V. Livres de luxe et bouquins
Le beau livre, le livre de luxe, a naturellement trouvé, de tout temps, des appréciateurs et des admirateurs[144.1] : on ne peut méconnaître, en effet, pour le simple usage même, pour la lecture ou l’étude, le très puissant attrait et toute l’importance
[II.160.144]
- Il a aussi trouvé parfois, à différentes époques, des dénigreurs et contempteurs. Aux premiers siècles de l’Église, saint Jérôme (331-420) condamnait les dépenses faites pour l’ornementation des livres : « On teint les parchemins en pourpre, dit-il, on les couvre de lettres d’or, on revêt les livres de pierres précieuses, et les pauvres meurent de froid à la porte du temple : Gemmis codices vestiuntur, et nudus ante fores emoritur Christus. » (Ap. Géraud, Essai sur les livres dans l’antiquité, p. 138.) Plus tard, les disciples de saint Bernard (1091-1153), les austères religieux de Cîteaux, blâmaient sans relâche leurs confrères et rivaux, les bénédictins de Cluny, d’enluminer et adorner les manuscrits, et il y avait même un des statuts de leur règle qui leur défendait d’employer, dans la confection des manuscrits, l’or, l’argent et même les vignettes. (Cf. Lecoy de la Marche, les Manuscrits et la Miniature, pp. 163-164 ; et Géraud, op. cit., p. 53.) « Nombre de petites communautés de Cîteaux ont laissé corrompre et pourrir de beaux manuscrits, ou en ont donné les feuilles à leurs cuisiniers pour mettre sous la pâte, envelopper leur tabac, ou vendre aux épiciers et beurriers. » (Dom Guiton, ancien bibliothécaire de l’abbaye cistercienne de Clairvaux, 1744. ap. Fertiault, les Légendes du livre, p. 200.) « Nous lisons, au contraire, dans la Vie de saint Boniface, apôtre de l’Allemagne, que, parmi les livres qu’il fit venir d’Angleterre, se trouvaient les Épitres de saint Paul écrites en lettres d’or. Le même saint priait une abbesse copiste de transcrire pour lui les Épîtres de saint Pierre avec de l’encre d’or, et cela par respect pour les Saintes Écritures. » (Géraud, op. cit., pp. 53-54.) ↩