II-I. Prédilections particulières pour certains livres et certains auteurs

Thucydide (471-401 av. J.-C.), assistant, à l’âge de quinze ans, à une lecture qu’Hérodote faisait de ses Histoires devant le peuple d’Athènes, fut tellement frappé de la beauté du style, qu’il entra dans une espèce de transport et d’enthousiasme, et versa des larmes de joie[225.1].

Démosthène (381-322 av. J.-C.) faisait tant de cas de l’Histoire de Thucydide, qu’il la copia « jusqu’à huit fois de sa belle écri­ture[225.2] », pour mieux se pénétrer du style de cet historien.

Alexandre le Grand (356-323 av. J.-C.) avait un tel culte pour Homère, qu’il portait toujours l’Iliade avec lui, et, en se couchant, la mettait sous son chevet avec son épée. Après la défaite de Darius, on trouva, parmi les dépouilles de ce prince, une cassette d’un très beau travail et de très grande valeur ; on la porta à Alexandre, qui aussitôt y renferma l’Iliade en disant : « Il est naturel que l’ouvrage le plus parfait de l’esprit humain soit renfermé dans la cassette la plus précieuse du monde[226.1] ». Traversant un jour le Sigée et voyant le tombeau d’Achille : « O fortuné héros, s’écria-t-il, d’avoir eu un Homère pour chanter tes victoires ! »

Scipion l’Africain (235-183 av. J.-C.) et Lucullus (115-47 av. J.-C.) faisaient leurs délices des ouvrages de Xénophon.

Cicéron (106-43 av. J.-C.) regardait Démosthène comme le plus grand de tous les orateurs dans tous les genres. Un jour qu’on lui demandait quel était le plus beau discours de Démosthène, il répondit : « Le plus long ». Outre Démosthène, Cicéron avait une prédilection marquée pour Aristote, Platon et Théophraste.

Marcus Brutus (86-42 av. J.-C.), l’assassin de César, lisait sans relâche l’Histoire de Polybe, et il en fit un abrégé pour son usage personnel.

Virgile (70-19 av. J.-C.) avait un tel culte pour Homère, qu’on le surnommait l’Homérique. Il suffit d’ailleurs de lire Virgile pour reconnaître en lui un admirateur d’Homère.

L’empereur romain Adrien (70-138), par esprit de contradiction et amour du paradoxe, autant que par mauvais goût, affectait de préférer Antimaque à Homère, Ennius à Virgile, Cœlius Antipater à Salluste[227.1], etc.

L’empereur romain Tacite (200-275) avait une estime particulière pour les ouvrages de Tacite, dont il se faisait gloire de descendre. Il honora la mémoire de ce grand historien en ordonnant de placer sa statue dans les bibliothèques publiques, et d’effectuer, chaque année, aux dépens du fisc, dix nouvelles copies de ses livres. Malheureusement le règne de ce prince fut de très courte durée, de six mois seulement, et ses ordres ne purent être mis à exécution suffisamment longtemps pour nous conserver en entier les écrits de Tacite.

L’empereur romain Julien dit l’Apostat (331-363) était enthousiaste d’Homère et du « divin » Platon.

Théodoric Ier (-451), roi des Visigoths d’Espagne, avait un goût particulier pour Virgile.

Charlemagne (742-814) aimait beaucoup la Cité de Dieu de saint Augustin. Parlant du goût de Charlemagne pour les Lettres, Gabriel Naudé, dans son Addition à l’histoire de Louis XI, dit[228.1] : « Son Homère était le livre de saint Augustin, la Cité de Dieu, qu’il se faisait lire pendant son dîner, et mettre sous son chevet lorsqu’il allait dormir ».

Alfred le Grand, roi d’Angleterre (849-900), avait pour les fables d’Ésope une estime particulière, et il les traduisit en vers saxons.

Louis IX, roi de France (1215-1270), faisait des Psaumes de David sa lecture ordinaire.

Pour Pétrarque (1304-1374), comme nous l’avons vu[228.2], « Cicéron est un homme unique, une voix unique, un génie unique ». Il ne l’adore pas tout à fait comme un Dieu, mais « il l’admire et le vénère comme un homme d’un génie divin ».

Théodore Gaza ou Gazès, de Thessalonique, célèbre grammairien grec (1398-1478), disait que si tous les livres des anciens étaient dans le feu, il en tirerait de préférence Plutarque.

Louis XII, roi de France (1462-1515), faisait, dit Gabriel Naudé[228.3], « un grand estat des Commentaires de César » et du traité Des devoirs de Cicéron.

André Navagero (en latin Naugerius), homme politique et littérateur italien (1483-1529), avait un goût très vif pour Catulle. Son affection pour cet auteur lui avait fait prendre en haine les épigrammes de Martial, à tel point qu’ayant fondé chez lui une fête annuelle en l’honneur des Muses, il ne manquait jamais, durant cette solennité, de sacrifier aux mânes et à la mémoire de Catulle un exemplaire de Martial. D’autres prétendent qu’il faisait ce sacrifice le jour de sa naissance, et que, ramassant tout ce qu’il pouvait rencontrer d’exemplaires de Martial dans la ville de Venise, il les brûlait ce jour-[229.1]. On a attribué ces mêmes faits à l’érudit Marc-Antoine Muret (1526-1585), qui était également passionné pour Catulle.

Antoine Duprat, cardinal et chancelier de France (1463-1535), aimait tellement les écrits de Rabelais, qu’il lui était impossible de s’en passer, et que, dans tous ses voyages, partout, il avait toujours son Rabelais sur lui.

Un autre cardinal, Jean du Bellay (1492-1560), n’avait pas une passion moins vive pour les récits du curé de Meudon. Il alla même, raconte-t-on, jusqu’à refuser d’admettre à sa table un savant de grande réputation, parce que ce savant n’avait pas lu le livre : ainsi appelait-on alors l’œuvre de Rabelais[230.1].

Jules-César Scaliger (1484-1558) assurait qu’il aimerait mieux avoir fait la troisième ode du quatrième livre d’Horace : Quem tu, Melpomene, semel, etc., que d’être roi d’Aragon[230.2].

Charles-Quint (1500-1558) faisait de Thucydide « le compagnon de toutes ses entreprises ». Il lisait aussi avec passion les Mémoires de Commines.

Le maréchal de France Pierre Strozzi (1500-1558) « avait pris pour sa part » les Commentaires de César[230.3].

Mélanchthon (1497-1560) bornait toute sa bibliothèque à quatre auteurs dont les noms commencent par la même lettre : Platon, Pline, Plutarque et Ptolémée[231.1].

L’amiral de Coligny (1517-1572) faisait, dans sa jeunesse, sa lecture habituelle des Éléments d’Euclide et des Vies des hommes illustres de Plutarque.

Le poète Jean Dorat ou Daurat (1508-1588) admirait tellement certaine épigramme d’Ausone (la 107e : In puerum formosum), qu’il prétendait qu’un démon en était l’auteur.

Le célèbre jurisconsulte Cujas (1520-1590) disait des ouvrages de Paul de Castro, professeur de droit, mort à Florence en 1437 : Qui non habet Paulum de Castro tunicam vendat et emat. Ce mot a été appliqué depuis à l’ouvrage de Domat (1625-1696), Des lois civiles dans leur ordre naturel.

Montaigne (1533-1592) aimait Boccace, Rabelais et Jean Second. Il estimait les Géorgiques de Virgile « le plus accompli ouvrage de la poésie ». Lucrèce, Catulle et Horace lui semblaient être, avec Virgile, les quatre meilleurs poètes latins. Il affectionnait aussi particulièrement Lucain et Térence, Plutarque « depuis qu’il est Français », Sénèque, Cicéron, surtout dans ses ouvrages de philosophie morale et dans ses lettres à Atticus (bien que, ajoute-t-il, — et c’est là une des erreurs de goût de Montaigne, — « sa façon d’escrire me semble en­nuyeuse[232.1] »), Diogène Laërce, César et Salluste.

Le poète Passerat (1534-1602) mettait, en tête de ses auteurs favoris, Properce, Catulle et Tibulle.

Le savant Juste Lipse (1547-1606) goûtait tellement Tacite qu’il l’avait appris par cœur en entier. On raconte qu’il fit un jour le pari de réciter de mémoire tous les endroits des ouvrages de cet historien qu’on lui désignerait, consentant à être poignardé s’il venait à se tromper ou à se trouver à quia. Il est à remarquer cependant que le célèbre philologue ne donne aucune place à Tacite dans la déclaration suivante : « Je n’admire que trois hommes, Homère, Hippocrate et Aristote. Ce sont les seuls, à mon avis, qui ont porté l’humanité au delà de ses forces et de sa sphère natu­relle[232.2]. »

Comme l’amiral de Coligny, Henri IV (1553-1610) avait, dans sa jeunesse, un goût particulier pour les Éléments d’Euclide et les Vies de Plutarque[232.3].

Le chancelier François Bacon (1561-1626) disait, que « les livres ne sont que des répétitions…. Fouillez les Grecs, les Romains, les Arabes et tous les auteurs modernes : vous ne verrez partout qu’Aristote, Platon, Euclide et Plolémée. »

Malherbe (1555-1628) comptait parmi ses préférés Stace, Sénèque le Tragique, Juvénal, Ovide, Martial, et surtout Horace, qu’il appelait son bréviaire.

Richelieu (1585-1642) faisait de l’Argenis[233.1], du romancier anglais Jean Barclay, son livre favori. Il plaçait en tête des savants de son époque Saumaise, Grotius et Jérôme Bignon. Par une singulière hyperbole, il comparait aux quatre éléments quatre écrivains de son temps, qu’il regardait comme les meilleurs : le cardinal de Bérulle, comparé au feu pour son élévation ; le cardinal Duperron, à la mer pour son étendue ; le Père Coeffeteau, à l’air pour sa vaste capacité ; et Du Vair, à la terre pour l’abondance et la variété de ses productions. Ces quatre prétendus éléments sont bien déchus et bien oubliés maintenant, et l’on voit, ajoute Peignot[233.2] que les goûts littéraires de Son Éminence étaient bien au-dessous de ses talents politiques.

L’écrivain espagnol Quevedo (1580-1645) admirait par-dessus tout Don Quichotte ; quand il le lisait, il était, disait-il, tenté de brûler tous ses ouvrages.

Grotius (1580-1645) avait toujours un exemplaire de Lucain dans sa poche, et, raconte Gui Patin, « il le baisait plusieurs fois le jour ». Consulté par M. Dumaurier, ambassadeur de France en Hollande, sur les livres qu’il devait lire et étudier de préférence, Grotius lui indiqua les suivants : l’Ecclésiaste et le livre De la Sagesse ; les Vers dorés de Pythagore ; toutes les œuvres de Platon ; la Rhétorique et la Politique d’Aristote ; les Harangues de Démosthène ; les Fragments de Théognis et de Phocylide[234.1] ; les tragédies d’Euripide ; les Caractères de Théophraste ; les comédies de Térence ; les Offices et les Oraisons de Cicéron ; les écrits de Salluste ; les Épîtres d’Horace ; le Manuel d’Épictète ; les œuvres philosophiques de Sénèque ; les tragédies de Sénèque ; les Opuscules de Plutarque ; les écrits d’Hiéroclès, d’Arrien, de Dion Cassius[234.2] ; l’ouvrage de Polybe sur les Républiques, les Pandectes et le Code de Justinien. « On est surpris de ne pas voir Homère, Virgile et les Vies de Plutarque figurer dans cette liste[235.1]. »

Vaugelas (1585-1630) faisait très grand cas du style de l’Histoire romaine de Coeffeteau. Il délaissa ensuite Coeffeteau et lui préféra les traductions de d’Ablancourt, surtout celle d’Arrien, qui lui servit de modèle pour sa traduction de Quinte-Curce.

Le savant médecin Samuel Sorbière (1615-1670) mettait les Offices de Cicéron au-dessus de tous les livres, excepté l’Écriture sainte. Pour les modernes, il les plaçait dans l’ordre suivant : Charron, Montaigne, Balzac et La Mothe-Le Vayer. « Ces quatre messieurs, disait-il, font presque toute ma bibliothèque. »

Gui Patin (1601-1672) dit, dans une de ses lettres[235.2] : « L’Histoire de Pline est un des plus beaux livres du monde ; c’est pourquoi il a été nommé la Bibliothèque des pauvres. Si l’on met Aristote avec lui, c’est une bibliothèque presque complète. Si l’on y ajoute Plutarque et Sénèque, toute la famille des bons livres y sera, père et mère, aîné et cadet. » Gui Patin était grand admirateur d’Hippocrate, de Galien et de Cicéron. « Juvénal, dit-il encore, est mon cher ami d’entre les anciens, avec Virgile et Lucrèce, sans pourtant que je méprise aucun des autres. Je compte, au nombre de mes intimes et des premiers auteurs modernes, le bon Érasme, le docte Scaliger, et l’incomparable M. de Saumaise. Feu M. Grotius était aussi mon ami[236.1]…. »

L’historien anglais Hyde de Clarendon (1608-1674) lisait tous les jours quelques passages de Tite-Live et de Tacite, ses auteurs favoris.

Milton (1608-1674) lisait chaque matin un chapitre de la Bible en hébreu. Après l’Écriture sainte, son livre préféré était Homère, qu’il savait presque par cœur. Milton avait trois filles, auxquelles, dit-on, il avait fait apprendre à lire et à bien prononcer huit langues, qu’elles n’entendaient pas. Il avait coutume de dire qu’ « une langue suffisait à une femme » ; mais il voulut, comme il était devenu aveugle, que ses filles fussent capables de lui faire les lectures dont il avait besoin. On a su par l’une d’elles que ce qu’il se faisait lire le plus souvent c’était Isaïe en hébreu, Homère en grec, et les Métamorphoses d’Ovide en latin[236.2]. Milton avait aussi, paraît-il, spécialement « pratiqué Tacite », et l’on a vendu, il y a quelque douze ans, un exemplaire du Discours sur Tacite, de l’historien italien Malvezzi (1599-1654), traduit en anglais par sir Richard Baker (1568-1645), exemplaire chargé de notes en latin et en anglais attribuées à Milton[237.1].

Turenne (1611-1675) avait, dans sa jeunesse, une grande admiration pour Quinte-Curce.

Desmarets de Saint-Sorlin (1595-1676) ne voyait rien de plus beau sur terre que son poème de Clovis, et il en était si enchanté qu’il en renvoyait la gloire à Dieu : « Oui, dit-il dans ses Délices de l’esprit, Dieu m’a sensiblement assisté, puisqu’il m’a permis de finir un aussi beau livre ». On prétend qu’un plaisant, lorsque Desmarets lui envoya son volume des Délices de l’esprit, mit à l’errata : Délices, lisez Délires.

Pierre Corneille (1616-1684) faisait ses lectures favorites de Tacite, de Tite-Live, et surtout de Lucain et de Sénèque (le Tragique ?)[237.2].

Pétrone, que Juste Lipse appelle auctor purissimæ impuritatis, était l’admiration du grand Condé (1621-1686), et cette admiration était telle « qu’il pensionnait un lecteur, uniquement chargé de lui réciter le Satyricon[237.3] ».

La reine Christine de Suède (1626-1689) professait le même culte pour le même Pétrone, « qu’elle mettait au-dessus de tous les auteurs latins », nous apprend un de ses fami­liers[238.1], et pour Martial, « qu’à l’âge de vingt-trois ans elle savait tout entier par cœur[238.2] », ce qui, soit dit en passant, révèle de singulières dispositions chez une jeune per­sonne[238.3]. Ajoutons, comme correctif, qu’elle faisait aussi un cas particulier de Catulle, de Sénèque le Tragique et de Lucain[239.1], et qu’elle ne se lassait pas de lire Pascal. « Vous êtes, écrivait-elle à l’auteur des Provinciales[239.2], le précepteur du genre humain et le flambeau du monde ; je lis vos ouvrages, je les médite sans cesse, et je sens que mon esprit se réveille, se fortifie et s’anime avec une telle nourriture…. »

Ménage (1613-1692) regardait Plutarque comme l’auteur le plus essentiel ; il disait, ainsi que Théodore Gaza[239.3] : « Si tous mes livres étaient au feu, et que je n’en pusse sauver qu’un, ce serait Plutarque ».

Antoine Arnauld, le grand Arnauld (1612-1694), aimait passionnément Cicéron, et il estimait, avec son coreligionnaire Claude Lancelot[239.4], « que lui seul doit tenir lieu de beaucoup d’auteurs, et entretenir agréablement ceux qui aiment les Belles-Lettres durant toute leur vie[239.5] ».

La Fontaine (1621-1695), entendant lire, à l’âge de vingt-deux ans, une ode de Malherbe[240.1], se prit d’admiration pour ce poète ; il s’attacha ensuite à Horace, à Virgile, à Térence, à Quintilien. Parmi les auteurs français, il prit un goût particulier pour Rabelais, Marot, d’Urfé (l’Astrée) et Voiture. Il écrivait à Saint-Évremond, en 1687[240.2] :

J’ai profité dans Voiture ;
Et Marot, par sa lecture,
M’a fort aidé, j’en conviens.
Je ne sais qui fut son maître :
Que ce soit qui ce peut être,
Vous êtes tous trois les miens.

Puis il ajoute : « J’oubliais maître François (Rabelais), dont je me dis encore le disciple, aussi bien que celui de maître Vincent (Voiture), et celui de maître Clément (Marot). Voilà bien des maîtres pour un écolier de mon âge ». La Fontaine avait alors soixante-six ans. C’est surtout de Rabelais qu’il raffolait. Il aimait aussi les Fabliaux, Villon et Mellin de Saint-Gelais. Parmi les Italiens, il donnait, comme nous l’avons vu[240.3], la préférence à l’Arioste, à Boccace, à Machiavel et au Tasse :

Je chéris l’Arioste, et j’estime le Tasse ;
Plein de Machiavel, entêté de Boccace,
J’en parle si souvent qu’on en est étourdi ;
J’en lis qui sont du Nord, et qui sont du Midi[241.1].

II aimait les Grecs, faisait ses délices de Platon, qu’il appelait « le plus grand des amuseurs », et de Plutarque, qu’il lisait en latin, « car la belle langue des Grecs lui était inconnue », nous apprend l’abbé d’Olivet[241.2].

La Fontaine dit encore[241.3] :

Térence est dans mes mains ; je m’instruis dans Horace ;
Homère et son rival (Virgile) sont mes dieux du Parnasse.

On sait que, sur le tard, La Fontaine s’enthousiasma du prophète Baruch. Voici dans quelles circonstances : « … Il accompagnait quelquefois Racine dans ses dévotions ; témoin le jour où cet ami, étant avec lui à Ténèbres, lui mit dans les mains les petits Prophètes. Il trouvait, il est vrai, l’office un peu long, et Racine lui donna le saint livre pour l’occuper. L’essentiel est que la lecture fit merveille. La Fontaine y devint admirateur enthousiaste de Baruch ; et, pendant quelques jours, il ne rencontra plus un ami sans lui dire : « Avez-vous lu Baruch ? C’était un beau génie[241.4] ».

Claude Lancelot, savant de Port-Royal (1615-1695), plaçait en tête des auteurs latins, pour la pureté de la langue, Térence, Cicéron, César, Virgile et Horace. Puis venaient Quinte-Curce, Salluste et Tite-Live.

Mme de Sévigné (1626-1696) était passionnée pour les Essais de morale de Nicole ; puis pour Corneille, « dont je suis folle », écrit-elle[242.1] ; pour La Fontaine, dont les fables « sont divines »[242.2] ; et pour « le grand Bourdaloue[242.3] ».

Selon La Bruyère (1639-1696), « Moïse, Homère, Platon, Virgile, Horace, ne sont au-dessus des autres écrivains que par leurs expressions et par leurs images[242.4] ».

Racine (1639-1699) savait presque par cœur, à l’âge de seize à dix-sept ans, Sophocle et Euripide, dans leur texte original. Il avait déjà chargé d’apostilles les marges du Platon et du Plutarque, éditions de Bâle, texte grec également, sans traduction latine, dont il se servait dans ses classes. Étant encore à Port-Royal, entre 1655 et 1658, il trouva par hasard le roman grec de Théogène et Chariclée, d’Héliodore. Il le dévorait, lorsque, raconte-t-on, le sacristain et professeur, Claude Lancelot, le surprit dans cette lecture, lui arracha le livre et le jeta au feu. Le jeune Racine réussit à s’en procurer un autre exemplaire, qui eut le même sort. Il en acheta un troisième, et, pour n’en plus craindre la perte, l’apprit par cœur ; il le porta alors au bon Lancelot et lui dit : « Vous pouvez brûler celui-ci comme vous avez brûlé les autres : je n’en ai plus besoin[243.1] ».

Saint-Évremond (1613-1703) écrit[243.2] :

« … Don Quichotte, de Cervantès, est un ouvrage que je puis lire toute ma vie, sans être dégoûté un seul moment. De tous les livres que j’ai lus, Don Quichotte est celui que j’aimerais mieux avoir fait : il n’y en a point, à mon avis, qui puisse contribuer davantage à nous former un bon goût sur toutes choses…. Quevedo[243.3] paraît un auteur fort ingénieux ; mais je l’estime plus d’avoir voulu brûler tous ses livres, quand il lisait Don Quichotte, que de les avoir su faire. » Et plus loin[243.4] : « Les Essais de Montaigne, les poésies de Malherbe, les tragédies de Corneille et les œuvres de Voiture se sont établi comme un droit de me plaire toute ma vie ».

Bossuet (1627-1704), consulté sur celui de tous les ouvrages qu’il préférerait avoir fait, répondit : « Les Lettres provinciales de Pascal[244.1] ». Il avait aussi une prédilection particulière pour le poète latin Horace, prédilection que rien ne justifie, remarque Lamartine[244.2]. « Peut-être aussi, continue-t-il, cette inexplicable prédilection pour le moins divin de tous les poètes tenait-elle à ce que la poésie avait apparu à Bossuet enfant pour la première fois dans les pages de ce poète. Cette ravissante apparition s’était prolongée et changée en reconnaissance dans son âme. Il y a, dans les bibliothèques comme dans le monde, de mauvaises rencontres qui deviennent de vieilles amitiés. »

Lamartine ignorant, qui ne sait que son âme[244.3],

qui n’a rien compris à notre xvie siècle, qui a méconnu et malmené Montaigne[244.4], qui a traité Rabelais d’ « infâme cynique » et de « grand boueux de l’huma­nité »[245.1], La Fontaine de « vieillard égoïste » et de « philosophe cynique » aussi[245.2], se montre indulgent et doux en se contentant d’appeler Horace « une mauvaise rencontre ».

Bourdaloue (1633-1704) relisait tous les ans saint Paul, saint Chrysostome et Cicéron.

Bayle (1647-1706) tomba malade, à dix-neuf ans, par suite de ses excès de lecture ; il lisait tout ce qu’il rencontrait sous sa main, mais relisait Plutarque et Montaigne de préfé­rence[246.1]. Dans une lettre datée de Genève et adressée à son frère, il fait cet aveu[246.2] : « Le dernier livre que je vois (que je lis) est celui que je préfère à tous les autres ». Et il ajoute : « Il est certain que jamais amant volage n’a plus souvent changé de maîtresse, que moi de livres ». Il en était de même du poète allemand Wieland (1733-1813) : le dernier livre lu lui semblait le plus beau ; ce qui faisait dire à Gœthe[247.1] : « Tâchons de ne pas ressembler à Wieland… et gardons-nous de sa délicate mobilité, par suite de laquelle la dernière chose qu’il lisait effaçait pour ainsi dire tout ce qui avait précédé ».

Boileau (1636-1711) plaçait en première ligne Homère ; puis venait Térence. Il donnait le pas aux anciens sur les modernes, à l’exception d’un seul auteur, Pascal, qu’il mettait à côté des plus grands. « Mon Père, disait Boileau au Père Bouhours, lisons les Lettres provinciales, et, croyez-moi, ne lisons pas d’autres livres. » Le jésuite Bouhours ne devait pas être tout à fait de l’avis de Boileau[247.2].

Malebranche (1638-1715), ayant lu par hasard le Traité de l’homme de Descartes, en fut vivement frappé, aussi vivement que La Fontaine des vers de Malherbe ; il abandonna toute autre étude pour la philosophie de Descartes, et consacra le reste de ses jours à la méta­physique[247.3].

Leibnitz[248.1] (1646-1716) faisait, dit-on, consister toute sa bibliothèque dans les œuvres de Platon, d’Aristote, de Plutarque, de Sextus Empiricus[248.2], d’Euclide, d’Archimède, de Pline (l’Ancien), de Cicéron et de Sénèque (le Philo­sophe ?)[249.1]. Jeune, lorsqu’il étudiait les langues anciennes, il donnait la préférence à Tite-Live et à Virgile, et, dans sa vieillesse, il pouvait encore réciter Virgile presque tout entier mot pour mot[249.2].

Charles XII, roi de Suède, (1682-1718), avait pour Quinte-Curce une prédilection particulière, due à son vif désir de ressembler au héros de cet historien.

Le célèbre marin et ingénieur militaire Renau d’Éliçagaray, dit Petit-Renau (1652-1719), collaborateur et ami de Vauban, manifestait, paraît-il, une aversion prononcée pour tous les livres, à l’exception d’un seul, la Recherche de la vérité, de Malebranche[249.3].

L’érudit Pierre-Daniel Huet, évêque de Soissons, puis d’Avranches (1630-1721), nous apprend « qu’il avait coutume, — dans sa jeunesse tout au moins, — chaque printemps, de relire Théocrite sous l’ombrage renaissant des bois, au bord d’un ruisseau et au chant du rossignol[249.4] ».

Louis de Longuerue, savant critique (1652-1723), estimait si peu les poètes, qu’à sa mort on n’en trouva pas un seul dans sa bibliothèque. Il les considérait comme des écrivains frivoles, qui n’apprennent rien : quand on a quelque chose à dire, on le dit en prose[250.1]. L’abbé de Longuerue avait cependant lu beaucoup de poèmes, et, dans une conversation qu’il eut un jour avec Louis Racine, il passa en revue les principaux poètes, et dit son fait à chacun. Il n’épargna que l’Arioste : « Pour ce fou-là, il m’a quelquefois amusé ». Cette antipathie pour les vers et pour les poètes se retrouve chez d’autres grands écrivains, chez Pascal, par exemple[250.2]. Duclos, quand il rencontrait quelques passages poétiques très remarquables, disait : « Cela est beau comme de la prose[251.1] ».

L’académicien Claude-François Fraguier (1666-1728) aimait passionnément Homère. La première fois qu’il le lut, il souligna au crayon les passages qui le frappaient le plus ; la seconde fois, il fut surpris de retrouver des beautés qu’il n’avait pas aperçues d’abord, il les souligna encore. A la troisième lecture, nouveaux passages admirés qui semblaient lui reprocher une injuste préférence dans les deux premières lectures. Il en fut de même à la quatrième et à la cinquième, de sorte qu’à la sixième le livre se trouva presque souligné d’un bout à l’autre[251.2].

L’évêque de Rochester Atterbury (1662-1732) savait par cœur tous les bons auteurs du siècle d’Auguste, mais il donnait la préférence à Virgile. Parmi nos livres, ceux qu’il estimait le plus étaient les Essais de Montaigne, les Pensées de Pascal, l’Histoire universelle de Bossuet, le Télémaque de Fénelon ; puis Rollin, La Fontaine, Boileau, Jean-Baptiste Rousseau, Molière et Racine.

Le maréchal de Villars (1653-1734) aimait tant les poésies d’Horace qu’il en avait toujours un exemplaire dans sa poche[252.1].

Le maréchal et vice-amiral d’Estrées (1660-1737) partageait ce culte pour Horace, et emportait toujours avec lui, dans ses voyages sur mer, les œuvres de ce poète.

Jean-Baptiste Rousseau (1671-1740), passant en revue, dans son épître à Clément Marot, les poètes latins qu’il faut, avant tous autres,

consulter,
Lire, relire, apprendre, méditer,

nomme Virgile, Ovide, Horace, Catulle et Tibulle.

Rollin (1661-1741) se sentait le plus vif attrait pour les Vies des hommes illustres de Plutarque, et il faisait de quelque tome de cet ouvrage son compagnon de promenade habituel.

Jonathan Swift (1667-1745), l’auteur des Voyages de Gulliver, avait pris « l’amère habitude de relire, chaque fois que l’année ramenait le jour de sa naissance, le chapitre de l’Écriture où Job déplore la sienne, et maudit cette nuit fatale où l’on annonça dans la maison de son père qu’un enfant mâle était né ». Ce qui n’empêchait pas cet impitoyable pessimiste de déclarer que « la meilleure méthode, en cette vie, est de prendre son café quand on le peut, et de s’en passer gaiement quand on ne le peut pas[253.1] ».

Saint-Hyacinthe, l’auteur du Chef-d’œuvre d’un inconnu (1684-1746), disait que, pour former une excellente bibliothèque, il ne faut que joindre les ouvrages de Plutarque à ceux de Platon et de Lucien, les livres de ces trois hommes devant être regardés comme la source de la sagesse, du savoir, et des grâces en tous genres. Pour l’étude des mœurs modernes, il ajoutait à ces trois noms celui de La Bruyère.

Le chancelier Daguesseau (1668-1751) ne passait jamais un jour sans ouvrir l’Écriture sainte[253.2]. Il estimait la quatorzième lettre des Provinciales de Pascal un chef-d’œuvre d’éloquence égal à tout ce que l’antiquité a le plus admiré[254.1]. Dans les Instructions qu’il adresse à son fils, on voit quelles lectures il lui conseille : ce sont, par exemple, la seconde partie du Discours sur l’histoire universelle de Bossuet, divers ouvrages[254.2] de Grotius, de Pufendorff, de Domat, d’Arnauld, de Malebranche, Nicole, Quintilien, etc.

Montesquieu (1689-1755) faisait de Tacite sa lecture favorite. « J’avoue, dit-il[254.3], mon goût pour les anciens ; cette antiquité m’enchante, et je suis toujours prêt à dire avec Pline : « C’est à Athènes que vous allez ; respectez les dieux ». Il faisait particulièrement cas de Télémaque, « l’ouvrage divin de ce siècle, Télémaque, dans lequel Homère semble res­pirer[254.4] ». Eschyle, Euripide, Sophocle, Plutarque, Aristote, Platon, Cicéron, Suétone, Virgile, etc., étaient encore au nombre de ses favoris. « Deux chefs-d’œuvre : la mort de César dans Plutarque, et celle de Néron dans Suétone, » écrit-il[254.5]. Parmi les modernes, il estimait particulièrement Crébillon : « Nous n’avons pas d’auteur tragique qui donne à l’âme de plus grands mouvements, qui nous arrache plus à nous-mêmes[255.1], » etc. « Je me souviens qu’en sortant d’une pièce intitulée Ésope à la cour[255.2], je fus si pénétré du désir d’être plus honnête homme, que je ne sache pas avoir formé une résolution plus forte[255.3]. » « Dans la plupart des auteurs, je vois l’homme qui écrit ; dans Montaigne, l’homme qui pense[255.4]. » « Les Maximes de La Rochefoucauld sont les proverbes des gens d’esprit[255.5]. » « Un honnête homme (Rollin) a, par ses ouvrages d’histoire, enchanté le public. C’est le cœur qui parle au cœur…. C’est l’abeille de la France[255.6]. » « Fontenelle, autant au-dessus des autres hommes par son cœur, qu’au-dessus des hommes de lettres par son esprit[255.7]. » « Les quatre grands poètes, Platon, Malebranche, Shaftesbury, Montaigne[255.8]. »

Fontenelle (1657-1757) appréciait très hautement l’Imitation de Jésus-Christ, qu’il a ainsi qualifiée, dans sa Vie de Corneille[255.9] : « Ce livre, le plus beau qui soit parti (sic) de la main d’un homme, puisque l’Évangile n’en vient pas ».

L’Imitation de Jésus-Christ était aussi un des livres de prédilection du prince Eugène (1663-1736) : il la portait toujours sur lui, dans ses expéditions mili­taires[256.1].

Le marquis René-Louis d’Argenson (1694-1757) affectionnait particulièrement le chef-d’œuvre de Cervantès : « J’aimais Don Quichotte à le relire vingt fois dans ma vie », disait-il[256.2].

Le médecin Camille Falconet (1671-1762) disait que si on ne lui permettait de choisir que quatre volumes dans sa bibliothèque (qui en comptait près de vingt mille), il prendrait d’abord la Bible, puis ces trois maîtres : maître François, maître Michel et maître Benoît : c’est ainsi qu’il désignait Rabelais, Montaigne et Spinoza[256.3].

Le dauphin Louis (1729-1765), père de Louis XVI, faisait de Cicéron et d’Horace sa lecture favorite : il savait presque entièrement par cœur les œuvres d’Horace. Il avait appris seul la langue anglaise, et lisait Locke avec tant d’intérêt qu’il le plaçait sous son chevet.

Jacques Douglas, médecin anglais (1707-1768), professait pour Horace la plus grande admiration. Sa bibliothèque était uniquement composée d’éditions de cet auteur : il en possédait quatre cent cinquante, dont la première datait de 1476, et la dernière de 1739, époque à laquelle il en publia le catalogue. Un autre amateur, le comte de Solms, s’est aussi spécialement occupé d’Horace ; il possédait dans sa bibliothèque plus de huit cents ouvrages, comprenant soit des éditions de ce poète, soit des études publiées sur lui.

Le pape Clément XIV (Ganganelli : 1705-1774) récitait de mémoire les plus beaux passages des poètes anciens ; et, parmi les poètes d’Italie, donnait la palme à l’Arioste, à Dante, au Tasse, à Pétrarque et à Métastase[257.1].

L’historiographe Poullain de Saint-Foix (1698-1776) « faisait son idole de Corneille[257.2] ».

Dans son poème la Chartreuse, Gresset (1709-1777) donne la liste des auteurs qui composent sa bibliothèque : Anacréon et Horace,

Chapelle, Chaulieu, Pavillon,
Et la naïve Deshoulières…

Le Tasse et Milton ensuite ; et Saint-Réal et Montaigne

Entre Sénèque et Lucien ;
Saint-Évremond les accompagne…
La Rochefoucauld, La Bruyère,
Viennent embellir l’entretien.

Le président de Brosses (1709-1777), qui, « dès le bas âge, donnait la préférence à un livre sur tous les jouets[257.3], » avait une prédilection particulière pour Salluste, prédilection qui avait commencé sur les bancs de l’école. Elle lui fit prendre la résolution « non seulement de traduire ce qui nous reste de cet historien, mais encore de recomposer son Histoire romaine, » dont il ne reste plus que des lambeaux. C’est principalement pour compléter ses études sur Salluste que le président de Brosses entreprit son voyage en Italie (de 1739 à 1740), dont il nous a laissé, dans ses Lettres familières, une si intéressante et si curieuse relation. Son Salluste l’occupa toute sa vie, et il ne publia ce travail que l’année même de sa mort, en 1777[258.1].

Voltaire (1694-1778) avait toujours sur sa table l’Athalie de Racine et le Petit Carême de Massillon[258.2].

Jean-Jacques Rousseau (1712-1778) nous conte, dans ses Confes­sions[259.1], qu’après avoir commencé par lire des romans, en compagnie de son père, il s’attacha tout particulièrement à Plutarque : « Le plaisir que je prenais à le relire sans cesse me guérit un peu des romans ; et je préférai bientôt Agésilas, Brutus, Aristide, à Orondate, Artamène et Juba ».

Plus tard, entre vingt et trente ans, Jean-Jacques affectionna tout particulièrement les livres « qui mêlaient la dévotion aux sciences…. Tels étaient particulièrement ceux de l’Oratoire et de Port-Royal. Je me mis à les lire, ou plutôt à les dévorer. Il m’en tomba dans les mains un du Père Lamy, intitulé Entretiens sur les sciences. C’était une espèce d’introduction à la connaissance des livres qui en traitent. Je le lus et le relus cent fois ; je résolus d’en faire mon guide[259.2]. »

Dans l’Émile[260.1], Rousseau ne met entre les mains de son élève qu’un seul livre, le Robinson Crusoé, de Daniel de Foë : « Puisqu’il nous faut absolument des livres, il en existe un qui fournit, à mon gré, le plus heureux traité d’éducation naturelle. Ce livre sera le premier que lira mon Émile ; seul il composera durant longtemps toute sa bibliothèque, et il y tiendra toujours une place distinguée. Il sera le texte auquel tous nos entretiens sur les sciences naturelles ne serviront que de commentaire. Il servira d’épreuve durant nos progrès à l’état de notre jugement ; et, tant que notre goût ne sera pas gâté, sa lecture nous plaira toujours. Quel est donc ce merveilleux livre ? Est-ce Aristote ? est-ce Pline ? Est-ce Buffon ? Non : c’est Robinson Crusoé.

« Robinson Crusoé dans son île, seul, dépourvu de l’assistance de ses semblables et des instruments de tous les arts, pourvoyant cependant à sa subsistance, à sa conservation, et se procurant même une sorte de bien-être, voilà un objet intéressant pour tout âge, et qu’on a mille moyens de rendre agréable aux enfants….

« Ce roman, débarrassé de tout son fatras, commençant au naufrage de Robinson près de son île, et finissant à l’arrivée du vaisseau qui vient l’en tirer, sera tout à la fois l’amusement et l’instruction d’Émile durant l’époque dont il est ici question. »

Lord Chatham (1708-1778) se délassait de la politique en lisant Virgile, dont il « s’en­chantait[261.1] ».

« Si tous les livres politiques devaient périr, et que je fusse le maître d’en conserver un seul, je ne demanderais grâce (n’en déplaise à M. de Voltaire) que pour l’Esprit des lois de Montesquieu, » a dit, dans ses Amusements des gens d’esprit[261.2], le littérateur Gain de Montaignac (1731-vers 1780).

A Horace Walpole (1717-1797), qui ne pouvait souffrir Montaigne, au point de dire des Essais : « C’est un vrai radotage de pédant, une rapsodie de lieux communs, même sans liaison ; son Sénèque et lui se tuent à apprendre à mourir, — la chose du monde qu’on est le plus sûr de faire sans l’avoir apprise[261.3], » Mme du Deffand (1697-1780) ripostait[261.4] : « Je suis bien sûre que vous vous accoutumerez à Montaigne ; on y trouve tout ce qu’on a jamais pensé, et nul style n’est aussi énergique : il n’enseigne rien, parce qu’il ne décide de rien ; c’est l’opposé du dogmatisme…. Allez, allez, c’est le seul bon philosophe et le seul bon métaphysicien qu’il y ait jamais eu. »

Mme du Deffand affectionnait aussi tout particulièrement Cicéron, dont le style l’ « en­chante[262.1] » : « après César, c’est l’homme que j’aime le mieux[262.2] ». Elle était grande admiratrice d’Athalie, « l’ouvrage que je voudrais avoir fait, s’il avait fallu n’en faire qu’un seul, parce qu’il me paraît à tous égards avoir atteint la per­fection[262.3], » et ne se lassait pas de lire Gil Blas[262.4], qui « est écrit à merveille ; il me fait des plaisirs indi­cibles[262.5] ». Mais elle se plaît surtout avec les Mémoires, les Biographies et les Correspondances : « … J’aime surtout les détails des intrigues, et c’est ce qui fait que je préfère infiniment les Mémoires et les Vies particulières aux histoires générales[262.6]…. J’ai commencé la lecture de votre Histoire d’Amérique, mais je ne puis m’intéresser à tous ces événements ; les seules lectures qui m’amusent, ce sont les Mémoires, les Vies particulières, les lettres et les romans : tout ce qui est histoire d’une nation me paraît un recueil de gazettes, que les auteurs arrangent pour autoriser leurs systèmes et faire briller leur esprit[263.1]. »

D’Alembert (1717-1783) disait que si l’on était réduit à ne conserver qu’un seul poète ancien, « il faudrait choisir Horace de préférence à tous les autres, parce qu’il est peut-être le seul où l’on trouve des beautés de tous les genres : enthousiasme, imagination, noblesse, harmonie, élégance, sensibilité, finesse, gaieté, goût exquis, philosophie tantôt légère, tantôt profonde, et toujours utile[263.2] ». Après Horace, parmi les auteurs latins dignes d’être traduits, d’Alembert place Cicéron, Virgile, les deux Pline, Sénèque et Lucain.

Diderot (1713-1784) écrit dans son Éloge de Richardson[263.3] : « O Richardson, Richardson, homme unique à mes yeux, tu seras ma lecture dans tous les temps ! Forcé par des besoins pressants, si mon ami tombe dans l’indigence, si la médiocrité de ma fortune ne suffît pas pour donner à mes enfants les soins nécessaires à leur éducation, je vendrai mes livres ; mais tu me resteras ; tu me resteras sur le même rayon avec Moïse, Homère, Euripide et Sophocle, et je vous lirai tour à tour. »

Et plus loin[264.1] : « Depuis qu’ils (les romans de Richardson) me sont connus, ils ont été ma pierre de touche ; ceux à qui ils déplaisent sont jugés par moi. Je n’en ai jamais parlé à un homme que j’estimasse, sans trembler que son jugement ne se rapportât pas au mien. Je n’ai jamais rencontré personne qui partageât mon enthousiasme, que je n’aie été tenté de le serrer entre mes bras et de l’embrasser. »

L’historien Mably (1709-1785) « savait presque par cœur Platon, Thucydide, Xénophon, Plutarque, et les ouvrages philosophiques de Cicéron[264.2] ». Parmi les modernes, il admirait surtout Descartes, Corneille. Pascal, Bossuet, Fénelon, Malebranche, Boileau, Racine, Condillac, Molière et La Fontaine.

Le littérateur Thomas (1732-1785) lisait toujours le même livre, et ce livre était Cicéron, si l’on en croit Hérault de Séchelles[264.3], qui nous dit plus loin, — en énumérant les autres auteurs favoris de Thomas : Homère, Euripide, Virgile, Métastase et le Tasse, — que « Voltaire était toujours dans ses mains », ce qui laisse supposer que Thomas délaissait alors son exemplaire de Cicéron[264.4]. Racine, Jean-Baptiste Rousseau et Juvénal lui plaisaient aussi beaucoup. En tête des écrivains, « si l’on voulait les juger par la force et l’étendue des idées », toujours au dire d’Hérault de Séchelles, Il plaçait Bacon et Montesquieu ; puis Buffon et Diderot ; ensuite Jean-Jacques Rousseau, Marmontel, d’Alembert, Raynal et Saint-Lambert. Il considérait Bossuet et Jean-Jacques comme nos deux premiers orateurs. Pour lui, Massillon n’est qu’un grand écrivain ; Bourdaloue, un faiseur de traités ; Mascaron est informe et inégal ; Daguesseau, sans force, sans imagination ; etc.

Le savant Grosley (1718-1785) avait pour lectures préférées Érasme, Rabelais, Montaigne et la Satire Ménippée[265.1].

« Lorsque je suis affligé, disait Frédéric le Grand (1712-1786)[265.2], je lis le troisième livre de Lucrèce, et cela me soulage. »

Buffon (1707-1788) recommandait la lecture des œuvres des plus grands génies, qu’il réduisait à cinq : Newton, Bacon, Leibnitz, Montesquieu et… Buffon lui-même. On sait encore qu’il faisait un cas particulier de Massillon, « qu’il estimait le premier de nos prosa­teurs[266.1] », de Fénelon et de Richardson. Parmi les écrivains de l’antiquité, il estimait surtout Aristote et Pline l’Ancien, dont il a écrit de pompeux éloges dans son Histoire des animaux et dans son Histoire du Monde[266.2].

L’avocat Gerbier (1725-1788) était passionné pour les Lettres Provinciales de Pascal. « Les livres de sa bibliothèque, superbement reliés, dit Garat dans ses Mémoires sur Suard[266.3], étaient plus le luxe de son état que de son goût ; presque tous restaient neufs dans leurs rayons. Un seul, un seul petit volume se voyait dans ses mains, se rencontrait, à Paris et à Franconville, sur ses tables, sur ses fauteuils ; il le savait par cœur et le lisait toujours : c’étaient les Petites Lettres, les Provinciales. Ce n’est pas qu’il fût le moins du monde janséniste ; mais il ne pouvait rien mettre à côté de cette logique nue et serrée, piquante et véhémente, à côté de ce style où la verve comique et la verve oratoire sont toujours si près l’une de l’autre, et toutes les deux près de la raison, pour l’environner d’une double puissance. »

Benjamin Franklin (1706-1790), dans sa jeunesse, faisait de Xéno­phon[267.1] sa lecture favorite.

Louis XVI (1754-1793) venait de monter sur le trône (en 1774) lorsqu’il lui tomba sous la main un livre, « alors extrêmement rare[267.2] », intitulé Directions pour la conscience d’un roi, par Fénelon. Il dévore cet ouvrage, qui renferme un abrégé des devoirs des rois, et le trouve si à son goût qu’il décide non seulement de le prendre désormais pour guide de ses actions, mais encore de le faire réimprimer et de le répandre le plus possible. En effet, la réimpression eut lieu, et l’éditeur mit sur le titre cette formule : Du consentement exprès du Roi.

La lecture favorite de la reine Marie-Antoinette (1755-1793), alors qu’elle était enfermée à la Conciergerie, était celle des Voyages du capitaine Cook, que le concierge lui avait pro­curés[267.3].

Mme Roland (1754-1793), au début de ses Mémoires particuliers, nous parle en détail de sa passion pour la lecture, pour Plutarque surtout, « le Plutarque de Dacier. Je goûtai ce dernier ouvrage plus qu’aucune chose que j’eusse encore vue, même d’histoires tendres qui me touchaient pourtant beaucoup…. Plutarque semblait être la véritable pâture qui me convînt. Je n’oublierai jamais le carême de 1763 (j’avais alors neuf ans), où je l’emportais à l’église en guise de Semaine sainte. C’est de ce moment que datent les impressions et les idées qui me rendaient républicaine, sans que je songeasse à le devenir[268.1]. »

L’impératrice de Russie Catherine II (1729-1796) aimait le Plutarque d’Amyot, le Tacite d’Amelot de la Houssaye, et Montaigne. « Je suis une Gauloise du Nord, disait-elle au prince de Ligne[268.2] ; je n’entends que le vieux français ; je n’entends pas le nouveau. J’ai voulu tirer parti de vos messieurs les gens d’esprit en istes (les encyclopédistes et les économistes), je les ai essayés, j’en ai fait venir, je leur ai quelquefois écrit, ils m’ont ennuyée et ne m’ont pas entendue. Il n’y avait que mon bon protecteur Voltaire. Savez-vous que c’est lui qui m’a mise à la mode ? Il m’a bien payée du goût que j’ai pris toute ma vie à le lire, et il m’a appris bien des choses en m’amusant. » Parmi les romans, Catherine choisissait ceux de Le Sage. Elle aimait Molière et Corneille. « Racine n’est pas mon homme, disait-elle, excepté dans Mithridate. » Rabelais et Scarron lui avaient plu autrefois, mais, en avançant en âge, elle les avait oubliés.

Kant (I724-1804) soutenait que, lorsqu’on est tourmenté par l’insomnie, il suffit le plus souvent de s’appliquer à écarter de son esprit toute idée importune, et de fixer son attention sur des choses indifférentes ou agréables ; il avait coutume, pour s’endormir, de se remémorer « la vie et les écrits de Cicéron, et cet exercice ne manquait jamais de le calmer[269.1] ».

La Harpe (1739-1803) tenait en la plus haute estime Massillon et Fénelon : « Si la raison elle-même, écrit-il, si cette faculté souveraine, émanée de l’intelligence éternelle, voulait apparaître aux hommes sous les traits les plus capables de la faire aimer, et leur parler le langage le plus persuasif, il faudrait qu’elle prit les traits et le langage de l’auteur du Petit Carème ou de celui de Télémaque ». Il divisait les principaux écrivains du xviiie siècle en trois classes : 1º les philosophes, en tête desquels il plaçait Fontenelle, Buffon, Montesquieu, d’Alembert et Condillac ; 2º les moralistes et les économistes : Vauvenargues et Duclos, Quesnay, Linguet, etc. ; 3º ceux qu’il nomme les sophistes, parmi lesquels il compte d’abord Toussaint, l’ex-janséniste devenu encyclopédiste ; puis Helvétius, Diderot ensuite, enfin Boulanger et Jean-Jacques Rousseau[270.1].

Alfieri (1749-1803), le grand poète tragique italien, cite, parmi les livres qui firent sur lui, dans sa jeunesse, le plus d’impression, et eurent le plus d’action sur lui, les Vies de Plutarque et les Essais de Montaigne. Voici ce qu’il dit à ce sujet, dans ses Mémoires[270.2] : « … Pour moi, le livre des livres, celui qui, pendant cet hiver, me fit passer bien des heures de ravissement et de béatitude, ce fut Plutarque, et ses vies des vrais grands hommes. Il en est, celles, par exemple, de Timoléon, de César, de Brutus, de Pélopidas, de Caton, et d’autres encore, que je relus jusqu’à quatre et cinq fois, avec un tel transport de cris, de larmes et parfois de colère, que, s’il y avait eu quelqu’un à m’écouter dans la chambre voisine, on n’eût pas manqué de me croire fou. Souvent, à la lecture de quelques beaux traits de ces grands hommes, je me levais tout hors de moi, et des pleurs de rage et de douleur jaillissaient de mes yeux[270.3], à la seule idée que j’étais né en Piémont, dans un temps et sous un gouvernement où rien de grand ne pouvait se faire ni se dire, et où, tout au plus, pouvait-on stérilement sentir et penser de grandes choses. »

« … Les Essais de Montaigne (si depuis j’ai su penser un peu, je ne le dois peut-être qu’à ce livre), ces sublimes Essais du plus familier des écrivains, m’étaient aussi d’une grande ressource. Divisés en dix petits volumes et devenus pour moi de fidèles et inséparables compagnons de route, ils occupaient exclusivement toutes les poches de ma voiture. Ils m’instruisaient, ils me charmaient, ils flattaient même singulièrement ma paresse et mon ignorance ; car il me suffisait d’en ouvrir au hasard un volume et de le refermer après en avoir lu une page ou deux, pour n’avoir plus moi-même qu’à rêver ensuite sur ces deux pages pendant des heures entières. J’éprouvais bien aussi quelque honte lorsqu’il m’arrivait, à chaque page, de rencontrer deux ou trois passages latins, et que je me voyais forcé d’en chercher le sens dans la note, incapable désormais de comprendre même les plus simples citations en prose, loin de pouvoir entendre celles que Montaigne emprunte sans cesse aux plus grands poètes. Je ne me donnai même plus la peine de l’essayer, j’allai droit à la note. » Etc.[271.1].

Comme Alfieri, avec qui elle était intimement liée, la comtesse d’Albany (1752-1824) faisait de Montaigne sa lecture habituelle : « C’est mon bréviaire que ce Montaigne, disait-elle[272.1], ma consolation, et la patrie de mon âme et de mon esprit ! »

Le célèbre orientaliste Anquetil-Duperron (1731-1805), le traducteur du Zend-Avesta et le créateur des études asiatiques en Europe, qui, sans fortune et sans ressources, brûlant d’aller étudier la langue et la religion de Zoroastre, s’enrôla, à vingt-trois ans, comme simple soldat, dans une compagnie expédiée aux Indes, partit avec ces trois volumes dans son sac : la Bible, les Essais de Montaigne et le Traité De la Sagesse de Charron[273.1].

William Pitt (1759-1806), fils de lord Chatham, qui, comme nous l’avons vu[273.2], « s’enchantait de Virgile », se complaisait avec Eschyle ; et son adversaire, Fox (1749-1806), le chef des whigs, se délectait, lui, avec les lettres de Mme de Sévigné[273.3].

Jacques Delille (1738-1813) se passionna d’abord pour le poème de la Religion, de Louis Racine[273.4].

Palissot (1730-1814) considérait le xviiie siècle comme moins fécond en ouvrages de génie que le siècle précédent, mais « il paraît l’emporter du côté des traductions ». Celle de Térence par l’abbé Lemonnier, des Géorgiques par Delille, de Juvénal par Dusaulx, du Tasse par Charles-François Lebrun, des Métamorphoses d’Ovide par Saint-Ange, « sont très supérieures à toutes celles que nous connaissons ; il en est même qui ne sont pas éloignées de la perfection des originaux ».

Le prince de Ligne (1734-1814), fervent lecteur de Montaigne, l’appelait son oracle. « Voltaire est l’homme que j’aime et admire le plus », disait-il. Il regardait le Panégyrique de Trajan, par Pline le Jeune, « comme le bréviaire des souverains ». Parmi les historiens, « mon favori est Xénophon ; il est pour moi dans ce genre ce que sont les Pline dans le leur, Horace pour la poésie, Cicéron pour l’éloquence, et César pour la guerre…. J’estime Paterculus, Justin et Florus, qui sont les présidents Hénault de ce temps-là ; mais c’est Plutarque, le seul Plutarque au monde qui donne à penser. Cicéron est sans contredit un des plus grands hommes du monde ; en morale, rhétorique, logique, politique, quel homme !… Comme philosophe, Sénèque, réduit à un petit volume, aurait été le premier, après Cicéron et Plutarque…. Regnard marche tout près de Molière, mais il amuse sans corriger ; Molière est moraliste, Regnard n’est que moqueur[274.1]. »

Suard (1732-1817) était passionné pour La Bruyère ; il le relisait continuellement, et portait toujours sur lui un petit exemplaire des Caractères : il a d’ailleurs composé une « ex­quise[275.1] » Notice sur la personne et les écrits de La Bruyère, qui figure en tête de plusieurs éditions des œuvres du célèbre moraliste.

Louis-Joseph de Bourbon, prince de Condé (1736-1818), avait une affection particulière pour Corneille et pour Bossuet. Un jour, il dit au précepteur du duc d’Enghien : « Mon cher abbé, j’ai surpris mon petit-fils lisant ce volume de Chaulieu ; faites-lui sentir que cette lecture ne lui convient point…. Qu’il lise Corneille : c’est le bréviaire des princes. »

On sait que Louis XVIII (1755-1824) se plaisait à citer Horace, son auteur de pré­dilection[275.2].

Dès sa prime jeunesse, Napoléon Ier (1769-1821) manifesta « une insatiable passion pour la lecture » : Plutarque, Corneille, Montesquieu, Ossian, étaient ses favoris[275.3]. Plutarque et Ossian ont été tous les deux surtout « ses véritables livres de chevet[276.1] ». De même qu’Alexandre le Grand serrait précieusement les œuvres d’Homère dans une cassette de cèdre incrustée d’or et de pierreries, Napoléon Ier « faisait à une petite édition anglaise d’Ossian les honneurs de son intimité », et renfermait dans un petit coffret, pour les emporter avec lui, les chants de Fingal et de Temora[276.2].

Gœthe (1749-1832) avait la plus vive admiration pour Molière et pour Voltaire : « Molière est si grand que, chaque fois qu’on le relit, on éprouve un nouvel étonnement. C’est un homme unique ; ses pièces touchent à la tragédie, elles saisissent…. L’Avare surtout, dans lequel le vice détruit toute la piété qui unit le père et le fils, a une grandeur extraordinaire, et est à un haut degré tragique…. Tous les ans, je lis quelques pièces de Molière, de même que de temps en temps je contemple les (des) gravures d’après de grands maîtres italiens[276.3]…. Je connais et j’aime Molière depuis ma jeunesse, et, pendant toute ma vie, j’ai appris de lui. Je ne manque pas de lire chaque année quelques-unes de ses pièces, pour me maintenir toujours en commerce avec la perfection…. Le Misanthrope, que je relis sans cesse comme une des pièces du monde qui me sont les plus chères[277.1]…. »

Et, à propos de Voltaire : « Quand les familles se conservent longtemps, on peut remarquer que la nature produit enfin un individu qui réunit les qualités de tous ses ancêtres, rassemble et exprime dans la perfection toutes les dispositions qui, jusqu’à lui, s’étaient montrées isolées et en germe. Il en est de même pour les nations, dont les mérites ont souvent le bonheur de trouver leur expression dans un individu unique. C’est là ce qui est arrivé pour Louis XIV, le roi français dans toute la force du terme ; cela est arrivé aussi pour Voltaire, le Français suprême, l’écrivain qui a été le plus en harmonie avec sa nation[277.2]. »

« Voltaire, c’est le plus grand homme en littérature de tous les temps ; c’est la création la plus étonnante de l’Auteur de la nature[277.3]. »

Gœthe faisait aussi le plus grand cas du roman pastoral de Longus, Daphnis et Chloé, dans la traduction de P.-L. Courier : « Voilà encore un chef-d’œuvre que j’ai souvent lu et admiré, où l’on trouve l’intelligence, l’art, le goût poussés à leurs dernières limites, et qui fait un peu descendre le bon Virgile…. On fait bien de lire ce livre une fois tous les ans ; on y apprend toujours, et l’on ressent toujours toute fraîche l’impression de sa rare beauté[278.1]. »

Le savant helléniste et philologue Coray (1748-1833) recommençait chaque année, au premier de l’an, la lecture d’Homère et celle d’Hippo­crate[278.2].

Le législateur Sieyès (1748-1836) et l’idéologue Destutt de Tracy (1754-1836) « lisaient perpétuellement Voltaire : arrivés au dernier tome, ils reprenaient le premier et recom­mençaient[278.3] ».

Chateaubriand (1768-1748) a dit[278.4] : « Pascal et Bossuet[278.5], Molière et La Fontaine sont quatre hommes tout à fait incomparables et qu’on ne retrouvera plus. Si nous ne mettons pas Racine dans ce nombre, c’est qu’il a un rival dans Virgile. »

Le savant géographe et critique Walckenaer (1771-1852) disait que « les quatre morceaux de poésie latine où brille toute la majesté romaine, et, à ce point de vue, préférables à tous les autres, sont : le Prologue, de Laberius[280.1] ; l’Épithalame de Thétis et Pelée, de Catulle ; la Consolation (anonyme) adressée à Livie sur la mort de son fils ; et l’Héroïde de Cornélie à Paulus, par Properce ».

Henri Heine (1797-1856) aimait Don Quichotte « jusqu’aux larmes ». C’était le premier livre qu’il avait lu tout enfant, dès qu’il avait su son alphabet, et l’impression qu’il avait ressentie de cette première lecture lui était demeurée ineffaçable[281.1].

Guizot (1787-1874) lisait chaque soir quelques sonnets de Pétrarque « pour se rasséréner l’esprit » ; et Thiers (1797-1877) se délassait avec les Oraisons funèbres de Bossuet[281.2].

« J’avoue ma prédilection, écrit l’académicien Silvestre de Sacy (1801-1879) ; de tous les grands hommes de l’antiquité, celui qui, tout compensé, me paraît avoir réuni le plus de nobles et de belles qualités, c’est Cicéron, Cicéron orateur, philosophe, hommes de lettres, Cicéron homme d’État[282.1]. »

Auguste Vacquerie (1819-1895), l’auteur de Tragaldabas, plaçait au-dessus de tous les écrivains Victor Hugo et Shakespeare. « On plaint, disait-il[282.2], les peuples qui sont six mois de l’année sans voir le soleil, et la plupart des hommes sont toute la vie sans voir Shakespeare[282.3]. »

Le romancier Alphonse Daudet (1840-1897), dans les dernières années de sa vie, avait arrêté son choix sur Montaigne, et faisait des Essais son unique livre de chevet[282.4].

[I.249.225]
  1.  Peignot, Manuel du bibliophile, t. I. p. 31. — C’est de même à Peignot, dont la seconde partie du Manuel du bibliophile, t. I, pp. 29 à 413 (ou son Traité du choix des livres, p. 14 à 207), est consacrée à la « Prédilection particulière que des hommes célèbres de tous les temps ont eue pour certains ouvrages et surtout pour les chefs-d’œuvre littéraires », que j’emprunte les détails suivants ci-dessus non accompagnés d’indications de sources.  ↩
  2.  Cf. Lucien, Contre un ignorant bibliomane, IV, trad. Talbot, t. II, p. 272.  ↩
[I.250.226]
  1.  Cf. le récit de Plutarque, supra, pp. 4-5.  ↩
[I.251.227]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 70 ; Duruy, Histoire des Romains, t. V, p. 1. — Antimaque, poète du ve siècle av. J.-C. — Cœlius Antipater (iie siècle av. J.-C.), auteur d’Annales auxquelles eut souvent recours Tite-Live. (Cf. A. Pierron, Histoire de la littérature romaine, p. 186.)  ↩
[I.252.228]
  1.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, pp. 83-84.  ↩
  2.  Page 11, note.  ↩
  3.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, p. 88.  ↩
[I.253.229]
  1.  « Un illustre président du Parlement de Toulouse, nommé Caminade, ne pensait pas si désavantageusement de Martial ; tous les ans il faisait cadeau, en étrennes, d’un exemplaire de cet auteur à notre poète Maynard (1582-1646). » (Peignot, op. cit., t. I, p. 89.)  ↩
[I.254.230]
  1.  Cf. Peignot, op. cit., t. I, p. 90.  ↩
  2.  Un des fils de Jules-César Scaliger (qui eut quinze enfants), Joseph-Jules Scaliger (1540-1609), s’était acquis, de son vivant, « une telle réputation, que Juste Lipse écrivait qu’il aimerait mieux jouir de l’entretien de Scaliger que de voir toute la pompe triomphale d’un ancien consul romain. Ce compliment était peut-être dû en partie à la terreur qu’inspirait l’espèce de despotisme exercé par l’orgueilleux Scaliger sur tous les littérateurs de son temps. Casaubon tremblait en écrivant, quand il pensait que ce qu’il écrivait serait vu par Joseph Scaliger. » Etc. (Peignot, op. cit., t. I, pp. 93-94, note.)  ↩
  3.  « On récite de plusieurs chefs de guerre, qu’ils ont eu certains livres en particulière recommandation ; comme le grand Alexandre, Homère, Scipion Africain, Xénophon, Marcus Brutus, Polybius ; Charles cinquième, Philippe de Commines, et dit-on, de ce temps, que Machiavel est encore ailleurs en crédit. Mais le feu mareschal Strozzi, qui avoit pris César pour sa part, avoit sans doute bien mieux choisi ; car, à la vérité, ce debvroit estre le bréviaire de tout homme de guerre, comme estant le vrai et souverain patron de l’art militaire. » (Montaigne, Essais, II, xxxiv ; t. III, p. 212. Paris, Charpentier, 1862.)  ↩
[I.255.231]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 95, à qui, comme je l’ai dit, sont empruntés tous les faits et détails non accompagnés de notes. — Bien que Mélanchthon ait commenté et édité Pline le Jeune (la Grande Encyclopédie, art. Mélanchthon), il s’agit ici de Pline l’Ancien. Pline sans épithète s’appliquant d’ordinaire à l’auteur de l’Histoire naturelle ↩
[I.256.232]
  1.  Montaigne, Essais, II, x ; t. II, pp. 211 et s. (Paris, Charpentier, 1862.) Ce chapitre x du livre II est entièrement consacré par Montaigne à ses ouvrages préférés.  ↩
  2.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, p. 108.  ↩
  3.  Cf. supra, p. 126, n. 1, la lettre de Henri IV à Marie de Médicis : « … Plutarque me sourit toujours d’une fraîche nouveauté ; l’aimer, c’est m’aimer, » etc.  ↩
[I.257.233]
  1.  Roman satirique, qui dépeint les intrigues et les vices des cours princières.  ↩
  2.  Op. cit., t. I. p. 114.  ↩
[I.258.234]
  1.  Théognis (vie siècle av. J.-C.), le poète gnomique par excellence (gnomê, sentence). Phocylide de Milet, contemporain de Théognis : il est aussi « le type le plus complet du poète gnomique, un Pibrac grec, comme l’appelle M. Croiset ». (La Grande Encyclopédie.) Une traduction des Sentences de Théognis, de celles de Phocylide, ainsi que des Vers dorés de Pythagore, dues toutes les trois à Pierre-Charles Lévesque (1737-1812), se trouve dans le volume Moralistes anciens (Bibliothèque des philosophes et des historiens grecs ; Paris, Lefèvre, 1840 ; in-18).  ↩
  2.  Hiéroclès, philosophe grec de l’École néo-platonicienne, vivait à Alexandrie vers le milieu du ve siècle de notre ère ; il est l’auteur d’un Commentaire sur les vers dorés de Pythagore, d’un Traité de la Providence, etc. — Arrien (Flavius), historien grec, né vers l’an 105, a écrit la vie d’Alexandre le Grand (Anabase), un Manuel sur la philosophie d’Épictète, etc. — Dion Cassius, autre historien grec, né vers l’an 155, auteur d’une Histoire romaine, écrite dans la manière de Polybe, mais de moindre valeur.  ↩
[I.259.235]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, pp. 117-118.  ↩
  2.  Datée du 12 septembre 1645. (Gui Patin, Lettres choisie, p. 20. Paris, Jean Petit, 1688.)  ↩
[I.260.236]
  1.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, p. 121.  ↩
  2.  Cf. Id., op. cit., t. I, p. 356, n. 1.  ↩
[I.261.237]
  1.  Revue bleue, 18 février 1893, p. 224.  ↩
  2.  Peignot, op. cit., t. I, pp. 128-129.  ↩
  3.  J.-N.-M. de Guerle, Recherches sur le Satyricon. Œuvres complètes de Pétrone, trad. Panckoucke, p. xxvii. (Paris, Garnier, 1876.)  ↩
[I.262.238]
  1.  Ap. Adolphe Retté, la Revue (ancienne Revue des Revues), 1er octobre 1904, p. 349.  ↩
  2.  Gui Patin, ap. Adolphe Retté, ibid. ; et Peignot, op. cit., t. I, p. 131.  ↩
  3.  Pétrone et Martial, qui ont si amplement et complaisamment décrit les amours hors nature et toutes les immondes passions de la Rome vieillissante, peuvent être considérés comme les deux écrivains latins « qui bravent le plus l’honnêteté ». Les dispositions de la jeune Christine ne se démentirent d’ailleurs pas, et il n’y a aucun doute sur la facilité et la licence de ses mœurs. Elle était, nous conte et nous démontre la Princesse Palatine (voir sa lettre du 10 novembre 1719 : Correspondance, t. II, pp. 185-186 ; Paris. Charpentier, 1869), « livrée à tous les genres de débauche ». Quant à ses lectures préférées, l’anecdote suivante révèle une fois de plus la liberté de goûts et d’allure de cette souveraine. « Saumaise étant à Stockholm, et au lit, malade de la goutte, lisait pour se désennuyer le Moyen de parvenir ; la reine Christine entre brusquement chez lui sans se faire annoncer : il n’a que le temps de cacher sous sa couverture le petit livre honteux (perfacetum quidem, ai subturpiculum libellum). Mais Christine, qui voit tout, l’a vu ; elle va prendre hardiment le livre jusque sous le drap, et, l’ouvrant, se met à le parcourir de l’œil avec sourire ; puis, appelant la belle de Sparre, sa fille d’honneur favorite, elle la force de lui lire tout haut certains endroits qu’elle lui indique, et qui couvrent ce noble et jeune front d’embarras et de rougeur, aux grands éclats de rire de tous les assistants. Huet tenait l’histoire de la bouche de Saumaise, et il la raconte en ses mémoires. » (Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au xvie siècle, p. 272, n. 3. Paris, Charpentier, 1869.)  ↩
[I.263.239]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 131.  ↩
  2.  Ap. Fertiault, les Amoureux du livre, p. 190.  ↩
  3.  Cf. supra, p. 228.  ↩
  4.  Préface de la Méthode latine de Port-Royal.  ↩
  5.  Sur Cicéron, voir supra, pp. 10-14.  ↩
[I.264.240]
  1.  L’Ode sur la mort de Henri IV. (Cf. P. Mesnard, Notice biographique sur La Fontaine : La Fontaine, Œuvres, t. I., p. xv. Paris, Hachette. 1883. Collection des Grands Écrivains.)  ↩
  2.  La Fontaine, Œuvres, t. IX. p. 403 (même édition).  ↩
  3.  Supra, p. 148.  ↩
[I.265.241]
  1.  La Fontaine, Épitre à Monseigneur l’évêque de Soissons, en lui donnant un Quintilien…. (Œuvres, t. IX, p. 204 ; même édition.)  ↩
  2.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, p. 141.  ↩
  3.  Dans la même épître, ibid., p. 202.  ↩
  4.  Louis Racine, Mémoires, ap. P. Mesnard, Notice biographique sur La Fontaine : La Fontaine, Œuvres, t. I, p. cxci ; même édition.  ↩
[I.266.242]
  1.  Lettre du 9 mars 1672 (t. I, p. 473. Paris, Didot, 1867). « Vive donc notre vieil ami Corneille ! » écrit-elle encore (let. du 16 mars 1672, p. 477). « Pardonnons-lui de méchants vers en faveur des divines et sublimes beautés qui nous transportent : ce sont des traits de maître qui sont inimitables. »  ↩
  2.  Lettre du 20 juillet 1679 (t. III, p. 463). « On croit d’abord en distinguer quelques-unes ; et, à force de relire, on les trouve toutes bonnes. » (Ibid. ↩
  3.  Lettre du 28 mars 1689 (t. V, p. 366). Voir aussi t. I. p. 141, et passim ↩
  4.  La Bruyère, Caractères, Des ouvrages de l’esprit, p. 10. (Paris, Dezobry, 1849.)  ↩
[I.267.243]
  1.  Cf. Peignot, op. cit., t. I, pp. 165 et s.  ↩
  2.  De quelques livres espagnols, italiens et français, Œuvres choisies, p. 406. (Paris, Garnier, s. d., édit. Gidel.)  ↩
  3.  Cf. supra, pp. 233-234.  ↩
  4.  Op. cit., même page.  ↩
[I.268.244]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 172.  ↩
  2.  Lamartine, Lectures pour tous, Vie de Bossuet, pp. 420-421. (Paris, Hachette, 1860.)  ↩
  3.  Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XI, Notes et Pensées, p. 462.  ↩
  4.  Cf. Lamartine, les Confidences, livre XI, xvi, p. 315. (Paris, M. Lévy, 1855.)  ↩
[I.269.245]
  1.  « Rabelais, de qui découlent les Lettres françaises, » disait, au contraire, Chateaubriand. (Cf. Sainte-Beuve, op. cit., t. XI, p. 502.) « … Rabelais, un écrivain si ample, si complet et si maître en sa manière de dire (pour ne le prendre que par cet endroit) qu’il y aurait vraiment à le comparer à Platon, si l’on ne voyait en lui que la forme, et non ce qu’il y a mis, et que l’on pourrait avancer sans blasphème que la langue de Massillon (encore une fois, je parle de la langue uniquement) n’est, par rapport à celle de Rabelais, qu’une langue plutôt de corruption, de mollesse déjà commençante et de décadence. » (Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire, t. I, p. 29.) « A Pantagruel commence à poindre la liberté, et j’ose dire la morale. Pantagruel est l’écrasement de l’idéal, le précurseur de Voltaire, la Révolution…. Nous avons entendu M. de Lamartine traiter Rabelais d’infâme cynique ! Pareille insulte devait lui venir du plus mou et du plus efféminé de nos idéalistes. Rabelais est chaste entre tous les écrivains, et Pantagruel honorable entre tous les héros. » (Proudhon, De la Justice dans la Révolution, t. III, p. 315. Bruxelles, Lacroix, 1868.) « … Sans doute, ils (les livres de Rabelais) ne sont pas lecture de jeunes femmes ; mais ils ne contiennent pas un atome d’immoralité. L’immoralité littéraire est dans les peintures lascives et dans les narrations complaisantes d’actes honteux. De ces narrations et de ces peintures il n’y en a pas une, je dis pas une, dans Rabelais. » Etc. (Émile Faguet, Seizième Siècle, p. 125.) « Parlez- moi de Rabelais, voilà mon homme ! Que de profondeur, que de verve ! Que Voltaire, près de lui, est un petit garçon ! Montaigne lui-même n’en approche pas…. Rabelais, sous sa robe de bateleur, avait le mal en haine, et c’était tout un monde nouveau que sa sublime folie aspirait à créer. Il n’y a point, dans notre langue ni dans aucune langue, d’ouvrage plus sérieux que le sien. Il l’est quelquefois jusqu’à effrayer. » (Lamennais, Correspondance, lettre au baron de Vitrolles, ap. Jules Levallois, Revue bleue, 2 juin 1894, p. 680.)  ↩
  2.  Sur ces divers qualificatifs, cf. Proudhon, op. cit., t. III, p. 315 ; Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XI, p. 502 ; et Lamartine, Premières Méditations, Préface, pp. 5-6. De même que tout à l’heure pour Rabelais, donnons ici, en note, pour La Fontaine, un correctif aux brutales épithètes de Lamartine : « Il y a, dans La Fontaine, une plénitude de poésie qu’on ne trouve nulle part dans les autres auteurs français. » (Joubert, Pensées, t. II, p. 379.) « … Elle (la postérité) reconnaît La Fontaine pour l’auteur qui a le plus reproduit en lui et dans sa poésie toute réelle les traits de la race et du génie de nos pères, et, si un critique plus hardi que Voltaire (ce critique, le premier en date, est Joubert : cf. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. II, p. 315) vient à dire : « Notre véritable Homère, l’Homère des Français, qui le croirait ? c’est La Fontaine, » cette postérité y réfléchit un moment, et elle finit par répondre : « C’est vrai ». (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VII, p. 519.) « C’est La Fontaine qui est notre Homère, » (Taine, La Fontaine et ses fables, p. 46.)  ↩
[I.270.246]
  1.  Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 366.  ↩
  2.  Ap. Sainte-Beuve, op. cit., t. I, p. 369.  ↩
[I.271.247]
  1.  Conversations recueillies par Eckermann, t. II. p. 329.  ↩
  2.  Je rappelle que les détails et les citations sans indications de sources proviennent de Peignot, Manuel du bibliophile, t. I, pp. 29-413.  ↩
  3.  Notons que le célèbre philosophe oratorien n’avait, en revanche, aucun goût pour l’histoire et la tenait en très piètre estime. « … Presque toutes les anciennes histoires ne sont guère que des contes. Malebranche, à cet égard, avait raison de dire qu’il ne faisait pas plus de cas de l’histoire que des nouvelles de son quartier. » (Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Ana, Anecdotes ; t. I, p. 97. Paris, édit. du Siècle, 1867.) Voltaire disait, lui (op. cit., art. Donation ; t. I, p. 306) : « L’histoire n’est autre chose que la liste de ceux qui se sont accommodés du bien d’autrui ». Nous verrons plus loin (p. 263) Mme du Deffand nous dire que « tout ce qui est histoire d’une nation me paraît un recueil de gazettes, que les auteurs arrangent pour autoriser leurs systèmes et faire briller leur esprit ». « .… Si l’on ment de la sorte pour des choses qui se sont passées devant votre nez, que faut-il croire de ce qui est loin de nous et de ce qui est survenu il y a bien des années ? Je crois que les histoires, excepté ce qui regarde la sainte Écriture, sont aussi fausses que les romans ; la seule différence, c’est que ces derniers sont plus amusants. » (Madame, duchesse d’Orléans, princesse Palatine, lettre du 31 mars 1718, Correspondance, t. I, p. 389. trad. G. Brunet. Paris, Charpentier, 1869.) Le traducteur de cette correspondance ajoute en note à cet endroit : « L’idée que Madame indique ici a été développée avec quelque érudition dans un ouvrage de l’abbé Lancelloti : Farfalloni degli antichi historici, Venetia, 1736 (1636). Ce livre a été traduit par J. Oliva et a paru en 1770 : Les Impostures de l’histoire ancienne et profane, 2 vol. in-12. L’auteur a réuni, pour en montrer l’absurdité, toutes les fables, tous les farfalloni racontés par les historiens, tel que l’emploi du vinaigre dont Annibal fit usage pour faire fondre les rochers des Alpes, et la perle qu’avala Cléopâtre. »  ↩
[I.272.248]
  1.  La véritable orthographe, conforme à la signature, est Leibniz. « Les lettres autographes qui nous restent de ce génie incomparable sont toutes signées Leibniz. » (Hœfer, Nouvelle Biographie.) Cf. aussi Michaud, Biographie universelle ; Larousse, Grand Dictionnaire ; la Grande Encyclopédie ; etc.  ↩
  2.  Sextus Empiricus, philosophe, astronome et savant médecin grec, originaire de Mitylène (fin du iie siècle), ainsi surnommé parce qu’il avait adopté l’empirisme en médecine. Il a été l’apologiste du scepticisme, qui, selon lui, devait conduire au repos de l’âme et à un équilibre parfait de la raison. (Cf. Eugène Talbot, Histoire de la littérature grecque, p. 321.)  ↩
[I.273.249]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 194.  ↩
  2.  Id., ibid. ; et Fontenelle, Éloge de M. Leibnitz, Œuvres choisies, t. III, p. 183. (Paris, Jouaust, 1883.)  ↩
  3.  Cf. Peignot, op. cit., t. I, p. 366.  ↩
  4.  Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. III, pp. 49 et 452.  ↩
[I.274.250]
  1.  « Pour écrire en prose, il faut absolument avoir quelque chose à dire. Pour écrire en vers, ce n’est pas indispensable. » (Mme Ackermann, Pensées d’une solitaire, p. 26.) « La poésie est un mensonge. Les gens qui veulent dire nettement leur pensée la disent en prose. » (Louis Ulbach, la Confession d’un abbé, p. 80.)  ↩
  2.  Cf. Pensées, Art. VII, § 25 (Œuvres complètes, t. I, p. 289 ; Paris, Hachette, 1860 ; in-18) : « On ne sait pas en quoi consiste l’agrément, qui est l’objet de la poésie. » Etc. Parmi les dépréciateurs de la rime et des vers, on cite encore Malebranche, La Motte et l’abbé Prévost…. Stendhal en voulait particulièrement au vers alexandrin, qu’il prétendait n’être souvent qu’un cache-sottise, et comparait « à une paire de pincettes brillantes et dorées, mais droites et roides ». (Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. II, p. 178, n. 1 ; Causeries du lundi, t. IX, p. 317 ; et Tableau de la poésie française au xvie siècle, p. 61, n. 2 (Paris, Charpentier, 1869). « … Malgré son essai de tragédie en vers de Cromwell, malgré les deux fragments versifiés reproduits dans ses Œuvres complètes, H. de Balzac affirmait n’avoir jamais pu assouplir sa plume à écrire de ces phrases en lignes inégales, terminées chacune par une assonance. Il avait peut-être, sur la versification, les mêmes idées que Stendhal, lequel disait qu’un rimeur lui faisait l’effet d’un homme qui, ayant l’usage de ses deux jambes, s’astreindrait à marcher à clochepied. » (Julien Lemer, Balzac, sa vie, son œuvre, p. 247. Paris, Sauvaitre, 1892.)  ↩
[I.275.251]
  1.  « Ce mot de Duclos fait tout à fait contraste avec celui de Voltaire, qui est si connu : « Entrez, entrez, monsieur, je ne fais que de la vile prose » ; et avec cet autre de l’abbé Delille, à qui M. Walckenaer faisait observer qu’un de ses beaux vers du poème de l’Imagination était pris mot à mot dans la belle prose des Études de la nature de Bernardin de Saint-Pierre : « Ce qui n’a été dit qu’en prose n’a jamais été dit ». (Peignot, op. cit., t. I, p. 200, n. 1.)  ↩
  2.  A propos d’Homère, rappelons ce mot célèbre : « Lorsque j’ai lu Homère, j’ai cru avoir vingt pieds de haut, » disait le sculpteur Bouchardon. (Ap. Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Épopée ; t. I, p. 346 ; Paris, édit. du journal le Siècle, 1867.) Voici textuellement le propos naïf de Bouchardon : « Il y a quelques jours qu’il m’est tombé entre les mains un vieux livre français que je ne connaissais point ; cela s’appelle l’Iliade d’Homère. Depuis que j’ai lu ce livre-là, les hommes ont quinze pieds (de haut) pour moi, et je ne dors plus. » (Note de Georges Avenel, ap. Voltaire, ibid.).  ↩
[I.276.252]
  1.  Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XIII, p. 125.  ↩
[I.277.253]
  1.  Prévost-Paradol, Jonathan Swift, sa vie et ses œuvres, en tête des Voyages de Gulliver, t. I, pp. 8 et 39. (Paris, Bibliothèque nationale, 1868.)  ↩
  2.  Peignot, op. cit., t. I, p. 215.  ↩
[I.278.254]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 172.  ↩
  2.  Ces ouvrages, ou sections d’ouvrages, sont indiqués par Peignot, op. cit., t. I, pp. 217-218.  ↩
  3.  Pensées diverses, Des anciens. (Œuvres complètes, t. II, p. 424 ; Paris, Hachette, 1866.)  ↩
  4.  Op. cit., ibid.  ↩
  5.  Op. cit., p. 425.  ↩
[I.279.255]
  1.  Op. cit., Des modernes, p. 426.  ↩
  2.  De Boursault.  ↩
  3.  Op. cit., p. 426.  ↩
  4.  Op. cit., p. 426.  ↩
  5.  Op. cit., p. 426.  ↩
  6.  Op. cit., p. 427.  ↩
  7.  Op. cit., p. 428.  ↩
  8.  Op. cit., p. 432.  ↩
  9.  En tête des Œuvres complètes de P. Corneille, t. I, p. 5. (Paris, Didot, 1886. In-8.)  ↩
[I.280.256]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 276.  ↩
  2.  Cf. supra, p. 161 ; et Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XII, p. 150.  ↩
  3.  Peignot, op. cit., t. I, p. 280.  ↩
[I.281.257]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 199, n. 1.  ↩
  2.  Id., op. cit., t. I, p. 282.  ↩
  3.  R. Colomb, Essai sur la vie et les écrits du président de Brosses, en tête des Lettres familières écrites d’Italie, par Charles de Brosses, t. I, p. x. (Paris, Didier, 1858.)  ↩
[I.282.258]
  1.  R. Colomb, op. cit., pp. xii, xiii, xlii. « … Comment exprimer en peu de mots la vivacité de l’intérêt et la préférence, en quelque sorte monomane, qu’inspirait Salluste à M. de Brosses ? Quand on songe qu’il a mis plus de quarante années à le compléter, le traduire, l’expliquer, à disputer à l’oubli des siècles jusqu’aux plus faibles débris des pensées de son auteur ; enfin qu’il a dépensé peut-être cinquante mille francs à dépouiller le corps entier des anciens grammairiens, dont les manuscrits sont disséminés dans les principales bibliothèques de l’Europe, à faire dessiner et graver des bustes, des médailles, des plans de batailles, des cartes géographiques, il est impossible de ne pas accorder quelque estime à une telle entreprise. Peu de personnes savent, au juste, ce que M. de Brosses a fait pour Salluste ; » etc. (Id., ibid., p. xxxvi.)  ↩
  2.  Le fait est attesté par d’Alembert, qui dit, dans son Éloge de Massillon : « Le plus célèbre écrivain de notre nation et de notre siècle (Voltaire) faisait des sermons de ce grand orateur une de ses lectures les plus assidues. Massillon était pour lui le modèle des prosateurs, comme Racine celui des poètes, et il avait toujours sur la même table le Petit Carême et Athalie », Sans indiquer d’autorité ni de source, Charles Nodier (Questions de littérature légale, p. 117 ; Paris, Crapelet, 1828) remplace Athalie par les Provinciales : « Voltaire avait toujours sur sa table les Provinciales et le Petit Carême ». Pour Dorat, le chantre des Baisers, Athalie n’était que « la plus belle des pièces ennuyeuses ». (Peignot, op. cit., t. I, pp. 285-286, note.)  ↩
[I.283.259]
  1.  Partie I, livre I (t. V, p. 316. Paris, Hachette, 1864). Cf. infra, t. II, chap. ii, Premières Lectures.  ↩
  2.  Confessions, I, VI ; t. V, p. 477. Malgré ces assertions, Jean-Jacques, comme nous le verrons plus loin (t. II, chap. iv et xi), n’a jamais été grand liseur. « Je hais les livres, ils n’apprennent qu’à parler de ce qu’on ne sait pas. » (Émile, livre III ; t. I, p. 563.)  ↩
[I.284.260]
  1.  Livre III ; t. I, pp. 563 et suiv.  ↩
[I.285.261]
  1.  Doudan, Lettres, t. IV, p. 151. (Paris, C. Lévy, 1879. In-18.)  ↩
  2.  Page 9. Berlin, 1762. In-12. La seconde édition de cet ouvrage porte le titre de Amusements philosophiques. (Cf. Peignot, op. cit., t. I, p. 378 ; Larousse, Grand Dictionnaire ; et Hœfer, Nouvelle Biographie.)  ↩
  3.  Marquise du Deffand, Correspondance, t. I, p. 381, n. 1. (Paris, Plon, 1865.)  ↩
  4.  Loc. cit., t. I, p. 385. Lettre du 27 octobre 1766.  ↩
[I.286.262]
  1.  Loc. cit., t. II, p. 562. Lettre du 18 juin 1776.  ↩
  2.  Loc. cit., t. II, p. 563. Lettre du 7 juillet 1776.  ↩
  3.  Loc. cit., t. II, p. 713. Lettre du 3 février 1780.  ↩
  4.  Loc. cit., t. II, p. 153. Lettre du 24 mars 1771.  ↩
  5.  Mme du Deffand, Correspondance, t. I, p. 356. Lettre du 5 mars 1771. (Paris, Lévy, 1877.)  ↩
  6.  Marquise du Deffand, Correspondance, t. II, p. 131. Lettre du 27 janvier 1771. (Paris, Plon, 1865.)  ↩
[I.287.263]
  1.  Loc. cit., t. II, p. 662. Lettre du 23 août 1778.  ↩
  2.  Peignot, op. cit., t. I, pp. 322-323.  ↩
  3.  Diderot, Œuvres complètes, t. V, p. 216. (Paris, Garnier, 1875-1877 ; édit. annotée par Assézat et Tourneux.)  ↩
[I.288.264]
  1.  Op. cit., p. 222.  ↩
  2.  Peignot, op. cit., t. I, p. 341.  ↩
  3.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, pp. 343 et s.  ↩
  4.  Et il devait aussi délaisser souvent Voltaire, puisque, parlant de Tacite et de Montesquieu, il dit à Hérault de Séchelles, que « ce sont deux auteurs de cheminée : il ne faut pas passer un jour sans les lire ». (Peignot, op. cit., t. I, p. 346.)  ↩
[I.289.265]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, p. 365. Grosley avait pour devise : « Paix et peu ». Il disait fort justement et joliment que « c’est le propre des Muses de nous amuser inutilement et de nous payer avec leur seule douceur ». (Cf. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au xvie siècle, pp. 467 et 468.)  ↩
  2.  Ap. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. III, p. 193.  ↩
[I.290.266]
  1.  Sainte-Beuve, op. cit., t. IX. p. 7. C’était aussi l’opinion de Frayssinous (Défense du christianisme, Moïse législateur, t. I, p. 352) : « … Massillon, le premier prosateur de la littérature française ». Sur Massillon, cf. supra, p. 258, n. 2.  ↩
  2.  Peignot, op. cit., t. I, p. 367. Rappelons la fière et belle déclaration de Buffon, qui pourrait et devrait servir de programme à tout véritable écrivain : « Je n’ai pas mis dans mes livres un seul mot dont je ne pusse rendre compte. » (Ap. Gustave Merlet, Études littéraires, Chanson de Roland, Joinville, etc. p. 566. Paris, Hachette, 1882. In-8.)  ↩
  3.  Tome I, p. 137 ; ap. Peignot, op. cit., t. I, p. 369.  ↩
[I.291.267]
  1.  Et des Vies de Plutarque aussi : cf. supra, p. 173.  ↩
  2.  Peignot, op. cit., t. I, p. 370. Cet ouvrage a paru originairement sous le titre de : Éducation royale ou examen de conscience pour un prince. (Cf. Brunet, Manuel du libraire.) Il porte aujourd’hui le titre de : Examen de conscience sur les devoirs de la royauté, et se trouve dans le tome IV, pp. 340-366, des Œuvres choisies de Fénelon (Paris, Hachette, 1862 ; in-18) et tome III, pp. 335-351 des Œuvres de Fénelon (Paris, Didot, 1878 ; in-8).  ↩
  3.  Peignot, op. cit., t. I, pp. 377-378.  ↩
[I.292.268]
  1.  Mme Roland, Mémoires, t. III, p. 27. (Paris, Bibliothèque nationale, 1869.)  ↩
  2.  Ap. Peignot, op. cit., t. I, pp. 379-380.  ↩
[I.293.269]
  1.  Baron Tanneguy de Wogan, Manuel des gens de lettres, p. 463. (Paris, Didot, s. d.)  ↩
[I.294.270]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, pp. 382-383.  ↩
  2.  Pages 131-132 et 136-137, trad. Antoine de Latour. (Paris, Charpentier, 1840.)  ↩
  3.  Cf. supra, pp. 166-167, Vauvenargues lisant les Vies de Plutarque : « J’en étais fou… je pleurais de joie, lorsque je lisais ces Vies ; je ne passais point de nuit sans parler à Alcibiade, Agésilas et autres » ; etc.  ↩
[I.295.271]
  1.  Citons encore ces aveux de Victor Alfieri (op. cit., p. 363), terminés par une attestation ou profession de foi, qui va de pair avec celle de Buffon (supra, p. 266, n. 2) : « … C’est à dater de ce jour que commença mon désenchantement de la gloire, qui, depuis, a toujours été en augmentant. Toutefois je persisterai dans la résolution que j’ai prise d’essayer encore pendant dix ou quinze ans, jusqu’à l’approche de ma soixantaine, d’écrire, dans deux ou trois genres, de nouvelles compositions. Je le ferai de mon mieux et avec tout le soin dont je suis capable. Je veux avoir, en mourant ou en vieillissant, l’intime consolation de me dire que, autant qu’il a été en moi, j’ai satisfait à l’art et à moi-même. »  ↩
[I.296.272]
  1.  Ap. Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. V, p. 426. Cf. supra, p. 261, ce que Mme du Deffand dit de Montaigne. « … Le livre le plus éminent de notre ancienne littérature, les Essais de Montaigne. » (Charles Nodier, Notice sur Bonaventure des Périers, en tête des Contes et Nouvelles Récréations de Bonaventure des Périers, p. 28 (Paris, Gosselin, 1843). « Philosophe, non de profession, mais par nature, sans programme et sans système, observant toujours et n’enseignant jamais, Montaigne laisse errer sa pensée et sa plume à travers tous les sujets qu’elles rencontrent : jamais on ne s’est aventuré avec un tel bonheur. » (Daunou, ap. Sainte-Beuve, Portraits contemporains, t. IV, p. 344.) « … Montaigne, notre plus grand peintre. » (Taine, La Fontaine et ses fables, p. 295.) « Montaigne… Quel charmant, quel commode et quel joli voyageur c’était que cet homme de cabinet qui avait en lui l’étoffe de plusieurs hommes ; quel naturel heureux, curieux, ouvert à tout, détaché de soi et du chez soi, déniaisé, guéri de toute sottise, purgé de toute prévention !… Que d’accortise à tout venant ! que de bon sens partout ! que de vigueur de pensée ! quel sentiment de la grandeur, quand il y a lieu ! que de hardiesse et aussi d’adresse en lui ! J’appelle Montaigne « le Français le plus sage qui ait jamais existé ». (Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. II, p. 177.)  ↩
[I.297.273]
  1.  Edgar Quinet, le Génie des religions, livre II, chap. I, p. 47. (Paris, Chamerot, 1851.)  ↩
  2.  Supra, p. 261.  ↩
  3.  Doudan, Lettres, t. IV, p. 151. (Paris, C. Lévy, 1879. In-18.)  ↩
  4.  Peignot, op. cit., t. I, p. 391. Nous rappelons encore une fois que toutes les particularités et citations dont les sources ne sont pas indiquées sont empruntées à Peignot, Manuel du bibliophile, t. I, pp. 29-413.  ↩
[I.298.274]
  1.  Peignot, op. cit., t. I, pp. 395-397.  ↩
[I.299.275]
  1.  L’épithète est de Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. I, p. 405 : « On doit lire sur La Bruyère trois morceaux essentiels…. Le premier morceau en date est celui de l’abbé d’Olivet dans son Histoire de l’Académie…. Les deux autres… sont une notice exquise de Suard, écrite en 1782, et un Éloge approfondi par Victorin Fabre (1810). »  ↩
  2.  Larousse, Grand Dictionnaire, art. Louis XVIII.  ↩
  3.  Mouravit, Napoléon bibliophile, Revue biblio-iconographique, novembre 1903, pp. 383 et s. Cette étude, qui remplit de nombreux numéros de la Revue biblio-iconographique, a été très soigneusement faite par M. Mouravit, et peut être considérée comme définitive.  ↩
[I.300.276]
  1.  Tancrède Martel, Œuvres littéraires de Napoléon Bonaparte, t. I, p. xvii. (Paris, Savine, 1888.)  ↩
  2.  P. Christian, Étude sur Ossian, en tête des Poèmes d’Ossian, p. 5 (Paris, Lavigne, 1844) ; et Larousse, Grand Dictionnaire, art. Ossian.  ↩
  3.  Conversations recueillies par Eckermann, trad. Délerot, t. I, pp. 215-216. (Paris, Charpentier, 1863.)  ↩
[I.301.277]
  1.  Loc. cit., pp. 322-323.  ↩
  2.  Gœthe, loc. cit., t. II, p. 77, n. 1. Cf. aussi Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XV, p. 210, n. 1 : « Si l’on cherchait un nom… le vrai représentant de l’esprit français dans ce que j’appelle un congrès européen serait Voltaire. Gœthe l’a vu et l’a exprimé avec sa supériorité de critique et de naturaliste…. » Voltaire, « ce diable d’homme (c’est le nom dont on le nomme involontairement)…. » (Sainte-Beuve, op. cit., t. XIII, p. 12.)  ↩
  3.  Gœthe, cité dans les Œuvres complètes de Voltaire, t. VIII, pp. 1125-1126. (Paris, édit. du journal le Siècle, 1870.)  ↩
[I.302.278]
  1.  Conversations recueillies par Eckermann, t. II. pp. 272 et 280.  ↩
  2.  Sainte-Beuve, les Cahiers de Sainte-Beuve, p. 199.  ↩
  3.  « On raconte que Sieyès et M. de Tracy lisaient perpétuellement Voltaire : quand la lecture était finie, ils recommençaient ; ils disaient l’un et l’autre que tous les principaux résultats étaient là. » (Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. II, p. 437. Voir aussi même tome, p. 184, n. 1.)  ↩
  4.  Génie du Christianisme, livre IV, chap. v, t. II, p. 40, n. 1. (Paris, Didot, 1865. In-18.)  ↩
  5.  Les mérites de Bossuet historien et philosophe, — jadis si surfait, aujourd’hui si en dehors de notre société démocratique et des idées modernes, si redondant et si creux, — ont été plus d’une fois contestés. Voir, entre autres, l’appréciation d’Émile de Labédollière et de Georges Avenel, dans leur édition des Œuvres complètes de Voltaire (t. II, p. 1 ; Paris, Journal le Siècle, 1867) : « Bossuet, prêtre et homme d’État, avait osé, dans son Discours sur l’histoire universelle, fabriquer une histoire selon son Église, selon sa politique, et toute à l’usage de la cour où il vivait et des princes qu’il éduquait ; il avait confisqué l’humanité entière à son profit et au leur ; il l’avait concentrée, emprisonnée dans Israël » ; etc. Mais on n’a rien écrit de plus topique, de plus catégorique et de plus net sur l’éloquent rhéteur, « l’aigle de Meaux », que cette lettre d’Ernest Renan à Alphonse Peyrat, datée de Paris, 8 avril 1856 (ap. Adolphe Brisson, Portraits intimes, pp. 100-102) : « Monsieur, je vous remercie bien vivement de vos beaux articles sur Bossuet, que j’ai reçus et lus avec le plus grand intérêt. Je vous félicite d’avoir osé attaquer avec tant de franchise et de vigueur une idole de l’admiration routinière. Les influences combinées du clergé, de l’Université et de la littérature rhétoricienne avaient élevé autour de Bossuet une sorte d’enceinte sacrée que vous percez avec autant d’audace que de bonheur. Pour ma part, la destruction de cette superstition-là (dans la mesure, bien entendu, où une superstition se détruit) a toujours été une de mes idées fixes. Vous venez de réaliser ce que j’aurais voulu faire, vingt fois mieux que je ne l’aurais fait : vos preuves sont décisives, et votre exposition pleine de force (et ?) d’habileté. J’attends avec impatience la seconde série d’articles où vous examinerez comme écrivain celui dont vous avez détruit le prestige comme homme. Montrez hardiment ce qu’il a fallu de naïveté et de confiance dans les rhéteurs pour accepter comme des chefs-d’œuvre un ouvrage aussi puéril que l’Histoire universelle, qui, de nos jours, mériterait à peine de figurer parmi les ouvrages destinés à un pensionnat de religieuses ; la Politique tirée de l’Écriture, ignoble parodie de la Bible au profit de Louis XIV, l’Histoire des variations, fondée tout entière sur un sophisme évident ; les écrits philosophiques, vrais cahiers de collège, sans aucune valeur ; les écrits sur l’Écriture sainte, pleins d’une exégèse arriérée, à une époque où une critique meilleure se faisait jour avec Richard Simon. Les persécutions suscitées par Bossuet à ce grand homme, si supérieur à son temps dans le domaine de la science sacrée, m’ont toujours semblé caractéristiques de l’esprit absolu et borné de l’Église gallicane et de la Sorbonne en particulier. Pour tout ce qui est de la méthode et du fond des connaissances, Bossuet n’est en réalité qu’un sorbonniste encroûté ; je ne crois pas exagérer en ne lui laissant absolument que le mérite d’orateur. Celui-là, il le possède à un haut degré ; s’il se fût contenté du rôle d’un Mascaron ou d’un Fléchier, on eût pu l’accepter comme le premier des maîtres en éloquence classique ; mais la prétention de résoudre avec de la rhétorique les plus graves problèmes de la religion, de la politique, de l’histoire, de la philosophie, est insoutenable. C’est en flattant les mauvaises tendances de l’esprit français, toujours séduit par la pompe du langage et par une prétendue apparence de sens commun, que Bossuet est arrivé chez nous à cette espèce de dictature intellectuelle que vous lui avez si victorieusement contestée. Recevez de nouveau, monsieur, mes félicitations pour votre acte de courage (je ne crois pas trop dire en employant ce mot), et croyez aux sentiments infiniment distingués avec lesquels je suis…. »  ↩
[I.304.280]
  1.  Decimus Junius Laberius, auteur comique latin, qui vivait environ 50 ans avant Jésus-Christ, a composé une quarantaine de mimes (pièces — tragédies ou comédies — satiriques), dont on a conservé les titres. Laberius, dont le style était d’une âpreté rude et mordante, avait sans doute irrité César, car le dictateur, durant les fêtes de son triomphe, le contraignit à monter sur la scène, au prix de cinq cent mille sesterces, et à jouer lui-même dans ses mimes. Laberius s’exécuta, la mort dans l’âme ; mais son indépendance retrouva toute sa fierté moqueuse dans le Prologue de sa pièce, chef-d’œuvre de persiflage et de douloureuse protestation, conservé par Macrobe dans ses Saturnales (cf. Eugène Talbot, Histoire de la littérature romaine, pp. 160 et s.), où figure un fragment de ce Prologue, « pièce d’un goût exquis, que Rollin n’a pas dédaigné de critiquer et de traduire » dans son Traité des études, De la poésie, livre III, chap. i, art. 2 ; t. I, pp. 247-249 (Paris, Didot. 1883).  ↩
[I.305.281]
  1.  Bardoux, le Magasin pittoresque, février 1887, p. 63.  ↩
  2.  « M. Guizot me disait un jour que, tous les soirs, au milieu de ses travaux et de ses affaires, il lisait les Sonnets de Pétrarque pour se rasséréner l’esprit. Je crois que les ministres d’aujourd’hui lisent bien rarement Pétrarque ou Dante. Tout en menant leur train de guerre, lord Chatham s’enchantait de Virgile, M. Pitt des chœurs d’Eschyle, M. Fox des lettres de Mme de Sévigné, M. Thiers des oraisons de Bossuet. » (Doudan, Lettres, t. IV, p. 151.)  ↩
[I.306.282]
  1.  Variétés littéraires, t. I, p. 16. Voir aussi supra, p. 11, note.  ↩
  2.  Profils et Grimaces, p. 318.  ↩
  3.  « … Mais il s’est produit des grands hommes littéraires tout à fait en dehors de cette tradition (de la tradition littéraire, la tradition classique). Nommez-les. Je n’en sais qu’un, et bien grand, en effet, Shakespeare ; et celui-là, êtes-vous bien sûr qu’il est tout à fait en dehors ? N’avait-il pas lu Montaigne et Plutarque, ces copieux répertoires, ou mieux, ces ruches de réserve de l’antiquité, où tant de miel est déposé ? Poète admirable et le plus naturel sans doute depuis Homère (quoique si diversement), de qui l’on a pu écrire avec raison qu’il a une imagination si créatrice et qu’il peint si bien, avec une si vaillante énergie, tous les caractères, héros, rois, et jusqu’aux cabaretiers et aux paysans, « que, si la nature humaine venait à être détruite et qu’il n’en restât plus aucun autre monument que ses seuls ouvrages, d’autres êtres pourraient savoir par ses écrits ce qu’était l’homme ! » (Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XV, p. 366.)  ↩
  4.  Renseignement personnel.  ↩

Publié le 22 oct. 1905 par Albert Cim