I-II. Moyen âge

Arrivent les Barbares, Huns, Goths, Visigoths, Vandales, et l’empire romain s’écroule.

« Malheur à nos jours, parce que l’étude des Lettres périt au milieu de nous ! » s’écrie l’historien des Francs, Grégoire de Tours (539-593)[077.1]. « Et cependant, remarque, à propos de cette période de l’histoire, le savant helléniste et bibliographe Egger[077.2], on ne voit pas que l’amour des livres ait jamais disparu, même au milieu des plus terribles convulsions sociales et politiques. »

Les détails que nous donne, sur les bibliothèques de son pays et de son temps, un écrivain quelque peu antérieur à Grégoire de Tours, l’évêque de Clermont Sidoine Apollinaire (430-488), prouvent, en effet, qu’il y avait encore chez nous, à cette époque, et malgré ces agitations et ces troubles, des amis des livres et de l’étude. A en juger par les citations qu’on rencontre dans ses ouvrages, le savant évêque devait posséder une bibliothèque bien fournie en auteurs classiques. Il devait en être plus ou moins de même des bibliothèques qu’il mentionne, de celle de Loup, professeur à Agen et à Périgueux ; celle de Philagre, autre professeur ; celle de l’évêque de Limoges Rurice, pour qui Sidoine faisait copier des manuscrits de sa propre bibliothèque. Il nous parle surtout de la collection de livres que le préfet Tonance Ferréol avait rassemblée dans sa magnifique demeure de Prusiane, sur les bords de la rivière du Gardon, entre Nîmes et Clermont-de-Lodève. Cette collection, relativement très nombreuse, et que Sidoine, par une poétique et hyperbolique évocation, va jusqu’à comparer à la bibliothèque d’Alexandrie, se divisait en trois classes : la première à l’usage des femmes, la seconde destinée aux littérateurs de profession, et la troisième, composée d’ouvrages d’un intérêt plus général, au commun des lecteurs[078.1].

D’ailleurs, à ces Barbares devenus maîtres de l’Occident, il fallait des ministres pour les aider à gouverner, à établir et débrouiller leurs comptes ; et ces ministres, ils les choisirent forcement parmi les plus instruits de leurs nouveaux sujets. Ainsi le roi des Ostrogoths Théodoric (457-525), qui ne savait pas écrire[079.1], attira autour de lui les plus savants hommes de son temps, l’évêque de Pavie Eunodius, Boèce, l’auteur du traité De la Consolation, traducteur et commentateur d’Aristote, et l’historien philosophe Cassiodore (468-562), dont il fit son secrétaire et l’un de ses principaux dignitaires. Cassiodore finit par se retirer dans le monastère de Viviers, qu’il avait fondé près de sa ville natale Squillace, en Calabre ; il y organisa un vaste atelier de copistes pour la transcription des ouvrages anciens, et mérita le surnom de « Conservateur des livres de l’antiquité latine »[079.2].

A peu près dans ce même temps, le pape Hilaire (mort en 467) établit, à la basilique de Saint-Jean-de-Latran, deux bibliothèques, dont l’une devait être affectée aux archives, affectation sanctionnée plus tard par le pape Grégoire le Grand (540-604). Cette bibliothèque de Saint-Jean-de-Latran, que le pape Nicolas V (1398-1455), passionné pour les lettres, fit transférer au Vatican et enrichit considérablement, est la plus ancienne des bibliothèques publiques de l’Europe moderne[080.1].

Néanmoins, durant ces premiers siècles du moyen âge, c’est surtout, c’est presque exclusivement dans les monastères que se réfugie l’amour des livres et de l’étude. Pas de couvent qui ne se piquât d’honneur d’avoir sa bibliothèque : « Monastère sans livres, place de guerre sans vivres, » disait un proverbe d’alors : Claustrum sine armario, quasi castrum sine armamentario[080.2]. La plupart des règles conventuelles, celle de saint Benoît (480-543) notamment, prescrivaient l’enseignement et la pratique de la calligraphie et ordonnaient la transcription des manuscrits. En France, l’abbaye de Luxeuil, fondée par des moines irlandais, disciples de saint Colomban (540-615), « posséda une bibliothèque relativement riche, une école d’écrivains célèbres ; et ce furent ces écoles monastiques qui, en se répandant sur le monde chrétien, créèrent ce qu’on a appelé de nos jours les écritures nationales, dégénérescences de l’ancienne cursive romaine[081.1] ».

Mais « il ne faut pas s’y tromper, remarque Ludovic Lalanne[081.2] : la règle des couvents, comme toutes les lois en général, indique ce qui devait se faire, et non pas ce qui se faisait ; la prescription dont nous venons de parler n’était guère mieux observée que les vœux de pauvreté, de chasteté et d’obéissance dans les ordres religieux, qui eurent si souvent besoin d’être réformés[081.3] ». La religion chrétienne était même parfois considérée comme l’adversaire obligé, l’ennemi déclaré et forcé, de l’antiquité grecque et latine. « Quelques conciles avaient défendu aux évêques de lire les livres des païens, et saint Grégoire reprit sévèrement Didier, évêque de Vienne, de ce qu’il enseignait la grammaire[082.1]. » Ce pape saint Grégoire, Grégoire le Grand, passe pour avoir livré aux flammes un grand nombre d’ouvrages anciens, Tite-Live, entre autres[082.2]. Au xiiie siècle encore, la règle des Dominicains s’opposait à ce qu’ils étudiassent les livres païens[082.3].

Le diacre saxon Alcuin (735-804), « l’homme le plus savant de son époque[083.1] » et « véritable bienfaiteur de l’esprit humain[083.2] », qui fut comme le précepteur de Charlemagne et son collaborateur dans son œuvre de renaissance littéraire, écrit une lettre « à l’Église d’Angleterre pour solliciter, en faveur de celle de Tours, un envoi de livres », copiés sur ceux qui se trouvent à la bibliothèque d’York, dont il avait été le premier bibliothécaire[083.3]. Il faut, en effet, maintenant, aux bibliothèques des monastères, ajouter ces bibliothèques d’églises, ces bibliothèques capitulaires, fondées surtout à partir du ixe siècle : tout chapitre comptant parmi ses dignitaires un écolâtre, ce maître avait besoin de livres pour enseigner Parmi les principales de ces bibliothèques, on cite en France celle (encore existante) de la cathédrale de Chartres, celles des cathédrales de Lyon, de Laon, de Reims, de Cambrai, de Rouen, de Clermont, etc. « On a même remarqué que les écoles capitulaires furent plus florissantes, mieux administrées que celles de beaucoup de monastères, et les bibliothèques, réunies à leur intention, souvent mieux composées et plus riches[084.1]. »

Charlemagne (742-814), qui ne négligeait rien de ce qui concernait les livres, avait accordé à l’abbé de Saint-Bertin un diplôme l’autorisant à se procurer par la chasse les peaux nécessaires pour relier les volumes de son abbaye. Les soins qu’il prenait de sa propre bibliothèque sont consignés dans une lettre de Leidrard, qui nous apprend que cet empereur avait choisi le monastère de l’île Barbe, près de Lyon, pour y placer ses livres. Il avait aussi fondé une bibliothèque au monastère de Saint-Gall[084.2].

Éginhard (771-844), qui, en s’excusant « de présenter un livre au lecteur », a si modestement et gracieusement inscrit dans le « prologue » de sa Vie de l’empereur Charles, ce beau précepte de Cicéron : « Confier ses pensées à l’écriture sans être capable de les bien disposer, de les embellir ou d’y répandre un charme qui attire le lecteur, c’est abuser outre mesure de son loisir et des lettres[084.3], » — Éginhard nous donne d’intéressants détails sur les lectures de celui qu’il nomme « le plus illustre, le plus grand des hommes[085.1] » : « Pendant qu’il était à table, il aimait à entendre un récit ou une lecture, et c’étaient les histoires et les hauts faits des temps passés qu’on lui lisait d’ordinaire. Il prenait aussi grand plaisir aux ouvrages de saint Augustin, et principalement à celui qui a pour titre De la Cité de Dieu[085.2]. »

Dans le testament de Charlemagne, que publie Éginhard[085.3], on voit que les livres, « dont il (l’empereur) avait amassé dans sa bibliothèque une grande quantité », devaient être vendus, « et que l’argent qui en proviendrait serait distribué aux pauvres[085.4] ».

La correspondance d’Éginhard contient une fort belle lettre, adressée à son ami Loup de Ferrières, et relative aux lectures qu’il fait pour se consoler de la mort de sa femme : « … J’y serais tombé (dans le désespoir), si, avec l’aide et le soutien de la divine miséricorde, je ne m’étais aussitôt appliqué à rechercher quelle conduite, dans des peines et des malheurs semblables, des hommes plus grands et meilleurs que moi avaient su tenir et consacrer par leur noble exemple. J’avais sous la main les ouvrages de docteurs distingués, que, loin de négliger, nous devons écouter et suivre en toutes choses. C’étaient le glorieux martyr Cyprien et ces illustres interprétateurs des Écritures divines et sacrées, Augustin et Jérôme. Ranimé par leurs pensées et par leurs salutaires exhortations, je me suis efforcé de relever mon cœur abattu sous le poids du chagrin, et je me suis mis à réfléchir attentivement en moi-même sur les sentiments que je devais éprouver en voyant sortir de ce monde une compagne chérie, qui, en effet, avait cessé d’être mortelle plutôt qu’elle n’avait cessé de vivre…. Je le pense, — et en le disant je ne crains pas de me tromper, — la douleur et les tourments que m’a causés la perte de ma chère épouse dureront autant que moi et ne cesseront qu’au moment où arrivera le terme fatal des jours que Dieu voudra m’accorder pour cette vie passagère et misérable[086.1]…. »

Le théologien grec et patriarche de Constantinople Photius (815-891), dont l’ambition provoqua le schisme qui sépare l’Église grecque de l’Église romaine, était aussi un très fervent amateur de livres. Il possédait une riche bibliothèque, dont il avait dressé lui-même un catalogue contenant non seulement des analyses détaillées, mais des extraits de ses livres, catalogue d’autant plus précieux pour nous, que beaucoup de ces ouvrages, près de cinq cents, ont disparu, et ne nous sont aujourd’hui connus que par les appréciations et les citations de Photius[087.1].

Le savant moine d’Aurillac Gerbert, qui devint pape, en 999, sous le nom de Sylvestre II, avait réussi, à force de peines et de soins, à se former une nombreuse bibliothèque. Dans sa correspondance, depuis son avènement à la papauté, il est sans cesse question de livres et des sommes d’argent qu’il destine à rechercher et acquérir des manuscrits dans toute l’Italie, l’Allemagne et la Belgique, et aussi des copies à faire et des corrections de textes à effectuer[087.2].

« Deux obstacles principaux empêchaient, à cette époque, au xe siècle, constate très justement Petit-Radel[087.3], les livres de devenir communs et d’accélérer les progrès de l’instruction générale. Le premier dérivait des langues savantes, dont la connaissance était rare ailleurs que dans les cloîtres, et qui tombaient en désuétude encore par la concurrence et l’usage naissant de notre langue vulgaire. L’autre était le prix excessif des manuscrits qui se trouvaient par hasard mis en vente.

« Quel homme, en effet, ne jouissant que d’une fortune médiocre, aurait pu penser alors à se former une bibliothèque nombreuse, lorsqu’il était si peu commun de savoir écrire, et qu’un seul manuscrit des Homélies d’Aimon d’Halberstadt fut acheté au xe siècle, ou plutôt échangé, par une comtesse d’Anjou, contre deux cents brebis, trois muids de grain et nombre de peaux de martre ?

« La cherté des livres en fit naître le commerce au xie siècle ; c’est l’époque à laquelle on peut juger qu’il commença en France à s’en former des magasins[088.1]. Un procès que Pierre de Blois fut obligé d’intenter contre un libraire de Paris nous en instruit, et nous apprenons, de la lettre écrite à un abbé de Beaugency, qu’il fut vendu à Caen une bibliothèque entière vers l’an 1170. »

Saint Louis (1226-1270) s’appliqua, comme Charlemagne, à fonder des écoles et à accroître le nombre des livres. Il avait même conçu l’idée de réunir, en un lieu accessible à tous, des copies des divers manuscrits existant en France, et ce projet de bibliothèque publique, dont la mise à exécution fut seulement tentée, et qui eût exercé une si grande influence sur les progrès de la civilisation, il l’avait emprunté aux Orientaux.

« Ayant entendu parler, lorsqu’il était encore dans les pays d’outre-mer, — raconte son aumônier et confesseur Geoffroi de Beaulieu[090.1], — d’un grand soudan des Sarrasins, qui faisait soigneusement rechercher, transcrire à ses frais, et placer dans une bibliothèque les livres de toute espèce pouvant être utiles aux savants de son pays, et qui les mettait à leur disposition toutes les fois qu’ils en avaient besoin, le pieux roi résolut de faire copier à ses frais, dès qu’il serait de retour en France, tous les livres utiles et authentiques des saintes Écritures qu’il pourrait trouver dans les différentes abbayes, afin que lui et ceux de ses sujets qui étaient lettrés et religieux pussent y étudier, pour leur utilité particulière et pour l’édification de leur prochain. Ce qu’il avait résolu, il l’exécuta quand il fut de retour. Il fit, en effet, préparer un local convenable et sûr, à Paris, dans le trésor de sa chapelle, et y réunit de nombreux textes de saint Augustin, de saint Ambroise, de saint Jérôme, de saint Grégoire et des autres docteurs orthodoxes. Il allait y étudier lui-même, quand il en avait le temps, et accordait volontiers aux autres la permission d’y étudier avec lui. Il aimait mieux faire copier les livres que de les acheter, parce que, disait-il, il augmentait ainsi le nombre des exemplaires des saintes Écritures, et les rendait plus utiles…. Quand il étudiait dans ses livres, et que quelques-uns de ses serviteurs qui n’étaient point lettrés se trouvaient présents, il leur traduisait du latin en français les passages qu’ils ne comprenaient pas. »

Malheureusement, cet essai de bibliothèque publique n’eut pas de suite : « par une étrange aberration, le saint roi détruisit lui-même l’avenir que se pouvait promettre une si sage institution, en dispersant ses livres et en les distribuant par testament entre divers monastères[091.1] ».

Saint Louis n’aimait pas à lire ni à entendre lire en mangeant ou au sortir de table[091.2]. « Il n’est si bon livre, disait-il à ses chapelains, qui vaille après manger une causerie[091.3]. »

Dans un célèbre poème de cette même époque, du xiiie siècle, le Roman de Renart, je recueille ces deux vers[092.1], flétrissure infligée à tous les ignorants et à tous les ennemis du livre :

A desenor muert à bon droit
Qui n’aime livre ne ne croit.

« Celui-là meurt à bon droit déshonoré, qui n’aime livre ni ne croit. »

Durant la première moitié du xive siècle, fut composé un opuscule latin Philobiblion, Tractatus pulcherrimus de amore librorum[093.1], tout entier consacré à la louange du livre, et qu’on peut considérer comme le plus ancien ouvrage de bibliophilie que nous ait légué le moyen âge[093.2] Ce petit livre est d’une importance capitale dans le sujet qui nous occupe. L’auteur, Richard de Bury (1287-1345), avait été successivement évêque de Durham, grand chancelier et trésorier d’Angleterre, et il fut le fondateur de la bibliothèque d’Oxford, la seconde des bibliothèques ouvertes au public, la première étant, comme nous l’avons vu, celle du Vatican[093.3]. C’est peu de temps avant sa mort, survenue le 14 avril 1345, que Richard de Bury termina son Philobiblion, dont plusieurs copies ne tardèrent pas à se répandre, et qui fut imprimé pour la première fois en 1473[093.4]. « Les livres, écrit le judicieux évêque[093.5], ce sont des maîtres qui nous instruisent sans verges et sans férule, sans cris et sans colère, sans costume (d’apparat) et sans argent. Si on les approche, on ne les trouve point endormis ; si on les interroge, ils ne dissimulent point leurs idées ; si l’on se trompe, ils ne murmurent pas ; si l’on commet une bévue, ils ne connaissent point la moquerie. » Et il continue : « O livres, qui possédez seuls la liberté, qui seuls en faites jouir les autres, qui donnez à tous ceux qui vous demandent, et qui affranchissez tous ceux qui vous ont voué un culte fidèle, que de milliers de choses ne recommandez-vous pas allégoriquement aux savants, par le moyen de l’Écriture, inspirée d’une grâce céleste[094.1] ! »

S’autorisant de Salomon, Richard de Bury nous exhorte « à acheter les livres de bon cœur et à ne les vendre qu’avec répugnance[095.1] », et il nous recommande instamment de les manier toujours avec respect et de les conserver avec soin.

« … Nous obéissons à l’obligation d’une sainte piété, si nous les manions délicatement, ou si, en les remettant à leurs places réservées, nous les maintenons dans une conservation parfaite, de façon qu’ils se réjouissent de leur pureté, tant qu’ils sont entre nos mains, et qu’ils reposent à l’abri de toute crainte, lorsqu’ils sont placés dans leurs demeures. Certainement, après les saints vêtements et les calices consacrés au corps de Notre-Seigneur, ce sont les livres sacrés qui sont dignes d’être touchés le plus honnêtement par les clercs, car ils leur font injure toutes les fois qu’ils osent les prendre avec des mains sales. Aussi nous pensons qu’il est avantageux d’entretenir les étudiants sur les diverses négligences qu’ils pourraient toujours facilement éviter, et qui nuisent considérablement aux livres[096.1]. » Et il conseille à « la gent écolière » d’ouvrir et de fermer sans les brusquer, « avec une sage mesure », les volumes qui lui sont confiés, et de ne pas manquer, la lecture terminée, « de remettre le fermoir », car il convient, ajoute-t-il ingénument, « de conserver avec plus de soin un livre qu’un soulier[096.2] ».

Sur Paris et les ressources intellectuelles qui s’y trouvent, Richard de Bury ne tarit pas d’éloges et entonne un véritable dithyrambe : « Quel torrent de volupté a réjoui notre cœur toutes les fois que nous avons ou le loisir de visiter Paris, ce paradis de l’Univers[097.1] ! Là, par l’ardeur de notre passion, les jours s’écoulaient trop vite ; là, existent des bibliothèques, bien plus agréables que des vases remplis de parfums ; là, des vergers abondants en toutes sortes de livres ; là, des prés académiques, jardin des péripatéticiens, hauteur du Parnasse, portique des stoïciens…. Aussi là puisions-nous dans nos trésors et déliions-nous de grand cœur les cordons de notre bourse ; nous jetions l’argent à pleines mains, et nous retirions de l’ordure et de la poussière des livres inappréciables[097.2]. »

Et le bon et savant évêque résume en quelque sorte son traité par cette sentence : « Amorem librorum, amorem sapientiæ constat esse » : il est certain que l’amour des livres est l’amour même de la sagesse[097.3].

Les livres ont aussi trouvé, à cette époque, dans le grand poète Pétrarque (1304-1374), qui était lié d’amitié avec Richard de Bury[001.1], le plus enthousiaste apologiste : « J’ai des amis dont la société est délicieuse pour moi. Mes livres, ce sont des gens de tous les pays et de tous les siècles, distingués à la guerre, dans la magistrature et dans les lettres, aisés à vivre, toujours à mes ordres. Je les fais venir quand je le veux, et je les renvoie de même. Ils n’ont jamais d’humeur et répondent à toutes mes questions. Les uns déroulent devant moi les événements des siècles passés ; d’autres me dévoilent les secrets de la nature ; ceux-ci m’apprennent à bien vivre et à bien mourir ; ceux-là chassent l’ennui par leur gaieté et m’amusent par leurs saillies ; il y en a qui disposent mon âme à tout souffrir, à ne rien désirer, et me font connaître à moi-même. En un mot, ils m’ouvrent les portes de tous les arts et de toutes les sciences : je les trouve dans tous mes besoins…. Pour prix de si grands services, ils ne demandent qu’une chambre bien fermée dans un coin de ma petite maison, où ils soient à l’abri de leurs ennemis (c’est-à-dire de l’humidité et des souris). Enfin, je les mène avec moi dans les champs, dont le silence leur convient mieux que le tumulte des cités[001.2]. »

« Je ne puis me rassasier de livres, écrivait-il encore dans une de ses lettres[099.1], et cependant j’en ai peut-être plus qu’il ne faut…. Les livres nous charment jusqu’à la moelle, nous parlent, nous donnent des conseils, et sont unis à nous par une sorte de familiarité vivante et harmonieuse. »

« Pétrarque tombait dans l’hypocondrie quand il cessait de lire ou d’écrire…. Dans le cours de ses fréquents voyages, il écrivait partout où il s’arrêtait[099.2]. Un de ses amis, l’évêque de Cavaillon, craignant que l’ardeur avec laquelle le poète travaillait à Vaucluse n’achevât de ruiner sa santé, déjà très ébranlée, lui demanda un jour la clef de sa bibliothèque. Pétrarque la lui remit, sans savoir pourquoi son ami voulait l’avoir. Le bon évêque enferma dans cette bibliothèque livres et écritoires, et lui dit : « Je te défends de travailler pendant dix jours ». Pétrarque promit d’obéir, non sans un violent effort. Le premier jour lui parut d’une longueur interminable ; le second, il eut un mal de tête continu ; le troisième, il se sentit des mouvements de fièvre. L’évêque, touché de son état, lui rendit sa clef, et le poète recouvra aussitôt ses forces[100.1]. »

Pétrarque a non seulement composé différents opuscules relatifs à la bibliophilie, De l’abondance des livres, De la réputation des écri­vains[100.2], etc., remplis de sages conseils et aussi de fines et malicieuses remarques[100.3], il témoignait le plus grand zèle, une véritable passion, pour la découverte et l’exhumation des manuscrits. On voit, dans sa correspondance, qu’il les faisait rechercher en France, en Angleterre, en Italie et jusqu’en Grèce, et qu’il ne passait jamais à proximité d’un ancien monastère, sans se détourner pour en visiter la bibliothèque. « Vers la vingt-cinquième année de ma vie, raconte-t-il dans une de ses lettres[100.4], étant arrivé à Liège et ayant appris qu’il s’y trouvait bon nombre de livres, je m’y suis arrêté et j’y ai retenu mes compagnons jusqu’à ce que j’eusse copié moi-même une oraison de Cicéron, et fait transcrire une autre par un de mes amis ; je répandis ensuite ces ouvrages en Italie. »

Pétrarque, qui a bien mérité le nom de Restaurateur des lettres[100.1], fit connaître Sophocle à l’Italie ; cita Aristophane plus directement qu’on ne l’avait fait avant lui ; découvrit, dans la bibliothèque du chapitre de Vérone, les Lettres familières de Cicéron[100.2] ; et, en donnant à la république de Venise plusieurs manuscrits, posa ainsi, comme il le dit lui-même, les premiers fondements de la bibliothèque de Saint-Marc. Oubliés dans une petite pièce voisine des quatre chevaux de bronze qui ornent la façade de Saint-Marc, ces manuscrits s’y détériorèrent, et aujourd’hui il n’en subsiste qu’un très petit nombre[100.3].

Un autre illustre écrivain du même temps, Jean Boccace (1313-1375), fut aussi un grand ami des livres, qui sentait saigner son cœur à la vue des mutilations et profanations dont ils étaient victimes. Voici en quels termes un de ses commentateurs, Benvenuto da Imola, nous rend compte d’une visite faite par l’auteur du Décaméron à l’abbaye du Mont-Cassin :

« Mon vénérable maître, Boccace de Certaldo, se trouvant dans la Pouille, alla visiter le noble monastère du Mont-Cassin ; et, avide de voir la bibliothèque, dont il avait entendu vanter la richesse, il demanda humblement à un moine (car il était très doux de son naturel) qu’il voulût bien avoir la complaisance de lui ouvrir la bibliothèque. Mais celui-ci lui répondit avec humeur en lui montrant une échelle très haute : « Montez, car elle est ouverte ». Boccace monta joyeusement, et trouva le local, où était un si précieux trésor, sans clef ni porte ; et, étant entré, il s’aperçut que les herbes poussaient aux fenêtres, et que, livres et bancs, tout était couvert d’une épaisse poussière. Alors, tout en s’étonnant de pareilles choses, il commença à ouvrir un livre, puis un autre, et y trouva une infinité d’ouvrages anciens et étrangers. Aux uns, il manquait des cahiers, aux autres on avait coupé les marges ; la plupart étaient mutilés de diverses manières. Enfin Boccace, gémissant de voir que les travaux et les fruits des études de tant d’illustres génies étaient tombés entre les mains de tels hommes, s’éloigna, le cœur dolent et les yeux pleins de larmes. Puis, en parcourant le cloître, il demanda à un moine qu’il rencontra pourquoi ces livres précieux étaient ainsi mutilés d’une façon si honteuse. Celui-ci lui répondit que des moines, voulant parfois gagner deux ou cinq sous, raclaient un cahier et en faisaient des petits psautiers, qu’ils vendaient aux enfants ; quant aux marges, ils en faisaient de petits livres qu’ils vendaient aux femmes. Maintenant donc, ô homme studieux ! conclut Benvenuto, casse-toi la tête pour faire des livres[103.1]. »

Suivant l’exemple de saint Louis, notre roi Charles V dit le Sage ou le Savant (1337-1380) forma une bibliothèque ou « librairie », mais avec l’intention qu’elle ne fût pas dispersée après sa mort, et pût servir à ses successeurs. Il donna l’ordre à son valet de chambre et bibliothécaire, Gilles Malet, de dresser le catalogue de cette collection, qui était installée dans une des tours du Louvre, — la Tour de la Librairie, — et y occupait trois étages. « Les croisées en étaient ornées de vitres peintes, défendues par des barreaux de fer et des grillages. Les lambris étaient de bois d’Irlande et le plafond en bois de cyprès. Une lampe d’argent suspendue et trente petits chandeliers y étaient disposés pour éclairer les lecteurs[103.2]. »

Gilles Malet, dans son catalogue, consacre à chaque salle un chapitre spécial. La « première chambre par bas » renfermait 274 manuscrits ; la « chambre du milieu », 255 ; et la « troisième chambre au plus hault », 444 : ce qui donne un total de 973 volumes.

« Ce catalogue, ajoute M. Alfred Franklin[104.1], est un document précieux pour notre histoire littéraire. On y trouve des Bibles latines et françaises, des Missels, des Psautiers, des Heures, des Bréviaires ; la Légende dorée, les Vies des Saints, des relations de miracles ; peu d’ouvrages des Pères, mais un grand nombre de traités d’astrologie, de géomancie et de chiromancie, sciences dans lesquelles Charles V avait une grande foi. La médecine comprenait seulement quelques ouvrages d’Hippocrate, des fragments d’Avicenne et des traductions de l’arabe. La jurisprudence était représentée par les Décrétales, le Digeste et trois ou quatre coutumes de diverses provinces. Les livres d’histoire étaient assez nombreux. La plupart de ces volumes contenaient, d’ailleurs, de magnifiques miniatures, étaient revêtus de riches étoffes, et garnis de fermoirs en métal précieux. Aussi Christine de Pisan parle-t-elle avec admiration de « la belle assemblée de notables livres et belle librairie qu’avait Charles V ».

Malheureusement, en 1429, lorsque les Anglais étaient maîtres de Paris, le duc de Bedford, régent du royaume, mit la main sur ces livres, les acheta à vil prix et les enleva. Quelques-uns revinrent en France, et notre Bibliothèque nationale en possède aujourd’hui plusieurs.

La Bibliothèque des rois de France ne fut reconstituée que sous Louis XI (1423-1483), qui réunit au Louvre les collections éparses dans les résidences royales, et y joignit les livres de son frère le duc de Guyenne, puis une partie de ceux du duc de Bourgogne.

Charles VIII (1470-1498), malgré les guerres continuelles qui remplirent son règne, contribua à augmenter le dépôt du Louvre. Depuis Robert d’Anjou, le protecteur de Pétrarque et de Boccace, Naples possédait une bibliothèque qui, sous Alphonse Ier et Ferdinand d’Aragon, était devenue réellement précieuse. Charles VIII, pendant sa rapide expédition en Italie, put s’emparer d’une partie de cette collection ; il la rapporta en France, où son bibliothécaire, Robert Gaguin, l’ajouta aux livres rassemblés par Louis XI.

Mais déjà la maison d’Orléans possédait à Blois une bibliothèque, remarquable surtout par la beauté des volumes que le duc Louis, deuxième fils de Charles V, avait fait exécuter à ses frais. Charles d’Orléans (1391-1465), fils aîné du duc Louis, eut pour les livres le même goût que son père, et s’efforça d’augmenter la collection que celui-ci avait laissée. Retenu captif en Angleterre, avec son frère Jean, comte d’Angoulême, il chercha, ainsi que lui, dans les lettres, une consolation aux peines de l’exil ; et tous deux s’efforcèrent de racheter quelques-uns des manuscrits que le duc de Bedford avait enlevés de la Tour du Louvre. A leur rentrée en France (1440), ils rapportèrent une soixantaine de volumes, que Charles d’Orléans expédia à Blois.

Louis XII (1462-1515), fils de Charles d’Orléans, avait conservé pour Blois, sa ville natale, une prédilection très marquée ; il y transporta tous les ouvrages que renfermait encore la Tour du Louvre, les réunit à la bibliothèque de son père, et plaça celle-ci sous la direction de François du Refuge, son aumônier. Pendant son éphémère conquête du Milanais, il trouva le temps d’envoyer à Blois (1499) la belle bibliothèque que les Visconti et les Sforza avaient formée à Pavie, et qui ne comptait pas moins de mille manuscrits grecs, latins, italiens et français. Sa campagne contre les États vénitiens lui permit de s’emparer d’une partie de la précieuse collection qui avait fait les délices de Pétrarque ; l’infatigable érudit l’avait rassemblée avec des peines extrêmes ; il la traînait avec lui dans tous ses voyages, et avait fini par la donner, en 1362, à la république de Venise[106.1].

Louis XII enrichit encore sa bibliothèque d’une collection formée par Louis de Bruges, seigneur de la Gruthuyse. Le cabinet de ce savant bibliophile était, après celui des ducs de Bourgogne, le plus beau et le mieux fourni de toute la Flandre. A la mort de Louis de Bruges (1492), cette collection passa à son fils Jean, qui la donna ou plutôt la vendit à Louis XII.

François Ier (1494-1547) portait aux Lettres un réel intérêt, que la création du Collège de France suffirait à prouver. La « Bibliothèque du Roi » prit, pendant son règne, un rapide essor. Trouvant la bibliothèque de Blois trop éloignée, il en commença une nouvelle à Fontainebleau, et créa, en 1522, la place de « maître de la librairie du roi », dont il pourvut le savant Guillaume Budé. Il ne pouvait faire, à tous égards, un meilleur choix ; le goût des livres était comme héréditaire dans la famille des Budé.

A sa mort, en 1540, Guillaume Budé eut pour successeur Pierre Duchâtel, évêque de Tulle, qui, dès son entrée en fonctions, décida François Ier à réunir à sa collection de Fontainebleau la bibliothèque restée à Blois.

Rappelons aussi qu’un peu auparavant, le 8 décembre 1538, François Ier avait rendu une ordonnance concernant la librairie, dont les dispositions sont encore en vigueur. Cette ordonnance avait trait au « dépôt légal », et prescrivait aux libraires-éditeurs de remettre un exemplaire de toutes leurs publications « ès mains de nostre amé et féal conseiller… ayant la charge de nostre dicte librairie… le tout à peine de confis­cation[108.1] ».

Henri II (1519-1559), « quoique bien instruit en sa jeunesse, fut tellement diverti par les guerres qu’il continua avec Charles-Quint, qu’il n’eut guères moyen de caresser ou favoriser les Muses[108.2] », et s’occupa peu de sa bibliothèque.

François II (1544-1560) régna un an à peine, et n’eut guère de temps non plus à consacrer à ses livres.

A l’avènement de Charles IX (1550-1574), protecteur de Ronsard et poète lui-même, on pouvait espérer une ère favorable aux lettres ; mais les luttes religieuses en décidèrent autrement. La Bibliothèque du Roi n’acquit, sous ce règne, aucune collection nouvelle ; un important changement s’y produisit cependant : c’est sous le règne de Charles IX qu’elle quitta Fontainebleau et fut réintégrée à Paris.

Telles sont, résumées en quelques mots, les origines et les premières phases de notre Bibliothèque nationale[108.3].

[I.101.077]
  1.  « Væ diebus nostris, quia periit studium litterarum a nobis ! » (Histoire ecclésiastique des Francs, préface. Paris, Renouard, 1836. In-8.)  ↩
  2.  Histoire du livre, p. 268.  ↩
[I.102.078]
  1.  Cf. Diderot, Encyclopédie, art. Bibliothèque (Œuvres complètes, t. XIII, p. 461) ; Petit-Radel, Recherches sur les bibliothèques anciennes et modernes, pp. 39-40 ; Peignot, Manuel bibliographique, p. 50. Je relève dans Sainte-Beuve (Portraits contemporains, t. III, p. 381) un beau mot de Sidoine Apollinaire : « Legebat cum reverentia antiquos et sine invidia recentes ».  ↩
[I.103.079]
  1.  « Théodoric n’ayant jamais pu apprendre à écrire son nom avait fait percer à jour, dans une mince lame d’or, les initiales Théod. ; lorsqu’il voulait signer, il posait sur le papier cette lame, promenait la plume dans les contours des lettres, et les traçait ainsi à travers la plaque métallique, au bas de l’acte où il devait apposer son nom. » (Écrivain anonyme du ve siècle, publié à la suite de l’Ammien Marcellin de Wagner, ap. Géraud, op. cit., p. 42.) « L’empereur Justin l’Ancien (450-527) signait de la même manière les quatre premières lettres de son nom ; mais il se servait d’une plaque en bois et d’un roseau, et il fallait encore que sa main fût conduite. » (Procope, ap. Géraud, ibid. ↩
  2.  Cf. Egger, op. cit., p. 303.  ↩
[I.104.080]
  1.  Cf. Lalanne, Curiosités bibliographiques, pp. 148 et 190. La Grande Encyclopédie (art. Bibliothèque, p. 651) estime que « la première bibliothèque vraiment publique que l’Europe ait connue est la bibliothèque Ambrosienne, à Milan, fondée par le cardinal Borromée (1608) ».  ↩
  2.  Géraud, op. cit., p. 227. « La bibliothèque est le vrai trésor d’un monastère ; sans elle, il est comme une cuisine sans casseroles, une table sans mets, un puits sans eau, une rivière sans poissons, un manteau sans vêtements, un jardin sans fleurs, une bourse sans argent, une vigne sans raisins, une tour sans gardes, une maison sans meubles. Et, de même qu’on conserve soigneusement un bijou dans une cassette bien fermée, à l’abri de la poussière et de la rouille, de même la bibliothèque, suprême richesse du couvent, doit être attentivement défendue contre l’humidité, les rats et les vers. » (Thomas A Kempis, ap. Fertiault, les Amoureux du livre, pp. 235-236. Paris, Claudin, 1877.) « Une abbaye n’était pas seulement un lieu de prière et de méditation, c’était encore un asile ouvert contre l’envahissement de la barbarie sous toutes ses formes. Ce refuge des livres et du savoir abritait des ateliers de tout genre, » etc. (Aug. Thierry, Essai sur l’histoire du Tiers État, p. 17. Paris, Furne, 1868. In-16.)  ↩
[I.105.081]
  1.  La Grande Encyclopédie, art. Bibliothèque, p. 649.  ↩
  2.  Op. cit., pp. 31-32.  ↩
  3.  « Les bons religieux écrivent les livres, et les mauvais s’occupent d’autres choses, » déclare nettement le brave évêque Richard de Bury, dans son Philobiblion, chap. v, p. 49. (Paris, Aug. Aubry, 1856.)  ↩
[I.106.082]
  1.  Abbé Fleury, Mœurs des chrétiens, IV, 4, p. 275. (Paris, Dezobry, 1853.)  ↩
  2.  Cf. Lalanne, op. cit., pp. 199-200. « Ajoutons, dit Lalanne en ce même endroit, que si ce pape n’a pas brûlé les auteurs de l’antiquité, on peut croire, d’après son mépris prononcé pour la littérature profane, qu’il était bien capable de le faire. » En effet, il se vantait « de ne pas éviter le désordre du barbarisme, de dédaigner d’observer les cas des prépositions ; car je regarderais comme une indignité de plier la parole divine sous les lois du grammairien Donat ». Apprenant que Didier, l’évêque de Vienne (Dauphiné), donnait des leçons de grammaire, il lui écrit : « On me rapporte une chose que je ne puis répéter sans honte ; on dit que Ta Fraternité explique la grammaire à quelques personnes. Nous sommes affligés… car les louanges de Jupiter ne peuvent tenir dans une seule et même bouche avec celles de Jésus-Christ. » (Cf. Demogeot, Histoire de la littérature française, p. 53 ; Bayle, Dictionnaire historique et critique, t. VII, pp. 225-226, Paris, Desoer, 1820 ; etc.) « II est rapporté dans la Vie de saint Jérôme qu’il fut battu de verges par un ange, qui lui reprochait, en le frappant, de lire avec plus d’ardeur Cicéron que l’Évangile. » (Lacordaire, ap. Sainte-Beuve, Nouveaux Lundis, t. IV, p. 404.)  ↩
  3.  Cf. Cocheris, Introduction au Philobiblion, p. xliii : « Le règlement des Dominicains s’opposait à ce qu’ils étudiassent les livres païens : « In libris gentilium philosophorum non studeat, et si ad horam suscipiat seculares scientias, non addiscat, nec artes quas liberales vocant ». Cet article très explicite est suivi d’un autre, qui les invite à ne lire que les écrits théologiques : « sed tantum libros theologicos tam juvenes quam alii legant ». Etc.  ↩
[I.107.083]
  1.  Éginhard, Vie de l’empereur Charles, Œuvres, trad. A. Teulet, p. 35. (Paris, Didot, 1856.)  ↩
  2.  Egger, op. cit., p. 269.  ↩
  3.  Petit-Radel, op. cit., p. 54.  ↩
[I.108.084]
  1.  La Grande Encyclopédie, art. Bibliothèque, p. 649.  ↩
  2.  Petit-Radel, op. cit., p. 59 ; Lalanne, op. cit., pp. 283 et 150.  ↩
  3.  « … Sed mandare quemquam literis cogitationes suas, qui eas nec disponere, nec illustrare possit, nec delectatione aliqua allicere lectorem ; hominis est, intemperanter abutentis otio et literis. » (Cicéron, Tusculanes, I, 3, Collect. Nisard, t. III, p. 622.)  ↩
[I.109.085]
  1.  Prologue de la Vie de l’empereur Charles, p. xc, trad. A. Teulet.  ↩
  2.  Op. cit., p. 34.  ↩
  3.  Op. cit., p. 46.  ↩
  4.  Une note du traducteur Alexandre Teulet ajoute ici : « On n’a pas d’autres renseignements sur cette nombreuse bibliothèque réunie par Charlemagne. Cependant il est probable que, malgré la faculté qu’il laissa dans son testament, elle ne fut pas entièrement dispersée après sa mort, puisque nous retrouvons à la fin du ixe siècle une bibliothèque du Palais (libri in thesauro), dont Charles le Chauve, par le chapitre xii du capitulaire daté de Quierzy le 1er juillet 877 (dans Baluze, II, 264), ordonne le partage entre son fils, l’abbaye de Saint-Denis et l’abbaye de Sainte-Marie de Compiègne. Au reste, il semble que le goût des livres ait été héréditaire chez les Carlovingiens ; car la bibliothèque que Charlemagne augmenta sans doute de beaucoup avait été commencée par son père, Pépin le Bref, comme cela résulte de la lettre écrite à ce prince par le pape Paul Ier en 758 : Direximus etiam…. »  ↩
[I.110.086]
  1.  Éginhard, Œuvres, Lettres, pp. 237-239.  ↩
[I.111.087]
  1.  Egger, op. cit., pp. 270-271.  ↩
  2.  Lalanne, op. cit., p. 155 ; Petit-Radel, op. cit., p. 82.  ↩
  3.  Op. cit., p. 105.  ↩
[I.112.088]
  1.  Sur le « Prix des livres dans l’antiquité et au moyen âge », voir, dans les Curiosités bibliographiques de Ludovic Lalanne, pp. 130-138, un chapitre consacré à cette question. On y lit, entre autres exemples intéressants, qu’en 1394 Louis d’Orléans acheta un bréviaire en un seul volume, moyennant 40 écus d’or ; qu’un autre bréviaire à l’usage de Paris, en deux grands volumes couverts de cuir blanc, fut acheté par le même prince, en 1397, pour 200 francs d’or…. Au milieu du xve siècle, le cardinal Jacques Piccolomini ayant prié le Florentin Donat Acciaioli de lui acheter un Josèphe, Acciaioli n’osa faire l’acquisition de cet ouvrage à cause de son prix élevé ; mais il offrit au cardinal trois volumes de Plutarque pour 80 écus d’or, et les Épîtres de Sénèque pour 16. On trouve, au livre V des Épîtres d’Antoine Panormita ou de Palerme (1394-1471), une lettre adressée par ce savant au roi de Naples Alphonse V (….-1458), qui prouve bien tout l’amour et le culte qu’Antoine Panormita — un des plus célèbres littérateurs de son temps — avait voués aux livres : « Vous m’avez fait savoir dernièrement de Florence qu’il y avait à vendre, pour 120 écus d’or, les œuvres de Tite-Live, en beaux caractères. Je supplie donc Votre Majesté d’acheter en mon nom et de me faire envoyer cet historien que nous avons coutume d’appeler le roi des livres. Pendant ce temps, je me procurerai l’argent nécessaire pour rembourser le prix de l’ouvrage. Mais je désire bien savoir de vous qui a le mieux agi de Pogge ou de moi. Celui-ci, pour acheter une villa à Florence, a vendu un Tite-Live qu’il avait magnifiquement transcrit de sa main, et moi, j’ai mis en vente une terre pour acheter Tite-Live…. »  ↩
[I.114.090]
  1.  Ap. Lalanne, op. cit., pp. 160-161.  ↩
[I.115.091]
  1.  Géraud, op. cit., p. 228.  ↩
  2.  « …. Il (saint Louis) avoit la bible glosée, et originaux de saint Augustin et d’autres sainz, et autres livres de la sainte escripture, esquex il lisoit et fesoit lire moult de foiz devant lui el tens dentre disner et heure de dormir, cest a savoir, quant il dormoit de jour ; mès pou li advenoit que il dormist a tele heure…. Chascun jour… il sen raloit en sa chambre ; et adoncques estoit alumee une chandelle de certaine longueur, cest a savoir de trois piez ou environ ; et endementieres que ele duroit, il lisoit en la bible ou en un autre saint livre ; et quant la chandele estoit vers la fin, un de ses chapelains estoit apelé, et lors il disoit complie avecques lui. » (Vie de saint Louis, par le Confesseur de la reine Marguerite, dans le Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XX, p. 79. Paris, Imprimerie royale, 1840.)  ↩
  3.  Cité par Ph. de Grandlieu (Léon Lavedan) dans le Figaro du 26 août 1879, p. 1, col. 2. Je n’ai pu trouver la source originale de ce mot. — Je rejette en note, et dans les termes mêmes où je les trouve, les menus propos suivants, dont le contrôle ne m’a pas été non plus possible et qui peuvent être sujets à caution : « Un des courtisans du roi Alphonse V dit le Sage s’avisa de soutenir en sa présence qu’il avait lu dans l’histoire qu’un certain roi d’Espagne disait que « la science ne convient nullement aux gens distingués par leur rang ou par leurs richesses. — Vous vous trompez, répondit Alphonse, ce n’est pas un roi qui l’a dit : c’est un bœuf ou un âne. » (Jean Darche, Essai sur la lecture, p. 30.) S’agit-il ici d’Alphonse V le Magnanime, appelé aussi le Sage (cf. Larousse, Petit Dictionnaire complet illustré, 134e édit., p. 862 ; ni le Grand Dictionnaire de Larousse, ni Michaud, ni Hœfer, etc., ne mentionnent ce surnom de « le Sage » appliqué à ce souverain), roi d’Aragon, de Naples et de Sicile (….-1458), dont il a été question tout à l’heure (p.  89, note) ; ou bien d’Alphonse X (et non V), également surnommé le Sage, (et Sabio, le Savant), roi de Castille et de Léon (1226-1284), à qui l’on attribue cet aveu, dépouillé de modestie, mais rempli d’excellentes intentions : « Si le Père éternel avait daigné me consulter quand il a créé le monde, je lui aurais certainement donné quelques bons conseils, et, à nous deux, nous aurions fait mieux que ce qu’il a fait tout seul » ? (Cf. Michaud, Biographie universelle ; Hœfer, Nouvelle Biographie ; etc.) Un autre Alphonse, roi d’Aragon (sans autre indication), « disait qu’entre toutes les choses que les hommes recherchent pendant leur vie, il n’y a rien de meilleur que d’avoir « de vieux bois pour brûler, de vieux vin pour boire, de vieux amis pour la société (pour causer), et de vieux livres pour lire. » (Un Libraire [P. Chaillot jeune), Manuel du libraire, du bibliothécaire…, p. 155.) Walter Scott (l’Antiquaire, chap. vi, p. 40 ; trad. Albert Montémont) attribue ce mot « au roi Alphonse de Castille », sans préciser non plus davantage, et comme s’il n’y avait eu qu’un seul roi de Castille du nom d’Alphonse. Selon M. Fertiault (les Amoureux du livre, p. 171), cette sentence, apologie du vieux bois, du vieux vin, des vieux amis et des vieux livres, émane d’ « Alphonse le Sage, roi d’Aragon ».  ↩
[I.116.092]
  1.  Vers 39-40.  ↩
[I.117.093]
  1.  Hippolyte Cocheris en a donné une excellente édition avec traduction (Paris, Aug. Aubry, 1856. In-16).  ↩
  2.  Cf. Lalanne, op. cit., p. 186.  ↩
  3.  Cf. supra, p. 80.  ↩
  4.  Cf. Cocheris, op. cit., Introduction, pp. xv et xxii ↩
  5.  Philobiblion, chap. i, pp. 16-17 et 207 : « Hi sunt magistri, qui nos instruunt sine virgis et ferula, sine verbis et cholera, sine pannis et pecunia. Si accedis, non dormiunt ; si inquirens interrogas, non se abscondunt ; non remurmurant, si oberres ; cachinnos nesciunt, si ignores. »  ↩
[I.118.094]
  1.  A cet endroit (page 17), Cocheris reproduit en note une « litanie bibliographique » latine, composée, ajoute-t-il, « dans le même esprit que tout ce qui précède. Elle a été publiée par Chasseneux, dans son Catalogus Gloriæ mundi, 1639, in-folio (p. 586, part. 12, Consid. 73) ; par Selden, dans son ouvrage sur l’usage et l’abus des livres (Amsterdam, 1688, petit in-8, p. 48) ; et par M. G. D., dans le Bulletin du bibliophile (année 1839, p. 547 et suiv.), qui l’a fait suivre d’une traduction à laquelle je renvoie les lecteurs. » Peignot, dans son Manuel du bibliophile (Discours préliminaire, t. I, p. xxxv, note 1), a aussi reproduit cette litanie, mais sa version diffère très sensiblement de celle de Cocheris ; il l’emprunte au Polyhistor de Morhof, livre I, chap. iii, — dont la première édition (1688-1692) est postérieure de près d’un demi-siècle à celle de l’ouvrage de Chasseneux mentionné plus haut, — et il l’attribue à Lucas de Penne, sans nous dire quel est ce personnage, dont le nom ne figure ni dans la Biographie universelle de Michaud, ni dans celle du Dr Hœfer, ni dans celle de Rabbe, ni dans le Dictionnaire de la Conversation, ni dans Larousse, ni dans la Grande Encyclopédie. Pour abréger, je n’insérerai ici qu’une des versions de cette « litanie bibliographique », la version donnée par Peignot, qui est moins longue et plus simple que l’autre :

     « Liber est lumen cordis, speculum corporis, virtutum magister, vitiorum depulsor, corona prudentium, comes itineris, domesticus amicus, congerro jacentis, collega et consiliarius præsidentis, myrothecium eloquentiæ, hortus plenus fructibus, pratum floribus distinctum, memoriæ penus, vita recordationis ; vocatus properat, jussus festinat, semper præsto est, nunquam non morigerus, rogatus confestim respondet, arcana revelat, obscura illustrat, ambigua certiorat, perplexa resolvit ; contra adversam fortunam defensor, secundæ moderator, opes adauget, jacturam propulsat…. »

     (Traduction : Le livre est la lumière du cœur, le miroir du corps ; il enseigne les vertus, il chasse les vices ; il est la couronne des prudents, le compagnon de voyage, l’ami domestique, la société du malade, le collègue et le conseiller de celui qui gouverne, le coffre à parfums de l’éloquence, le jardin plein de fruits, le pré orné de fleurs, le réservoir de la mémoire, la vie du souvenir ; appelé, il arrive ; commandé, il accourt ; toujours il est prêt, jamais il ne manque de complaisance ; interrogé, il répond aussitôt ; il révèle ce qui est caché, éclaire ce qui est obscur, rend certain ce qui est embrouillé ; il protège contre la mauvaise fortune, modère la prospérité, accroît les richesses, repousse la dépense….)  ↩

[I.119.095]
  1.  Op. cit., chap. iii, p. 28.  ↩
[I.120.096]
  1.  Op. cit., chap. xvii, pp. 143-144.  ↩
  2.  Ibid.  ↩
[I.121.097]
  1.  Voir, à cet endroit (p. 83), une note du traducteur sur ce qu’était alors Paris, « le rendez-vous de toutes les intelligences », et une pièce de vers, composée au xiiie siècle :
    •  O dulcis Parisius, decor omnis ville….
      O dulcis Parisius, parens sine pare….  ↩
  2.  Op. cit., chap. viii, pp. 83-85.  ↩
  3.  Op. cit., chap. xv, pp. 261 et 128. Cf. aussi le chap. ii, « Comme quoi les livres doivent être préférés aux richesses et aux plaisirs », pp. 21-26.  ↩
[I.122.098]
  1.  Cf. Cocheris, op. cit., Notice biographique, p. xvii ↩
  2.  Ap. Darche, Essai sur la lecture, p. 372 ; et Fertiault, les Amoureux du livre, pp. 269-270.  ↩
[I.123.099]
  1.  Ap. Mézières, Pétrarque, p. 332. (Paris, Didier, 1868.)  ↩
  2.  Il avait une veste de cuir, sur laquelle il écrivait, durant ses promenades, lorsqu’il manquait de papier ou de parchemin. Ce vêtement, couvert d’écriture et de ratures, était encore, en 1527, conservé par le cardinal Sadolet comme une précieuse relique littéraire. (Géraud, op. cit., pp. 9-10.) Cf. Pascal revenant « quelquefois de la promenade avec les ongles chargés de caractères qu’il traçait dessus avec une épingle : ces caractères lui remettaient dans l’esprit diverses pensées qui auraient pu lui échapper ». (Sainte-Beuve, Port-Royal, t. IV, p. 599.)  ↩
[I.124.100]
  1.  Zimmermann, De la solitude, chap. vii, pp. 164-165, trad. Marmier. (Paris, Victor Masson, 1855.)  ↩
  2.  Ces deux petits livres font partie de son grand ouvrage philosophique De remediis utriusque fortunæ, et ont été traduits par Victor Develay. (Paris, Librairie des bibliophiles, 1883.)  ↩
  3.  Nous en citerons des extraits plus loin, dans le tome II, chap. iv, en parlant du « Choix des livres ».  ↩
  4.  Ap. Petit-Radel, op. cit., pp. 136-137 ; et Lalanne, op. cit., pp. 226-227.  ↩
[I.125.101]
  1.  Cf. Mézières, op. cit., p. 328.  ↩
  2.  On montre encore à la bibliothèque Laurentienne (à Florence) un manuscrit des Lettres de Cicéron, Ad familiares, copiées par Pétrarque, gros recueil à épaisse couverture de bois garnie de cuivres, qui faillit coûter cher à son maître. Afin d’avoir toujours auprès de lui ce manuscrit, dont il se servait très fréquemment, Pétrarque l’avait mis debout « contre la porte de sa bibliothèque. Mais, en passant par là et en pensant à autre chose, il renversa plusieurs fois le livre qui vint chaque fois le frapper à la jambe gauche et à la même place. Il en résulta une blessure qu’il négligea d’abord, qui le fit ensuite beaucoup souffrir, qui le retint au lit plusieurs jours, et qui le mit en danger de perdre la jambe ». (Mézières, op. cit., p. 339.)  ↩
  3.  Lalanne, op. cit., pp. 227 et 191.  ↩
[I.127.103]
  1.  Ap. Lalanne, op. cit., pp. 211-212.  ↩
  2.  Sauval, ap. Petit-Radel, op. cit., p. 133.  ↩
[I.128.104]
  1.  Les Anciennes Bibliothèques de Paris, Bibliothèque du Roi, t. II, pp. 114-115. Cf. aussi Léopold Delisle, le Cabinet des manuscrits, t. I, pp. 21 et s.  ↩
[I.130.106]
  1.  Cf. supra, p. 101.  ↩
[I.132.108]
  1.  Cf. Alfred Franklin, op. cit., t. II, p. 136.  ↩
  2.  Gabriel Naudé, Additions à l’histoire du roy Louis XI, p. 167, ap. Alfred Franklin, op. cit., p. 140, note 2.  ↩
  3.  Tous ces détails sont extraits, le plus souvent textuellement, du grand et excellent ouvrage de M. Alfred Franklin, les Anciennes Bibliothèques de Paris, t. II, pp. 131-145. (Paris, Imprimerie nationale, 1870.)  ↩

Publié le 22 oct. 1905 par Albert Cim