Tome IIHistorique › III. Variétés bibliographiques et littéraires

Le Livre, tome II, p. 001-017

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 001.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 001 [017]. Source : Internet Archive.

Historique

III. Variétés bibliographiques et littéraires

I. La religion des lettres. Le grand diocèse

Dans un discours qu’il prononça au Sénat, le 19 mai 1868, lors de la discussion sur la liberté de l’enseignement, Sainte-Beuve (1804-1869), s’adressant aux prélats sénateurs, défenseurs de « la foi de leurs diocésains », leur rappela qu’il y avait un autre diocèse que le leur, et un diocèse d’une bien autre étendue et d’une bien autre importance, celui de la pensée libre :

« Il est aussi un grand diocèse, Messieurs, celui-là sans circonscription fixe, qui s’étend par toute la France, par tout le monde, qui a ses ramifications et ses enclaves jusque dans les diocèses de messeigneurs les prélats ; qui gagne et s’augmente sans

Le Livre, tome II, p. 002-018

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 002.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 002 [018]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 003.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 003 [019]. Source : Internet Archive.

cesse, insensiblement et peu à peu, plutôt encore que par violence et avec éclat ; qui comprend dans sa largeur et sa latitude des esprits émancipés à divers degrés, mais tous d’accord sur ce point qu’il est besoin avant tout d’être affranchi d’une autorité absolue et d’une soumission aveugle ; un diocèse immense (ou, si vous aimez mieux, une province indéterminée, illimitée), qui compte par milliers des déistes, des spiritualistes et disciples de la religion dite naturelle, des panthéistes, des positivistes, des réalistes, des sceptiques et chercheurs de toute sorte, des adeptes du sens commun et des sectateurs de la science pure : ce diocèse (ce lieu que vous nommerez comme vous le voulez), il est partout…[002.1]. »

Développant cette thèse, M. Albert Collignon (1839-….)[002.2] a publié plusieurs ouvrages (la Vie lit-

[II.018.002]
  1.  Sainte-Beuve, Premiers Lundis, t. III, pp. 281-282.  ↩
  2.  Voir la lettre adressée par Sainte-Beuve à M. Albert Collignon le 14 juillet 1867 (Correspondance, t. II, pp. 187-188) : « … Qu’on en gémisse ou non, la foi s’en est allée ; la science, quoi qu’on dise, la ruine ; il n’y a plus, pour les esprits vigoureux et sensés, nourris de l’histoire, armés de la critique, studieux des sciences naturelles, il n’y a plus moyen de croire aux vieilles histoires et aux vieilles Bibles. Dans cette crise, il n’y a qu’une chose à faire pour ne point languir et croupir en décadence : passer vite et marcher ferme vers un ordre d’idées raisonnables, probables, enchaînées, qui donne des convictions à défaut de croyances, et qui, tout en laissant aux restes de croyances environnantes toute liberté et sécurité, prépare chez tous les esprits neufs et robustes un point d’appui pour l’avenir. Il se crée lentement une morale et une justice à base nouvelle, non moins solide que par le passé, plus solide même, parce qu’il n’y entrera rien des craintes puériles de l’enfance. Cessons donc le plus tôt possible, hommes et femmes, d’être des enfants : ce sera difficile à bien des femmes, direz-vous. — A bien des hommes aussi. Mais, dans l’état de société où nous sommes, le salut et la virilité d’une nation sont là et pas ailleurs. On aura à opter entre le byzantinisme et le vrai progrès. »  ↩

Le Livre, tome II, p. 003-019

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 003.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 003 [019]. Source : Internet Archive.

téraire[003.1], la Religion des Lettres[003.2], Notes et Réflexions d’un lecteur[003.3]) en faveur du « grand diocèse », et de « cette antique religion des Lettres, la seule qui, depuis Homère jusqu’à Épicure et Lucrèce, depuis Cicéron jusqu’à Gœthe, Littré et Sainte-Beuve, ait continuellement civilisé les hommes sans jamais leur nuire, la seule qui n’ait jamais fait naître parmi eux aucune guerre, aucune persécution…, et qui n’ait jamais eu, — avec Hypatie et Socrate, avec Giordano Bruno, Jean Huss, Étienne Dolet, — que des martyrs[003.4] ».

« La religion des Lettres, dit encore M. Albert Collignon[003.5], a pour culte la lecture des livres. Ce sont les livres qui nous éclairent et qui nous donnent

[II.019.003]
  1.  Paris, Fischbacher, 1896, 2e édit.  ↩
  2.  Paris, Fischbacher, 1896.  ↩
  3.  Paris, Fischbacher, 1896.  ↩
  4.  La Vie littéraire, pp. 216 et 43. Cf. Voltaire, Dictionnaire philosophique, art. Superstition ; t. I, p. 642 (Paris, édit. du journal le Siècle, 1867) : « Je vous défie de me montrer un seul philosophe, depuis Zoroastre jusqu’à Locke, qui ait jamais excité une sédition, etc.… La superstition met le monde entier en flammes ; la philosophie les éteint. »  ↩
  5.  Op. cit., p. 230.  ↩

Le Livre, tome II, p. 004-020

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 004.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 004 [020]. Source : Internet Archive.

les meilleurs plaisirs. En nous rendant sages, ils nous rendent heureux ; ils nous moralisent et nous perfectionnent, ils nous consolent des hommes et nous enseignent à les supporter, à les aimer, à ne jamais leur nuire et à leur faire du bien. »

« Le progrès remplace aujourd’hui dans les esprits l’attente décevante du royaume de Dieu. Ce royaume de Dieu, dans la saine religion des Lettres, c’est la civilisation, qui résulte du dévouement de tous, savants, philosophes, écrivains, poètes, romanciers, journalistes et moralistes, au bien moral, à l’art et à la vérité[004.1]. »

« La religion des Lettres… n’est pas une nouveauté. Elle existe depuis longtemps pour tous les lettrés qui connaissent les chefs-d’œuvre de l’esprit humain et qui aiment à les lire[004.2]. »

« La religion des Lettres, voilà le lien divin qui relie les esprits et les cœurs. Par qui donc sommes-nous unis à toute la série de nos ancêtres, sinon par ces mêmes livres qui nous font pratiquer le culte pieux de nos grands morts, par les livres qui nous font connaître et aimer nos contemporains, par les livres qui servent et serviront toujours à l’échange des sentiments, des connaissances et des idées parmi les hommes[004.3] ?

[II.020.004]
  1.  La Vie littéraire, p. 214.  ↩
  2.  Op. cit., p. 228.  ↩
  3.  Op. cit., p. 303.  ↩

Le Livre, tome II, p. 005-021

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 005.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 005 [021]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 006.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 006 [022]. Source : Internet Archive.

Ailleurs[005.1], M. Albert Collignon cite cette instante recommandation de Prévost-Paradol (1829-1870) : « Restons fidèle au culte des Lettres ; vivons le plus possible dans la fréquentation des écrivains immor-

[II.021.005]
  1.  Dans la Religion des Lettres, p. 103. Voir encore la profession de foi de M. Camille Saint-Saëns (1835-….), dans son petit volume Problèmes et Mystères (Paris, Flammarion, 1894), dont voici un extrait des conclusions : (En fait d’idéal et d’ « au-delà ») « Est-ce que vous n’avez pas la science ? Est-ce que vous n’avez pas l’art ? En fait de mystère, qu’y a-t-il de plus profond que la Nature ? En fait d’idéal, qu’y a-t-il de plus élevé que l’Art ?… Mais enfin, si loin que soit ce jour, il viendra, celui de la fin de notre espèce ! Le soleil s’éteindra ; peut-être avant ce temps la terre aura-t-elle résorbé ses mers, son atmosphère, et sera-t-elle devenue impropre à la vie ; après avoir progressé dans des proportions que nous ne pouvons imaginer, l’humanité régressera, dégénérera, disparaîtra. « Et il ne resterait rien de nous, qui avons pensé, de nous, qui avons aimé, qui avons souffert ! Ce n’est pas possible. Nous sentons en nous quelque chose qui ne peut périr ! » Soyez tranquilles, personne ne vous prouvera le contraire. Mais ce que nous sentons en nous pourrait très bien n’être que l’instant de la conservation, transfiguré par notre imagination, qui en a fait bien d’autres, transformant, par exemple, les brouillards et les feux follets en fées, fantômes et revenants, auxquels on a cru pendant des siècles…. Mais alors où est le But ? Le but ? Il n’y en a pas. Rien, dans la nature, ne tend à un but, ou plutôt chaque but est à son tour un point de départ…. On s’est toujours cassé le nez en cherchant les causes finales ; cela tient peut-être tout simplement à ceci, qu’il n’y a pas de causes finales. En tout cas, s’il y en a, il en va exactement pour nous comme s’il n’y en avait point. Si nous sommes emprisonnés dans le temps comme dans l’espace, tâchons de nous accommoder de notre prison ; quoi qu’on en dise, elle est assez vaste pour nous. Pénétrons-nous de cette vérité, que l’humanité est un corps dont nous sommes une molécule, et que le vœu de la nature est que nous vivions pour les autres, qui sont nous-mêmes. Profitons de l’héritage de nos aînés ; travaillons pour que ceux qui nous suivront soient plus heureux que nous, s’il est possible, et nous soient reconnaissants de l’existence que nous leur aurons préparée. Nous verrons alors que la vie est bonne, et, le moment venu, nous nous endormirons avec le calme et la satisfaction de l’ouvrier qui a fini sa tâche et bien employé sa journée. Les joies que la nature nous donne, qu’elle ne refuse même pas complètement aux plus déshérités d’entre nous, celles que procure la découverte des vérités nouvelles, les jouissances esthétiques de l’art, le spectacle des douleurs soulagées et les efforts pour les supprimer dans la mesure du possible, tout cela peut suffire au bonheur de la vie. Il est à craindre que tout le reste ne soit que folie et chimère. Des hommes sérieux et éclairés, de grands savants, croient pourtant à ces « chimères » et à ces « folies ». Cela ne prouve rien ; la logique ne gouverne pas toujours les hommes, fussent-ils éminents, et les contradictions les plus surprenantes vivent à l’aise dans le milieu élastique de la conscience. Kepler, le grand Kepler, un des fondateurs de la science moderne, l’auteur des lois immortelles qui portent son nom, croyait à l’astrologie ; il écrivait sérieusement que la conjonction de Jupiter et de Saturne, dans le signe du Lion, pouvait provoquer des insurrections. Une des forces les plus mystérieuses de la nature, l’atavisme, est la source de ces illogismes et la cause que certaines idées préconçues résistent à tous les assauts de la raison. Humiliée par la foi, déifiée par la libre pensée, la raison reste ce qu’elle est : le gouvernail du navire, rien de plus. Cela suffit pour qu’il soit impossible de s’en passer. » (Camille Saint-Saëns, op. cit., pp. 74 et 81-89.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 006-022

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 006.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 006 [022]. Source : Internet Archive.

tels qui ont exprimé avec le plus de bonheur les meilleures pensées de l’humanité ; plus nous les connaîtrons, plus nous aimerons la justice et l’honneur, plus nous serons éloignés de ce qui pourrait émousser notre sens moral et affaiblir la dignité de notre âme. »

Le Livre, tome II, p. 007-023

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 007.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 007 [023]. Source : Internet Archive.

Bien d’autres extraits mériteraient de prendre place ici, dans ce chapitre de « la Religion des Lettres ».

D’abord cette règle de conduite du savant et vertueux Abauzit (1679-1767)[007.1] : « Être plutôt que paraître, savoir plutôt qu’enseigner, préférer une vie égale et tranquille avec l’estime des siens à une réputation lointaine, renoncer aux chimères, aux grands desseins, pour cultiver cette sorte de mérite qui a sa récompense en soi-même et se suffit…. »

Puis cette profession de foi de Voltaire (1694-1778)[007.2] : « Au milieu de tous les doutes qu’on tourne depuis quatre mille ans en quatre mille manières, le plus sûr est de ne jamais rien faire contre sa conscience. Avec ce secret, on jouit de la vie, et on ne craint rien à la mort. Il n’y a que des charlatans qui soient certains. Nous ne savons rien des premiers principes. Il est bien extravagant de définir Dieu, les anges, les esprits, et de savoir précisément pourquoi Dieu a formé le monde, quand on ne sait pas pourquoi on remue son bras à sa volonté. Le doute

[II.023.007]
  1.  Ap. Sainte-Beuve, Causeries du lundi, t. XV, p. 138.  ↩
  2.  Correspondance, lettre à Frédéric-Guillaume, 28 novembre 1770, t. VIII, p. 803. (Paris, édit. du journal le Siècle, 1870.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 008-024

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 008.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 008 [024]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 009.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 009 [025]. Source : Internet Archive.

n’est pas un état bien agréable, mais l’assurance est un état ridicule[008.1]. »

De Mirabeau (1749-1791) : « Mais enfin que penses-tu ? me dira peut-être Sophie. Y a-t-il un

[II.024.008]
  1.  Voltaire renouvelle fréquemment cette constatation de l’irrémédiable et foncière ignorance humaine : « … Comment donc sommes-nous assez hardis pour affirmer ce que c’est que l’âme ? Nous savons certainement que nous existons, que nous sentons, que nous pensons. Voulons-nous faire un pas au delà, nous tombons dans un abîme de ténèbres ; et, dans cet abîme, nous avons encore la folle témérité de disputer si cette âme, dont nous n’avons pas la moindre idée, est faite avant nous ou avec nous, si elle est périssable ou immortelle. » Etc. (Dictionnaire philosophique, art. Ame ; t. I, pp. 76-77.) « … Il y a des gens qui ont résolu toutes ces questions. Sur quoi un homme d’esprit et de bon sens disait un jour d’un grave docteur : « Il faut que cet homme-là soit un grand ignorant, car il répond à tout ce qu’on lui demande. » (Op. cit., art. Annales ; t. I, p. 108.) « … Vous me demandez comment le penser et le vouloir se forment en vous. Je vous réponds que je n’en sais rien. Je ne sais pas plus comment on fait des idées, que je ne sais comment le monde a été fait. Il ne nous est donné que de chercher à tâtons ce qui se passe dans notre incompréhensible machine. » (Op. cit., art. Franc Arbitre ; t. I, p. 407.) « Les gens de lettres qui ont rendu le plus de services… sont les lettrés isolés, les vrais savants renfermés dans leur cabinet, qui n’ont ni argumenté sur les bancs des universités, ni dit les choses à moitié dans les académies ; et ceux-là ont presque tous été persécutés. Notre misérable espèce est tellement faite, que ceux qui marchent dans le chemin battu jettent toujours des pierres à ceux qui enseignent un chemin nouveau. » (Op. cit., art. Lettres, Gens de lettres ; t. I, p. 507.) « Après les assertions des anciens philosophes,… que nous reste-t-il ? un chaos de doutes et de chimères. Je ne crois pas qu’il y ait jamais eu un philosophe à système qui n’ait avoué à la fin de sa vie qu’il avait perdu son temps. Il faut avouer que les inventeurs des arts mécaniques ont été bien plus utiles aux hommes que les inventeurs des syllogismes : celui qui imagina la navette l’emporte furieusement sur celui qui imagina les idées innées. » (Op. cit., art. Philosophie ; t. I, p. 577.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 009-025

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 009.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 009 [025]. Source : Internet Archive.

Dieu ? n’y en a-t-il pas ? Se mêle-t-il des affaires de ce monde ? ne s’en mêle-t-il pas ? Ici, je te répondrai naïvement ce que je t’ai répondu et ce que je te répondrai bien souvent : Je n’en sais rien ; ce sont quatre grands mots, crois-moi[009.1]. Je n’en sais rien, et peu m’importe, parce que je suis assuré qu’il m’est impossible d’en savoir plus que j’en sais, et que ma bonne foi, mes sentiments, mes intentions, ne sauraient déplaire à l’être infiniment juste, s’il en est un. Je ne sais ni s’il existe, ni comment il existe ; mais je sais que le bien moral, utile et même nécessaire à l’homme, indispensable à l’organisation et au maintien de la société, est obligatoire pour tout être raisonnable…. Je sais que, s’il est un Dieu, l’homme juste et bon lui sera agréable. Je sais que, s’il n’en est pas, l’homme juste et bon sera souvent le plus heureux et le moins agité, et qu’alors même qu’il sera persécuté et malheureux, le témoignage de sa

[II.025.009]
  1.  « … Si je comprends bien, vous non plus vous ne croyez pas à un au-delà ?… — Excusez-moi, monsieur, je n’ai pas d’opinion là-dessus. C’est comme si vous me demandiez s’il y a des truffes au pied de cet arbre : il est possible qu’il y en ait, il est possible qu’il n’y en ait pas. La seule différence est que nous pourrions creuser pour nous en assurer, tandis que nous aurions beau creuser ce problème…. » (Léon Barracand [1844-….], l’Adoration, p. 172 ; Paris, Lemerre, 1895.)  ↩

Le Livre, tome II, p. 010-026

Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 010.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 010 [026]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 011.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. II, p. 011 [027]. Source : Internet Archive.

conscience adoucira ses maux, que des remords envenimeraient, comme ils empoisonnent sans doute la prétendue félicité des méchants[010.1]. » Etc. « On dit communément que, si la divinité n’est pas, il n’y a que le méchant qui raisonne, le bon est un insensé. Mais pourquoi, si le bon est le plus paisible, le moins agité, le mieux garanti[010.2] ? »

[II.026.010]
  1.  Mirabeau, Lettres d’amour, pp. 293-294. (Paris, Garnier, 1874.)  ↩
  2.  Id., Lettres de cachet, chap. ii, p. 34. (Hambourg, sans nom d’edit., 1782.) Ailleurs (Lettres d’amour, pp. 291-292), Mirabeau dit encore : « … Tu vas en juger par ma profession de foi, que tu m’as déjà demandée deux fois et que je n’ai jamais eu le temps de te faire, parce que toutes ces discussions, immenses à faire, difficiles à résumer, n’apprennent, après tout, qu’un gros rien, si l’on veut être de bonne foi. Un ancien philosophe, interrogé par un roi sur l’essence de la divinité, demanda du temps pour y répondre. Le délai expiré, il en demanda un autre. Enfin, pressé de s’expliquer, Simonide dit à Hiéron : « Plus j’examine cette matière et plus je la trouve au-dessus de mon intelligence ». Je crois que Simonide a bien dit. — Veux-tu de grands et de beaux mots ? Racine te dira, en parlant de Dieu :
    •  L’Éternel est son nom, le monde est son ouvrage.

     Et voilà un admirable vers, mais une mauvaise définition. Veux-tu quelque chose de plus grand et de moins vague ? Lis cette inscription que Plutarque dit avoir été gravée sur le temple de Saïs : « Je suis tout ce qui a été, qui est, et ce qui sera ; et nul d’entre les mortels n’a encore levé mon voile… ». En effet, on ne peut faire un aveu plus sublime d’une invincible ignorance. Je t’entends bien d’ici, toi qui marches pas à pas, et ne crois point sur parole. Il faudrait, dis-tu sans doute, prouver qu’il y a un Dieu, avant d’expliquer ce que c’est que Dieu. Peut-être l’un n’est-il guère plus facile que l’autre ; car te démontrer l’existence de Dieu, en faisant attention à la nature de l’être infiniment parfait et à ses attributs, c’est-à-dire par une démonstration directe, par des raisonnements tirés de la nature même du sujet, c’est supposer l’idée de l’infini, qui est inconcevable ; c’est mettre en fait ce qui est en question, et ces sortes de preuves sont tout au moins insuffisantes. — Démontrer l’existence de Dieu par celle du monde et de l’univers, c’est-à-dire indirectement, c’est une tâche bien difficile ; car les lois simples qui dérivent de la forme imprimée à la matière nécessitent bien un premier mouvement ; mais ce premier mouvement sera-t-il Dieu ? Il faut convenir que cette première cause est très inconnue, très obscure, et, par conséquent, de nulle application, de nulle utilité dans les choses humaines. » Etc.… « Dieu, qui ne se mêle de rien ostensiblement ; Dieu, qui — selon l’expression de Jacob Boehme (1575-1624), — est le silence éternel » (George Sand, la Comtesse de Rudolstadt, chap. xix, t. I, p. 286 ; Paris. Michel Lévy, 1867). Dieu ne se manifeste à nous que par le culte que nous lui rendons.  ↩

- page 1 de 36