contraire, se perpétuer, pour apprendre aux générations futures l’état présent de notre culture intellectuelle. Les éditeurs d’ouvrages que nous appellerons scientifiques, par opposition aux œuvres populaires, doivent donc veiller à ce que leurs fabricants ne leur vendent que des papiers solides et résistants. » ↩
- Le journal le Temps, dans la Revue biblio-iconographique, juin 1903, p. 313. Au dire de J.-L.-A. Bailly (Notices historiques sur les bibliothèques anciennes et modernes, p. 63), le roi « Henri II, en 1556, d’après les insinuations de Raoul Spifame, rendit une ordonnance… enjoignant aux libraires [éditeurs et imprimeurs] de fournir aux bibliothèques royales un exemplaire, en vélin et relié, de tous les livres qu’ils imprimeraient par privilège ». Cette ordonnance fait partie du recueil des arrêtés, des dicæarchiæ, publié, en 1556, non par le véritable roi Henri II, mais par son ménechme ou sosie, ce si curieux et parfois si judicieux halluciné, qui avait nom Raoul Spifame. — Raoul Spifame, seigneur des Granges (….-1553), avocat au Parlement, ressemblait tellement à Henri II que ses confrères du barreau avaient coutume de l’appeler « Sire » et « Votre Majesté ». A force de s’entendre ainsi désigner, Spifame prit au sérieux cette royauté imaginaire et se permit d’adresser au premier président une remontrance qui valut au prétendu monarque sa destitution d’avocat. Cette monomanie des grandeurs devint telle que la famille de Spifame le fit interdire, puis enfermer à Bicêtre, d’où il s’échappa. Henri II, touché de cette inoffensive démence, et prenant en pitié son sosie : — « Qu’il ne déshonore pas pareille ressemblance, celui qui a l’honneur d’être fait à notre image ! » disait-il, — Henri II envoya Spifame dans un de ses châteaux, où il le fit garder par des serviteurs qui reçurent l’ordre de le traiter en véritable souverain et de lui donner les noms de Sire et de Majesté. Il put ainsi régenter et décréter tout à son aise et en toute sûreté. Le recueil des arrêts de ce roi postiche, contenant environ 300 pièces, a été imprimé sous le titre de Dicæarchiæ Henrici regis Christianissimi progymnasmata (1556, in-8), et divers historiens et jurisconsultes, des plus érudits même, comme Pierre-Jacques Brillon, comme Sainte-Marthe, l’ont, — par une singulière et bien drolatique confusion, — attribué au véritable Henri II. Parmi les idées de ce très remarquable fou, il en est de fort sages et de tout à fait pratiques, qui ont, après lui, fait victorieusement leur chemin dans le monde. Ainsi Spifame suppose, dans son livre, « que le parlement ordonne la fixation du commencement de l’année au 1er janvier ; le dépôt de tout ouvrage nouveau à la Bibliothèque du roi ; l’éclairage de Paris ; la suppression des justices seigneuriales ; la réunion des biens de l’Église au domaine ; la réduction du nombre des fêtes ; l’établissement de chambres du commerce ; des commissaires de police dans chaque quartier ; les abattoirs hors des villes ; l’unité des poids et mesures ; la conversion des cloches superflues en canons et en monnaie ; etc. » (Henri Martin, Histoire de France, t. IX, page 8, note 1.) Cf. aussi Michaud, Biographie universelle ; Larousse, op. cit. ; etc. Gérard de Nerval, dans ses Illuminés (pp. 1-20 ; Paris, Michel Lévy, 1868), a consacré tout un chapitre à Raoul Spifame, sous le titre « le Roi de Bicêtre ». ↩
- Illusions perdues, t. II, Ève et David, p. 349. (Paris, Michel Lévy, 1864.) ↩
Publié le 22 oct. 1906 par Albert Cim