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III-II. Premières lectures

On connaît la force, la vitalité, la persistante influence des impressions reçues durant l’enfance et au seuil de la jeunesse. Au point de vue qui nous occupe, au point de vue des livres et de la lecture, l’existence entière peut se ressentir de ces premières fréquentations intellectuelles et de ces premières manifestations du goût[021.1]. Aussi nous a-t-il paru intéressant de relever quelques-uns de ces témoignages.

Tout d’abord, comment lit-on à treize, quatorze ou quinze ans, voire à dix-huit, vingt ou vingt-cinq ? Comment, à ces âges, apprécie-t-on un livre, et quel fruit peut-on, d’ordinaire, retirer de ses lectures ?

« Quand on est jeune, a très justement écrit le bibliographe Alfred de Martonne (1820-….)[022.1], on n’a nul souci de la forme du livre ; qu’il soit beau ou laid, bien ou mal relié, peu importe. On se moque des éditions rares, des textes curieux, des livres de prix. On ne s’occupe que de l’idée et surtout du sentiment. On n’a cure que de ce qui plaît au cœur, et touche et émeut. Foin de l’esprit et des belles dorures ! Il n’y a pas de bibliophile de vingt ans. Quand on est jeune, on ne sait pas relire un livre. A peine sait-on le lire. On le dévore, et, pour bien juger un livre, il faut le relire et à différentes époques de sa vie. Il y a, comme cela, des livres qui sont un thermomètre de l’esprit ou plutôt du cœur. »

« Il n’y a pas de bibliophile de vingt ans » : voilà, en effet, une vérité quasi absolue, une sorte d’axiome. A vingt ans, le sentiment prime le raisonnement, prime tout. On a hâte de tout voir, de tout connaître, de tout lire, de tout feuilleter plutôt ; ceux-là sont rares qui, à cet âge heureux, relisent sans y être contraints, soit par un besoin du cœur, soit par manque de livres nouveaux, de livres non encore lus ou par­courus[023.1].

Nous verrons du reste plus loin, en parlant des livres anciens et des livres nouveaux[023.2], que les jeunes lecteurs n’aiment guère remonter au delà de leur époque et se plaisent surtout avec leurs contemporains.

L’évêque d’Avranches Huet (1630-1721), « l’homme qui a peut-être le plus lu[023.3] », éprouva, dès sa petite enfance, cette ardente passion qu’il manifesta toute sa vie pour les livres et pour la lecture. « L’amour de l’étude prévint en lui, écrit son biographe, l’abbé d’Olivet[023.4], ne disons pas tout à fait la raison, puisque nous ignorons quand elle commence, mais au moins l’usage de la parole. « A peine, dit-il[023.5], avais-je quitté la mamelle, que je portais envie à ceux que je voyais lire. »

Voici quelques-uns des curieux détails que l’évêque Huet nous donne, dans ses Mémoires, sur ses premières lectures et son irrésistible penchant pour les livres et les Lettres :

« … Devenu plus grand, quoique encore très enfant, je fus mis aux Jésuites du collège de Mont-Royal, à Caen. J’y étudiai cinq ans les Belles-Lettres et trois ans la philosophie. Mais si, peut-être charmés de mon goût pour les Belles-Lettres, les Pères ne m’eussent vivement poussé, encouragé, soutenu, tout ce qu’il pouvait y avoir de bon en moi eût été détruit par les mauvais exemples que j’avais à la maison. Car, comme ma passion pour les Lettres excitait l’envie de mes cousins, ils ne négligeaient rien de ce qu’ils croyaient pouvoir troubler mes études. Ils me volaient mes livres, déchiraient mes cahiers, les trempaient dans l’eau ou les frottaient de suif afin qu’il me fût impossible d’y écrire. Ils fermaient les portes de notre chambre, de peur que, tandis qu’ils joueraient, je ne m’y cachasse avec un livre, ainsi qu’ils m’avaient surpris plusieurs fois à la campagne, pendant les vacances d’automne. Regardant comme un crime de toucher seulement à un livre, ils exigeaient qu’on passât les journées entières à jouer, à chasser, ou à se promener. Pour moi, porté vers des plaisirs d’un autre genre, je m’esquivais au lever du soleil, et comme ils dormaient encore ; puis, m’enfonçant dans les bois, je m’arrêtais à l’endroit le plus sombre et le plus commode pour lire et étudier, à l’abri de leurs regards. De leur côté, après m’avoir longtemps cherché, traqué, cerné, ils m’expulsaient de mon gîte, soit en me jetant des pierres ou des mottes de terre mouillée, soit en me lançant de l’eau avec un tube à travers les branches. Mais autant leur envie et leur méchanceté opposaient d’obstacles à mes efforts, autant ces mêmes efforts se développaient, se soutenaient par le désir infini d’apprendre, que la nature m’avait inspiré. Tel est même l’empire que cette passion a exercé sur moi dès ma naissance, que, si prêt d’ailleurs à céder à d’autres la gloire dans les Lettres, je ne le cède à personne en amour constant, incroyable pour elles ; j’ai le droit, je pense, et je le déclare franchement, de revendiquer ce genre de mérite : il est un des principaux bienfaits que Dieu m’a si libéralement répartis ; c’est grâce à mon assiduité à l’étude, à mes nobles soucis, que je n’ai point eu de peine à me préserver des excès de l’adolescence et des vices de la jeunesse, quoique j’y aie été depuis trop souvent entraîné par les courants d’une nature impétueuse et par la fougue d’un caractère rebelle et singulièrement éveillé.

« De ce goût imperturbable pour les Lettres et de l’étude continuelle des choses qui en sont l’objet, je conclus que, parmi une foule d’autres avantages que j’y ai acquis, je dois faire état principalement de celui-ci, à savoir : que je n’ai jamais senti ce dégoût de la vie ni cet ennui des hommes et des choses, dont, en général, on a coutume de se plaindre plus que de raison, et que la plus grande de toutes mes pertes ayant toujours été le temps, j’ai toujours aussi tâché de la réparer à force de diligence et d’opiniâtreté dans le travail[026.1]. Je me souviens que, ayant à peine quitté la mamelle, et ne sachant pas même encore mes lettres, s’il m’arrivait d’entendre quelqu’un lire un conte, je portais une envie extrême à cette personne-là, me figurant mille plaisirs, du moment que je pourrais de moi-même, et sans l’aide d’autrui, lire et m’amuser comme elle. Plus tard, ayant su le faire, mais n’ayant point encore appris à écrire, si je voyais quelqu’un ouvrir et lire une lettre, je pensais combien il me serait agréable de communiquer et de causer de même avec un camarade[027.1]. »

Et plus loin[027.2] :

« Mon but principal était d’acheter des livres…. J’accourus donc bien vite à Paris et plus vite encore chez les libraires. Mais l’argent que j’avais destiné à m’approvisionner dans leurs boutiques fut bientôt épuisé…. Tout l’argent que j’avais pu ramasser, en le dérobant à mes autres plaisirs, les libraires de la rue Saint-Jacques me l’enlevaient jusqu’au dernier sou. D’où il advint que, durant toute cette époque de ma jeunesse, mon escarcelle, presque toujours vide, ne logeait que des araignées. Au contraire, ma bibliothèque était si bien remplie, qu’elle n’avait pas son égale dans tout le pays, ni pour le choix, ni pour le nombre des livres. Ce choix consistait dans les écrivains de l’antiquité, qu’avant tout j’avais voulu posséder. D’ailleurs, je n’attachais pas la moindre importance à la reliure, qu’elle fût en parchemin ou en maroquin ; je laissais ce luxe aux publicains et aux banquiers. Plus tard, quand je pus me rendre la justice de n’avoir point amassé tant de livres par une vaine ostentation, mais uniquement pour en faire usage, je me souciai peu de les entretenir propres. Si je trouvais, en les lisant, quelque chose qui valût la peine d’être noté, soit pour la correction du texte, soit pour l’éclaircissement des passages, je le notais à la marge. Une pensée toutefois m’obsédait : ce travail de tant d’années, me disais-je, cette masse de volumes rassemblés à si grands frais pour le plaisir ou l’aliment de mon esprit, seront dispersés un jour[028.1], ou retourneront dans les boutiques des libraires, ou tomberont dans les mains des sots. Cette idée m’épouvantait, et, pour empêcher qu’elle ne se réalisât, je pris une mesure dont il sera parlé dans la suite[029.1]. »

Ne quittons pas l’évêque Huet sans rappeler l’influence qu’eurent, sur son caractère et sa santé, sa vie studieuse et sédentaire, son absorbante et exclusive passion pour les livres et la lecture[030.1].

« … Puisque j’ai commencé de donner l’histoire de mes études, j’ajouterai ceci, que je suis plein de reconnaissance pour la grâce singulière que j’ai reçue de Dieu, ayant été formé par lui de telle sorte, que, non seulement pendant que j’étais jeune et vigoureux, mais encore depuis que je suis affaibli par l’âge, je n’ai jamais senti la moindre fatigue de mes lectures continuelles, de mon existence sédentaire, et du prolongement de mes veilles. Jamais je ne succombai à l’ennui ; jamais la pâleur de l’oisiveté ne flétrit mon visage ; je quittais mes livres toujours frais et dispos, même après six ou sept heures de contention d’esprit. Souvent même alors j’étais gai et chantais à moi et aux Muses, contrairement à la plupart qui quittent le travail tristes et épuisés. Il me paraît donc que la race des médecins ne fait pas preuve d’un grand jugement, lorsqu’elle pose en principe général que les forces du corps s’affaiblissent dans l’inaction, se nourrissent et se fortifient par le mouvement. Combien ai-je connu d’hommes de lettres qui arrivèrent avec une santé ferme jusqu’à la dernière vieillesse ! Je voyais souvent, étant jeune, le docte Jacques Sirmond, alors presque centenaire, mais dont le corps était sain, quoiqu’il ne lui donnât point d’exercice. Je le trouvais, pour ainsi dire, couché parmi ses livres, rarement sorti, et ne prenant de relâche (si l’on peut employer ce mot dans le cas dont il s’agit) que ce qu’en exigeaient ses entretiens avec ses amis sur des matières sérieuses et de littérature. Combien ai-je vu de vieillards décrépits, mais en bonne santé, suivre le barreau, ou passer leurs jours dans la pieuse, uniforme et constante tranquillité du cloître ! Combien d’artisans dont la vie est recluse ! Au contraire, que de laboureurs, de chasseurs, de voyageurs, d’hommes de cheval, de maîtres d’armes, de maîtres de danse et autres, dont les professions exigent du mouvement, qui, fatigués, usés avant le temps par un exercice continuel, livrent à la vieillesse un corps infirme et impotent[031.1] ! »

Au début de ses Confessions[031.2], Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) évoque en ces termes les ineffaçables souvenirs de ses premières lectures, faites à Genève, en compagnie de son père : « Je ne sais comment j’appris à lire ; je ne me souviens que de mes premières lectures et de leur effet sur moi : c’est le temps d’où je date sans interruption la conscience de moi-même. Ma mère avait laissé des romans ; nous nous mîmes à les lire après souper, mon père et moi. Il n’était question d’abord que de m’exercer à la lecture par des livres amusants ; mais bientôt l’intérêt devint si vif, que nous lisions tour à tour sans relâche, et passions les nuits à cette occupation. Nous ne pouvions jamais quitter qu’à la fin du volume. Quelquefois mon père, entendant le matin les hirondelles, disait, tout honteux : « Allons nous coucher; je suis plus enfant que toi »…. Plutarque surtout devint ma lecture favorite. Le plaisir que je prenais à le relire sans cesse me guérit un peu des romans ; » etc.

Dès son bas âge, Mme Roland (1754-1793) témoigna le goût le plus vif pour la lecture. Ainsi que son maître Rousseau, elle ne sait non plus comment elle apprit à lire :

« Vive sans être bruyante, et naturellement recueillie, je ne demandais qu’à m’occuper, écrit-elle dans ses Mémoires[032.1], et saisissais avec promptitude les idées qui m’étaient présentées. Cette disposition fut mise tellement à profit que je ne me suis jamais souvenue d’avoir appris à lire ; j’ai ouï dire que c’était chose faite à quatre ans, et que la peine de m’enseigner s’était, pour ainsi dire, terminée à cette époque, parce que, dès lors, il n’avait plus été besoin que de ne pas me laisser manquer de livres. Quels que fussent ceux qu’on me donnait ou dont je pouvais m’emparer, ils m’absorbaient tout entière, et l’on ne pouvait plus me distraire que par des bouquets. La vue d’une fleur caresse mon imagination et flatte mes sens à un point inexprimable ; elle réveille avec volupté le sentiment de l’existence. Sous le tranquille abri du toit paternel, j’étais heureuse dès l’enfance avec des fleurs et des livres : dans l’étroite enceinte d’une prison, au milieu des fers imposés par la tyrannie la plus révoltante, j’oublie l’injustice des hommes, leurs sottises et mes maux, avec des livres et des fleurs[033.1]….

« Avec les livres élémentaires dont on avait soin de me fournir, j’épuisai bientôt ceux de la petite bibliothèque de la maison. Je dévorais tout, et je recommençais les mêmes lorsque j’en manquais de nouveaux. Je me souviens de deux in-folio de Vies des Saints, d’une Bible de même format en vieux langage, d’une ancienne traduction des Guerres civiles d’Appien, d’un Théâtre de la Turquie en mauvais style, que j’ai relus bien des fois. Je trouvai ainsi le Roman comique de Scarron et quelques recueils de prétendus bons mots, que je ne relus pas deux fois ; les Mémoires du brave de Pontis, qui m’amusaient, et ceux de Mlle de Montpensier, dont j’aimais assez la fierté, et quelques autres vieilleries, dont je vois encore la forme, le contenu et les taches. La rage d’apprendre me possédait tellement, qu’ayant déterré un Traité de l’Art héraldique, je me mis à l’étudier ; il y avait des planches coloriées qui me divertissaient, et j’aimais à savoir comme on appelait toutes ces petites figures : bientôt j’étonnai mon père de ma science en lui faisant des observations sur un cachet composé contre les règles de l’art ; je devins son oracle en cette matière, et je ne le trompais point. Un petit Traité des Contrats me tomba sous la main ; je tentai aussi de l’apprendre, car je ne lisais rien que je n’eusse l’ambition de le retenir ; mais il m’ennuya, je ne conduisis pas le volume au quatrième chapitre.

« La Bible m’attachait, et je revenais souvent à elle. Dans nos vieilles traductions, elle s’exprime aussi crûment que les médecins ; j’ai été frappée de certaines tournures naïves qui ne me sont jamais sorties de l’esprit. Cela me mettait sur la voie d’instructions que l’on ne donne guère aux petites filles ; mais elles se présentaient sous un jour qui n’avait rien de séduisant, et j’avais trop à penser pour m’arrêter à une chose toute matérielle qui ne me semblait pas aimable. Seulement je me prenais à rire quand ma grand’maman me parlait de petits enfants trouvés sous des feuilles de choux, et je disais que mon Ave Maria m’apprenait qu’ils sortaient d’ailleurs, sans m’inquiéter comment ils y étaient venus.

« J’avais découvert, en furetant par la maison, une source de lectures que je ménageai assez longtemps. Mon père tenait ce qu’on appelait son atelier tout près du lieu que j’habitais durant le jour ; c’était une pièce agréable, qu’on nommerait un salon et que ma modeste mère appelait la salle, proprement meublée, ornée de glaces et de quelques tableaux, dans laquelle je recevais mes leçons. Son enfoncement, d’un côté de la cheminée, avait permis de pratiquer un retranchement qu’on avait éclairé par une petite fenêtre ; là, était un lit si resserré dans l’espace que j’y montais toujours par le pied, une chaise, une petite table et quelques tablettes ; c’était mon asile. Au côté opposé, une grande chambre, dans laquelle mon père avait fait placer son établi, beaucoup d’objets de sculpture et ceux de son art, formait son atelier. Je m’y glissais le soir ou bien aux heures de la journée où il n’y avait personne ; j’y avais remarqué une cachette où l’un des jeunes gens mettait des livres. J’en prenais un à mesure ; j’allais le dévorer dans mon petit cabinet, ayant grand soin de le remettre aux heures convenables, sans en rien dire à personne. C’était, en général, de bons ouvrages. Je m’aperçus un jour que ma mère avait fait la même découverte que moi ; je reconnus dans ses mains un volume qui avait passé dans les miennes ; alors je ne me gênai plus, et, sans mentir, mais sans parler du passé, j’eus l’air d’avoir suivi sa trace. Le jeune homme qu’on appelait Coursou, auquel il joignit le de par la suite en se fourrant à Versailles instituteur des pages, ne ressemblait point à ses camarades ; il avait de la politesse, un tact décent, et cherchait de l’instruction. Il n’avait jamais rien dit non plus de la disparition momentanée de quelques volumes ; il semblait qu’il y eût entre nous trois une convention tacite.

« Je lus ainsi beaucoup de voyages que j’aimais passionnément, entre autres ceux de Renard, qui furent les premiers ; quelques théâtres des auteurs du second ordre, et le Plutarque de Dacier. Je goûtai ce dernier ouvrage plus qu’aucune chose que j’eusse encore vue, même d’histoires tendres qui me touchaient pourtant beaucoup, comme celle des époux malheureux de La Bédoyère, que j’ai présente, quoique je ne l’aie pas relue depuis cet âge. Mais Plutarque semblait être la véritable pâture qui me convînt. Je n’oublierai jamais le carême de 1763 (j’avais alors neuf ans), où je l’emportais à l’église en guise de Semaine sainte. C’est de ce moment que datent les impressions et les idées qui me rendaient républicaine, sans que je songeasse à le devenir[036.1].

« Télémaque et la Jérusalem délivrée vinrent un peu troubler ces traces majestueuses. Le tendre Fénelon émut mon cœur, et le Tasse alluma mon imagination. Quelquefois je lisais haut, à la demande de ma mère : ce que je n’aimais pas ; cela me sortait du recueillement qui faisait mes délices, et m’obligeait à ne pas aller si vite ; mais j’aurais plutôt avalé ma langue que de lire ainsi l’épisode de l’île de Calypso, et nombre de passages du Tasse. Ma respiration s’élevait, je sentais un feu subit couvrir mon visage, et ma voix altérée eût trahi mes agitations. J’étais Eucharis pour Télémaque, et Herminie pour Tancrède ; cependant, toute transformée en elles, je ne songeais pas encore à être moi-même quelque chose pour personne ; je ne faisais point de retour sur moi, je ne cherchais rien autour de moi ; j’étais elles et je ne voyais que les objets qui existaient pour elles ; c’était un rêve sans réveil….

« Ces ouvrages dont je viens de parler firent place à d’autres, et les impressions s’adoucirent ; quelques écrits de Voltaire me servirent de distraction. Un jour que je lisais Candide, ma mère s’étant levée d’une table où elle jouait au piquet, la dame qui faisait sa partie m’appela du coin de la chambre où j’étais et me pria de lui montrer le livre que je tenais. Elle s’adresse à ma mère qui rentrait dans l’appartement, et lui témoigne son étonnement de la lecture que je faisais ; ma mère, sans lui répondre, me dit purement et simplement de reporter le livre où je l’avais pris. Je regardai de bien mauvais œil cette petite dame, à figure revêche, grosse à pleine ceinture, grimaçant avec importance, et depuis oncques je n’ai jamais souri à Mme Charbonné. Mais ma bonne mère ne changea rien à son allure fort singulière, et me laissa lire ce que je trouvais, sans avoir l’air d’y regarder, quoiqu’en sachant fort bien ce que c’était. Au reste, jamais livre contre les mœurs ne s’est trouvé sous ma main ; aujourd’hui même je ne sais que les noms de deux ou trois, et le goût que j’ai acquis ne m’a point exposée à la moindre tentation de me les procurer.

« Mon père se plaisait à me faire de temps en temps le cadeau de quelques livres, puisque je les préférais à tout ; mais, comme il se piquait de seconder mes goûts sérieux, il me faisait des choix fort plaisants, quant aux convenances ; par exemple, il me donna le traité de Fénelon sur l’éducation des filles, et l’ouvrage de Locke sur celle des enfants ; de manière qu’on donnait à l’élève ce qui est destiné à diriger les instituteurs. Je crois pourtant que cela réussissait très bien, et que le hasard m’a servi mieux peut-être que n’auraient fait les combinaisons ordinaires. »

Le poète des Mois, Jean-Antoine Roucher (1745-I794), dit, de son côté, en s’adressant à son père[039.1] : « Je n’oublierai jamais ces jours de mon enfance, où, me menant avec vous dans des promenades solitaires, vous m’entreteniez du génie précoce de Pascal et du Tasse, et me faisiez lire la vie de ces deux grands hommes. Grâces à vous, mon cœur palpitait déjà au nom de la gloire. Je n’oublierai jamais qu’à ces premières lectures, vous fîtes bientôt succéder celles de Télémaque et de la Jérusalem délivrée. Quel charme je trouvais à ces deux ouvrages ! »

Benjamin Franklin (1706-1790), dans ses Mémoires, nous parle ainsi de ses premiers livres : « Dès mon enfance j’étais passionné pour la lecture, et j’employais à acheter des livres tout l’argent qui me venait dans les mains. J’étais très amateur de voyages. Ma première acquisition fut les Œuvres de Bunyan en petits volumes séparés. Je les revendis ensuite pour être à même d’acheter les Collections historiques de Burton. C’étaient de petits livres de colporteurs, à fort bon marché, formant en tout quarante volumes. La petite bibliothèque de mon père était presque toute composée d’ouvrages de polémique religieuse. Je les lus presque tous. J’ai souvent regretté que, à une époque où j’étais dévoré d’une telle soif de m’instruire, il ne me fût pas tombé sous la main des livres mieux appropriés à mes goûts, puisqu’il était décidé que je ne serais pas théologien. Parmi ces livres étaient les Vies de Plutarque : je les lus avec avidité…. Cette passion livresque détermina enfin mon père à faire de moi un imprimeur[040.1]…. »

Sur Stendhal (Henri Beyle, 1783-1842), M. Albert Collignon nous conte les détails suivants[040.2] : « Son père, qui allait souvent seul à la campagne, avait sa bibliothèque dans son domaine de Claix, à deux lieues de Grenoble. Cette bibliothèque était toujours fermée. Mais Henri ayant découvert le lieu où il mettait la clef, l’ouvrit quelquefois, et trouva moyen de s’emparer de la Nouvelle Héloïse et de Grandisson ; il lisait ces deux romans, les yeux pleins de larmes, dans un galetas, où il se livrait en toute sécurité à ce plaisir délicieux.

« Dès l’âge de dix ans, il avait en germe cette passion de lecture qui devint plus tard si ardente. Tous ses biographes s’accordent à lui reconnaître ce précoce et secret penchant pour les livres. Il les aimait d’autant plus qu’il fallait les lire en cachette et qu’il avait bien de la peine à les découvrir. Dès qu’il put sortir seul, un de ses premiers actes d’indépendance fut d’en acquérir pour lui-même, en toute propriété. Un louis d’or de vingt-quatre livres, lentement amassées, était toute sa fortune d’enfant. Il l’échangea contre les œuvres complètes de Florian, et il faut lire dans les souvenirs de son jeune camarade, M. R. Colomb, le récit des sensations délicieuses que leur firent éprouver la lecture d’Estelle, Galatée, Gonzalve, Numa ! etc. »

Dans ses Confidences[041.1], Lamartine (1790-1869) parle en termes aussi émus qu’émouvants de ses premières lectures : « … Mon père tient un livre dans la main. Il lit à haute voix. J’entends encore d’ici le son mâle, plein, nerveux et cependant flexible de cette voix qui roule en larges et sonores périodes, quelquefois interrompues par les coups du vent contre les fenêtres. Ma mère, la tête un peu penchée, écoute en rêvant. Moi, le visage tourné vers mon père et le bras appuyé sur un de ses genoux, je bois chaque parole, je devance chaque récit, je dévore le livre dont les pages se déroulent trop lentement au gré de mon impatiente imagination. Or quel est ce livre, ce premier livre dont la lecture, entendue ainsi à l’entrée de la vie, m’apprend réellement ce que c’est qu’un livre, et m’ouvre, pour ainsi dire, le monde de l’émotion, de l’amour et de la rêverie ?

« Ce livre, c’était la Jérusalem délivrée, la Jérusalem délivrée traduite par Lebrun…. Ainsi le Tasse, lu par mon père, écouté par ma mère avec des larmes dans les yeux, c’est le premier poète qui ait touché les fibres de mon imagination et de mon cœur. Aussi fait-il partie pour moi de la famille universelle et immortelle que chacun de nous se choisit dans tous les pays et dans tous les siècles, pour s’en faire la parenté de son âme et la société de ses pensées[042.1].

« J’ai gardé précieusement les deux volumes ; je les ai sauvés de toutes les vicissitudes que les changements de résidence, les morts, les successions, les partages apportent dans les bibliothèques de famille. De temps en temps, à Milly, dans la même chambre, quand j’y reviens seul, je les rouvre pieusement ; je relis quelques-unes de ces mêmes strophes à demi-voix, en essayant de me feindre à moi-même la voix de mon père, et en m’imaginant que ma mère est là encore avec mes sœurs, qui écoute et qui ferme les yeux. Je retrouve la même émotion dans les vers du Tasse, les mêmes bruits du vent dans les arbres, les mêmes pétillements des ceps dans le foyer ; mais la voix de mon père n’y est plus, mais ma mère a laissé le canapé vide, mais les deux berceaux se sont changés en deux tombeaux qui verdissent sur des collines étrangères ! Et tout cela finit toujours pour moi par quelques larmes dont je mouille le livre en le refermant….

« Le goût de la lecture m’avait pris de bonne heure. On avait peine à me trouver assez de livres appropriés à mon âge pour alimenter ma curiosité. Ces livres d’enfants ne me suffisaient déjà plus ; je regardais avec envie les volumes rangés sur quelques planches dans un petit cabinet du salon. Mais ma mère modérait chez moi cette impatience de connaître ; elle ne me livrait que peu à peu les livres, et avec intelligence. La Bible abrégée et épurée, les Fables de La Fontaine, qui me paraissaient à la fois puériles, fausses et cruelles, et que je ne pus jamais apprendre par cœur[043.1], les ouvrages de Mme de Genlis, ceux de Berquin, des morceaux de Fénelon et de Bernardin de Saint-Pierre, qui me ravissaient dès ce temps-là, la Jérusalem délivrée, Robinson, quelques tragédies de Voltaire, surtout Mérope, lue par mon père à la veillée : c’est là que je puisais, comme la plante dans le sol, les premiers sucs nourriciers de ma jeune intelligence….

« … Outre ces livres instructifs vers la lecture desquels mon père dirigeait sans affectation ma curiosité, j’en avais d’autres que je lisais seul. Je n’avais pas tardé à découvrir l’existence des cabinets de lecture à Mâcon où on louait des livres aux habitants des campagnes voisines. Ces livres, que j’allais chercher le dimanche, étaient devenus pour moi la source inépuisable de solitaires délectations. J’avais entendu les titres de ces ouvrages retentir au collège, dans les entretiens des jeunes gens plus avancés en âge et en instruction que moi. Je me faisais un véritable Éden imaginaire de ce monde des idées, des poèmes et des romans qui nous étaient interdits par la juste sévérité de nos études.

« Le moment où cet Éden me fut ouvert, où j’entrai pour la première fois dans une bibliothèque circulante, où je pus à mon gré étendre la main sur tous ces fruits mûrs, verts ou corrompus de l’arbre de science, me donna le vertige. Je me crus introduit dans le trésor de l’esprit humain….

« … Je dévorais toutes les poésies et tous les romans dans lesquels l’amour s’élève à la hauteur d’un sentiment, au pathétique de la passion, à l’idéal d’un culte éthéré. Mme de Staël, Mme Cottin, Mme Flahaut, Richardson, l’abbé Prévost, les romans allemands d’Auguste Lafontaine, ce Gessner prosaïque de la bourgeoisie, fournirent, pendant des mois entiers, de délicieuses scènes toutes faites au drame intérieur de mon imagination de seize ans…. Je vivais de ces mille vies qui passaient, qui brillaient et qui s’évanouissaient successivement devant moi, en tournant les innombrables pages de ces volumes plus enivrants que les feuilles de pavots….

« Mais ce qui me passionnait par-dessus tout, c’étaient les poètes, ces poètes qu’on nous avait, avec raison, interdits pendant nos mâles études, comme des enchantements dangereux qui dégoûtent du réel en versant à pleins flots la coupe des illusions sur les lèvres des enfants.

« Parmi ces poètes, ceux que je feuilletais de préférence n’étaient pas alors les anciens, dont nous avions, trop jeunes, arrosé les pages classiques de nos sueurs et de nos larmes d’écolier. Il s’en exhalait, quand je rouvrais leurs pages, je ne sais quelle odeur de prison, d’ennui et de contrainte, qui me les faisait refermer, comme le captif délivré qui n’aime pas à revoir ses chaînes ; mais c’étaient ceux qui ne s’inscrivent pas dans le catalogue des livres d’étude, les poètes modernes, italiens, anglais, allemands, français, dont la chair et le sang sont notre sang et notre chair à nous-mêmes, qui sentent, qui pensent, qui aiment, qui chantent, comme nous pensons, comme nous chantons, comme nous aimons, nous hommes des nouveaux jours : le Tasse, Dante, Pétrarque, Shakespeare, Milton, Chateaubriand, qui chantait alors comme eux, Ossian surtout…. »

Nous avons vu[046.1] que Henri Heine (1797-1856), aimait Don Quichotte « jusqu’aux larmes ». C’était le premier livre qu’il avait lu après avoir appris à prononcer assez couramment ses lettres, dès l’éveil de son intelligence. « Je me souviens très exactement, écrit-il[046.2], du jour où je quittai la maison à la dérobée et m’enfuis au jardin de la cour pour lire Don Quichotte sans être dérangé. C’était un beau jour du mois de mai ; le rossignol chantait doucement les louanges du printemps, qui l’écoutait tranquille et souriant aux premiers feux du matin…. Je m’assis sur un banc de pierre couvert de mousse, dans l’allée des Soupirs, et je réjouis mon petit cœur des grandes aventures du hardi chevalier…. Et je n’oublierai jamais le jour où je lus le tragique duel dans lequel mon chevalier devait tomber si tristement. C’était par une sombre journée ; de vilains nuages couraient dans le ciel gris, les feuilles jaunies tombaient des arbres, les rossignols ne chantaient plus depuis longtemps, — et mon cœur se brisa lorsque je lus comment le noble chevalier gisait à terre, tout étourdi et meurtri, et comment, sans relever sa visière, et comme s’il parlait du fond de la tombe, il dit au vainqueur, d’une voix faible et épuisée : « Dulcinée est la plus belle dame du monde, et moi le plus malheureux chevalier de la terre ; mais il est contraire à l’honneur que, par faiblesse, je consente à nier cette vérité : frappe donc avec ta lance, chevalier ! »

Et le vainqueur, ce fier et superbe paladin dont l’écu porte l’éblouissante image de l’astre de Diane, ce chevalier de la Blanche-Lune qui fait mordre la poussière à Rossinante et à son noble et héroïque maître, n’est, en réalité, qu’un petit bachelier de village[047.1]…. « Je ne connaissais pas encore l’ironie que Dieu a mise dans le monde, » ajoute Heine, qui s’est bien rattrapé depuis et amplement dédommagé de cette ignorance première.

Silvio Pellico (1789-1854), le prisonnier du Spielberg, évoque ainsi, dans un de ses poèmes[047.2], le souvenir de ses jeunes années et de ses premières lectures :

« Où est ma jeunesse ? que sont devenues les heureuses années de l’amour sur les bords du Rhône ? où est le temps où je revenais aux doux pénates de la famille, et ma fenêtre ouverte au souffle tempéré du vent des Alpes ? où sont ces glorieux poètes qui, à Milan, me couronnaient du laurier des Muses ? où est la gloire, où sont les applaudissements qui accueillaient mon nom sur la scène ? et maintenant où sont mes dix années dans les fers ?

« De retour dans ma patrie, après avoir été enseveli vivant dans une nuit si profonde, je me replongeai dans la douceur de ces tendres affections, que le malheur n’avait pu interrompre ; je payai d’abord le tribut de mes prières et de mes larmes aux êtres si chers que le trépas m’avait ravis, puis je retournai aux œuvres immortelles qui jadis avaient été le charme et l’amour de mes veilles.

« Et souvent ma main tremblante se pose sur ces livres poudreux, et je crois, en les ouvrant, renaître aux jours studieux de ma jeunesse, et alors mes larmes coulent. Je retrouve les marques laissées par moi dans ces livres, à la page où je m’arrêtai sur une pensée profonde, à celle où j’ajoutai aux sublimes idées d’un auteur préféré le commentaire de l’erreur ou celui de la vérité.

« Maintenant c’est avec d’autres impressions que je vous regarde, ô livres autrefois tant aimés ! Je suis encore un poète, mais je ne saurais plus me prosterner en idolâtre même devant un Homère ; si je soupire encore en feuilletant les poèmes des maîtres, ce n’est plus la magie de leurs grandes pensées qui m’enchante. Plus d’un livre m’est cher, et cependant en lui c’est lui rarement que je cherche : je me cherche moi-même. »

Dans ses Lettres d’un Voyageur[049.1], George Sand (1804-1876) a, elle aussi, consacré une très poétique page au souvenir de ses lectures d’enfance : « Un livre a toujours été pour moi un ami, un conseil, un consolateur éloquent et calme…. Oh ! quel est celui d’entre nous qui ne se rappelle avec amour les premiers ouvrages qu’il a dévorés ou savourés ! La couverture d’un bouquin poudreux, que vous retrouvez sur les rayons d’une armoire oubliée, ne vous a-t-elle jamais retracé les gracieux tableaux de vos jeunes années ? N’avez-vous pas cru voir surgir devant vous la grande prairie baignée des rouges clartés du soir, lorsque vous le lûtes pour la première fois, le vieil ormeau et la haie qui vous abritèrent, et le fossé dont le revers vous servit de lit de repos et de table de travail, tandis que la grive chantait la retraite à ses compagnes, et que le pipeau du vacher se perdait dans l’éloignement ? Oh ! que la nuit tombait vite sur ces pages divines ! que le crépuscule faisait cruellement flotter les caractères sur la feuille pâlissante ! C’en est fait, les agneaux bêlent, les brebis sont arrivées à l’étable, le grillon prend possession des chaumes de la plaine. Les formes des arbres s’effacent dans le vague de l’air, comme tout à l’heure les caractères sur le livre. Il faut partir ; le chemin est pierreux, l’écluse est étroite et glissante, la côte est rude ; vous êtes couvert de sueur, mais vous aurez beau faire, vous arriverez trop tard, le souper sera commencé. C’est en vain que le vieux domestique qui vous aime aura retardé le coup de cloche autant que possible ; vous aurez l’humiliation d’entrer le dernier, et la grand’mère, inexorable sur l’étiquette, même au fond de ses terres, vous fera, d’une voix douce et triste, un reproche bien léger, bien tendre, qui vous sera plus sensible qu’un châtiment sévère. Mais quand elle vous demandera, le soir, la confession de votre journée, et que vous aurez avoué, en rougissant, que vous vous êtes oublié à lire dans un pré, et que vous aurez été sommé de montrer le livre, après quelque hésitation et une grande crainte de le voir confisqué sans l’avoir fini, vous tirerez en tremblant de votre poche, quoi ? Estelle et Némorin, ou Robinson Crusoé ! Oh ! alors la grand’mère sourit. Rassurez-vous, votre trésor vous sera rendu ; mais il ne faudra pas désormais oublier l’heure du souper. Heureux temps ! ô ma Vallée noire ! ô Corinne ! ô Bernardin de Saint-Pierre ! ô l’Iliade ! Ô Millevoye ! ô Atala ! ô les saules de la rivière ! ô ma jeunesse écoulée ! ô mon vieux chien qui n’oubliait pas l’heure du souper, et qui répondait au son lointain de la cloche par un douloureux hurlement de regret et de gourmandise ! »

Citons encore ces éloquentes et évocatrices réminiscences de Charles Delon (1839-1900), dans son Histoire d’un livre[051.1] : « O mes promenades errantes, mes libres lectures à travers bois ! O mes chers livres, mes amis et mes compagnons ! Le bon plaisir, si vous saviez, les douces heures ! Ce sont là mes meilleurs souvenirs de ce temps (de mon enfance). Et comme je me les rappelle ! Il me semble que je vois encore l’étroit sentier le long des blés, les chemins creux remplis d’ombre fraîche ; l’arbre au pied duquel j’étais quand je lus telle phrase qui me frappa, me fit comprendre tant de choses que je n’avais jamais comprises ; la pierre moussue où j’étais assis quand je lisais cette page qui m’enchanta tellement que je la relus cinq fois de suite, et que je la sais encore tout entière par cœur aujourd’hui…. »

[II.037.021]
  1.  Cf. t. I, p. 244, ce que dit Lamartine de la prédilection de Bossuet pour Horace : « … Peut-être aussi cette inexplicable prédilection pour le moins divin de tous les poètes tenait-elle à ce que la poésie avait apparu à Bossuet enfant pour la première fois dans les pages de ce poète. Cette ravissante apparition s’était prolongée et changée en reconnaissance dans son âme…. » (Lamartine, Lectures pour tous, Vie de Bossuet, pp. 420-421 ; Paris, Hachette, 1860.) Notons aussi, pour mémoire, un article fantaisiste de Jules Vallès, — influence exercée sur les jeunes esprits par Robinson Crusoé, les contes de fées, les histoires d’aventures, par Walter Scott, lord Byron, Alfred de Musset, Murger, Balzac, etc., — intitulé les Victimes du livre, dans le volume les Réfractaires, pp. 159-184. (Paris, Charpentier, 1881.)  ↩
[II.038.022]
  1.  Ap. Fertiault, les Amoureux du livre, p. 252.  ↩
[II.039.023]
  1.  Rappelons ici le mot du critique d’art Ernest Chesneau (la Chimère, p. 9) : « On ne commence à savoir lire qu’après la sortie du collège », déjà cité dans notre tome I, page 190, notes, où se trouve aussi une anecdote de Tallemant des Réaux, relative à notre sujet.  ↩
  2.  Chap. vi, p. 162.  ↩
  3.  Cf. supra, t. I, p. 150.  ↩
  4.  Éloge historique de Huet, en tête des Mémoires de Daniel Huet, trad. Charles Nisard, p. iii. (Paris, Hachette, 1853.)  ↩
  5.  Cf. infra, p. 26.  ↩
[II.042.026]
  1.  Voici ce que nous dit encore Huet (op. cit., p. 175) sur les moyens qu’il employait pour consacrer le plus de temps possible à la lecture : « … J’espérais néanmoins parer à ces inconvénients, à force de diligence et d’économie de temps ; aussi pris-je la résolution de ne pas laisser perdre une minute, pas même celles qui sont perdues pour tout le monde, comme le temps qu’on passe en voyage, au lit, avant de s’endormir et lorsqu’on vient de s’éveiller, en s’habillant et en se déshabillant. Des enfants me servaient alors de lecteurs, et, parmi mes domestiques, je ne souffrais pas qu’un seul fût illettré. Souvent encore, une fois ma leçon donnée au Dauphin, j’accourais à Paris le soir et même la nuit close ; puis, après avoir employé une grande partie de la nuit à feuilleter les livres de ma bibliothèque, à faire des recherches et des extraits, je revenais à mon poste. Ce travail dura dix ans. Cependant il me fallait conformer ma vie à la vie agitée de la cour, changer de résidence à chaque instant, courir les routes et n’être jamais dans la même place. Que le lecteur, s’il est ami des Lettres et de l’étude, se figure combien il est facile pour l’esprit, au milieu de ces allées et venues continuelles et de ces agitations du jour et de la nuit, de s’appliquer aux méditations qui sont le fruit de la tranquillité ! »  ↩
[II.043.027]
  1.  Huet, op. cit., pp. 9-10.  ↩
  2.  Op. cit., p. 37.  ↩
[II.044.028]
  1.  Les mésaventures arrivées à la bibliothèque de Jacques de Thou avaient fortement donné à réfléchir à Huet. Voici ce qu’il écrit à ce propos (op. cit., pp. 234-235) : « J’étais en bons termes avec de Thou depuis quelques années. Il vint chez moi, l’air triste et se plaignant fort de la difficulté des temps. Bref, il me demanda si je croyais pouvoir persuader au roi d’acheter sa bibliothèque pour le Dauphin. « Elle n’est pas, me dit-il, absolument indigne de cette haute destination, soit à cause du choix des livres, soit à cause de leur nombre et de leur beauté. » Je lui promis que la proposition en serait faite au roi et à Colbert. Ce qui eut lieu, mais sans succès. Le roi répondit qu’il avait une bibliothèque assez considérable, dont le Dauphin pouvait faire usage. De Thou, frustré de son espoir, chercha d’autres acheteurs ; mais il les trouva froids ou marchandeurs, et sa bibliothèque resta invendue jusqu’à sa mort. Alors (je le dis à la honte de la littérature) elle fut offerte par les héritiers à si bas prix, que les ouvrages qui la composaient et dont la reliure seule, ainsi que de Thou me l’avait affirmé, avait coûté cent mille livres, ne furent pas même vendus le tiers de cette somme. J’en achetai quelques-uns qui font aujourd’hui l’ornement principal de ma bibliothèque. Je n’en déplore pas moins la dispersion d’un si magnifique trésor littéraire et l’insuffisance des précautions qu’avait prises Jacques de Thou pour la conserver. J’appris par là quel serait, à coup sûr, le sort de ma bibliothèque, si je ne me mettais aussitôt en mesure de le prévenir (1691). Cette pensée étant l’objet de ma préoccupation constante, il me parut que le meilleur moyen de la conserver à toujours dans son intégrité était de la donner à quelque solide établissement religieux où les Lettres fussent particulièrement cultivées, d’abord afin d’en pouvoir jouir ma vie durant, ensuite afin qu’après ma mort elle ne soit ni divisée ni confondue avec d’autres, ni échangée en partie, ni transportée ailleurs que là où elle était, sous prétexte d’en rendre l’accès plus facile à ceux qui lisent et qui étudient, ou pour tout autre motif. S’il en était autrement, la donation serait nulle, et mes héritiers ou leurs descendants rentreraient dans leurs droits. Et, pour perpétuer la mémoire de ces conditions, je les fis graver en lettres capitales sur une tablette de marbre, qui, placée dans un endroit élevé et bien apparent de la bibliothèque, attirait immédiatement les regards. Elles furent acceptées par les Jésuites de la maison professe de Paris, à qui je la donnai, et par le révérend père général. L’acte en fut passé devant notaire. »  ↩
[II.045.029]
  1.  Cette mesure, comme on vient de le voir dans la note précédente, et comme il a été dit dans notre tome I, page 153, consista à léguer cette vaste bibliothèque aux Jésuites de la rue Saint-Antoine, où demeurait et où est mort Huet, et où se trouvait la maison professe de cet ordre. Huet, qui tenait avant tout à ce que ses livres ne fussent pas dispersés, avait introduit dans son testament une clause portant que, dans le cas où la Société de Jésus « cesserait d’exister en France, ses héritiers à lui pourraient réclamer cette partie de la succession ». Après la suppression des Jésuites (1762-1764), « le legs fut déclaré nul juridiquement, et la bibliothèque fit retour aux héritiers du prélat par un arrêt du Conseil de juillet 1763. Elle a passé depuis en masse dans la Bibliothèque du Roi ». (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. II, p. 168, n. 1.)  ↩
[II.046.030]
  1.  Cf. supra, t. I, pp. 150-151, ce que dit à ce sujet l’abbé d’Olivet.  ↩
[II.047.031]
  1.  Huet, op. cit., pp. 25-26.  ↩
  2.  Partie I, livre I. (Tome V, pp. 315-316. Paris, Hachette, 1864. 8 vol. in-16.)  ↩
[II.048.032]
  1.  Tome III, pp. 11-12, et 23-29. (Paris, Bibliothèque nationale, 1869.)  ↩
[II.049.033]
  1.  Cf. supra, t. I, pp. 12 et 141, le portrait de « l’homme heureux », tracé par Cicéron : Si hortum in bibliotheca habes, deerit nihil : « Pour peu que nous ayons un jardin à côté de notre bibliothèque, — c’est-à-dire des fleurs et des livres, — il ne manquera rien à notre bonheur. »  ↩
[II.052.036]
  1.  Nous avons vu, dans notre tome I, l’affection particulière et l’enthousiasme témoignés en faveur de Plutarque par Henri IV, par Montaigne, Vauvenargues, Alfieri, etc. Donnons encore ici quelques topiques appréciations du grand historien et moraliste de l’antiquité. « Plutarque, c’est vraiment l’Encyclopédie des anciens. » (Grimm, ap. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VII, p. 314.) « Plutarque est le Walter Scott de l’antiquité. » (Michelet, Bible de l’Humanité, p. 186.) « Plutarque est le plus curieux des répertoires. C’est une de ces ruches de réserve où presque tout le miel de l’antiquité a été déposé. Ce qui a paru de plus grand dans l’esprit humain s’y montre à nos yeux, et ce que les hommes ont fait de meilleur nous y sert d’exemple. La sagesse antique est là tout entière. Plutarque a été le bréviaire de toutes les grandes âmes du xvie siècle, le siècle qui en a le plus compté. » (Bardoux, le Magasin pittoresque, février 1887, p. 42.)  ↩
[II.055.039]
  1.  Les Mois, poème en douze chants, Dédicace, t. I, sans pagination. (Paris, Quillian, 1770.)  ↩
[II.056.040]
  1.  Benjamin Franklin, Autobiographie, trad. Éd. Laboulaye, pp. 9-10. (Paris, Hachette, 1887.)  ↩
  2.  L’Art et la Vie de Stendhal, pp. 55-56. (Paris, Germer-Baillière, 1868.)  ↩
[II.057.041]
  1.  Livre III, iv, pp. 52-53 ; livre IV, vii, p. 73 ; livre VI, v, pp. 112-115. (Paris, Michel Lévy, 1855.)  ↩
[II.058.042]
  1.  C’est ce que Sénèque a dit, dans son traité De la Brièveté de la Vie, xv (cf. supra, t. I, p. 15) : « Nul n’a eu le privilège de se choisir ses aïeux, dit-on tous les jours ; c’est le sort qui les donne. On se trompe : l’homme peut désigner à qui il devra sa naissance. Il va des familles de nobles génies : à laquelle veux-tu appartenir ? Choisis, et non seulement son nom, mais ses richesses seront les tiennes. »  ↩
[II.059.043]
  1.  Sur la sévérité de Lamartine à l’égard de La Fontaine, cf. supra, t. I, pp. 244-246.  ↩
[II.062.046]
  1.  Tome I, page 281.  ↩
  2.  Reisebilder, ap. Louis Ducros, Henri Heine et son temps, p. 45. (Paris, Didot, 1886.) Cf. aussi le Magasin pittoresque, février 1887, p. 63.  ↩
[II.063.047]
  1.  Cervantès, Don Quichotte, seconde partie, chap. lxiv et lxv, trad. Louis Viardot, t. II, pp. 450 et suiv.  ↩
  2.  Silvio Pellico, Poésies, Appendice à « Mes Prisons » : Œuvres de Silvio Pellico, trad. Antoine de Latour, pp. 303-304. (Paris, Charpentier, 1864.)  ↩
[II.065.049]
  1.  Pages 205-206. (Paris, Michel Lévy, 1863)  ↩
[II.067.051]
  1.  Page 16. (Paris, Hachette, 1898; 6e édit.)  ↩

Publié le 22 oct. 1905 par Albert Cim