Le Livre, tome II, p. 195-211

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 195.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 195 [211]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 196.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 196 [212]. Source : Internet Archive.

X. Les journaux

La vraie lecture, c’est celle du livre. Le journal a sur le livre le désavantage d’être fait trop vite, forcément, — et ce qu’on fait vite, forcément encore et inévitablement, manque de soin et de maturité[195.1] ; de ne parler presque exclusivement que de choses éphémères et d’une importance relative ; de ne posséder enfin ni le format, ni la commodité et l’élégance du livre.

Bayle (1647-1706) était d’avis que « le journal n’est, pour ainsi dire, qu’un dessert de l’esprit » ; et, ajoute Sainte-Beuve, qui rapporte ce mot[195.2], « il faut faire provision de pain et de viande solide avant de se disperser aux friandises[195.3] ».

[II.211.195]
  1.  Et cependant combien de livres sont « journaux » en ce point ! Mais ici la rapidité et la négligence ne sont pas essentielles à l’œuvre, elles ne proviennent que de l’auteur ; tandis que le journal, pressé par l’actualité, aiguillonné par la concurrence, est tenu de se hâter avant tout.  ↩
  2.  Portraits littéraires, t. I, p. 370.  ↩
  3.  « Une bonne soupe est excellente, le matin, en se levant, et non moins bonne pour l’esprit la lecture d’un chapitre de Montaigne. Le nourrissant Montaigne fait penser à cet Anglais qui mangeait toujours un bifteck avant son dîner, le dîner fût-il de quatre services. Quand un homme a lu le matin un chapitre de Montaigne, alors seulement il peut grignoter sans danger les articles de journaux. » (Champfleury, Notes intimes, Souvenirs et Portraits de jeunesse, pp. 253-254.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 196-212

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 196.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 196 [212]. Source : Internet Archive.

« La lecture des journaux, écrit, de son côté, un journaliste qui était en même temps un très brillant styliste, Théophile Gautier[196.1] (1811-1873), la lecture des journaux empêche qu’il n’y ait de vrais savants et de vrais artistes ; c’est comme un excès quotidien qui vous fait arriver énervé et sans force sur la couche des Muses, ces filles dures et difficiles, qui veulent des amants vigoureux et tout neufs. Le journal tue le livre, comme le livre a tué l’archi­tecture[196.2],

[II.212.196]
  1.  Mademoiselle de Maupin, préface, p. 34. (Paris, Charpentier, 1886.)  ↩
  2.  « … L’archidiacre considéra quelque temps en silence le gigantesque édifice (Notre-Dame de Paris), puis, étendant avec un soupir sa main droite vers le livre imprimé qui était ouvert sur sa table, et sa main gauche vers Notre-Dame, et promenant un triste regard du livre à l’église : « Hélas ! Dit-il, ceci tuera cela » …. « Ceci tuera cela. Le livre tuera l’édifice…. La presse tuera l’église…. L’imprimerie tuera l’architecture…. » (Victor Hugo, Notre-Dame de Paris, livre V, chap. i et ii, t. I, pp. 205, 207 et 208 ; Paris, Hachette, 1858.) Il est à remarquer que si le livre a pu porter atteinte à l’Église (avec un grand É), aux dogmes catholiques et autres, il n’a nullement tué l’édifice gothique, que l’imprimerie n’a pas du tout nui à notre vieille et nationale architecture, au contraire. « C’est par lui (le livre), par les recherches et les écrits des Boisserée, des Vitet, des Victor Hugo, des Michelet, des Montalembert, des Viollet-le-Duc, qu’elle a retrouvé la faveur, qu’elle a reconquis l’admiration. » (Jules Levallois, la Vieille France, chap. viii, p. 161 ; Tours, Mame, 1882.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 197-213

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 197.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 197 [213]. Source : Internet Archive.

comme l’artillerie a tué le courage et la force mus­culaire[197.1]. »

Sur cette concurrence faite au livre par le journal, M. Gabriel Hanotaux (1853-….) a publié, il y a quelques années[197.2], ces intéressantes considérations : « Le vrai concurrent du Livre, c’est le Journal. Et le Journal réussit parce qu’il est très bon marché. La démocratie veut le Livre à bas prix, comme elle veut le vin à bas prix. Le remède à toutes les « méventes » est là…. Donc, à l’avenir, selon moi, deux sortes de livres : le livre de luxe, parfait, soigné, caressé, avec des reliures exquises, des gravures splendides ; en un mot, le livre d’amateur, tiré à petit nombre. Et, d’autre part, le livre très bon marché, le livre « populo », le livre à six sous, à cinq

[II.213.197]
  1.  Mais, à son tour, le journal est battu en brèche par des inventions nouvelles, par le téléphone et le phonographe notamment. « Tout lasse, tout passe, tout se transforme. Comme les typographes ont eu leur art modifié par le mécanisme, l’industrie des reporters sera bouleversée par les sciences nouvelles. Après les pataches, la locomotive ; après le gaz, l’arc voltaïque. Les journaux à dépêches ne seront bientôt plus que de l’antiquaille. Place aux phonographes ! place aux téléphones ! Déjà le téléphone rend mille services…. Le journalisme se sera si bien perfectionné qu’il n’y aura plus de journalisme. Il aura cessé d’être la langue indispensable. Le ceci tuera cela du poète aura trouvé une application de plus. Le Livre, d’après lui, a sapé le Monument ; le Journal a supplanté le Livre ; le Téléphone et le Phonographe supplanteront le Journal. » (Eugène Dubief, le Journalisme, pp. 84-86 ; Paris, Hachette, 1892 ; Bibliothèque des Merveilles.)  ↩
  2.  Le Journal, numéro du 29 octobre 1900.  ↩

Le Livre, tome II, p. 198-214

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 198.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 198 [214]. Source : Internet Archive.

sous, à trois sous…. Le livre devenant une sorte de journal plié et cousu, pouvant se conserver et faire série, tel est l’avenir du Livre démocratique moderne. C’est par lui que la science non seulement pénétrera, mais se conservera dans la dernière de nos bourgades. Le paysan et l’ouvrier savent lire maintenant ; mais il faut qu’ils aient de quoi lire. Ils veulent autre chose que des almanachs…. »

Aussi rassurons-nous : le livre, quel que soit le préjudice que le journal puisse lui porter, quelle que soit la concurrence que lui fassent aussi les nombreux sports éclos à la fin du siècle dernier : lawn-tennis, croquet, football, etc., et le cyclisme, et l’automobilisme, et la photographie d’amateurs, etc., le livre aura toujours ses fidèles et ses fervents ; il restera toujours ce qu’il n’a jamais cessé d’être, même aux époques les plus remuantes et les plus troublées, « la passion des honnêtes gens[198.1] ».

La presse, cet admirable instrument de propagande et de publicité, a été plus d’une fois très durement jugée, et par des écrivains qui, comme Balzac, comme Thiers, comme Proudhon, la connaissaient

[II.214.198]
  1.  Le mot est de Gilles Ménage (1603-1692), ap. Octave Uzanne, Du prêt des livres, Miscellanées bibliographiques, t. I, p. 35.  ↩

Le Livre, tome II, p. 199-215

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 199.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 199 [215]. Source : Internet Archive.

on ne peut mieux. Avant même d’être passée, à peu près tout entière, entre les mains des financiers et brasseurs d’affaires, elle avait encouru bien des reproches.

La Bruyère traite les journalistes, « les nouvellistes », avec le plus profond dédain[199.1].

« J’ai su qu’il n’y a rien à apprendre dans les journaux, écrit d’Alembert[199.2], sinon que le journaliste est l’ami ou l’ennemi de celui dont il parle, et cela ne m’a pas paru fort intéressant à savoir. »

« La presse, il le faut avouer, est devenue un des fléaux de la société, et un brigandage intolérable, » déclare Voltaire[199.3].

« S’ils (les journaux) m’accusaient d’avoir assassiné mon père, disait un jour Chateaubriand (1768-1848)[199.4], je n’essayerais pas de le nier aujourd’hui, parce que demain ils me démontreraient, de quelque façon, que je me suis défait de ma mère aussi, et, sur ma seconde protestation, ils feraient entrevoir, en outre, que j’ai bien un peu guillotiné M. de Malesherbes….

[II.215.199]
  1.  « Le devoir du nouvelliste est de dire : Il y a tel livre qui court et qui est imprimé chez Cramoisy en tel caractère, » etc. (La Bruyère, les Caractères, Des ouvrages de l’esprit, édit. Hémardinquer ; p. 20. Paris, Dezobry, 1849.)  ↩
  2.  Cité par Hémardinquer, dans son édition de La Bruyère, p. 20.  ↩
  3.  Lettre à un membre de l’Académie de Berlin, 15 avril 1752 : Œuvres complètes, t. VII, p. 763. (Paris, édit. du journal le Siècle, 1869.)  ↩
  4.  Ap. Sainte-Beuve, Chateaubriand et son groupe littéraire, t. II, pp. 422-423).  ↩

Le Livre, tome II, p. 200-216

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 200.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 200 [216]. Source : Internet Archive.

Misérables musiciens, qui torturent un instrument admirable pour en tirer des sons aigres et faux, au lieu de lui faire rendre de divins accords !… »

Thiers (1797-1877) estime tout crûment, lui, que « la presse est une mauvaise denrée ; la meilleure ne vaut pas le diable[200.1] ».

Et Proudhon (1809-1865)[200.2] : « Est-ce par les journaux que nous connaîtrons l’opinion parisienne ? Mais… pour qui a vu de près ces diverses officines, toute considération tombe à l’instant. »

« Le journalisme est un enfer, un abîme d’iniquités, de mensonges, de trahisons…. un de ces lupanars de la pensée…. S’il existait un journal des bossus, il prouverait, soir et matin, la beauté, la bonté, la nécessité des bossus…. Le journal servirait son père tout cru à la croque au sel de ses plaisanteries, plutôt que de ne pas intéresser ou amuser son public…. Le journalisme sera la folie de notre temps. »

Telle était l’opinion de Balzac (1799-1850)[200.3]. Et,

[II.216.200]
  1.  Ap. Dr Véron, Mémoires d’un bourgeois de Paris, t. V, p. 293. (Paris, Librairie nouvelle, 1856.)  ↩
  2.  De la capacité politique des classes ouvrières, p. 236.  ↩
  3.  Illusions perdues, t. I, pp. 243, 244, 334, 335 ; t. II, p. 193, et passim. (Paris, Librairie nouvelle, 1858 et 1865.) Cf. ce que dit M. Edmond Thiaudière (1837-….), dans son recueil de pensées, la Soif du juste (p. 175) : « Ce qui montre à quel degré d’abjection est descendue la Société de notre temps, c’est que le journalisme contemporain trouve son intérêt à mettre en relief surtout ce qui est infâme et ce qui est inepte ».  ↩

Le Livre, tome II, p. 201-217

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 201.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 201 [217]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 202.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 202 [218]. Source : Internet Archive.

après avoir prédit qu’ « on tuera la presse comme on tue un peuple, en lui donnant la liberté, » il conclut : « Si la presse n’existait pas, il faudrait ne pas l’inventer[201.1] ».

Mais elle existe, et plus vivace et plus forte que jamais, de plus en plus puissante[201.2]. Pour quantité de gens, pour la grande majorité des lecteurs, il n’y a pas d’autre lecture que celle des journaux, — c’est-à-dire, en somme et d’ordinaire, la lecture de faits accidentels et fugitifs, de futiles contingences. « Lorsque, pendant quelques mois, observe Gœthe[201.3], on n’a pas lu les journaux, et qu’on les lit tous de suite en une fois, on voit alors combien on perd de temps avec ces papiers[201.4]. »

[II.201.217]
  1.  Monographie de la presse parisienne. (Balzac, Œuvres complètes, t. XXI, pp. 366, 434, et passim ; Paris, Lévy, 1870 ; in-8.)  ↩
  2.  Sur la puissance de la presse. L’omnipotence du journalisme, voir la lettre du 12 avril 1839 des Lettres parisiennes de Mme Émile de Girardin (1804-1855 : Le vicomte de Launay, t. I, pp. 324-325 ; Paris, Librairie nouvelle, 1856) : « … Ils (les flatteurs) ont porté leur hommage au dieu du jour, à celui qui donne la renommée, à celui qui consacre la vertu, à celui qui improvise le génie, à celui qui paye l’apostasie, à celui qui vend la popularité, au journalisme ! Et les journalistes ont pour flatteurs tout le monde : tous ceux qui écrivent, tous ceux qui parlent, tous ceux qui chantent, tous ceux qui dansent, tous ceux qui pleurent, tous ceux qui aiment, tous ceux qui haïssent, tous ceux qui vivent enfin ! Le journalisme ! Voilà votre roi, messieurs, et vous êtes tous ses courtisans. » Etc.  ↩
  3.  Conversations recueillies par Eckermann, trad. Délerot, t. II, p. 181.  ↩
  4.  « A l’instar de la presse américaine, on a commencé de donner, dans le journal, aux faits les plus insignifiants l’importance la plus démesurée. Des faits dont aucun journal n’aurait cru utile de parler, il y a dix ans, à cause de leur extrême banalité, occupent aujourd’hui, dans les colonnes de certains de nos quotidiens, une place première, considérable. Tel accident de voiture, qu’autrefois on n’aurait même pas mentionné ou qu’on eût raconté en trois lignes, fournit aujourd’hui un article tout entier. Remarquez quelle importance démesurée prend le moindre fait. Des centaines de journaux publient à la fois cet article ; ils le commentent, l’amplifient. Et, pendant une semaine souvent, il n’est pas question d’autre chose : ce sont, chaque matin, de nouveaux détails : les colonnes s’emplissent, chaque feuille tâche de pousser au tirage, s’évertuant à satisfaire davantage la curiosité de ses lecteurs. Le procédé que l’on emploie d’habitude pour grossir l’importance d’une nouvelle se réduit à des artifices typographiques, et il suffit de multiplier titres, sous-titres, alinéas et passages en gros caractères pour que quelques infiltrations d’eau, venues de la rivière voisine, à travers les murs lézardés d’une cave, prennent les proportions d’une inondation, et qu’une brouette renversée devienne une catastrophe comparable à un déraillement de chemin de fer. Une armée de reporters se tient en faction dans les gares, s’embusque jusque dans les corridors d’hôtel, ou se faufile dans les clubs à la mode, et, à défaut de personnages célèbres, interroge à outrance, avec rage, de malheureux excursionnistes à peine connus de l’agence Cook. Le même système de grossissement est appliqué aux dépêches, et de partout arrivent des télégrammes qui transforment le plus vulgaire fait divers en un drame tout hérissé d’émouvantes péripéties. Quel est le fauteur de ces niaiseries ainsi produites et qui sont si nuisibles à l’ordre et à la marche du journal ? Est-ce le journal ? Est-ce le public qui le lui demande ? Ils s’enfièvrent mutuellement, voilà ce qui reste de plus clair. » (Baron Tanneguy de Wogan, Manuel des gens de lettres, pp. 96-97.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 202-218

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 202.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 202 [218]. Source : Internet Archive.

Le Père Gratry (1805-1872) nous exhorte aussi à réserver nos yeux et nos loisirs pour des lectures

Le Livre, tome II, p. 203-219

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 203.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 203 [219]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 204.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 204 [220]. Source : Internet Archive.

plus fructueuses. Presque au début de son ouvrage les Sources, Conseils pour la conduite de l’esprit[203.1], il dissuade vivement tout homme « qui croit vouloir penser et parvenir à la lumière » de permettre « à la perturbatrice de tout silence, à la profanatrice de toutes les soli­tudes[203.2], à la presse quotidienne, de venir,

[II.219.203]
  1.  Page 7. (Paris, Téqui, 1904 ; in-18.)  ↩
  2.  Sur la solitude, son influence principalement sur les gens de lettres, et son importance pour les travaux littéraires, j’emprunte au livre de M. Albert Collignon, la Religion des Lettres, pp. 246-247, les hautes et suggestives réflexions suivantes : « L’efficacité de la solitude, dit Thomas Carlyle, qui la chantera ? Des autels devraient être élevés au silence, à la solitude. Le silence est l’élément dans lequel les grandes choses se forment et s’assemblent. » « Quoiqu’une vie de cabinet, toujours froide et non stimulée, ne fût pas sa vocation, le Père Lacordaire était né avec le goût et l’amour de la solitude ; il y restait toujours avec une joie nouvelle. « Je sens avec joie, disait-il, la solitude se faire autour de moi : c’est mon élément, ma vie. On ne fait rien qu’avec la solitude : c’est mon grand axiome. » « Un homme, disait-il encore, se fait en dedans de lui et non en dehors. Un homme a toujours son heure : il suffit qu’il l’attende…. Je n’ai jamais vécu avec les gens du monde, et je crois difficilement à ceux qui habitent cette mer où le flot pousse le flot sans que jamais rien y prenne consistance. Les meilleurs perdent à ce frottement continuel…. » La solitude est possible en tous lieux. Le désert est partout où l’on sait vivre seul. On se cherche des retraites, chaumières rustiques, rivages des mers, montagnes. « Retire-toi plutôt en toi-même, dit Marc-Aurèle, nulle part tu ne seras plus tranquille. » Le philosophe ou, pour mieux dire, l’homme intelligent sait trouver l’isolement partout, dans le tapage d’un club, dans les bruits de la rue, comme dans un salon. En quelque endroit que le hasard le jette, même au milieu des foules, ou dans une bataille, il observe avec sans-froid, il pense…. L’homme de lettres, dit encore M. Albert Collignon (op. cit., p. 252), doit être avare de son temps. S’il le perd en visites, en politesses, dans toutes les aimables frivolités des salons, il deviendra un homme du monde et non un écrivain. Il faut se résigner à passer pour un ours, fuir les bals, éviter les soirées, les longs dîners, etc., quand on a l’ambition difficile de faire un bon livre. C’est ici qu’une fin supérieure justifie des moyens peu aimables à pratiquer. Mais, sans la solitude, sans le travail continu qu’elle comporte et qu’elle seule rend possible, sans la privation des distractions énervantes du monde parisien, le génie le mieux doué ne fera jamais rien de grand. » Voir aussi Ducis (lettre du 22 ventôse an XII, et lettre du 2 avril 1815 : Lettres de Ducis, pp. 169 et 376 ; cf. supra, t. I, p. 171) : « Je pense donc que si l’on veut faire usage de ma devise, on peut, au lieu d’Abstine et sustine, choisir ces mots, qui étaient la devise de Descartes : Bene vixit, qui bene latuit. Je les préférerais même aux mots Abstine et sustine…. La solitude est plus que jamais pour mon âme ce que les cheveux de Samson étaient pour sa force corporelle. » Et Chamfort (Dialogue xxiv ; Œuvres choisies, t. I, p. 184 : cf. supra, t. I, p. 171) : « Il faut vivre, non avec les vivants, mais avec les morts, » c’est-à-dire avec les livres. Et Doudan (lettre du 1er avril 1854 : Lettres, t. III, p. 7) : « En avançant dans la vie, on trouve que c’est encore la complète solitude qui trompe le moins et qui froisse le moins. »  ↩

Le Livre, tome II, p. 204-220

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 204.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 204 [220]. Source : Internet Archive.

chaque matin, lui prendre le plus pur de son temps, une heure ou plus, heure enlevée de la vie par l’emporte-pièce quotidien ; heure pendant laquelle la passion, l’aveuglement, le bavardage et le mensonge, la poussière des faits inutiles, l’illusion des craintes vaines et des espérances impossibles, vont s’emparer, peut-être pour l’occuper et le ternir pendant tout le jour, de cet esprit fait pour la science et la sagesse. »

« Une particularité frappante du journalisme, c’est

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