I-III. Depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’à l’avènement de Louis XIV
L’invention de l’imprimerie, cette invention « qui semble être plus divine qu’humaine[109.1] », est, comme l’atteste Victor Hugo[109.2], « le plus grand événement de l’histoire. C’est la révolution mère. C’est le mode d’expression de l’humanité qui se renouvelle totalement…. Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais ; elle est volatile, insaisissable, indestructible. » « Le monde, ce jour-là, entra dans l’infini, » constate, à son tour, l’historien Michelet[109.3] ».
La date de l’invention est incertaine : elle oscille entre 1440 et 1450 ; le nom de l’inventeur est mal connu : ce nom de Gutenberg est écrit tantôt Gudinberg, tantôt Gutenberger, tantôt Gudenburch, tantôt même on l’appelle Gensfleisch[110.1]. On a même longtemps cru, et certains, paraît-il, estiment encore que Gutenberg ou Gensfleisch ou son associé Fust ou Faust ne sont que de perfides plagiaires, que le véritable inventeur est le Hollandais Laurent Coster (de Harlem)[110.2]. Rien, en un mot, de plus confus et de plus obscur que cette question des origines de l’imprimerie, qui a fait couler des tonnes d’encre.
Décrire l’impulsion donnée par ce nouveau mode de reproduction de la pensée à l’expansion du livre, à la diffusion et à l’amour de la science et des lettres, serait chose superflue. Il va de soi que la nouvelle découverte fit rapidement tomber le prix des livres, précédemment si élevé[111.1]. « Que d’actions de grâces ne vous rendra pas le monde littéraire et chrétien ! dit Jean-André, évêque d’Aléria[111.2], au pape Paul II (1418-1471), qui avait introduit l’imprimerie à Rome. N’est-ce pas une grande gloire pour Votre Sainteté d’avoir procuré aux plus pauvres la facilité de se former une bibliothèque à peu de frais, et d’acheter, pour vingt écus, des volumes corrects, qu’antérieurement on pouvait à peine obtenir pour cent écus, quoiqu’ils fussent remplis de fautes de copistes ? Maintenant on peut acheter un volume moins cher que ne coûtait autrefois sa reliure. »
Notons, en outre, que, durant ce même siècle, deux autres grands événements vinrent, comme l’imprimerie, modifier l’état des connaissances humaines et en provoquer l’accroissement : la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, qui fit refluer en Italie et dans tout l’Occident quantité de manuscrits grecs[112.1], et, en 1464, l’établissement des postes en France par Louis XI[112.2], qui, d’abord créées pour le service exclusif du roi et de son gouvernement, ne tardèrent pas à se généraliser, ce qui permit à tous les érudits, travailleurs et chercheurs, aux libraires, imprimeurs, etc., de correspondre entre eux, d’entretenir ensemble des relations plus régulières et plus fréquentes.
Ces faits rappelés, reprenons notre revue succincte des fervents du Livre et servants des Lettres, et notre « florilège » de leurs beaux « dicts », préceptes, sentences et exemples.
Le cardinal Bessarion (1395-1472), qui, deux fois, faillit être élu pape, mérite une des premières places dans cette galerie. Il fut un des plus féconds écrivains et l’un des plus zélés bibliophiles de son époque. Dans sa célèbre lettre du 4 mai 1468, adressée au doge et au sénat de Venise, par laquelle il fait don de ses précieuses collections « à la vénérable bibliothèque Saint-Marc », dont elles sont encore aujourd’hui l’une des richesses, il nous conte les débuts de sa passion et nous en dépeint toute l’ardeur : « Dès ma plus tendre enfance, écrit-il, tous mes goûts, toutes mes pensées, tous mes soins n’ont eu d’autre but que de me procurer des livres pour en former une bibliothèque assortie. Aussi, dès mon jeune âge, non seulement j’en copiais beaucoup, mais toutes les petites épargnes que je pouvais mettre de côté par une grande économie, je les employais sur-le-champ à acheter des livres ; et, en effet, je croyais ne pouvoir acquérir ni d’ameublement plus beau, plus digne de moi, ni de trésor plus utile et plus précieux. Ces livres, dépositaires des langues, pleins des modèles de l’antiquité, consacrés aux mœurs, aux lois, à la religion, sont toujours avec nous, nous entretiennent et nous parlent ; ils nous instruisent, nous forment, nous consolent ; ils nous rappellent les choses les plus éloignées de notre mémoire, nous les rendent présentes, les mettent sous nos yeux. En un mot, telle est leur puissance, telle est leur dignité, leur majesté, leur influence, que, s’il n’y avait pas de livres, nous serions tous ignorants et grossiers ; nous n’aurions ni la moindre trace des choses passées, ni aucun exemple, ni la moindre notion des choses divines et humaines. Le même tombeau qui couvre les corps aurait englouti les noms célèbres[113.1].
« Cependant, quoique j’eusse déjà fait tout ce qu’il m’était possible de faire pour ma bibliothèque, je sentis tout à coup mon zèle se ranimer à la funeste nouvelle de la perte de la Grèce et de la prise de Constantinople (le 29 mai 1453), et je n’épargnai rien pour obtenir, par des recherches multipliées, tous les livres grecs que l’on pouvait découvrir ; car je craignais beaucoup que tant de grands hommes, que le fruit précieux des veilles et des sueurs de tant d’illustres écrivains, que tant de flambeaux du monde, se trouvant dans un aussi grand danger, ne vinssent à périr avec tout le reste. D’ailleurs, dans les temps anciens, les lettres grecques ont déjà fait une telle perte, que de deux cent vingt mille ouvrages qui, au rapport de Plutarque, existaient dans la bibliothèque d’Apamée, à peine il nous en reste mille. J’ai tâché, autant qu’il m’a été possible, de réunir moins un grand nombre de livres que des ouvrages excellents, et surtout de les avoir complets. Ainsi j’ai rassemblé, parmi les productions des sages de la Grèce, tout ce qu’il y avait de plus rare et de plus difficile à trouver.
« Mais, réfléchissant souvent sur cet objet, il m’a semblé que mon but ne serait pas entièrement atteint, si je ne prenais des précautions pour qu’un trésor amassé avec tant de soins et à si grands frais ne fût ni vendu ni dispersé après ma mort, mais qu’il fût placé, pendant que j’existe encore, dans quelque lieu sûr et commode, et conservé précieusement pour l’utilité commune des amis des lettres grecques et latines[115.1]…. »
Le roi de Hongrie Mathias Corvin (1443-1490), très versé dans les lettres et les sciences, avait rassemblé à Bude, sa capitale, une superbe bibliothèque, qui contenait une grande quantité de manuscrits provenant de Constantinople. Cette bibliothèque, riche de 50 000 volumes, fut saccagée, en 1526, après la bataille de Mohacz, lorsque les Turcs, sous la conduite de Soliman, entrèrent à Bude. Les somptueuses reliures, garnies de pierreries et de fermoirs d’argent, furent arrachées par les soldats, les plus belles miniatures déchirées et enlevées ; le feu fut mis ensuite à ce qui restait, et peu de volumes échappèrent au désastre. Quelques-uns, oubliés dans une tour, y furent retrouvés un siècle plus tard, et ils font aujourd’hui partie de la bibliothèque de Vienne ; quatre autres figurent dans les collections de notre Bibliothèque nationale ; « mais on peut affirmer, dit M. Van Praet, qu’ils sont des plus beaux que renfermait celle de Bude[115.2] ».
Voici en quels termes enthousiastes un poète et philologue allemand, qui vivait peu après Mathias Corvin, Brassicanus (1500-1539), décrit, dans sa préface des œuvres de Salvien, les richesses d’art et d’érudition rassemblées par le roi de Hongrie, avec quelle désolation aussi il raconte la perte de ces merveilles :
« J’ai vu tous ces livres ; mais pourquoi dirai-je des livres, quand chacun de ces livres était un trésor ? Dieux immortels, qui pourra croire de quelle jouissance a été pour moi un pareil spectacle ? Je croyais être, non dans une bibliothèque, mais, comme on dit, dans le sein de Jupiter, tant il y avait là de livres anciens, grecs et hébreux, que le roi Mathias, après la prise de Constantinople et la ruine d’un grand nombre de villes considérables, avait rachetés à grands frais, du milieu de la Grèce, et avait reçus comme des esclaves arrachés aux fers et aux chaînes des barbares.
« Il se trouvait là, à l’exclusion toutefois de tous livres des sophistes, tant d’ouvrages latins, anciens et modernes, que je ne me rappelle pas en avoir vu ailleurs un pareil assemblage. Car le roi Mathias, que l’on appellerait certainement le dévorateur des livres, entretenait à grands frais à Florence quatre fameux copistes, dont la seule et unique fonction était de lui transcrire tous les auteurs grecs et latins les plus célèbres, qu’il n’avait pu faire venir de la Grèce ; car l’art typographique, comme toutes les choses à leur début, n’avait pas encore pris une grande extension ni poussé de telles racines, qu’il pût satisfaire les désirs ardents et vraiment royaux de ce roi, le plus excellent de tous…. J’y ai vu des auteurs grecs innombrables et des commentaires infinis sur presque tous les poètes, commentaires peu ou point connus des savants…. O cruauté des Turcs ! ô farouche folie des barbares ! ô extermination des belles-lettres !… Ainsi cette bibliothèque vraiment précieuse a péri d’une si misérable façon, que, toutes les fois que le souvenir me revient en mémoire (et il m’y revient souvent), je m’écrie avec Virgile :
…. Quis, talia fando…
Temperet a lacrymis[117.1] ? »
Machiavel (1469-1530) avait coutume, avant d’entreprendre sa lecture quotidienne de quelque chef-d’œuvre d’Athènes ou de Rome, de revêtir ses plus beaux habits, comme pour se rendre plus digne de cette haute fréquentation et, en même temps, faire honneur à cet hôte illustre. « … Le soir venu, je retourne chez moi, et j’entre dans mon cabinet : je me dépouille, sur la porte, de ces habits de paysan, couverts de poussière et de boue ; je me revêts d’habits de cour, ou de mon costume, et, habillé décemment, je pénètre dans le sanctuaire antique des grands hommes de l’antiquité : reçu par eux avec bonté et bienveillance, je me repais de cette nourriture qui, seule, est faite pour moi, et pour laquelle je suis né… et, pendant quatre heures, j’échappe à tout ennui, j’oublie tous mes chagrins, je ne crains plus la pauvreté, et la mort ne saurait m’épouvanter[118.1]…. »
Un autre savant italien, le philosophe, poète et astronome Celio Calcagnini (1479-1543), qui, avant Copernic (1473-1543) et presque un demi-siècle avant Galilée (1564-1642), émit l’idée que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil[118.2], légua, par son testament, tous ses livres et instruments de mathématiques à la bibliothèque des dominicains de Ferrare, sa ville natale, et voulut reposer, après sa mort, dans le lieu où il s’était toujours plu à vivre. C’est ce qu’une épitaphe de cette bibliothèque nous apprend : Index tumili Cœlii Calcagnini, qui ibidem sepelire voluit ubi semper vixit. Et, au-dessous du mausolée, on lit une inscription où se trouvent ces belles paroles : Ex diuturno studio hoc dedicit : mortalia contemnere, et ignorantiam suam non ignorare[118.3].
La lecture tient une grande place dans le programme d’études et la « discipline » que Rabelais (1483 ?-1553) institue, par l’intermédiaire de Ponocrates, à l’usage de Gargantua. Dans la matinée, « par trois bonnes heures luy estoit faicte lecture ». Puis, « au commencement du repast, » — du repas de midi, du dîner, que nous appelons aujourd’hui déjeuner, — « estoit lue quelque histoire plaisante des anciennes prouesses, jusques à ce qu’il (Gargantua) eust pris son vin. Lors (si bon sembloit) on continuoit la lecture ou commençoient à deviser joyeusement ensemble. » L’après-midi, Gargantua « se remettoit… tant à répéter la lecture matutinale qu’à poursuivre le livre entrepris[119.1] ».
On connaît les humbles et studieux débuts de Jacques Amyot (1513-1593), qui devint évêque d’Auxerre et grand aumônier de France, et s’est acquis, comme traducteur de Plutarque et de Longus, une gloire littéraire encore brillante : tous les dictionnaires, les galeries d’enfants prodiges, les livres de morale à l’usage de la jeunesse, ont consigné ce salutaire exemple de passion pour l’étude et les livres, de courageuse et inlassable persévérance. De Melun, dont il était originaire, la mère de Jacques Amyot envoyait à son fils, chaque huit jours, une miche de pain, par les bateliers qui descendaient la Seine ; et l’on rapporte que le manque d’huile obligeait l’enfant à étudier la nuit à la lueur de charbons embrasés. Pour avoir des livres à sa disposition et obtenir des lambeaux de leçons, le jeune Amyot se fit le domestique de quelques étudiants riches, et, à force de privations, de volonté et d’énergie, il réussit à apprendre le latin, le grec, la philosophie, les mathématiques ; il se fit recevoir maître ès arts, et, grâce aux protections qu’il s’était acquises, car de tout temps il en a fallu, il finit par obtenir une chaire à l’université de Bourges[120.1].
Ronsard (1524-1585) appelle très joliment ses livres familiers :
Mes bons hostes muets qui ne fâchent jamais[121.1].
Étienne Pasquier (1529-1615), l’érudit auteur des Recherches de la France, décrit ainsi, dans une de ses lettres à Achille de Harlay, son genre de vie accoutumé : « … Étant maintenant réduit en ma chambre, voici l’économie que j’y garde. J’ai d’un côté mes livres, ma plume et mes pensées ; d’un autre, un bon feu, tel que pouvait souhaiter Martial, quand, entre les félicités humaines, il y mettait ces deux mots : focus perennis. Ainsi me dorlotant de corps et d’esprit, je fais de mon étude une étuve, et de mon étuve une étude ; et, en l’un et l’autre sujet, je donne ordre qu’il n’y ait aucune fumée : au demeurant, étude de telle façon composée, que je ne m’asservis aux livres, ains les livres à moi. Non que je les lise de propos délibéré pour les contredire ; mais tout ainsi que l’abeille sautelle d’une fleur à autre, pour prendre sa petite pâture dont elle forme son miel, aussi lis-je ores l’un, ores un autre auteur, comme l’envie m’en prend, sans me lasser, ou opiniâtrement harasser en la lecture d’un seul : car autrement, ce ne serait plus étude, ains servitude pénible. Ainsi mûrissant par eux mes conceptions, tantôt assis, tantôt debout, ou me promenant, leurs auteurs me donnent souvent des avis, auxquels jamais ils ne pensèrent, dont j’enrichis mes papiers[122.1]… ».
Montaigne (1533-1592) vivait de même dans sa « librairie », au troisième étage de sa tour, butinant çà et là, sans contrainte et selon sa fantaisie : « Là, je feuillette à cette heure un livre, à cette heure un autre, sans ordre et sans dessein, à pièces décousues. Tantôt je resve, tantôt j’enregistre et dicte, en me promenant, mes songes que voicy…. Je passe là et la plus part des jours de ma vie, et la plus part des heures du jour…. C’est là mon siège ; j’essaye à m’en rendre la domination pure, et à soustraire ce seul coing à la communauté, et conjugale, et filiale, et civile…. Misérable à mon gré, qui n’a chez soy, où estre à soy ; où se faire particulièrement la court ; où se cacher[123.1]. »
« Le commerce (c’est-à-dire la fréquentation et l’usage) des livres, dit-il encore[123.2], est bien plus sûr et plus à nous (que le commerce avec les hommes par la conversation, et avec les femmes par l’amour)… il a pour sa part la constance et facilité de son service. Cettuy-cy costoye tout mon cours, et m’assiste partout ; il me console en la vieillesse et en la solitude ; il me descharge du poids d’une oysifveté ennuyeuse, et me desfaict à toute heure des compaignies qui me faschent ; il esmousse les poinctures de la douleur, si elle n’est du tout extrême et maistresse. Pour me distraire d’une imagination opportune, il n’est que de recourir aux livres ; ils me destournent facilement à eulx, et me la desrobbent : et si ne se mutinent point, pour veoir que je ne les recherche qu’au défault de ces aultres commodités, plus réelles, vifves et naturelles ; ils me receoivent toujours du mesme visage…. J’en jouïs, comme les avaricieux des trésors, pour savoir que j’en jouïrai quand il me plaira : mon âme se rassasie et contente de ce droict de possession. Je ne voyage sans livres, ni en paix, ni en guerre : toutesfois il se passera plusieurs jours, et des mois, sans que je les emploie ; ce sera tantost, dis-je, ou demain, ou quand il me plaira : le temps court et s’en va ce pendant, sans me blecer ; car il ne se peult dire combien je me repose et séjourne en cette considération, qu’ils sont à mon costé pour me donner du plaisir à mon heure ; et à recognoistre combien ils portent de secours à ma vie. C’est la meilleure munition que j’aye trouvé à cet humain voyage ; et plainds extrêmement les hommes d’entendement qui l’ont à dire » (qui en sont privés).
« Je ne cherche aux livres, dit ailleurs Montaigne[124.1], qu’à m’y donner du plaisir par un honneste amusement : ou si j’estudie, je n’y cherche que la science qui traicte de la cognoissance de moi-mesme, et qui m’instruise à bien mourir et à bien vivre…. Si ce livre me fasche, j’en prends un aultre…. Je ne me prends guères aux nouveaux, pour ce que les anciens me semblent plus pleins et plus roides…. »
Il y aurait encore à extraire des Essais bien d’autres passages relatifs à la lecture et aux belles-lettres. En voici un dernier, où, toujours sans parti pris, aussi dépourvu d’entêtement qu’inaccessible à l’exaltation, le prudent épicurien déclare préférer à tout, même aux livres, la santé et la gaieté, nos deux meilleures pièces : « Les livres sont plaisants ; mais si, de leur fréquentation, nous en perdons enfin la gayeté et la santé, nos meilleures pièces, quittons-les : je suis de ceulx qui pensent leur fruict ne pouvoir contrepoiser cette perte…. Je n’aime pour moi que des livres ou plaisants et faciles qui me chatouillent, ou ceulx qui me consolent, et conseillent à régler ma vie et ma mort[125.1]. »
Henri IV (1553-1610) était, au dire de Scaliger[125.2], incapable de deux choses : « à savoir de lire et de tenir gravité ». D’Aubigné parle aussi de ce peu de goût de son maître pour la lecture[125.3]. « Il est fort heureux, ajoute Sainte-Beuve[125.4], après cette citation de d’Aubigné, qu’il ait lu Plutarque dans son enfance et par les soins de sa mère, car il ne l’aurait sans doute pas lu plus tard ; il n’en aurait eu ni le temps ni la patience, et nous n’aurions pas cette charmante lettre, la plus jolie de celles qu’il adresse à Marie de Médicis, et qui est des premiers temps de son mariage (3 septembre 1601)[126.1]. »
La première femme de Henri IV, la reine Marguerite (1553-1615), digne petite-fille de François Ier, était savante, comme tous les Valois. Elle parlait latin, aimait les vers, en faisait et s’en faisait faire par des poètes, ses amis plus que ses commensaux, et écrivait d’agréables et curieux Mémoires. « Quand elle avait commencé de lire un livre, si long qu’il fût, elle ne le laissait ni ne s’arrêtait jamais jusqu’à ce qu’elle en eût vu la fin ; « et bien souvent en perdoit le manger et le dormir[127.1] ».
Le chancelier François Bacon (1561-1626), l’auteur du Novum Organum, De la dignité et de l’accroissement des sciences humaines, etc., disait[127.2] que « lire, c’est converser avec les sages » ; et il a fait, sur les livres, les ingénieuses et judicieuses comparaisons suivantes : « Les bibliothèques sont comme ces châsses où se conservent et reposent les reliques de tous les vieux saints, mais, cette fois, sans tromperie et sans imposture…. Si l’invention du vaisseau qui porte d’un endroit à un autre endroit les richesses et les agréments de la vie, qui associe les régions les plus éloignées les unes des autres dans la participation de leurs divers produits, passe pour une invention si noble, combien plus doit-on exalter les livres, qui, comme les navires, traversent les vastes mers du temps, et qui font participer les âges les plus lointains à la sagesse, aux lumières, aux découvertes les uns des autres[127.3]. »
Le jésuite bibliographe Claude Clément, Claudius Clemens (1594-1642), auteur d’un traité sur la construction, le rangement et le fonctionnement des bibliothèques publiques et privées[128.1], est d’avis qu’ « il y a peu de dépenses, de profusions, je dirais même de prodigalités plus louables que celles qu’on fait pour les livres, lorsque en eux on cherche un refuge, les voluptés de l’âme, l’honneur, la pureté des mœurs, la doctrine et un renom immortel[128.2] ».
En vrai sage et très judicieusement, Gassendi (1592-1656) avait coutume de dire que, « dans le monde, la part des gens de lettres est encore la meilleure, parce qu’ils n’ont pas le loisir de s’ennuyer, ni même de se plaindre de tout ce qui afflige les autres jusqu’au fond de l’âme[128.3] ».
Au début de son Discours de la Méthode[128.4], Descartes (1596-1650) fait cette remarque : « La lecture de tous les bons livres est comme une conversation avec les plus honnêtes gens des siècles passés, qui en ont été les auteurs, et même une conversation étudiée en laquelle ils ne nous découvrent que les meilleures de leurs pensées….
« Mais, continue-t-il, je croyais avoir déjà donné assez de temps aux langues, et même aussi à la lecture des livres anciens, et à leurs histoires et à leurs fables. Car c’est quasi le même de converser avec ceux des autres siècles que de voyager. Il est bon de savoir quelque chose des mœurs de divers peuples, afin de juger des nôtres plus sainement, et que nous ne pensions pas que tout ce qui est contre nos modes soit ridicule et contre raison, ainsi qu’ont coutume de faire ceux qui n’ont rien vu. Mais, lorsqu’on emploie trop de temps à voyager, on devient enfin étranger à son pays ; et, lorsqu’on est trop curieux des choses qui se pratiquaient aux siècles passés, on demeure ordinairement fort ignorant de celles qui se pratiquent en celui-ci[129.1]. »
Guez de Balzac (1597-1654), le Malherbe de la prose française, comme on l’a à juste titre surnommé, qui, dans ses Lettres, dans le Prince, le Socrate chrestien, etc., s’efforce d’initier les profanes, tous les ignorants du latin et du grec, aux splendeurs de l’antiquité, « ne lisait que pour trouver de belles sentences et de belles expressions à recueillir et à enchâsser[130.1] ».
Gui Patin (1601-1672), le caustique érudit, adversaire acharné du « gazetier » Renaudot et de l’antimoine, écrit à son ami Spon, le 16 novembre 1645, à propos de la « superbe et solennelle entrée » à Paris des ambassadeurs de Pologne, « qui viennent quérir la princesse Marie pour être leur reine » : « Ces spectacles publics ne me touchent guères. Ils me rendent mélancolique, moy qui suis naturellement joyeux et gay, au lieu qu’ils réjouissent les autres. Quand je voy toute cette mondanité, j’ay pitié de la vanité de ceux qui les font. Il est vray qu’on ne fait point cette montre pour les philosophes, de l’humeur et de la capacité desquels je voudrois bien être ; mais c’est pour le vulgaire, qui est ébloui de cet éclat et en passe le temps plus doucement. Je fus, ce jour-là, quelque peu de temps davantage qu’à mon ordinaire dans mon étude (bibliothèque, cabinet de travail) et m’y employai assez bien. Mes voisins disent que j’ay grand tort de n’avoir point été à cette cérémonie, et que c’étoit la plus belle chose du monde. Ils me reprochent que je suis trop peu curieux et trop mélancolique, et moy je dis qu’ils sont trop peu ménagers de leur temps. Je m’en rapporte à vous. Si vous me condamnez, je vous promets que, la première fois que le Pape viendra à Paris, j’iray exprès jusqu’à la rue Saint-Jacques au-devant de luy, où je l’attendray chez un libraire, en lisant quelque livre, et ce ne seroit encore que pour vous complaire : car, à vous dire la vérité, si le roy Salomon avec la reine de Saba faisoient icy leur entrée, avec toute leur gloire, je ne say si j’en quitterois mes livres[131.1]. »
A un autre de ses amis et correspondants, à Falconet, médecin lyonnais, comme Spon, Gui Patin dépeint ainsi son cabinet de travail, — son « étude », où étaient rangés « en belle place et en bel air » les dix mille volumes dont se composait sa bibliothèque[131.2] : « Je vous puis assurer qu’elle est belle. J’ay fait mettre sur le manteau de la cheminée un beau tableau d’un crucifix, qu’un peintre que j’avais fait tailler (de la pierre) me donna l’an 1627. Aux deux côtés du bon Dieu, nous y sommes tous deux en portrait, le maître et la maîtresse (c’est-à-dire Gui Patin et sa femme). Au-dessous du crucifix, les deux portraits de feu mon père et de feu ma mère. Aux deux coins sont les deux portraits d’Érasme et de Joseph Scaliger. Vous savez bien le mérite de ces deux hommes divins. Si vous doutez du premier, vous n’avez qu’à lire ses Adages, ses Paraphrases sur le Nouveau Testament et ses Épîtres. J’ay aussi une passion particulière pour Scaliger, des œuvres duquel j’aime et chéris les Épîtres et les Poèmes particulièrement ; j’honore aussi extrêmement ses autres œuvres, mais je ne les entends point : aussi, quand je les lis, je baisse la tête en me souvenant de ce qu’a dit Martial : Non omnibus datum est habere nasum. Outre les ornements qui sont à ma cheminée, il y a, au milieu de ma bibliothèque, une grande poutre qui passe par le milieu de la largeur, de bout en bout, sur laquelle il y a douze tableaux d’hommes illustres d’un côté et autant de l’autre, y ayant assez de lumière par les croisées opposées ; si bien que je suis, Dieu merci, en belle et bonne compagnie avec belle clarté[132.1]. »
Ailleurs, Gui Patin nous fait cet aveu, qui n’étonnera aucun de ceux qui l’ont fréquenté : « Je me tiens plus heureux céans avec mes livres (avec mes maîtres muets, dit-il ailleurs encore) et un peu de loisir, que n’est le Mazarin avec tous ses écus et ses inquiétudes[132.2] ».
En plusieurs endroits de ses très curieuses lettres, il nous entretient de ses « débauches », des enivrantes joies qu’il goûte dans le silence de sa bibliothèque : « … Je ne fais guère de débauche que dans mon « étude » avec mes livres ; au moins n’en fais-je point tant comme je voudrais bien (autant que j’en voudrais). Feu M. Piètre[133.1], qui a été un homme incomparable, tant en bonté qu’en science, disait qu’il faisait la débauche[133.2] lorsqu’il lisait Cicéron et Sénèque, mais qu’il se réduisait aisément à son devoir avec Galien et Fernel…. Ainsi je me suis réduit dans mon « étude » depuis ce temps-là ; mais on ne m’y laisse guère dans l’état paisible qu’il faudrait pour bien étudier[133.3]. »
Richelieu (1585-1642) aimait ses livres « plus que chose au monde », selon l’expression de Michelet[133.4] : c’est à lui qu’est due la création de la bibliothèque de la Sorbonne. Rappelons aussi que, fondateur de l’Académie française, Richelieu « ne reconnaissait au-dessous du trône qu’une dignité égale à la sienne, celle de l’écrivain et du penseur ; il voulait qu’un homme du nom de Chapelain ou de Gombauld lui parlât couvert[134.1] ».
Mazarin (1602-1661) fut de même un amateur passionné des livres. Il commença à en rassembler de bonne heure. Il en possédait déjà à Rome, dans son palais du mont Quirinal, plus de cinq mille, « conservés, nous apprend le Père Jacob[134.2], dans des armoires trélissées de fil doré, ciselées et dorées à surface, avec des vases, bustes et autres antiques sur le haut d’icelles ». Le même bibliographe ajoute ce très intéressant détail : Mazarin ne confiait la reliure de ses livres qu’à des ouvriers appelés exprès de Paris.
C’est au savant Gabriel Naudé, précédemment bibliothécaire de Richelieu, que Mazarin commit le soin de sa bibliothèque[134.3], qui fut installée d’abord dans l’hôtel de Nevers, actuellement occupé par la Bibliothèque nationale.
« A la fin de l’année 1643, la bibliothèque de Mazarin renfermait douze mille volumes imprimés et quatre cents manuscrits ; c’était déjà « l’une des plus accomplies de l’Europe[135.1] », et le cardinal poursuivait avec ardeur une idée généreuse, que les dernières volontés de Richelieu lui avaient inspirée[135.2]. » C’était d’ouvrir à deux battants les portes de cette bibliothèque, et de mettre cette collection tout entière à la disposition du public. Cette ouverture eut lieu pour la première fois dans le courant d’octobre 1643 ; et, après avoir été transférée au collège qu’il fonda plus tard, la bibliothèque de Mazarin, la Mazarine, « fut de nouveau, en 1691, ouverte aux gens de lettres[136.1] ». Elle comprenait alors environ quarante-cinq mille volumes, dont douze mille in-folio ; on y comptait soixante mille auteurs[136.2].
Le nom de Gabriel Naudé (1600-1653), le fidèle et dévoué bibliothécaire de Richelieu et de Mazarin, est resté cher aux bibliophiles. La passion de Naudé pour les livres s’était manifestée dès sa jeunesse, et il avait pu la satisfaire de bonne heure, car il entrait dans sa vingtième année quand le président de Mesmes lui donna la direction de sa bibliothèque[136.3]. Gabriel Naudé est l’auteur d’un intéressant opuscule : Advis pour dresser une bibliothèque, où il dit[136.4], entre autres choses ingénieuses, que les bibliothèques ne peuvent « mieux estre comparées qu’au pré de Sénèque, où chaque animal trouve ce qui luy est propre : Bos herbam, canis leporem, ciconia lacertum[136.5], » et où il conseille « de retrancher la despense superflue que beaucoup prodiguent mal à propos à la relieure et à l’ornement de leurs volumes, pour remployer à l’achapt de ceux qui manquent… parce qu’il n’est pas des volumes comme des hommes, qui ne sont cognus et respectez que par leur robe et vestement[138.1] ».
A peu près vers le même temps, un conseiller au Parlement de Paris, Henri du Bouchet, sieur de Bournonville (….-1654), légua à l’abbaye de Saint-Victor, où il désirait être enseveli, ce qui avait été pendant sa vie « ses plus chères délices, sa bibliothèque, » qu’il avait rassemblée « avec beaucoup de peine et de soin ». Du Bouchet voulut que cette collection, comme celle de Mazarin, fût ouverte aux travailleurs, « que les gens d’estude eussent la liberté d’aller estudier en la bibliothèque de ladite abbaye trois jours de la semaine, trois heures le matin et quatre heures l’apresdiné ». Il légua, en outre, à l’abbaye, une rente de 370 livres pour l’achat des publications nouvelles, et une autre rente de 340 livres pour servir de traitement au religieux qui remplirait les fonctions de bibliothécaire.
« Les Pères de Saint-Victor se montreront reconnaissants envers leur bienfaiteur…. Son buste fut placé dans la bibliothèque, et l’on fit graver sur le marbre le passage de son testament qui contenait le legs de sa riche collection[139.1]. »
Un legs du même genre fut fait, à peu près dans les mêmes conditions, par le chanoine Jacques Hennequin (1575-1660) à sa ville natale, Troyes. Jacques Hennequin avait rassemblé une collection de dix à douze mille volumes « bien choisis » ; comme du Bouchet, il stipula, dans son testament, que sa bibliothèque serait publique, et assura une rente pour le traitement du bibliothécaire et pour l’achat de livres nouveaux[139.2].
La reine Christine de Suède (1626-1689) estimait que « la lecture est une partie du devoir de l’honnête homme[139.3] ». Elle écrivait à Bayle : « Je vous impose pour pénitence qu’à commencer du mois prochain vous m’enverrez les livres nouveaux, en toutes langues, sur toutes sortes de sujets ; je n’excepte ni romans ni satires ; surtout s’il y a des livres de chimie, faites-m’en part au plus tôt[139.4] ». Elle adressait à Heinsius les mêmes recommandations : « .… Envoyez-moi les catalogues des livres que vous avez achetés et des manuscrits que vous avez fait copier, et la dépense pour vous et pour les achats. Je vous ferai tout payer[140.1]…. »
Le savant et sage Urbain Chevreau (1615-1701), qui fut quelque temps secrétaire de la reine Christine, et qui raffolait de trois choses, des voyages, des livres et des fleurs, nous dépeint ainsi son existence et son bonheur :
« Je ne m’ennuie point dans ma solitude, où j’ai une bibliothèque assez nombreuse pour un ermite, et admirable pour le choix des livres. On y peut généralement trouver tous les Grecs et tous les Latins, de quelque profession qu’ils aient été, orateurs, poètes, sophistes, rhéteurs, philosophes, historiens, géographes, chronologistes, les Pères de l’Église, les théologiens et les conciles. On y voit les antiquaires, les relations les plus curieuses, beaucoup d’Italiens, peu d’Espagnols, les auteurs modernes d’une réputation établie ; et le tout dans une fort grande propreté. J’y ai des tableaux, des estampes ; un grand parterre tout rempli de fleurs, des arbres fruitiers, et, dans un salon, des musiciens domestiques, qui, par leur ramage, ne manquent jamais de m’éveiller ou de me divertir dans mes repas. La maison est neuve et bien bâtie ; l’air en est sain, et, pour m’acquitter de mon devoir, j’ai trois églises à côté de mes deux portes cochères[141.1]. »
C’était réaliser, et au delà, le programme tracé par Cicéron de « l’homme heureux[141.2] ». Avoir à soi et sous la main, outre des livres et des fleurs, des arbres fruitiers et des oiseaux chanteurs ; posséder une jolie maison, bien située et artistement, meublée et trois paroisses, pour comble, trois paroisses, entre lesquelles on peut choisir, n’est-ce pas le suprême idéal, et que demander de plus sur terre ?
- Louis XII, Déclaration du 9 avril 1513 concernant les libraires de Paris, ap. Lacroix, Fournier et Seré, Histoire de l’imprimerie, p. 124. ↩
- Notre-Dame de Paris, livre V, chap. ii (t. I, p. 216. Paris, Hachette, 1858). ↩
- Histoire de France, livre XII, chap. iv (t. VII, p. 175. Paris, Marpon et Flammarion, 1879). Michelet fait cette très juste remarque, que je signale en passant : « Des deux découvertes (la mobilité des caractères et la fonte), la première était une chose naturelle, nécessaire, amenée par un progrès invincible…. La grande invention, c’est la fonte ; là fut le génie, la révolution féconde. » « Il est assez surprenant, dit, de son côté, Peignot (Manuel du bibliophile, t. I, p. xxxvi), que les anciens n’aient pas connu l’imprimerie, eux qui l’ont presque touchée au doigt ; car ils avaient des caractères alphabétiques en relief, fondus soit en fer, soit en airain, dont ils se servaient pour marquer des vases en terre et autres ustensiles. Il existe au Muséum de Portici » — c’est-à-dire sans doute aujourd’hui au Musée de Naples — « une boîte remplie de ces sortes de caractères anciens, trouvés à Herculanum. Comment, avec de telles données, n’a-t-on pas eu l’idée de la possibilité d’imprimer ? » ↩
- Cf. Lalanne, op. cit., p. 64, note 1. ↩
- « Laurent Coster, né en 1370, avait soixante-dix ans en 1440, époque la plus éloignée qu’on puisse attribuer à la découverte de l’imprimerie, et cette année même est celle de la mort de Laurent Coster. » (Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, p. 590.) « L’imprimerie était née…. Cela se passait entre l’an 1440 et l’an 1450 de notre ère. » (Egger, Histoire du livre, p. 119.) ↩
- « La découverte de l’imprimerie, qui popularisa le Livre, porta, par contre, un terrible coup à son luxe. Il lui fallut subir le sort de tout ce qui se démocratise ; il dut, pour pénétrer enfin chez le peuple, se faire plus humble d’apparence, plus simple d’habit. » Etc. (Fournier, l’Art de la reliure en France, p. 41. Paris, Dentu, 1888. In-18.) ↩
- Dans la dédicace en tête de l’édition des Épitres de saint Jérôme, donnée à Rome en 1470 : ap. Petit-Radel, op. cit., pp. 219-220 ; et Lalanne, op. cit., p. 136. ↩
- Cf. Petit-Radel, op. cit., pp. 138 et 162. ↩
- Édit du 19 juin 1464. Cf. Lequien de la Neufville, Usage des postes chez les anciens et les modernes, pp. 56 et s. (Paris, Delatour, 1730) ; et Alexis Belloc, les Postes françaises, pp. 16-23 (Paris, Didot, 1886). ↩
- Formey, dans ses Conseils pour former une bibliothèque…, p. 101 (Berlin, Haude et Spener, 1756), compare avec raison cette éloquente apothéose des livres à la célèbre apologie des Lettres, placée par Cicéron dans son plaidoyer pour Archias : « Hæc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant…. ». Cf. supra, p. 13. note 1. ↩
- Ap. Peignot, Manuel du bibliophile, t. I, pp. xxxi-xxxiv. ↩
- Ap. Édouard Fournier, l’Art de la reliure en France, p. 57. ↩
- Machiavel, Lettre à Francesco Vettori, Œuvres littéraires, trad. Périès, p. 456. (Paris, Charpentier, s. d.) ↩
- Cf. son opuscule Quomodo cœlum stet, terra moveatur. « Calcagnini n’aurait-il pas droit, lui aussi, à un peu d’immortalité ? » (La Grande Encyclopédie, art. Calcagnini.) ↩
- « Une longue étude lui a appris à mépriser les choses mortelles, et à ne pas ignorer sa propre ignorance. » Cf. Michaud, Biographie universelle. Voir aussi sur Calcagnini un sonnet de M. F. Fertiault, dans les Légendes du livre, pp. 78 et 196. ↩
- Cf. l’enfance de Pierre Ramus (1515-1572), entré comme domestique, à l’âge de douze ans, au collège de Navarre, et consacrant ses nuits à l’étude ; de Georges Stephenson (1781-1848), qui, fils d’un ouvrier chauffeur, n’ayant pas le sou pour acheter des livres d’étude, dans sa mine de Newcastle-sur-Tyne, s’improvise le cordonnier de ses compagnons ; puis, plus tard, pousse si bien son fils, que ce fils, Robert Stephenson, devient un illustre ingénieur, un des premiers sujets d’Angleterre, et repose aujourd’hui à Westminster, à côté des rois (Fertiault, les Légendes du livre, pp. 40 et 190) ; du général Drouot (1774-1847), fils d’un boulanger de Nancy : « Le jeune Drouot s’était senti poussé à l’étude des lettres par un très précoce instinct. Agé de trois ans, il allait frapper à la porte des frères des Écoles chrétiennes, et, comme on lui en refusait l’entrée parce qu’il était encore trop jeune, il pleurait beaucoup. On le reçut enfin. Ses parents, témoins de son application toute volontaire, lui permirent, avec l’âge, de fréquenter des leçons plus élevées, mais sans lui rien épargner des devoirs et des gènes de leur maison. Rentré de l’école ou du collège, il lui fallait porter le pain chez les clients, se tenir dans la chambre publique avec tous les siens, et subir, dans ses oreilles et son esprit, les inconvénients d’une perpétuelle distraction. Le soir, on éteignait la lumière de bonne heure par économie, et le pauvre écolier devenait ce qu’il pouvait, heureux lorsque la lune favorisait, par un éclat plus vif, la prolongation de sa veillée. On le voyait profiter ardemment de ces rares occasions. Dès les deux heures du matin, quelquefois plus tôt, il était debout ; c’était le temps où le travail domestique recommençait à la lueur d’une seule et mauvaise lampe. Il reprenait aussi le sien ; mais la lampe infidèle, éteinte avant le jour, ne tardait point de lui manquer de nouveau ; alors il s’approchait du four ouvert et enflammé, et continuait, à ce rude soleil, la lecture de Tite-Live ou de César. » (Lacordaire, Oraison funèbre du général Drouot, p. 2. Paris, II. Gautier, s. d.) ↩
- Car, seul maistre de moy, j’allois, plein de loisir,
Où le pied me portoit, conduit de mon désir,
Ayant tousjours ès mains, pour me servir de guide,
Aristote ou Platon, ou le docte Euripide,
Mes bons hostes muets qui ne fâchent jamais ;
Ainsi que je les prens, ainsi je les remais ;
O douce compagnie et utile et honneste !
(Ronsard, Poésies pour Hélène, Élégie, p. 64. Œuvres choisies, Paris, Garnier, 1841.) ↩
- Car, seul maistre de moy, j’allois, plein de loisir,
- Étienne Pasquier, Œuvres choisies, t. II, p. 419. (Paris, Didot, 1849.) ↩
- Essais, livre III, chap. iii (t. III, pp. 366-367. Paris, Charpentier, 1862). « Il se faut réserver une arrière-boutique, toute nostre, toute franche, en laquelle nous establissions nostre vraye liberté et principale retraite et solitude, » dit ailleurs Montaigne (livre I, chap. xxxviii ; t. I, p. 359). ↩
- Op. cit., livre III, chap. iii (t. III, pp. 365-366). ↩
- Essais, livre II, chap. x (t. II, p. 210). ↩
- Essais, livre I, chap. xxxviii (t. I, pp. 367-368). ↩
- Ap. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XI, p. 379. ↩
- Parmi les princes peu lisards, selon l’expression de la maréchale Lefebvre, — qui, visitant un hôtel qu’elle venait d’acheter, et voyant la pièce réservée à la bibliothèque, dont les rayons étaient dégarnis de livres, s’avisait de cet expédient : « J’en ferai un fruitier ! Lefebvre n’est pas lisard, moi, point du tout lisarde… » (cf. Fertiault, les Légendes du livre, pp. 27 et 188), — on cite le roi Charles X, qui avouait un jour : « J’en veux à M. de la Vauguyon de m’avoir si mal élevé que je n’ai jamais pu lire quatre pages de suite, même quatre pages de Gil Blas, sans m’ennuyer. » (Sainte-Beuve, op. cit., t. II, p. 550.) ↩
- Sainte-Beuve, op. cit., t. XI, p. 380. ↩
- Voici cette lettre, telle que la donne M. de Lescure, dans son édition des Lettres d’amour d’Henri IV, pp. 198-199 (Paris, Librairie des bibliophiles, 1886), sauf l’orthographe que j’ai rajeunie ; — mais ne pas oublier l’avertissement de M. G. Lanson (Histoire de la littérature française, p. 345, n. 1), précisément à propos des lettres de Henri IV : « Il faut se défier des apocryphes, parfois les plus charmantes » : — « M’amie, j’attendais d’heure à heure votre lettre ; je l’ai baisée en la lisant. Je vous réponds en mer, où j’ai voulu courre une bordée par le doux temps. Vive Dieu ! vous ne m’auriez rien su mander qui me fût plus agréable que la nouvelle du plaisir de lectures qui vous a pris. Plutarque me sourit toujours d’une fraîche nouveauté ; l’aimer, c’est m’aimer, car il a été l’instituteur de mon bas âge. Ma bonne mère, à qui je dois tout, et qui avait une affection si grande de veiller à mes bons déportements, et ne vouloir pas, ce disait-elle, voir en son fils un illustre ignorant, me mit ce livre entre les mains, encore que je ne fusse à peine plus un enfant de mamelle. Il m’a été comme ma conscience, et m’a dicté à l’oreille beaucoup de bonnes honnêtetés et maximes excellentes pour ma conduite et pour le gouvernement des affaires. Adieu, mon cœur, je vous baise cent mille fois. Ce iiie septembre, à Calais. » ↩
- Ap. Sainte-Beuve, op. cit., t. VI, p. 189. ↩
- Ap. Fertiault, les Amoureux du livre, p. 176. ↩
- Ap. Id., ibid. ↩
- Descartes avait-il beaucoup lu ? « Avant d’entreprendre, suivant sa méthode personnelle, la série magnifique de ses travaux, » avait-il vraiment lu, comme l’assure M. Albert Collignon (la Vie littéraire, pp. 301-302), « tout ce qui avait jamais été pensé sur le monde et sur l’homme » ? Quoi que Descartes ait pu dire sur lui-même et sur ses nombreuses lectures, on est plutôt porté à croire, au contraire, qu’il a toujours lu « avec discrétion », estimant sans doute après Sénèque que : « Paucis ad bonam mentem opus est litteris » (ap. Sainte-Beuve, Portraits littéraires, t. II, p. 491). « Ce sont, après tout, les ignorants comme Pascal, comme Descartes, comme Rousseau, ces hommes qui ont peu lu, mais qui pensent et qui osent, » etc. (Id., Causeries du lundi, t. II, p. 185.) « Descartes et Rousseau étaient de petits liseurs, peu au courant de la tradition. » (Jules Levallois, l’Année d’un ermite, p. 18.) ↩
- Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XIII, pp. 245-246. — Les livres de Guez de Balzac reçurent un jour un hommage peu banal pour des livres. Leur maître nous conte qu’un « curieux », un campagnard sans doute, étant venu lui rendre visite, « lui commença sa harangue par le respect et la vénération qu’il avait toujours eue pour luy et pour Messieurs ses Livres ». (Guez de Balzac, Entretiens, VII ; Œuvres, t. II, p. 350. Paris, Lecoffre, 1854.) ↩
- Gui Patin, Lettres choisies, lettre VIII, p. 27, (Paris, Jean Petit, 1688.) ↩
- Cf. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. VIII, pp. 116-117. ↩
- Op. cit., lettre XXXIV, pp. 104-105. ↩
- Ap. Sainte-Beuve, op. cit., p. 126. ↩
- Simon Piètre dit Piètre le Grand (1565-1618), médecin et professeur au Collège de France, célèbre par son érudition et son éloquence. Il était fils d’un médecin et professeur également prénommé Simon. ↩
- C’est aussi le terme qu’employait en pareille circonstance le chancelier Daguesseau : « … Les charmes des belles-lettres, qui ont été pour moi une espèce de débauche d’esprit…. » (Instructions sur les études propres à former un magistrat, II, Étude de l’histoire, p. 237. Œuvres choisies, Paris, Didot, 1871.) ↩
- Gui Patin, Lettres, lettre du 13 juillet 1660. (Tome II, p. 74. La Haye, Van Bulderen, 1715.) ↩
- Histoire de France, t. XIV, p. 233. (Paris, Marpon et Flammarion, 1879.) ↩
- Augustin Thierry, Essai sur l’histoire… du Tiers État, chap. viii, p. 212. (Paris, Furne, 1868.) ↩
- Ap. Alfred Franklin, op. cit., Collège Mazarin, t. III, p. 37. ↩
- Voir ap. Alfred Franklin, op. cit., t. III, p. 48, de curieux détails concernant la façon dont Gabriel Naudé faisait, en Italie, des achats de livres pour le compte de Mazarin : « On nous le représente entrant, une toise à la main, chez les libraires, mesurant les tablettes, et fixant le prix d’après leurs dimensions ; aussi J.-V. Rossi prétend-il que les boutiques où il avait passé semblaient plutôt avoir été dévastées par un ouragan que visitées par un bibliophile. Naudé, d’ailleurs, marchandait beaucoup, et, à force de discussions, d’insistances et d’importunités, il finissait… par payer ses livres moins cher que s’il se fût agi de poires ou de limons…. Il est même certain que Naudé cherchait à tromper les libraires…. Dans son Advis pour dresser une bibliothèque, il approuve hautement (page 97*) la maxime qu’avait adoptée à cet égard Richard de Bury » (que tous les moyens ou à peu près sont bons pour se procurer des livres : cf. Richard de Bury, Philobiblion, chap. viii, pp. xxxi, 80 et s., et 237 et s., trad. Cocheris). « Naudé n’allait sans doute pas aussi loin en pratique qu’en théorie ; mais, quand on le rencontrait couvert de poussière et de toiles d’araignées, les poches remplies de volumes, ayant l’air joyeux et portant haut la tête, on pouvait être certain qu’il venait, à force de peines et de ruses, de conclure un marché plus avantageux pour lui que pour le libraire. » Etc.
- * Pages 66 et s., édit. Liseux (Paris, 1876). ↩
- L. Jacob, Traité des plus belles bibliothèques, p. 487, ap. Alfred Franklin, op. cit., t. III, p. 42. ↩
- Alfred Franklin, ibid. ↩
- Alfred Franklin, op. cit., t. III, p. 42. Voir aussi Petit-Radel, Recherches sur les bibliothèques anciennes et modernes, Bibliothèque Mazarine, pp. 295 et s. ↩
- Alfred Franklin, op. cit., t. III, p. 57. ↩
- Id., op. cit., t. III, p. 39. ↩
- Chap. iii, p. 24. (Paris, Liseux, 1876.) ↩
- « Ne t’étonne pas que chaque esprit exploite le même sujet selon ses goûts. Dans le même pré, le bœuf cherche de l’herbe, le chien un lièvre, la cigogne des lézards. Qu’un philologue, un grammairien et un philosophe prennent tous trois la République de Cicéron, chacun porte ses réflexions sur un point différent. » Etc. (Sénèque, Lettres à Lucilius, CVIII, trad. Baillard, t. II, p. 387.) Dans sa lettre LXXXIV (pp. 243 et s.), Sénèque a encore considéré la lecture comme « l’aliment de l’esprit », et l’a comparée aux aliments absorbés par le corps. « Tant que nos aliments conservent leur substance première et nagent inaltérés dans l’estomac, c’est un poids pour nous ; mais ont-ils achevé de subir leur métamorphose, alors enfin ce sont des forces, c’est un sang nouveau. Suivons le même procédé pour les aliments de l’esprit. A mesure que nous les prenons, ne leur laissons pas leur forme primitive, leur nature d’emprunt. Digérons-les : sans quoi ils s’arrêtent à la mémoire et ne vont pas à l’intelligence. » Etc. Cf. aussi Plutarque (Comment il faut lire les poètes, trad. Amyot, t. VIII, p. 100 ; Paris, Bastien, 1784) : « Or tout ainsi comme ès pasturages l’abeille cherche pour sa nourriture la fleur, la chèvre la feuille verte, le pourceau la racine, et les autres bestes la semence et le fruit, aussi en la lecture des poèmes, l’un en cueille la fleur de l’histoire, l’autre s’attache à la beauté de la diction et à l’élégance et doulceur du langage ». Etc. Richard de Bury, dans son Philobiblion (chap. xiv, pp. 125 et 260, trad. Cocheris), a dit que « Dieu… connaissait assez la fragilité de la mémoire humaine et la mobilité de la volonté vertueuse dans l’homme, pour vouloir que le livre fût l’antidote de tous les maux, et nous en ordonner la lecture et l’usage comme un aliment quotidien et très salubre de l’esprit ». Gabriel Peignot (Traité du choix des livres, p. 7) a fait la même comparaison : « … Si vous admettez quelques-uns (de ces mauvais livres ou) de ces livres médiocres… votre bibliothèque ressemblera à une table bien servie, où, parmi de bons mets, il s’en trouvera quelques-uns saupoudrés de coloquinte, d’autres infectés de poison, et plusieurs dépourvus d’assaisonnement. » Et N.-V. de Latena (1790-1881) : « Les meilleurs livres, comme les meilleurs aliments, sont ceux qui, sous le moindre volume, contiennent le plus de nourriture saine et substantielle. » (Ap. Fertiault, les Amoureux du livre, pp. 243-244.) Etc. Remarquer, d’ailleurs, que le mot nourriture s’appliquait autrefois aussi bien à l’esprit qu’au corps, désignait aussi bien les aliments intellectuels que les aliments matériels : cf. Littré, Dictionnaire, et la phrase de Saint-Simon citée page 161. ↩
- Op. cit., chap. v, p. 70. Sainte-Beuve (Portraits littéraires, t. III, p. 370) a dit de Gabriel Naudé : « Il est bien le patron de ceux qui, avant tout, lisent et dévorent, qui parlent de tout ce qu’ils ont lu, et chez qui l’idée ne se présente que de biais en quelque sorte, ne se faufile qu’à la faveur et sous le couvert des citations. » ↩
- Ap. Charles Nodier, l’Amateur de livres, dans les Français peints par eux-mêmes, t. II, p. 83. (Paris, Delahays, 1853.) ↩
- Cf. supra, p. 12. ↩
Publié le 22 oct. 1905 par Albert Cim