III-V. Livres de luxe et bouquins

Le beau livre, le livre de luxe, a naturellement trouvé, de tout temps, des appréciateurs et des admirateurs[144.1] : on ne peut méconnaître, en effet, pour le simple usage même, pour la lecture ou l’étude, le très puissant attrait et toute l’importance que possède l’extérieur du livre : — un format commode, ni trop grand ni trop petit ; un caractère d’impression bien net et suffisamment gros, que l’œil perçoive aisément et suive sans fatigue ; un papier de bonne qualité, dont, notamment pour nos papiers d’aujourd’hui, la blancheur ne miroite pas et n’éblouisse pas le regard ; enfin une correction de texte irréprochable[145.1].

Nous avons vu ce que disait David Ancillon[146.1] : « Il est certain que moins les yeux ont de peine à lire un ouvrage, plus l’esprit a de liberté pour en juger ; comme on y voit plus clair, et qu’on en remarque mieux les grâces et les défauts lorsqu’il est imprimé que lorsqu’il est écrit à la main, on y voit aussi plus clair quand il est imprimé en beaux caractères et sur du beau papier, que quand il l’est sur du vilain et en mauvais carac­tères[146.2]. »

Et « notre bon Rollin » : « Une belle édition, qui frappe les yeux, gagne l’esprit, et, par cet attrait innocent, invite à l’étude[146.3] ». « Tous ceux qui aiment les livres comprendront cela », ajoute M. Mouravit[146.4].

Écoutez encore, du même sagace bibliographe, cette ingénieuse et concluante comparaison, où le livre mal imprimé et défectueux est assimilé au lecteur qui hésite, ânonne, se reprend et se fourvoie sans cesse :

« Qu’un lecteur malhabile entreprenne de vous lire une belle œuvre : si ses hésitations, ses intonations fausses, la rudesse de son organe, la gaucherie de son interprétation, brisent constamment vos efforts pour être attentif, et émoussent en vous, si l’on peut dire, le sentiment de la lecture, le plaisir que vous vous étiez promis ne deviendra-t-il pas un supplice ? et quel profit rapporterez-vous de ce labeur ? Ainsi en est-il d’un livre où les incorrections, l’imperfection du tirage, le peu d’élégance ou l’usure des caractères offensent le regard, lassent la patience et mettent à chaque instant le lecteur en défiance de l’exactitude du texte qu’il a sous les yeux. Avec quel plaisir, au contraire, — plaisir intime et charmant, — l’intelligence se laisse aller à suivre ces élégantes petites avenues, si gracieuses, si bien alignées, où le spectacle qui se déroule le long du chemin apparaît mille fois plus attrayant et sympathique ; avec quelle jouissance l’homme sérieux dévore ce volume, où l’exactitude scrupuleuse de la correction, l’égalité parfaite du tirage, le choix intelligent et délicat d’un type approprié à la nature de l’œuvre, viennent s’ajouter à la beauté des caractères, aux harmonieuses proportions du format et de la justification[148.1] ! »

C’est ce qui faisait dire à l’un des anciens historiens de l’imprimerie, à André Chevillier (1636-1700) : que « rien n’est plus agréable aux yeux » qu’un beau livre, et qu’ « on ne se lasse point de le regarder[148.2] ».

Et ce n’est pas seulement aux yeux, mais à la main, au toucher, qu’un beau livre est agréable : « Je deviendrais aveugle que j’aurais encore, je le crois, du plaisir à tenir dans mes mains un beau livre, s’est un jour écrié Silvestre de Sacy (1801-1887)[149.1]. Je sentirais du moins le velouté de sa reliure, et je m’imaginerais le voir. J’en ai tant vu ! »

« Il en est de la forme [et de l’aspect extérieur] des livres comme de la physionomie des personnes, a-t-on ingénieusement remarqué[149.2] : l’impression que l’une et l’autre produisent est favorable ou fâcheuse, indépendamment du mérite des individus et des ouvrages. »

Voici, d’autre part, en quels termes émus et précis, nettement et minutieusement circonstanciés, un de nos contemporains, que les merveilles du ciel ne sont pas seules à passionner, qui sait comprendre et admirer toutes les splendeurs, M. Camille Flammarion (1842-….), a décrit le bonheur de la bibliophilie :

« Prendre dans ses mains un beau livre, d’une édition soignée, agréable à lire au point de vue typographique, bien imprimé, larges marges, bon papier, reliure élégante, gravures de maîtres, pas trop lourd à la main, et regarder ce livre avant de le lire, le dos appuyé dans un fauteuil confortable, la lampe derrière soi, le parcourir, en prendre possession, et le lire ensuite à loisir en en savourant toutes les qualités de pensée et de style ; puis le retrouver plus tard sur les rayons d’une bibliothèque non fermée, accessible à tous les caprices de la main, en compagnie d’une quantité d’autres non moins hautement appréciés : c’est là un exquis plaisir de l’esprit, qui rend toujours trop brèves et trop fugitives les heures passées dans la bibliothèque. Oh ! que les livres sont de bons amis ! Nous les choisissons à notre goût[150.1], nous les consultons, ils nous sont fidèles, ils nous instruisent, nous éclairent, nous guident, nous consolent. C’est une société intellectuelle, intelligente, distinguée, de tous les temps, de tous les pays, que nous associons à notre esprit en nos heures de rêveries, de méditation et de repos[151.1]. »

Mais, à côté des luxueuses publications et des coûteuses raretés et merveilles de l’imprimerie, les volumes à bon marché, les humbles et pauvres livres, les « bouquins », pour les appeler par leur nom vulgaire[151.2], ont eu aussi leurs apologistes. Voici les belles et hautes considérations formulées à leur sujet par trois éminents bibliographes du siècle dernier, Hippolyte Rigault (1821-1858), Édouard Laboulaye (1811-1883) et le bibliophile Jacob (Paul Lacroix, 1807-1884) :

« Quoi de plus désirable que la passion des vieux livres ? dit Hippolyte Rigault[152.1]. Non des rares et des coûteux : celle-là, c’est le privilège des riches et des enrichis ; encore n’est-elle souvent qu’une passion factice et toute de vanité, une manière de donner à des millions un air intellectuel, chez les faux bibliophiles…. L’amour des vieux livres, humbles, mal reliés, qu’on achète pour peu de chose et qu’on revendrait pour rien, voilà la vraie passion, sincère, sans artifice, où n’entrent ni le calcul, ni l’affectation. C’est un bon sentiment que ce culte de l’esprit et ce respect touchant pour les monuments les plus délabrés de la pensée humaine ; c’est un bon sentiment que cette vénération pour ces livres d’autrefois qui ont connu nos pères, qui ont peut-être été leurs amis, leurs confidents. Voilà les sentiments qu’éveille dans le cœur l’amour des vieux volumes : aimable passion qui est plus qu’un plaisir, qui est presque une vertu…. On compte ses prisonniers avec un air vainqueur ; on les range un par un sur de modestes rayons ; ils seront aimés, choyés, dorlotés, malgré leur indigence, comme s’ils étaient vêtus d’or et de soie. »

Et Édouard Laboulaye[153.1] :

« … Ces livres splendides et curieux ne sont pas faits pour ceux qui lisent ; ils appartiennent, par le droit de l’argent, à ceux qui, de Boileau, n’ont retenu qu’un seul vers, qu’ils ont pratiqué toute leur vie :

Cinq et quatre font neuf ; ôtez deux, reste sept.

« Adieu donc, chefs-d’œuvre de Pasdeloup, de Derome, de Niedrée, de Duru, de Cape, de Bauzonnet, beaux livres que j’ai admirés, mais que je n’osais toucher, tant vous étiez brillants d’or et de soie ! A prendre les livrées de la fortune, vous voilà devenus volages et perfides comme elle. Que vous valez bien mieux sous une modeste couverture de basane ou de parchemin ! Vous n’êtes pas alors ces bijoux que convoite le riche, ces raretés que les amateurs couvrent d’or. Personne ne vous envie ; vous n’avez pas de prix sur le marché ; vous n’êtes que la voix de l’humanité, cette voix qui, au travers des siècles, amuse notre enfance, console et dirige notre âge mur, et, après nous avoir appris à bien vivre, nous aide à bien mourir…. Restez donc avec moi, pauvres livres de ma jeunesse, hirondelles blessées que j’ai recueillies sous mon toit. Vous n’en sortirez qu’après moi, pour retourner aux quais d’où je vous ai tirés ; vous y attendrez quelque maître aussi obscur, mais qui, lui aussi, vous aimera pour ce que lui diront ces pages que la lecture a fatiguées. Vous ne m’avez apporté ni la richesse, que je ne vous demandais pas, ni la gloire, qu’à vingt ans il était permis de rêver ; mais vous m’avez donné des amis fidèles et qui, chaque jour, me sont plus familiers et plus chers : un Cicéron, un Dante, un Shakespeare, un Milton, un Corneille, un Gœthe, belles et nobles figures, grands cœurs encore plus que grands esprits, maîtres toujours prêts à nous guider et à nous soutenir au milieu des défaillances et des épreuves de la vie, qui, en nous apprenant ce qu’ils ont souffert, nous apprennent aussi à haïr ce qu’ils ont maudit, à chérir ce qu’ils ont aimé, et nous enseignent enfin par leur exemple et leurs leçons que l’amour des Lettres n’est point un goût stérile, mais, sous un autre nom, l’amour même de la justice et de la vérité[154.1]. »

Quant au bibliophile Jacob, qui a tant écrit et tant fait pour l’amour des Lettres et l’amour des livres, voici l’apostrophe qu’il adresse aux vieux livres, aux bouquins, en quels termes émus il en parle[154.2] :

« Salut, vieux livres, quels que vous soyez, vous qui tapissez les parapets de la Seine, depuis la Grève jusqu’aux Tuileries, vous qui rivalisez avec les parfums du Marché aux Fleurs, vous qui changez de couleurs et de formes sous l’influence humide des brouillards de la rivière et sous les ardeurs du soleil de midi, vous qui passez sans cesse de mains en mains avant de trouver un père adoptif, vous qui reviendrez tôt ou tard à votre station en plein air, jusqu’à ce que vos ruines tombent pièce à pièce dans la hotte du chiffonnier ; salut, vieux livres, mes amis, mes consolateurs, mes plaisirs et mes espérances !

« Vieux livres, vous êtes la dernière passion de l’être intelligent ; le cœur qui a cessé de battre à tous les amours retrouve encore pour vous un battement, et le feu sacré de la bibliomanie ne meurt qu’avec le bibliomane ; l’âge n’a pas de glaces capables de refroidir cette passion, qui a ses excès comme les autres, et qui n’encourt pourtant aucune censure civile ou ecclésiastique. »

Les poètes ont, de leur côté, maintes fois célébré le contraste existant entre le dehors et le dedans du Livre, entre le volume luxueux mais insignifiant et vide, et le bouquin pauvre et minable mais riche d’art et d’enseignement. Ainsi Lamotte-Houdard (1672-1731), dans sa fable des Deux Livres :

Côte à côte sur une planche,
Deux Livres ensemble habitaient.
L’un neuf, en maroquin, et bien doré sur tranche,
L’autre en parchemin vieux que les vers grignotaient.
Le Livre neuf, tout fier de sa parure,
S’écriait : « Qu’on m’ôte d’ici !
Mon Dieu, qu’il pue la moisissure !
Le moyen de durer auprès de ce gueux-ci ?
Voyez la belle contenance
Qu’on me fait faire à côté du vilain !
Est-il œil qui ne s’en offense ?
— Eh ! de grâce, compère, un peu moins de dédain.
Lui dit le Livre vieux ; chacun a son mérite,
Et peut-être qu’on vous vaut bien.
Si vous me connaissiez à fond…. — Je vous en quitte.
Dit le Livre seigneur. — Un moment d’entretien,
Reprend son camarade. — Eh ! Non ; je n’entends rien.
— Souffrez du moins que je vous conte….
— Taisez-vous ; vous me faites honte.
Holà, mons du libraire, holà !
Pour votre honneur, retirez-moi de là ! »
Un marchand vient sur l’entrefaite,
Demande à voir des livres. Il en voit.
A l’aspect du bouquin, il l’admire et l’achète.
C’était un auteur rare, un oracle du droit.
Au seul titre de l’autre : « O la mauvaise emplette !
Dit le marchand, homme entendu.
Que faites-vous de ce poète
Extravagant ensemble et morfondu ?
C’est bien du maroquin perdu. »

Reconnaissez-les bien ; faut-il qu’on vous les nomme,
Ceux dont en ces vers il s’agit ?
Du sage mal vêtu le grand seigneur rougit ;
Et cependant l’un est un homme,
L’autre n’est souvent qu’un habit[156.1].

 

M. François Fertiault (1814-….), qui a consacré au Livre deux importants et artistiques recueils de sonnets, « sonnets d’un bibliophile », — les Amoureux du livre et les Légendes du livre, — oppose aussi, très justement et finement, dans les deux pièces suivantes, dédiées « A certains bibliomanes », l’extérieur du livre à l’intérieur, la beauté physique à la beauté morale, le corps à l’âme :

Le livre

I
Au dehors

De loin vous en flairez l’arôme avant-coureur ;
Vous contemplez, ravi, sa date reculée ;
Vous caressez du doigt sa marge immaculée,
Et de sa rareté vous prônez la valeur.

Vous en aimez la tranche à la vive couleur,
La nervure du dos ou svelte ou potelée,
La robe au blanc satin d’un filet dentelée,
Le noir chagrin brodé par le fer du doreur.

Oui, vous vous pâmez d’aise, admirateurs austères,
Aux délinéaments de ses purs caractères ;
De tout choc destructeur vous savez l’abriter ;

Le couteau curieux n’y glisse point sa lame….
Quels grands bonheurs le Livre à vos yeux fait goûter !
Vous en aimez le corps, — et, moi, j’en aime l’âme :

 

II
Au dedans

L’âme, — ce que le Livre envoie à notre esprit ;
Ce que, dans ses feuillets, en legs cher et suprême,
Un lumineux cerveau nous laissa de lui-même ;
Conseils qu’un ami mort chaque jour nous écrit ;

Fluide que l’auteur en inspiré surprit
A l’heure où du génie il reçut le baptême,
Et que, pour nous toucher, nous, ses enfants qu’il aime,
Il fixa dans son texte où sa voix nous sourit.

C’est cet éclair, ce feu, ce rayon qu’on sent vivre,
Qu’il me plaît de nommer l’âme, l’âme du Livre,
Et c’est ce que j’y bois pour me désaltérer :

Leçons de mes penseurs, hymnes de mes poètes,
J’ai tout ce qui me fait aimer, croire, espérer,
Dans ces pages du cœur… qui pour vous sont muettes[158.1].

 

C’est à M. Fertiault, le sonnettiste bibliophile renommé, qu’Alexandre Piedagnel (1831-1903), un autre poète, pareillement doublé d’un bibliophile, adressait, en 1876, ces gracieux quatrains :

Le livre

Vous allez donc parler de lui,
De cet ami vraiment fidèle,
Qui du cœur sait chasser l’ennui,
Donnant toujours fête nouvelle ?

Vous nous direz son vif esprit,
Exempt de morgue et d’hyperbole ;
Comme on le cultive avec fruit,
Comme il charme, comme il console.

Ah ! l’aimable et franc compagnon,
Sous bois, en juin ; puis, dans la chambre,
— Porte close au souci grognon, —
Devant un feu clair, en décembre !

On peut le prendre — ou le laisser,
Dédaignant sa verve brillante :
Nul ne risque de l’offenser,
Tant son humeur est bienveillante.

Ami sincère et sans apprêt,
Parfois même il se plaît à rire ;
Conseiller sûr et toujours prêt,
Chacun l’interroge — et l’admire.

De modeste toile vêtu,
Ou couvert de fine dorure,
Il rend au malade abattu
L’espoir qui soudain transfigure.

En vain les hivers passeront,
Détruisant palais et tonnelle ;
Nos enfants le retrouveront,
Plein d’une jeunesse éternelle.

Du causeur cher à nos loisirs,
Racontez la grâce et la gloire !
On lui doit tant de doux plaisirs,
Qu’il faut retracer son histoire.

Ce thème est sage et ravissant :
Célébrez l’attrait du bon Livre ;
Il en sera reconnaissant, —
Et vous voilà bien sûr de vivre[159.1] !

 

Les volumes d’écolier et autres « bouquins » ont aussi fort bien inspiré un poète contemporain, M. Jacques Normand (1848-….), qui nous dit, dans une pièce de ses Visions sincères, intitulée les Livres[160.1] :

Enfin là-haut, très haut, et loin
De toute atteinte sacrilège,
Timides dans leur petit coin,
Les bons vieux livres de collège,

Humbles livres trop feuilletés
Jadis, aujourd’hui peu solides,
· · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · · ·

Oh ! comme ils sont moins exigeants
Que les amis de race humaine !
Pauvres bouquins trop indulgents,
On les bouscule, on les malmène…

On les fête en leur nouveauté ;
Puis, vite, bien vite, on les laisse
Attendre, dans l’oisiveté,
Les jours sombres de la vieillesse ;

On les prête à des étrangers
Qui les déchirent, les éventrent…
Ils rentrent, après maints dangers,
Dans leur bercail… quand ils y rentrent !

Qu’importe ? Ils ne se plaignent point,
Et, dès qu’il nous plaît de les lire,
Nous retrouvons toujours à point
Leur cher et familier sourire…

Confidents discrets et soumis,
Logés, vêtus à notre envie,
Les livres sont de vrais amis
Qui nous suivent toute la vie.

[II.160.144]
  1.  Il a aussi trouvé parfois, à différentes époques, des dénigreurs et contempteurs. Aux premiers siècles de l’Église, saint Jérôme (331-420) condamnait les dépenses faites pour l’ornementation des livres : « On teint les parchemins en pourpre, dit-il, on les couvre de lettres d’or, on revêt les livres de pierres précieuses, et les pauvres meurent de froid à la porte du temple : Gemmis codices vestiuntur, et nudus ante fores emoritur Christus. » (Ap. Géraud, Essai sur les livres dans l’antiquité, p. 138.) Plus tard, les disciples de saint Bernard (1091-1153), les austères religieux de Cîteaux, blâmaient sans relâche leurs confrères et rivaux, les bénédictins de Cluny, d’enluminer et adorner les manuscrits, et il y avait même un des statuts de leur règle qui leur défendait d’employer, dans la confection des manuscrits, l’or, l’argent et même les vignettes. (Cf. Lecoy de la Marche, les Manuscrits et la Miniature, pp. 163-164 ; et Géraud, op. cit., p. 53.) « Nombre de petites communautés de Cîteaux ont laissé corrompre et pourrir de beaux manuscrits, ou en ont donné les feuilles à leurs cuisiniers pour mettre sous la pâte, envelopper leur tabac, ou vendre aux épiciers et beurriers. » (Dom Guiton, ancien bibliothécaire de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, 1744. ap. Fertiault, les Légendes du livre, p. 200.) « Nous lisons, au contraire, dans la Vie de saint Boniface, apôtre de l’Allemagne, que, parmi les livres qu’il fit venir d’Angleterre, se trouvaient les Épitres de saint Paul écrites en lettres d’or. Le même saint priait une abbesse copiste de transcrire pour lui les Épîtres de saint Pierre avec de l’encre d’or, et cela par respect pour les Saintes Écritures. » (Géraud, op. cit., pp. 53-54.)  ↩
[II.161.145]
  1.  « La correction, la plus belle parure des livres. » (G.-A. Crapelet, Études pratiques et littéraire sur la typographie, p. 20.) Le célèbre imprimeur vénitien Alde Manuce disait qu’il voudrait racheter d’un écu d’or toute faute pouvant se rencontrer dans ses livres : « … Sic tamen doleo, ut, si possem, mutarem singula errata nummo aureo ». (Ap. Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, col. 647.) Une légende rapporte « que Robert Estienne exposait des épreuves devant sa maison, voisine du Collège de Beauvais et des Écoles du Droit Canon (e regione Scholæ Decretorum) situées rue Saint-Jean-de-Beauvais, et qu’il donnait une récompense aux écoliers qui y découvraient des fautes. Si ce moyen a été employé par Robert Estienne, il n’a pu lui sauver que des incorrections très légères, car ce savant imprimeur avait lu et relu ses épreuves avant de les exposer, et les écoliers n’étaient pas de force à découvrir des fautes graves après la lecture d’un homme aussi habile et aussi exercé dans ce genre de travail. D’ailleurs, le fait en lui-même, qui n’est rapporté que comme un on-dit par Jans. Almeloveen dans sa Dissertatio de Vitis Stephanorum, me paraît fort douteux, » etc. (G.-A. Crapelet, op. cit., pp. 213-214.) Et lord Byron à son imprimeur Murray : « Je me soucie moins que vous ne pourriez croire du succès de mes ouvrages, mais la moindre faute de typographie me tue…. Corrigez donc, si vous ne voulez me forcer à me couper la gorge. » (Ap. Id., op. cit., p. 304.) Ambroise Firmin-Didot (op. cit., col. 618) dit très justement, en parlant des coquilles, que « ces erreurs et transpositions de lettres blessent encore plus l’œil typographique qu’une note fausse ne blesse une oreille musicale ».  ↩
[II.162.146]
  1.  Cf. supra, t. I. p. 146.  ↩
  2.  Ap. Bayle, Dictionnaire historique et critique, art. Ancillon, t. II, p. 70. (Paris, Desoer, 1820.)  ↩
  3.  Ap. Mouravit, le Livre et la Petite Bibliothèque d’amateur, p. 159.  ↩
  4.  Ibid. Voici un exemple qui confirme l’assertion du « bon Rollin » : « Un de nos illustres contemporains, grand ami des livres, se plaît, en montrant sa riche bibliothèque, à déclarer qu’il étudie avec plus de facilité dans un bel exemplaire, et qu’il choisit toujours pour cela celui dont le papier est le plus ferme au toucher et la justification typographique la plus agréable à l’œil. Nous sommes tout à fait de son avis : il sort d’un beau livre une sérénité calme, une heureuse harmonie, qui rendent attrayants les plus graves travaux. En vérité, c’est une chose très désirable, dans un livre, que la bonne condition ; elle annonce presque toujours d’ailleurs la bonne édition, dont la recherche indique un nouveau genre de préférences, plus sérieuses que les préférences artistiques. » (Antony Méray, les Diverses Façons d’aimer les livres : Annuaire du Bibliophile, 1861, p. 150 ; Paris, Meugnot 1861.) Remarquons cependant que « les beaux livres » ne sont pas et ne peuvent pas être des instruments de travail. M. Henri Beraldi (cité par Mme Renée Pingrenon, la Vénération du livre, Revue biblio-iconographique, février 1904, pp. 88-89) dit à ce sujet : « … Vous n’êtes pas sans posséder probablement quelques plats ou quelques assiettes de vieille faïence ? — Oui, certes, comme tout le monde aujourd’hui. — Mangez-vous dedans ? — Par exemple ! Pour les casser ! Je les accroche aux murs comme ornement, et je les regarde. — Eh bien ! cher monsieur, il en est de même des livres. Pour lire, je prends des volumes Charpentier et Hachette (2 fr. 75). Mais les livres rares ne sont pas des instruments de travail, ce sont des objets de curiosité précieux, faits pour être manipulés modérément et avec précaution, tout comme une porcelaine de Chine. »  ↩

[II.164.148]
  1.  Op. cit., pp. 162-163. La justification, c’est-à-dire « la longueur des lignes ». (Littré, Dictionnaire.)  ↩
  2.  C’est à propos du Corps du Droit civil, avec les commentaires d’Accurse, imprimé à Paris, en 1576, en cinq volumes in-folio, que Chevillier témoignait cet enthousiasme, enthousiasme qu’il explique, d’ailleurs, et justifie par la description détaillée, et en quelque sorte technique, de l’ouvrage en question : « … Livre où l’on voit, dans une même page, un très grand travail, toutes sortes de bons caractères gros et menus, une bonne encre, le rouge mêlé agréablement avec le noir, le grec bien formé, cinq ou six colonnes d’impression, les lignes bien droites, les mots bien assemblés, une bonne correction, enfin une feuille chargée de différents caractères, et le tout sans confusion. C’est, à mon avis, un chef-d’œuvre de l’art, et ce que j’ai vu, en matière d’imprimerie, de plus accompli, et de plus agréable aux yeux. On ne se lasse point de regarder ce livre quand on l’a en grand papier, » etc. (André Chevillier, l’Origine de l’Imprimerie de Paris, p. 60. Paris, Jean de Laulne, 1694.) Cf. aussi, sur cet ouvrage, ce « chef-d’œuvre de l’art », imprimé par Olivier Harsy, Ambroise Firmin-Didot, op. cit., col. 789.  ↩
[II.165.149]
  1.  Variétés littéraires, t. I, p. 250, Catalogue de la bibliothèque de feu J.-J. de Bure.  ↩
  2.  M. de L** (sic), ap. Fertiault, les Amoureux du livre, p. 309.  ↩
[II.166.150]
  1.  « Les livres sont des amis, de bons amis, que nous choisissons à notre gré, » etc. : voir, à propos de cette comparaison, notre tome I page 217, note 2 ; et infra, pages 154, 158 et s., citations d’Édouard Laboulaye, d’Alexandre Piedagnel et de Jacques Normand.  ↩
[II.167.151]
  1.  Camille Flammarion, Stella, pp. 408-409.  ↩
  2.  « Bouquin : livre ancien, livre d’occasion. Diminutif ironique de l’allemand buch (prononcez bouc). Se prend indifféremment en bonne et en mauvaise part. » (Lorédan Larchey, ap. Fertiault, les Amoureux du livre, p. 243.) « Saint-Ange. Ce serait une honte si, après avoir tant parlé de bouquin, je laissois eschapper l’occasion d’apprendre de toy pourquoi on appelle ainsi les vieux livres. — Mascurat. J’ai autrefois observé, estant à Basle, que les Allemands appellent un livre Buc ou Bouc, comme quelques-uns prononcent ; et d’autant que les plus anciens livres imprimés nous sont venus d’Allemagne, où l’impression fut trouvée…. cela a esté cause que les François voulant parler d’un vieil livre ont dit que c’estoit un Buc ou Bouquin, comme qui diroit un de ces vieux livres d’Allemagne, qui ne sont plus bons qu’à faire des fusées. » (Gabriel Naudé, ap. Mouravit, op. cit., p. 393.) « Les bouquins, ce sont les sans-culottes des bibliothèques ! » s’écriait Grégoire, dans son rapport sur les bibliothèques, en 1794. « Les bouquins, disait-il encore, oui, dans les bibliothèques, ce sera comme dans la société ! On n’appréciera que les sottises bien habillées, les fadaises nobiliaires et autres, couvertes en maroquin, dorées sur tranche, tandis qu’on méconnaîtra ces pauvres livres modestes, dont les services pourtant compensent bien le misérable costume ; » etc. (Eugène Despois, le Vandalisme révolutionnaire, chap. xvi, p. 212.)  ↩
[II.168.152]
  1.  Ap. Mouravit, op. cit., pp. 170-172.  ↩
[II.169.153]
  1.  Études morales et politiques. Sur un catalogue, pp. 385-386. (Paris, Charpentier, 1871 ; 5e édit.)  ↩
[II.170.154]
  1.  C’est aussi ce que nous avons dit dans notre préface, en traçant le plan de notre ouvrage : cf. t. I, pp. i et ii ↩
  2.  Ma République, A propos de ma République, pp. 9-10. (Paris, Delahays, s. d.)  ↩

[II.172.156]
  1.  Lamotte-Houdard, Fables, les Deux Livres. (L’abbé Aubert et Lamotte-Houdard, Fables choisies, pp. 194-196. Paris, Masson et Yonet, 1828.)  ↩

[II.174.158]
  1.  Fertiault, les Amoureux du livre, pp. 6 et 7.  ↩
[II.175.159]
  1.  Ap. Fertiault, op. cit., pp. xxviii-xxix ↩
[II.176.160]
  1.  Pages 33-37.  ↩

Publié le 22 oct. 1905 par Albert Cim