Tome IHistoriqueI. L’amour des livres et de la lecture › III. Depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’à l’avènement de Louis XIV

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Le Livre, tome I, p. 109-133

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 109.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 109 [133]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 110.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 110 [134]. Source : Internet Archive.

III. Depuis l’invention de l’imprimerie jusqu’à l’avènement de Louis XIV

L’invention de l’imprimerie, cette invention « qui semble être plus divine qu’hu­maine[109.1] », est, comme l’atteste Victor Hugo[109.2], « le plus grand événement de l’histoire. C’est la révolution mère. C’est le mode d’expression de l’humanité qui se renouvelle totalement…. Sous la forme imprimerie, la pensée est plus impérissable que jamais ; elle est volatile, insaisissable, indestructible. » « Le monde, ce jour-là, entra dans l’infini, » constate, à son tour, l’historien Michelet[109.3] ».

[I.133.109]
  1.  Louis XII, Déclaration du 9 avril 1513 concernant les libraires de Paris, ap. Lacroix, Fournier et Seré, Histoire de l’imprimerie, p. 124.  ↩
  2.  Notre-Dame de Paris, livre V, chap. ii (t. I, p. 216. Paris, Hachette, 1858).  ↩
  3.  Histoire de France, livre XII, chap. iv (t. VII, p. 175. Paris, Marpon et Flammarion, 1879). Michelet fait cette très juste remarque, que je signale en passant : « Des deux découvertes (la mobilité des caractères et la fonte), la première était une chose naturelle, nécessaire, amenée par un progrès invincible…. La grande invention, c’est la fonte ; là fut le génie, la révolution féconde. » « Il est assez surprenant, dit, de son côté, Peignot (Manuel du bibliophile, t. I, p. xxxvi), que les anciens n’aient pas connu l’imprimerie, eux qui l’ont presque touchée au doigt ; car ils avaient des caractères alphabétiques en relief, fondus soit en fer, soit en airain, dont ils se servaient pour marquer des vases en terre et autres ustensiles. Il existe au Muséum de Portici » — c’est-à-dire sans doute aujourd’hui au Musée de Naples — « une boîte remplie de ces sortes de caractères anciens, trouvés à Herculanum. Comment, avec de telles données, n’a-t-on pas eu l’idée de la possibilité d’imprimer ? »  ↩

Le Livre, tome I, p. 110-134

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 110.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 110 [134]. Source : Internet Archive.

La date de l’invention est incertaine : elle oscille entre 1440 et 1450 ; le nom de l’inventeur est mal connu : ce nom de Gutenberg est écrit tantôt Gudinberg, tantôt Gutenberger, tantôt Gudenburch, tantôt même on l’appelle Gens­fleisch[110.1]. On a même longtemps cru, et certains, paraît-il, estiment encore que Gutenberg ou Gensfleisch ou son associé Fust ou Faust ne sont que de perfides plagiaires, que le véritable inventeur est le Hollandais Laurent Coster (de Harlem)[110.2]. Rien, en un mot, de plus confus et de plus obscur que cette question des origines de l’imprimerie, qui a fait couler des tonnes d’encre.

Décrire l’impulsion donnée par ce nouveau mode de reproduction de la pensée à l’expansion du livre, à la diffusion et à l’amour de la science et des

[I.134.110]
  1.  Cf. Lalanne, op. cit., p. 64, note 1.  ↩
  2.  « Laurent Coster, né en 1370, avait soixante-dix ans en 1440, époque la plus éloignée qu’on puisse attribuer à la découverte de l’imprimerie, et cette année même est celle de la mort de Laurent Coster. » (Ambroise Firmin-Didot, Essai sur la typographie, p. 590.) « L’imprimerie était née…. Cela se passait entre l’an 1440 et l’an 1450 de notre ère. » (Egger, Histoire du livre, p. 119.)  ↩

Le Livre, tome I, p. 111-135

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 111.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 111 [135]. Source : Internet Archive.

lettres, serait chose superflue. Il va de soi que la nouvelle découverte fit rapidement tomber le prix des livres, précédemment si élevé[111.1]. « Que d’actions de grâces ne vous rendra pas le monde littéraire et chrétien ! dit Jean-André, évêque d’Aléria[111.2], au pape Paul II (1418-1471), qui avait introduit l’imprimerie à Rome. N’est-ce pas une grande gloire pour Votre Sainteté d’avoir procuré aux plus pauvres la facilité de se former une bibliothèque à peu de frais, et d’acheter, pour vingt écus, des volumes corrects, qu’antérieurement on pouvait à peine obtenir pour cent écus, quoiqu’ils fussent remplis de fautes de copistes ? Maintenant on peut acheter un volume moins cher que ne coûtait autrefois sa reliure. »

Notons, en outre, que, durant ce même siècle, deux autres grands événements vinrent, comme l’imprimerie, modifier l’état des connaissances humaines et en provoquer l’accroissement : la prise de Constantinople par les Turcs, en 1453, qui fit refluer en Italie et dans tout l’Occident quantité de

[I.135.111]
  1.  « La découverte de l’imprimerie, qui popularisa le Livre, porta, par contre, un terrible coup à son luxe. Il lui fallut subir le sort de tout ce qui se démocratise ; il dut, pour pénétrer enfin chez le peuple, se faire plus humble d’apparence, plus simple d’habit. » Etc. (Fournier, l’Art de la reliure en France, p. 41. Paris, Dentu, 1888. In-18.)  ↩
  2.  Dans la dédicace en tête de l’édition des Épitres de saint Jérôme, donnée à Rome en 1470 : ap. Petit-Radel, op. cit., pp. 219-220 ; et Lalanne, op. cit., p. 136.  ↩

Le Livre, tome I, p. 112-136

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 112.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 112 [136]. Source : Internet Archive.

manuscrits grecs[112.1], et, en 1464, l’établissement des postes en France par Louis XI[112.2], qui, d’abord créées pour le service exclusif du roi et de son gouvernement, ne tardèrent pas à se généraliser, ce qui permit à tous les érudits, travailleurs et chercheurs, aux libraires, imprimeurs, etc., de correspondre entre eux, d’entretenir ensemble des relations plus régulières et plus fréquentes.

Ces faits rappelés, reprenons notre revue succincte des fervents du Livre et servants des Lettres, et notre « florilège » de leurs beaux « dicts », préceptes, sentences et exemples.

Le cardinal Bessarion (1395-1472), qui, deux fois, faillit être élu pape, mérite une des premières places dans cette galerie. Il fut un des plus féconds écrivains et l’un des plus zélés bibliophiles de son époque. Dans sa célèbre lettre du 4 mai 1468, adressée au doge et au sénat de Venise, par laquelle il fait don de ses précieuses collections « à la vénérable bibliothèque Saint-Marc », dont elles sont encore aujourd’hui l’une des richesses, il nous conte les débuts de sa passion et nous en dépeint toute l’ardeur : « Dès ma plus tendre enfance, écrit-il, tous mes

[I.135.112]
  1.  Cf. Petit-Radel, op. cit., pp. 138 et 162.  ↩
  2.  Édit du 19 juin 1464. Cf. Lequien de la Neufville, Usage des postes chez les anciens et les modernes, pp. 56 et s. (Paris, Delatour, 1730) ; et Alexis Belloc, les Postes françaises, pp. 16-23 (Paris, Didot, 1886).  ↩

Le Livre, tome I, p. 113-137

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 113.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 113 [137]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 114.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 114 [138]. Source : Internet Archive.

goûts, toutes mes pensées, tous mes soins n’ont eu d’autre but que de me procurer des livres pour en former une bibliothèque assortie. Aussi, dès mon jeune âge, non seulement j’en copiais beaucoup, mais toutes les petites épargnes que je pouvais mettre de côté par une grande économie, je les employais sur-le-champ à acheter des livres ; et, en effet, je croyais ne pouvoir acquérir ni d’ameublement plus beau, plus digne de moi, ni de trésor plus utile et plus précieux. Ces livres, dépositaires des langues, pleins des modèles de l’antiquité, consacrés aux mœurs, aux lois, à la religion, sont toujours avec nous, nous entretiennent et nous parlent ; ils nous instruisent, nous forment, nous consolent ; ils nous rappellent les choses les plus éloignées de notre mémoire, nous les rendent présentes, les mettent sous nos yeux. En un mot, telle est leur puissance, telle est leur dignité, leur majesté, leur influence, que, s’il n’y avait pas de livres, nous serions tous ignorants et grossiers ; nous n’aurions ni la moindre trace des choses passées, ni aucun exemple, ni la moindre notion des choses divines et humaines. Le même tombeau qui couvre les corps aurait englouti les noms célèbres[113.1].

[I.137.113]
  1.  Formey, dans ses Conseils pour former une bibliothèque…, p. 101 (Berlin, Haude et Spener, 1756), compare avec raison cette éloquente apothéose des livres à la célèbre apologie des Lettres, placée par Cicéron dans son plaidoyer pour Archias : « Hæc studia adolescentiam alunt, senectutem oblectant…. ». Cf. supra, p. 13. note 1.  ↩

Le Livre, tome I, p. 114-138

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 114.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 114 [138]. Source : Internet Archive.

« Cependant, quoique j’eusse déjà fait tout ce qu’il m’était possible de faire pour ma bibliothèque, je sentis tout à coup mon zèle se ranimer à la funeste nouvelle de la perte de la Grèce et de la prise de Constantinople (le 29 mai 1453), et je n’épargnai rien pour obtenir, par des recherches multipliées, tous les livres grecs que l’on pouvait découvrir ; car je craignais beaucoup que tant de grands hommes, que le fruit précieux des veilles et des sueurs de tant d’illustres écrivains, que tant de flambeaux du monde, se trouvant dans un aussi grand danger, ne vinssent à périr avec tout le reste. D’ailleurs, dans les temps anciens, les lettres grecques ont déjà fait une telle perte, que de deux cent vingt mille ouvrages qui, au rapport de Plutarque, existaient dans la bibliothèque d’Apamée, à peine il nous en reste mille. J’ai tâché, autant qu’il m’a été possible, de réunir moins un grand nombre de livres que des ouvrages excellents, et surtout de les avoir complets. Ainsi j’ai rassemblé, parmi les productions des sages de la Grèce, tout ce qu’il y avait de plus rare et de plus difficile à trouver.

« Mais, réfléchissant souvent sur cet objet, il m’a semblé que mon but ne serait pas entièrement atteint, si je ne prenais des précautions pour qu’un

Le Livre, tome I, p. 115-139

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 115.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 115 [139]. Source : Internet Archive.

trésor amassé avec tant de soins et à si grands frais ne fût ni vendu ni dispersé après ma mort, mais qu’il fût placé, pendant que j’existe encore, dans quelque lieu sûr et commode, et conservé précieusement pour l’utilité commune des amis des lettres grecques et latines[115.1]…. »

Le roi de Hongrie Mathias Corvin (1443-1490), très versé dans les lettres et les sciences, avait rassemblé à Bude, sa capitale, une superbe bibliothèque, qui contenait une grande quantité de manuscrits provenant de Constantinople. Cette bibliothèque, riche de 50 000 volumes, fut saccagée, en 1526, après la bataille de Mohacz, lorsque les Turcs, sous la conduite de Soliman, entrèrent à Bude. Les somptueuses reliures, garnies de pierreries et de fermoirs d’argent, furent arrachées par les soldats, les plus belles miniatures déchirées et enlevées ; le feu fut mis ensuite à ce qui restait, et peu de volumes échappèrent au désastre. Quelques-uns, oubliés dans une tour, y furent retrouvés un siècle plus tard, et ils font aujourd’hui partie de la bibliothèque de Vienne ; quatre autres figurent dans les collections de notre Bibliothèque nationale ; « mais on peut affirmer, dit M. Van Praet, qu’ils sont des plus beaux que renfermait celle de Bude[115.2] ».

[I.139.115]
  1.  Ap. Peignot, Manuel du bibliophile, t. I, pp. xxxi-xxxiv ↩
  2.  Ap. Édouard Fournier, l’Art de la reliure en France, p. 57.  ↩

Le Livre, tome I, p. 116-140

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 116.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 116 [140]. Source : Internet Archive.

Voici en quels termes enthousiastes un poète et philologue allemand, qui vivait peu après Mathias Corvin, Brassicanus (1500-1539), décrit, dans sa préface des œuvres de Salvien, les richesses d’art et d’érudition rassemblées par le roi de Hongrie, avec quelle désolation aussi il raconte la perte de ces merveilles :

« J’ai vu tous ces livres ; mais pourquoi dirai-je des livres, quand chacun de ces livres était un trésor ? Dieux immortels, qui pourra croire de quelle jouissance a été pour moi un pareil spectacle ? Je croyais être, non dans une bibliothèque, mais, comme on dit, dans le sein de Jupiter, tant il y avait là de livres anciens, grecs et hébreux, que le roi Mathias, après la prise de Constantinople et la ruine d’un grand nombre de villes considérables, avait rachetés à grands frais, du milieu de la Grèce, et avait reçus comme des esclaves arrachés aux fers et aux chaînes des barbares.

« Il se trouvait là, à l’exclusion toutefois de tous livres des sophistes, tant d’ouvrages latins, anciens et modernes, que je ne me rappelle pas en avoir vu ailleurs un pareil assemblage. Car le roi Mathias, que l’on appellerait certainement le dévorateur des livres, entretenait à grands frais à Florence quatre fameux copistes, dont la seule et unique fonction était de lui transcrire tous les auteurs grecs et latins les plus célèbres, qu’il n’avait pu faire venir

Le Livre, tome I, p. 117-141

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 117.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 117 [141]. Source : Internet Archive.

de la Grèce ; car l’art typographique, comme toutes les choses à leur début, n’avait pas encore pris une grande extension ni poussé de telles racines, qu’il pût satisfaire les désirs ardents et vraiment royaux de ce roi, le plus excellent de tous…. J’y ai vu des auteurs grecs innombrables et des commentaires infinis sur presque tous les poètes, commentaires peu ou point connus des savants…. O cruauté des Turcs ! ô farouche folie des barbares ! ô extermination des belles-lettres !… Ainsi cette bibliothèque vraiment précieuse a péri d’une si misérable façon, que, toutes les fois que le souvenir me revient en mémoire (et il m’y revient souvent), je m’écrie avec Virgile :

…. Quis, talia fando…
Temperet a lacrymis[117.1] ? »

Machiavel (1469-1530) avait coutume, avant d’entreprendre sa lecture quotidienne de quelque chef-d’œuvre d’Athènes ou de Rome, de revêtir ses plus beaux habits, comme pour se rendre plus digne de cette haute fréquentation et, en même temps, faire honneur à cet hôte illustre. « … Le soir venu, je retourne chez moi, et j’entre dans mon cabinet : je me dépouille, sur la porte, de ces habits de paysan, couverts de poussière et de boue ; je me revêts d’habits de cour, ou de mon costume, et,

[I.141.117]
  1.  « Qui, à un tel récit, pourrait retenir ses larmes ? » (Virgile, Énéide, II, vers 6 et 8.) Ap. Lalanne, op. cit., p. 216.  ↩

Le Livre, tome I, p. 118-142

Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 118.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 118 [142]. Source : Internet Archive.
Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 119.
Pour suite de note : Albert Cim, Le Livre, t. I, p. 119 [143]. Source : Internet Archive.

habillé décemment, je pénètre dans le sanctuaire antique des grands hommes de l’antiquité : reçu par eux avec bonté et bienveillance, je me repais de cette nourriture qui, seule, est faite pour moi, et pour laquelle je suis né… et, pendant quatre heures, j’échappe à tout ennui, j’oublie tous mes chagrins, je ne crains plus la pauvreté, et la mort ne saurait m’épouvanter[118.1]…. »

Un autre savant italien, le philosophe, poète et astronome Celio Calcagnini (1479-1543), qui, avant Copernic (1473-1543) et presque un demi-siècle avant Galilée (1564-1642), émit l’idée que c’est la Terre qui tourne autour du Soleil[118.2], légua, par son testament, tous ses livres et instruments de mathématiques à la bibliothèque des dominicains de Ferrare, sa ville natale, et voulut reposer, après sa mort, dans le lieu où il s’était toujours plu à vivre. C’est ce qu’une épitaphe de cette bibliothèque nous apprend : Index tumili Cœlii Calcagnini, qui ibidem sepelire voluit ubi semper vixit. Et, au-dessous du mausolée, on lit une inscription où se trouvent ces belles paroles : Ex diuturno studio hoc dedicit : mortalia contemnere, et ignorantiam suam non ignorare[118.3].

[I.142.118]
  1.  Machiavel, Lettre à Francesco Vettori, Œuvres littéraires, trad. Périès, p. 456. (Paris, Charpentier, s. d.)  ↩
  2.  Cf. son opuscule Quomodo cœlum stet, terra moveatur. « Calcagnini n’aurait-il pas droit, lui aussi, à un peu d’immortalité ? » (La Grande Encyclopédie, art. Calcagnini.)  ↩
  3.  « Une longue étude lui a appris à mépriser les choses mortelles, et à ne pas ignorer sa propre ignorance. » Cf. Michaud, Biographie universelle. Voir aussi sur Calcagnini un sonnet de M. F. Fertiault, dans les Légendes du livre, pp. 78 et 196.  ↩

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