Le Chansonnier Émile Debraux. — Recueil des chansons citées

Note de l’éditeur.
Sur les quelque 70 chansons de Paul-Émile Debraux citées par Albert Cim dans sa monographie, manquent à ce recueil, les textes : La Goguette de l’Amour, Le Coq, Le Portrait d’un laboureur, Les Coquilles de noix.

Les textes, retranscrits à partir de fac-similés des éditions originales disponibles en ligne, sont composés selon l’orthographe et la forme typographique, la marche, qui avait cours dans les ateliers d’imprimerie au début du xixe siècle. Seules entorses faites à ce principe : les capitales, grandes et petites, ont été accentuées ; les coquilles avérées, lettres interverties, défauts d’impression, etc., corrigés ; à de rares endroits, les doutes concernant une accentuation ou une ponctuation ont fait l’objet d’une comparaison, lorsque le texte se trouvait être disponible dans une autre édition, avant de procéder à un changement ou à un ajout ; enfin, par souci d’unité, l’usage des petites capitales marquant le début d’un texte ou d’une strophe n’a pas été retenu.

À mon Fils naturel.
(ou Mon Fils.)

Couplets philosophiques.

Air : À 6o ans il ne faut pas remettre.

Vivant portrait d’une femme chérie,
Dont ta naissance a causé le malheur,
De sa beauté par les chagrins flétrie,
En te voyant je retrouve la fleur.
Fils de l’amour, si de ta faible enfance
Des envieux noircissent le tableau,
Ton père est là pour prendre ta défense ;
Repose en paix, mon fils dans ton berceau.

L’Église, en vain reprouvant ta naissance,
Sur toi du ciel appelle les fureurs,
Il n’est qu’un Dieu, le Dieu de la clémence,
Et ce Dieu-là pardonne les erreurs,
Vas, en dépit des ministres de Rome,
J’arracherai de tes yeux leur bandeau.
Et grâce à moi, plus qu’eux tu seras homme.
Repose en paix, etc.

Tu n’as point vu tonner sur ta patrie
L’orage affreux des révolutions.
Tu n’as point vu, vingt peuples en furie,
Alimenter nos tristes factions.
Tu n’as point vu sur ce vaste hémisphère,
De l’incendie allumer le flambeau.
Ton univers, c’est le cœur de ton père ;
Repose en paix, etc.

On ne voit point une foule d’esclaves
Au moindre cri, vers toi porter leurs pas ;
Mais affranchi de pénibles entraves,
En te jouant, tu tombes dans mes bras.
Et, si parfois mon visage s’altère,
Quand sur ton sort je lève le rideau,
Ton œil sourit, le mien quitte la terre.
Repose en paix, etc.

On ne voit point, sur ta couche modeste
Resplendir l’or, la pourpre et le duvet ;
Mais du bonheur, l’auréole céleste,
Tous les matins plane sur ton chevet ;
Lorsqu’un Infant, dans son humeur altière,
Cache l’ennui sous un royal bandeau ;
C’est le plaisir qui ferme ta paupière,
Repose en paix, etc.

Tu n’as point vu, plongé dans les ténèbres,
Gémir la France, esclave de vingt Rois,
Et tu dormais, quand ces voiles funèbres
Sont disparus, en nous rendant nos droits.
Vas, ne crains rien, si de sombres orages
Ont du soleil obscurci le flambeau,
Sa force, un jour, chassera les nuages.
Repose en paix, etc.

Si je désire atteindre la vieillesse,
Objet chéri de mes premiers amours,
C’est pour te voir, sans crainte qu’il te blesse,
Dompter le sort qui menace tes jours ;
Mais garde-toi de pleurer sur ma cendre,
Si le destin entr’ouvre mon tombeau.
Qui vécut bien, ne craint pas d’y descendre.
Repose en paix, mon fils dans ton berceau !

Dans Chansons nationales et autres, de P.-Émile Debraux.
Paris : Le Couvey, 1822 ; pp. 40-42.
Disponibilité : Google Livres.


À Philippe d’Orléans.

Couplets qui lui ont été chantés à Neuilly,
le .⁠.⁠. octobre, anniversaire de sa naissance.

Air : Je reviendrai.

C’est encor lui, ce doux Anniversaire,
Qui de nos cœurs vient combler le désir,
Plus de chagrin, de soucis, de misère ;
Le Prince est là, tout se livre au plaisir.
En souriant aux refrains qu’on entonne,
À nos ébats daignant servir d’appui,
Qui sous des fleurs nous a caché l’Automne,
C’est encor lui ! (4 fois.)

Lorsque l’orage a grondé sur sa tête,
Quand il quitta son pays malheureux,
Il méprisa les coups de la tempête,
Et pauvre alors, fit encor des heureux.
Aux bords charmans de la Seine et du Rhône,
La pourpre en vain l’environne aujourd’hui,
Quoique passé d’une chaumière au trône,
C’est encor lui !

De ses enfans, je vois la noble mère,
De nos transports redoubler les effets,
Du malheureux, jamais la plainte amère,
N’a vainement imploré ses bienfaits,
Jamais en vain, jamais on ne lui montre
Des indigens que le bonheur ait fui ;
Et pour sécher les pleurs qu’elle rencontre,
C’est encor lui !

Chers héritiers de ces parens augustes,
De leurs vertus se faisant un devoir,
À leur côté des enfans bons et justes,
De l’ouvrier viennent tripler l’espoir,
Doux rejetons d’une tige chérie,
Que l’amour guide et que l’honneur conduit,
À votre aspect chacun de nous s’écrie :
C’est encor lui !

Encor, dit-on, est un mot de reproche ;
Mais en ces lieux, comme il est expressif,
Ceux qu’aujourd’hui le même vœu rapproche,
L’ont prononcé de l’accent le plus vif,
D’un jour si beau cent fois loin de médire ;
Loin de pleurer sur un bonheur enfui,
Dans soixante ans ah ! puissions nous redire,
C’est encor lui ! (4 fois.)

Dans Chansons nouvelles, nationales et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’Éditeur et Roy-Terry, 1829 ; t. III, pp. 6-7.
Disponibilité : Google Livres.


À qui donc ai-je fait du mal ?

Air : Mes amis, ce n’est pas vieillir.

Je sens ma couronne de lierre
Sur mon front déjà chanceler,
La mort d’une main cavalière
Se prépare à me harceler ;
Mais, si bien loin de la maudire,
Je souris à son coup fatal,
C’est qu’en tombant je puis lui dire :
À qui donc ai-je fait du mal ?

Près de Lise, Estelle ou Julie,
Toujours gai, toujours satisfait,
L’amour est chose tant jolie
Tant que je l’ai pu, je l’ai fait.
Des milliers de lèvres mi-closes
Ont reçu mon encens banal ;
Mais n’ai jamais cueilli de roses :
À qui donc ai-je fait du mal ?

Sans excès il faut que l’on prenne
Le doux nectar du vendangeur,
Qui boit trop, fût-ce du surène,
Quelquefois devient tapageur ;
Mais moi quand le jus des futailles
Me rendait par trop jovial,
Je ne battais que les murailles :
À qui donc ai-je fait du mal ?

Quand j’ai vu la France flétrie
Ployer sous un joug inhumain,
J’ai voulu venger ma patrie,
Le fer a brillé dans ma main ;
Mais loin, comme ont fait mes ancêtres,
D’étayer le bât féodal,
Je n’ai combattu que les traîtres :
À qui donc ai-je fait du mal ?

Des auteurs, qui pour la romance
Ont déjà besoin de renfort,
Se sont plaints de ma véhémence.
Oui, j’en conviens, j’ai frappé fort,
Ma plume, à la barbe des truffes,
Ose dans un couplet brutal
Arracher le masque aux tartufes :
À qui donc ai-je fait du mal ?

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 195-197.
Disponibilité : Google Livres.


Adieux à mes amis.

(1818.)

Air : Ces postillons sont d’une maladresse.

Vous le savez, l’homme dans ce bas monde
N’est point heureux au gré de son désir,
Et par malheur la vie est plus féconde
En noirs cyprès qu’en roses du plaisir.
Ainsi de moi quand vous semblez attendre,
Comme jadis quelques refrains joyeux,
Quel triste chant viens-je vous faire entendre :
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Dans un palais, loin de prendre naissance,
J’eus pour berceau les champs et les forêts ;
Partout des jeux de ma paisible enfance
Le souvenir fit naître mes regrets.
Vingt ans esclave en des cours étrangères,
J’ai déserté le toit de mes aïeux,
Le ciel me rend des chaînes plus légères ;
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Lorsque la gloire, au Français trop fidèle,
En l’aveuglant prépara des revers,
Des noirs frimats rejaillit l’étincelle
Qui de ses feux embrasa l’univers.
Mais quand l’airain brisait dans sa colère
De nos palais les dômes orgueilleux,
Il respecta le chaume de mon père,
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Le doux printemps, chassé par les orages,
S’est envolé vers de rians climats,
L’été s’enfuit, et sur de froids nuages, 
L’hiver accourt vomissant les frimats ;
Mais dans nos champs, quelques fleurs printanières,
Bravent encor les autans furieux,
Pour me parer de ces roses dernières,
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Rois, pour défendre un jour le diadême,
Ne m’offrez point des honneurs superflus ;
C’est mon pays, mon pays seul que j’aime,
Qu’il soit heureux, je ne veux rien de plus,
Sur nos revers, dont j’ai maudit la cause,
Assez de pleurs ont coulé de mes yeux,
Pour les voiler sous des crêpes de rose,
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Sur le duvet, aussi bien que sur l’herbe,
De nos destins vacille le flambeau.
Tel qui s’éveille en un palais superbe,
Le même soir s’endort dans un tombeau.
Un sang vermeil de ma force est le gage,
Mais trop souvent l’azur brillant des cieux
Pur le matin, le soir vomit l’orage,
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Encore un mot… ô mes amis, mes frères,
De la discorde abjurez les fureurs !
En repoussant les erreurs de vos pères,
N’embrassez pas de nouvelles erreurs.
Mais si le temps revomissait la guerre,
Plus de partis, plus de noms odieux ;
Soyez unis, vous dompterez la terre,
Mes bons amis, je vous fais mes adieux.

Dans Chansons nationales et autres, de P.-Émile Debraux.
Paris : Le Couvey, 1822 ; pp. 253-255.
Disponibilité : Google Livres.


Adieux à mon hameau natal.

Air du Carnaval de Béranger.

Gentil hameau, toi qui vis mon jeune âge,
Fleurs que foulaient jadis mes premiers pas,
Bosquets, témoins de ce doux badinage
Qui fait rougir, mais qui n’offense pas ;
Petit ruisseau, qui, cent fois dès l’aurore,
Par mes ébats vit entraver ton flux !
Que je vous voie et vous revoie encore,
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus.

Ils sont passés les beaux jours d’amourette ;
Ma chevelure est prête à grisonner ;
Le temps qui vole et jamais ne s’arrête,
M’a dit : Vieillard, tu n’as plus qu’à glaner.
Dans ces bosquets où règne le mystère,
Pour endormir des regrets superflus,
Rosette, encore un voyage à Cythère,
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus.

Bon villageois, sur les rives lointaines
Périt un peuple enfant de Jésus-Christ ;
Des rois chrétiens, loin de briser ses chaînes,
Offrent du fer à ceux qui l’ont proscrit.
En vain Byron vole en Grèce et succombe :
De son pays ses restes sont exclus.
Moi, de Byron je prétends voir la tombe,
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus.

Dans ces palais dont Lutèce est si fière,
Le sombre ennui voltige nuit et jour ;
Quand la gaîté, préférant la chaumière,
Près d’une gerbe a fixé son séjour.
Sur l’édredon, où l’opulence bâille,
Le bon ton veut que l’on semble perclus :
Nous, mes amis, roulons-nous sur la paille,
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus.

Là, pour servir jadis à mon baptême,
Une fontaine a déserté les bois ;
Là, de mon cœur ces jolis mots, Je t’aime,
Se sont enfuis pour la première fois.
Faunes malins, qui sous ce vert feuillage
Avez compté vingt siècles révolus,
Daignez sourire à mon enfantillage,
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus !

Gentil écho, dont la voix indiscrète
À trop redit mes chants de liberté,
Ne sais-tu pas qu’une oreille secrète
Écoute tout ? et tout est rapporté ;
Ne sais-tu pas qu’aux rives de la Seine
Pour peu de chose un auteur est reclus ?
Et des auteurs la prison n’est pas saine !
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus.

De mon esquif en caressant la poupe,
Le doux zéphir me convie au départ.
De l’étrier que l’on verse la coupe ;
Jeunes et vieux, prenez-en votre part.
Quant aux chagrins, que Bacchus les arrose,
C’est le moyen d’en forcer le reflux.
Ne ménageons ni le fruit ni la rose,
Peut-être, hélas ! ne reviendrai-je plus.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 310-312.
Disponibilité : Google Livres.


Allez baiser les pieds du roi.

Air : C’est là que je voudrais mourir. (Béranger.)

Je crois entendre aux rives de la Loire,
De nos guerriers ordonner les adieux,
Oublirait-on que leur titre à la gloire
Peut balancer celui des demi-dieux ?
Hommes rampans ! les vengeances divines
Ont effacé vingt jours de désarroi ;
Déjà Wagram a fait place à Bovines,
Allez baiser les pieds du Roi.

Quand les destins à nos vœux moins rebelles,
Montraient jadis la gloire aux trois couleurs ;
Avec orgueil esclaves infidèles,
Vous y marchiez sur des routes de fleurs.
Mais Saint-Chaumont, fertile en funérailles,
De vos sermens peut démentir la foi.
Vous avez vu s’écrouler nos murailles,
Allez baiser les pieds du Roi.

Ces lis brillans viennnent de renaître,
Un preux jadis les brisa devant nous ;
Quand à vos yeux il commandait en maître,
Vils courtisans, vous baisiez ses genoux.
Mais il n’est plus ! mariez vos fanfares
Aux sons plaintifs du sinistre beffroi.
L’aigle est tombé sous le fer des barbares,
Allez baiser les pieds du Roi.

Le fils du Corse a puni plus d’un traître ;
Mais aujourd’hui que vous êtes puissans,
Trembleriez-vous de le voir reparaître
Couvert encor de lauriers et d’encens ?
Sur un rocher sa cendre qui sommeille
Ne devrait plus inspirer de l’effroi.
Ne craignez pas qu’un jour elle s’éveille,
Allez baiser les pieds du Roi.

Un jour vos fronts inclinés vers l’Autriche,
Obtiendront-ils quelques sanglant renom.
Là sous un dais moins éclatant que riche,
Dorment encor les restes d’un grand nom ?
Ah ! si le fils doit imiter le père,
Nous lui devons un plus brillant convoi.
N’approchez pas sa couche solitaire,
Allez baiser les pieds du Roi.
D. et L.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 305-306.
Disponibilité : Google Livres.


Appel aux députés.

Air du Vieillard de Béranger.

Soutiens zélés des droits de ma patrie,
Bons députés, nobles concitoyens,
Des libertés de la France attendrie
Jusqu’au tombeau montrez-vous les soutiens,
N’imitez pas ces fils de la tribune
Qui s’éloignaient parfois du droit chemin ;
Préférez tous l’honneur à la fortune :
Ouvrez l’oreille et n’ouvrez pas la main.

Malgré la voix et les ordres du prince,
Le soufle impur des fils de Loyola
Dans les palais, à la ville, en province,
Soulève encor le fiel qu’il distilla.
Il vous dira : Voulez-vous des richesses ?
Courbez vos fronts sous le joug du Romain !
Foulez aux pieds ces indignes largesses :
Ouvrez l’oreille et n’ouvrez pas la main.

Méconnaissant vos nobles caractères,
Si quelque jour un ministre indiscret
Disait tout bas à maints de vos confrères :
Voici la croix, soutenez mon budget ;
Répondez vite à cet affront notoire
Par un regard où brille le dédain ;
Rien n’est pesant comme un ruban sans gloire :
Ouvrez l’oreille et n’ouvrez pas la main.

Piliers vivans des hôtels des ministres,
Les plats valets, de nos soupirs témoins,
Se gardent bien de tenir un registre
De nos douleurs, nos désirs, nos besoins.
Eh ! que leur fait que nos poches soient vides,
Pourvu que d’or ils regorgent soudain ?
N’imitez pas ces vampires avides :
Ouvrez l’oreille et n’ouvrez pas la main.

Qu’un Lucullus, amoureux de son ventre,
Et plein encor d’un large déjeuner,
Fasse gaîment son petit somme au centre
En attendant la cloche du dîner.
Ne troublez pas ce sommeil qu’on achète ;
Sauver le peuple et plaire au souverain,
Cela vaut mieux que vingt coups de fourchette :
Ouvrez l’oreille et n’ouvrez pas la main.

D’une autre part si, votant les dépenses,
On vous priait de nous souffler encor
Pour Escobar de larges récompenses,
Pour Ferdinand deux ou trois boisseaux d’or ;
Ou de la foi pour solder les apôtres,
Ou pour blanchir quelque vieux parchemin,
Dans ce cas-là, comme dans beaucoup d’autres,
Ouvrez l’oreille et n’ouvrez pas la main.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 145-147.
Disponibilité : Google Livres.


Aux Femmes.

Air : Non, jamais (Du Code de l’Amour).

Ce matin, de l’aimable Adèle
Entr’ouvrant le gentil corset,
Pour faire une chanson nouvelle
Je cherchais un nouveau sujet ;
Sa main, à ma folie
N’opposant aucun frein,
Sur sa bouche jolie
J’ai puisé ce refrain :
C’est à vous, à vous, à vous,
Sexe charmant dont fut ma mère,
Que nous devons sur la terre
Nos momens les plus doux,
Nos momens (bis) les plus doux.

Aussitôt que la première heure
Pour l’un d’entre nous a sonné,
Il s’agite, il a faim, il pleure,
ll souffre enfin dès qu’il est né,
D’un sein la douce fraise,
Seule, arrêtant ses pleurs,
En un clin-d’œil apaise ;
ses premières douleurs.
C’est à vous, etc.

Bientôt les hochets de l’enfance
Ont cessé de nous maîtriser ;
Déjà notre bouche commence
À sentir le prix d’un baiser.
Fillette, jeune encore,
Conduite par l’hymen,
D’un bonheur qu’on ignore
Nous montre le chemin.
C’est à vous, etc.

Les rangs, la gloire et la richesse,
N’ont vraiment de prix à mes yeux,
Que lorsqu’on peut à sa maîtresse
En faire un hommage amoureux.
Les grandeurs, l’étiquette,
Valent-ils un larcin,
Que l’on fait en cachette
Aux roses d’un beau sein.
C’est à vous, etc.

Si le malheur pour nous s’éveille,
S’il vient nous livrer aux douleurs,
Un baiser de bouche vermeille
Tarit la source de nos pleurs ;
Et tandis qu’il dispose
Tous nos sens au plaisir,
Sous des voiles de rose
Il cache l’avenir.
C’est à vous, etc.

L’amour fuit, les plaisirs s’esquivent ;
Mais pour arrêter les fuyards,
Nos compagnes, qui nous ravivent,
Nous versent le lait des vieillards :
Leur douce voix nous chante
Quelques refrains joyeux ;
Et leur main caressante
Nous ferme encor les yeux.
C’est à vous, à vous, à vous,
Sexe charmant dont fut ma mère,
Que nous devons sur la terre
Nos momens les plus doux,
Nos momens (bis) les plus doux.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 156-158.
Disponibilité : Google Livres.


Bélisaire.

Air nouveau.

Les élémens combattaient dans les airs,
L’univers semblait se dissoudre ;
Seul, un vieillard, en défiant la foudre,
Errait sans crainte au milieu des déserts ;
À l’infortune survivant,
Il répétait, dans sa misère,
Ces tristes mots emportés par le vent :
Donne une obole à Bélisaire.

Est-ce bien moi qu’on nomma si long-temps
Des Romains l’orgueil et la gloire ?
Est-ce bien moi, le fils de la victoire,
Qui suis esclave et jouet des autans ?
Ma voix, qui créa des héros,
Ma voix, qui fit trembler la terre,
Ne sait donc plus que redire aux échos :
Donne une obole à Bélisaire ?

Rome, à moi seul tu dois ton noble rang,
Tu dois l’éclat qui t’environne ;
Chaque laurier qui pare ta couronne,
Pour le cueillir je l’ai teint de mon sang,
Et quand mes yeux avec succès
Veillaient sur ta grandeur précaire,
Un prince ingrat les ferma pour j’amais :
Donne une obole à Bélisaire.

Vois cet enfant, qu’aux jours de ma grandeur
J’entourai de mon opulence,
Sous les lambeaux de la triste indigence,
Anéantir son antique splendeur ;
Sur son visage on croit revoir
Le portrait de sa tendre mère ;
Chacun l’admire, et je ne puis le voir !
Donne une obole à Bélisaire.

Pour moi, des cieux les superbes flambeaux
Sont couverts de voiles funèbres ;
Le jour en vain dissipe les ténèbres,
Je reste, hélas ! plongé dans le chaos.
Quand le printemps de ses couleurs
Vient revêtir cet hémisphère,
Je ne saisis que le parfum des fleurs :
Donne une obole à Bélisaire.

Sois moins jaloux, orgueilleux conquérant,
Des lauriers qui parent ta tête !
Vois-tu les miens, brisés par la tempête,
Se disperser au caprice du vent ?
Au destin tu dictes la loi,
Mais crains sa faveur passagère.
Peut-être un jour tu diras avec moi :
Donne une obole à Bélisaire.

Tu m’as proscrit, tu m’as chargé de fers :
Ah ! je te pardonne mes larmes ;
Je fais des vœux pour que tes nobles armes
Par leurs succès me ferment l’univers.
Mais quand s’éteindra le flambeau
De mon orageuse carrière,
De quelques fleurs décorant mon tombeau,
Donne une larme à Bélisaire.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 26-28.
Disponibilité : Google Livres.


C’est du nanan.

Air : Ça va bon train.

Ma fille, avant d’ céder ta rose,
Retiens bien ce précepte-là,
Les devoirs que l’on nous impose
N’ parlons pas d’ ça. (bis)
Pourtant il faut qu’on se soumette
Aux lois d’un monde impertinent ;
Mais l’ plaisir qu’on goûte en cachette,
C’est du nanan.

En amour si tu vas trop vite,
Rappelle-toi qu’il t’en cuira ;
Un’ jouissance qui finit tout d’ suite
N’ parlons pas d’ ça.
Fi ! des voluptés ordinaires
Qui ne durent qu’un p’tit instant ;
Mais les gentils préliminaires,
C’est du nanan.

Si plus d’un gringalet t’ lutine,
Crois en ta mèr’ qui l’éprouva,
Prendre un amant de maigre échine
N’ parlons pas d’ ça.
Pinc’-moi plutôt un d’ ces grands drôles
Qui crèvent de tempérament,
Large des reins, larg’ des épaules,
C’est du nanan.

Peut-être échauffé de Bourgogne,
Ton monsieur te maltraitera ;
Car, parfois, un amant nous cogne,
N’ parlons pas d’ ça.
Se voir battre à propos de botte,
J’ conviens qu’ ça n’est guère amusant ;
Mais aussi quand y vous r’mijotte
C’est du nanan.

À des pouilleux si tu t’accroche,
Ma fille, il t’en repentira ;
Car l’amour, sans vaissell’ de poche,
N’ parlons pas d’ ça.
Mais parlez-moi, d’ ces vieux bobosses
Qui, sans façon, vous font présent
D’une gimbarde et de deux rosses,
C’est du nanan.

Un rimailleur qui vous dorlotte
De chansonnette, et cætera,
Vous fait barbotter dans la crotte,
N’ parlons pas d’ ça.
Arrang’-toi plutôt, vaill’ que vaille,
Avec un ân’ cousu d’argent ;
Car les pièc’s blanch’s et la mitraille,
C’est du nanan.

Dis aux escroqueurs de Cythère,
Qui n’offriraient rien pour cela,
En donnant du balai, ma chère,
N’ parlons pas d’ ça.
Mais avec ceux que la victoire
À trahis, fais-le gratuit’ment :
Rendr’ service aux fils de la gloire,
C’est du nanan.

Ne t’ marie, afin d’ paraîtr’ sage,
Que quand la vieilless’ te viendra,
Car s’enchaîner dans son jeune âge,
N’ parlons pas d’ ça.
Mais quand tu s’ras dans ton ménage,
Faut pas pour ça t’ priver d’amant ;
Car les accrocs faits au mariage,
C’est du nanan.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 38-41.
Disponibilité : Google Livres.


Comm’ c’est sentimental !

Air : Un jour à Fanchon j’ dis, ma fille.

Allons, ma muse, il faut qu’ tu t’ lance,
Prends à ton tour un air plaintif
Et poussif ;
Sach’ roucouler la douc’ romance
D’ ces amoureux
Si bêt’s, si langoureux ;
Maint’nant, vois-tu, pour plaire en France,
Soit bien, soit mal,
Faut êtr’ sentimental !

Quand j’ guettais les appas d’ ma femme,
J’ai failli vingt fois, comme un fou,
M’ casser l’ cou,
Maintenant, tranquill’ près d’ la dame,
J’ mets mon plaisir
À bien boire, à dormir,
Je bâill’ près d’elle à rendre l’âme ;
L’ nœud conjugal,
Comm’ c’est sentimental !

Nos bell’s, d’après un’ mod’ tout’ fraîche,
À corps perdu s’ jett’nt dans les grands
Sentimens :
Au malheureux, d’un air revêche,
Dir’ tendrement,
Travaillez, fainéant ;
Puis à l’aspect d’un chat qu’on r’pêche,
Se trouver mal,
Comm’ c’est sentimental !

Quand j’ veux plaire à fillette aimable,
J’ l’enjôle en vantant les appas
Qu’ell’ n’a pas ;
Maint’nant d’un air bien lamentable,
Près d’ son objet
L’on soupire en benet ;
Puis à grands coups d’ pieds sous la table,
On s’ fait du mal,
Comm’ c’est sentimental !

Un d’ mes amis, pour sa Lucrèce,
Mit tout en plan, comme un enfant,
C’est charmant ;
Un jour enfin près d’ sa maîtresse,
En vrai nigaud,
Il en prit à gogo ;
Le v’là conduit par sa princesse,
À l’hôpital,
Comm’ c’est sentimental !

Amans des beautés du village ;
Votr’ Romainville et votr’ Paphos,
Ça m’ sci’ l’ dos ;
Pour des œufs couvés, du laitage,
Malgré les vents
Barbotter dans les champs,
Puis boir’ sur l’herbe avec l’ fromage,
D’ l’eau du canal,
Comm’ c’est sentimental !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 214-216.
Disponibilité : Google Livres.


Compliment.

Des habitants du département de la Meuse,
à la brave garnison de Bar-le-Duc, le
18e de ligne prussien.
(1818.)

Air : Il a toujours le nez au vent.

Le jour où vot’ band’ s’en ira
Dans tout l’ pays comme on rira,
Partez, dirons-nous sur l’ coup,
Et que l’ diabl’ vous tord’ le cou.

V’la l’ nouvel an qui commence,
Et vous désirez qu’ la France,
Vous fasse un p’tit compliment,
La chos’ n’est pas difficile,
Y n’ faut pas êtr’ ben habile
Pour vous dir’ tout simplement ;

Le jour où vot’ band’, etc.

Vous êt’ venus pleins d’ vaillance,
Soi-disant rendre à la France
Un monarque regretté ;
Malgré votre ton modeste,
Comm’ nous voulons qu’il nous reste
De quoi boire à sa santé :

Le jour où vot’ band’, etc.

Comment d’ nouveaux uniformes,
Comm’ ça fait briller vos formes,
Ah mon Dieu ! comm’ vous v’là beaux ;
Rien qu’en voyant vot’ plumage
Chacun va s’écrier, j’ gage
C’est un régiment d’ corbeaux :

Le jour où vot’ band’, etc.

Vous êtes d’assez bons drilles,
Cajolant toujours nos filles,
Sans les épouser jamais ;
Avant qu’ chacun d’ vous s’ rembarque,
Pleins d’ respect pour le Monarque,
Nous nous taisons encor.⁠.⁠.⁠. mais.

Le jour où vot’ band’, etc.

Quoi ! pour garder nos frontières,
Vous prétendez en bons frères,
Rester encor parmi nous ;
Qu’ ça n’ soit pas ça qui vous r’tienne,
Et comm’ nous n’ somm’s pas en peine
D’ les défendr’,… mêm’ contre vous :

Le jour où vot’ band’, etc.

Vous, de vos Rois les esclaves,
Quoi ! vous croyez de nos braves
Faire oublier les exploits ;
Pauvres gens, d’ nos preux sans tache,
Si vous voyez la moustache,
On n’ vous dirait pas deux fois :

Le jour où vot’ band’, etc.

Depuis qu’ vous êt’ dans nos villes,
Vous n’êt’ pas ben difficiles,
Vous avalez tous les mets ;
Tout c’ qu’est chez nous vous acc’mode,
Ça nous est assez commode,
Vous nous fait’ ben d’ l’honneur.⁠.⁠.⁠. mais :

Le jour où vot’ band’, etc.

Eussiez-vous, chose impossible,
Par un courage invincible,
Paralysé notre bras ;
Lorsqu’on vous voit pleins d’audace
De nos preux tenir la place,
Ah ! qui ne s’écrîrait pas :

Le jour où vot’ band’ s’en ira
Dans tout l’ pays comme on rira ;
Partez, dirons-nous sur l’ coup,
Et que l’ diabl’ vous tord’ le cou.

Dans Chansons nationales et autres, de P.-Émile Debraux.
Paris : Le Couvey, 1822 ; pp. 243-246.
Disponibilité : Google Livres.


Couplets à Béranger.

Air : La Garde meurt.

Vous qui brillez aux rives du Permesse,
Je vous implore aujourd’hui, chastes sœurs,
Qu’une de vous, s’élançant vers Lutèce,
Vienne échauffer et ranimer nos cœurs ;
De Béranger, la verve est endormie,
Et tout languit aux champs comme au palais :
Ah ! rendez-donc, rendez à ma patrie,
Les doux accens du Rossignol français.

Vous le savez, ses vieux récits de gloire,
De nos héros endormaient les douleurs ;
Sous son crayon, les cyprès de la Loire,
Se revêtaient d’une robe de fleurs ;
La liberté par les excès flétrie,
Trouvait asile en ses nobles couplets :
Ah ! rendez-donc, rendez à ma patrie,
Les doux accens du Rossignol français.

Pour expier une erreur passagère,
Deshérités par le climat natal,
Quand les proscrits, sur la terre étrangère,
Allaient chercher un destin moins fatal ;
Sur leur blessure, au moins sa main hardie,
Versait alors le baume des regrets ;
Ah ! rendez-donc, rendez à ma patrie,
Les doux accens du Rossignol français.

En folâtrant, quand sa Lyre enchantée,
D’un ton badin célébrait les amours ;
Par ses chansons, la bergère agitée,
Baissait les yeux et rêvait les beaux jours.
La chansonnette à sa voix refleurie,
Déjà d’un crêpe a voilé ses attraits ;
Ah ! rendez-donc, rendez à ma patrie,
Les doux accens du Rossignol français.

Comme on a vu les refrains de Tyrtée,
Sauver les Grecs du joug de l’étranger ;
De Béranger la voix persécutée,
Peut s’illustrer en un jour de danger ;
À cette voix, dans la France attendrie,
Des bataillons sortiraient des guérets ;
Ah ! rendez-donc, rendez à ma patrie,
Les doux accens du Rossignol français.

Dans Le Nouvel enfant de la goguette, pour l’année 1823,
publié par P.-É. Debraux.
Paris : Le Couvey, 1823 ; pp. 7-8.
Disponibilité : BnF, collection Gallica.


Eustache.

Air : Ça va-t’i ben ?

J’ai r’marqué, c’ qui n’est pas merveille,
Que l’ premier mot, soit bien, soit mal,
Qui frappe en naissant notre oreille,
D’ vient souvent notre refrain banal ;
Si celui qu’ j’adopte est ganache,
Ma foi, j’ vous en d’mand’ bien pardon.

Mais vous n’en saurez pas moins que mademoiselle Virginie La Vertu, ma mère, ayant été, par le plus grand des hasards, et je n’ sais trop comment, attaquée d’une colique de neuf mois, et voyant que pour déguerpir, je faisais un tas de petites façons qui ne lui convenaient pas, s’écria plus de cinq cents fois : Vilain chien d’animal, sortiras-tu ; passe donc, cher ami, passe donc…

Et avanc’ donc, (bis)
Et avanc’ donc.
Mon p’tit Eustache, (Refrain : bis)

C’te cher’ fille voulut m’instruire,
Mais a’ n’ savait qu’ son a b c ;
Et comm’ ell’ voulait que j’ suss’ lire,
Chez l’s’ignorantins j’ fus placé.
V’là que j’ m’escrime et qu’ j’en détache
Tout comme un ân’ sur un chardon.

Eh bien, je n’sais pas comment diable était fabriquée ma cervelle, mais je n’ pus pas seulement m’ fourrer dans la tête deux pages de mon rudiment, et sans la complaisance d’un ami qui m’ donna par ci, par là, quelques leçons d’histoire naturelle, j’ serais sorti de l’école tout aussi bête que j’y étais entré, et c’ pendant, c’ n’était pas faut’ de répéter :

Et avanc’ donc, etc.

Comme ici-bas faut qu’il nous vienne
Un an de plus tous les douz’ mois,
Un jour j’attrapai la quinzaine,
Et je devins un p’tit grivois.
Combien d’ fois sous c’ que l’ fichu cache,
Je glissai un doigt furibond !

Combien d’ fois aussi, bon Dieu, j’ fus bousculé par ces fillettes qui m’ trouvaient trop p’tit pour elles, tant il leur en faut si guère.⁠.⁠.⁠.⁠. ; mais j’ suis bon cheval de bataille, moi, et quand je recevais un atout sur le nez, tiens : m’ disais-je, c’est qu’apparemment on n’ veut pas que j’ mont’ si haut.⁠.⁠.⁠. Eh bien ! descendons plus bas,

Et avanc’ donc, etc.

À quinze ans, si, près du beau sexe,
Ainsi qu’un vrai nigaud j’allai,
À dix-huit, fallait qu’on me vexe ;
Dieu sait combien j’en attrapai.
Que d’ fois, en jouant à cach’ cach’,
Du corset j’ fis sauter l’cordon,

Et mêm’, puisque j’suis d’vant vous ni plus ni moins qu’au confessionnal, j’ vous dirai franch’ment qu’ j’en ai fait tomber plus d’une, par une manière de croc en jambe.⁠.⁠.⁠.⁠. ; alors on voulait crier ; mais comme j’avais pour toutes les belles un compliment sur l’ bout du doigt, j’ vous poussais ça z’en douceur, et bientôt j’ voyais tourner à droite et à gauche une paire d’ yeux qui voulaient dire :

Et avanc’ donc, etc.

Quand on s’ lanc’ dans la gaudriole,
On s’ mord par ci par là les doigts.
Je vous dirai que la.⁠.⁠.⁠.⁠. rougeole
Est v’nu’ m’ visiter plus d’un’ fois ;
Ce fut un’ madame en panache
Qui, pour m’étrenner, m’en fit l’ don.

C’est égal, ça n’empêche pas les sentimens ; elle était gentille tout d’ même… Eh bien, ça n’ m’a pas dégoûté, et quand j’ rencontre une petite aux ch’veux noirs, au teint rougeot, et qui vous présente un certain avant-main, j’ sens encore quéqu’chose qui n’est pas précisément du côté du cœur, et qui m’ dit : Allons, faut encore risquer l’ paquet.⁠.⁠.⁠.⁠.

Et avanc’ donc, etc.

Mars ne m’ compta sous son enseigne
Que treize mois, ni plus ni moins ;
Mais aussi dès l’ premier coup d’ peigne,
J’ manquai de m’ fair’ casser les reins.
Pour attraper certain plumache,
Tout bêt’ment j’ méloign’ du guidon.

V’là qu’ tout-à-coup j’aperçois un’ guenille assez propre qu’une demi-douzaine de grands flandrins, raides comme balle, promenaient ni plus ni moins qu’une châsse. Tiens, que je me dis, elle est tout’ neuve : c’est sans doute de la dernière fabrique, faut qu’ j’envoie c’ chiffon là aux Invalides, ça n’ f’ra pas mauvais effet ; v’là qu’est dit : j’ tomb’ là comme une bombe… J’ mets la main sur le colifichet, j’entends crier : Goddem ! j’ devine que ça veut dire au voleur, et j’ détale en emportant la relique, et en m’écriant :

Et avanc’ donc, etc.

Je veux finir, quoiqu’on en glose,
Par parler de la barque à Caron.
Or, voici ce que j’ me propose,
De lui conter en gai luron :
Montre-moi d’abord ta patache,
Moi, je n’ pars pas comme un dindon.

Faut-il encore que j’ sache si la société m’ convient, car j’ai vu là-haut des animaux à deux pieds, sans plumes, dont la compagnie ne m’arrang’rait guère… Voyons… as-tu de jolies femmes, du vieux vin, de bons Français ?… Heim, tu dis qu’ oui.⁠.⁠.⁠. Eh bien ! vieux loup-garou, nous ferons route ensemble… V’là qu’est dit, en conséquence…

Et avanc’ donc,
Mon p’tit Eustache,
Et avance donc. (Refrain : bis)

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 323-328.
Disponibilité : Google Livres.


Fanfan la Tulipe.

(1819.)

Comme l’ mari d’ notre mère
Doit toujours s’app’ler papa,
Je vous dirai que mon père
Un certain jour me happa.
Puis me m’nant jusqu’au bas de la rampe,
M’ dit ces mots qui m’ mir’nt tout sens d’ sus d’ sous :
« J’ te dirai, ma foi,
« N’y a plus pour toi
« Rien chez nous,
« V’là cinq sous,
« Et décampe,
« En avant
« Fanfan
« La Tulipe,
« Oui, mill’ noms d’une pipe,
« En avant ! »

Puisqu’il est d’ fait qu’un jeune homme,
Quand il a cinq sous vaillant,
Peut aller d’ Paris à Rome,
J’ partis en sautillant.
L’ premier jour je trottais comme un ange,
Mais l’ lendemain
J’ mourais quasi d’ faim.
Un r’cruteur passa,
Qui m’ proposa.⁠.⁠.⁠.
Pas d’orgueil,
J’ m’en bats l’œil,
Faut que j’ mange.
En avant, etc.

Quand j’entendis la mitraille,
Comm’ je r’grettais mes foyers !
Mais quand j’ vis à la bataille
Marcher nos vieux grenadiers ;
Un instant, nous somm’s toujours ensemble,
Ventrebleu ! me dis-je alors tout bas,
Allons, mon enfant,
Mon p’tit Fanfan,
Vite au pas,
Qu’on n’ dise pas
Que tu tremble !
En avant, etc.

En vrai soldat de la garde,
Quand les feux avaient cessé,
Sans r’garder à la cocarde
J’ tendais la main au blessé.
D’insulter des homm’s vivant encore,
Quand j’ voyais des lâch’s se faire un jeu ;
Ah ! mill’ ventrebleu,
Quoi,
Devant moi,
J’ souffrirais
Qu’un Français
S’ déshonore !
En avant, etc.

Vingt ans soldat, vaill’ que vaille,
Quoiqu’au d’voir toujours soumis,
Un’ fois hors du champ de bataille,
J’ n’ai jamais connu d’ennemis.
Des vaincus la touchante prière,
M’ fit toujours
Voler à leur secours.
P’t-êt’ c’ que j’ f’rai pour eux,
Les malheureux
L’ f’ront un jour
À leur tour
Pour ma mère !
En avant, etc.

À plus d’un’ gentill’ friponne
Mainte fois j’ai fait la cour ;
Mais toujours à la dragonne,
C’est vraiment l’ chemin l’ plus court.
Et j’ disais quand un’ fille un peu fière,
Sur l’honneur se mettait à dada :
N’ tremblons pas pour ça,
Ces vertus-là
Tôt ou tard
Finiss’ent par
S’ laisser faire.
En avant, etc.

Mon père, dans l’infortune,
M’app’la pour le protéger ;
Si j’avais eu d’ la rancune,
Quel moment pour me venger !
Mais un franc, un loyal militaire,
D’ ses parens doit toujours être l’appui ;
Si j’ n’avais eu qu’ lui
J’ s’rais aujourd’hui
Mort de faim,
Mais enfin
C’est mon père !
En avant, etc.

Maintenant je me repose
Sous le chaume hospitalier ;
Et j’y cultive la rose
Sans négliger le laurier.
D’ mon armur’ je détache la rouille,
Car si l’ temps ramenait les combats,
D’ nos jeunes soldats
Guidant les pas,
J’ m’écrîrais :
J’ suis Français,
Qui touch’ mouille.
En avant
Fanfan
La Tulipe,
Oui, mill’ noms d’un’ pipe,
En avant !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 116-121.
Disponibilité : Google Livres.


Henri-Ferdinand-Dieudonné.

(1820.)

Le canon gronde à mon oreille,
Faut-il, affrontant le trépas,
Quitter sa belle et sa bouteille,
Pour voler à d’autres combats ?
Non, l’airain que tu viens d’entendre
Annonce au Français attendri,
Que Berri, secouant sa cendre,
Renaît sous le nom de Henri.

Henri, ce roi que l’on révère,
Fut vaillant, joyeux et courtois ;
Il aima la simple bergère,
Il aima la fille des rois ;
Il sut aimer, combattre et plaire.
Ô toi, son descendant chéri,
Puisses-tu comme ton grand-père
Mériter le nom de Henri.

Avant de porter la couronne,
Lorsque du haut de ton palais,
Ton œil fixera la Colonne,
Sois fier alors de tes sujets.
Puissent les vainqueurs de la terre,
Dont tu seras l’enfant chéri,
En t’apprenant l’art de la guerre,
Te rendre digne de Henri.

Peut-être au sortir de l’enfance,
On te dira pour t’enflammer,
Le nom d’un maître de la France,
Qui sut tout, hors se faire aimer ;
Malgré qu’il fût de la victoire
Et l’ouvrage et le favori,
Il est tombé… sache à sa gloire
Préférer celle de Henri.

Dieudonné, ce nom doit t’apprendre
Qu’un être au-dessus des humains
Peut frapper et réduire en cendre
Les peuples et les souverains ;
Toi, sur la terre, son image,
À qui tout un peuple a souri,
Veux-tu mériter son suffrage ?
Sois digne du nom de Henri.

Jaloux de marcher sur les traces
Du plus noble de tes ayeux,
Tu sauras confondre les races
Des anciens et des nouveaux preux.
Oui, déjà je lis dans l’histoire,
Les Lannes, les Montmorency,
Un jour combattront avec gloire
Sous le panache de Henri.

Né dans un siècle de prodiges,
Pour le bonheur de nos enfans,
De nos lauriers les nobles tiges
Ombrageront tes jeunes ans.
Ainsi dès ton heureuse enfance,
De hauts-faits et d’exploits nourri,
Par tes vertus, par ta vaillance,
Sois digne du nom de Henri.

Dans Chansons nationales et autres, de P.-Émile Debraux.
Paris : Le Couvey, 1822 ; pp. 201-203.
Disponibilité : Google Livres.


Invocation à Silène.

Air : Rassemblons-nous, amis de la bouteille.

Du grand Bacchus, ô toi qui fus le père,
Qui des buveurs méritas des autels !
Jette les yeux sur le séjour prospère
Où tes bienfaits deviendront immortels.
Du haut des cieux, descends, joyeux Silène, (bis)
Présider nos jeux triomphans ;
Accours, accours, la coupe toujours pleine ;
Viens te fixer chez tes enfans. (Cinq fois.)

En apprenant qu’au sein de cet asile,
Loin des grandeurs et loin des potentats,
Nous reléguons à leur main plus habile
Le triste soin de régir les états.
Du haut, etc.

Quand de l’amour, dont le feu nous embrase,
Nous dévoilons parfois les doux secrets,
Nous exigeons qu’une légère gaze
Ajoute encore, ajoute à ses attraits.
Du haut, etc.

Loin d’adopter la froide politique
Qui vient partout attrister les salons,
Il n’est pour nous qu’une couleur unique,
C’est la couleur des vins que nous sablons.
Du haut, etc.

À nos exploits, à notre nom fidèles,
De nos soldats nous chantons les succès,
Nous couronnons leurs têtes d’immortelles ;
Dans cette enceinte il n’est que des Français.
Du haut, etc.

Je sais qu’un jour une parque incivile
Sur notre front viendra lancer ses traits ;
Mais on la brave au sein de notre asile :
Qui vécut bien peut mourir sans regrets.
Du haut des cieux, descends, joyeux Silène,
Présider nos jeux triomphans ;
Accours, accours, la coupe toujours pleine ;
Viens te fixer chez tes enfans.

Dans La Goguette : chansonnier de table et de société. (Recueil)
Paris : Les marchands de nouveautés, 1834 ; pp. 408-409.
Disponibilité : BnF, collection Gallica.


J’en suis charmé.

(Jean, suis charmé.)
Mot donné. — Calembourg.

Air du vaudeville des Amazones.

À Pantin, j’avais ma marraine,
Qui, sentant approcher sa fin,
Me dit : Jean, viens que je t’apprenne
À faire ici-bas ton chemin. (bis)
Charmé, ton frère, à tout venant s’accroche.
En caponnant, des grands il est aimé.
Pour enfouir des gros sous dans ta poche,
Mon filleul Jean, suis ton frère Charmé.
Mon cher Jean (bis), suis Charmé. (bis)

Laisse là ces gens bestiasses,
Qui s’imaginent bonnement
Qu’il ne faut pour avoir des places
Que de l’esprit et du talent.
Charmé partout se faufile et circule ;
Il fait partout l’empressé, l’enflammé ;
Il pousse, il heurte, il coudoie, il bouscule,
Mon filleul Jean, etc.

Au plus petit coup de tonnerre
Je t’ai vu pleurant et tremblant ;
C’est égal ; si l’on fait la guerre,
Sois bien brave, ou fais-en semblant.
De vaillantise, à force d’étalages,
Charmé, vois-tu, pour santé réformé,
Gagna la croix, en gardant les bagages,
Mon filleul Jean, etc.

Comme il sait qu’auprès d’une altesse
Une femme a parfois beau jeu,
Près de mainte vieille comtesse
Le gaillard a filé son nœud.
S’il te conduit, pour assurer ta gloire,
Chez quelque nymphe au teint bien enfumé,
N’eût-elle plus de dents à la mâchoire,
Mon filleul Jean, etc.

Pour ne plus paraître aussi charge
Tu l’as vu, redoublant d’efforts,
Sous un ruban bien long, bien large,
Masquer son maigre et petit corps.
Eh bien ! mon cher, ce fameux ruban rouge,
Qui le rend droit comme un l mal formé,
Ça s’est trouvé pas bien loin de Montrouge.
Mon filleul Jean, etc.

Enfin, crois-en ta vieille amie,
Chez des commis ou des barons,
À Montmartre, à l’Académie,
Dans le grand monde, aux Porcherons,
Chez un banquier, ou bien chez un évêque,
Chez un braillard, ou chez un enrhumé,
Te mena-t-il enfin chez la Lévesque,
Mon filleul Jean, suis ton frère Charmé.
Mon cher Jean (bis), suis Charmé. (bis)

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 81-83.
Disponibilité : Google Livres.


Je l’aimerai toujours.

Air : Un jeune troubadour.

Sur un refrain nouveau,
On veut que je fredonne ;
Muse je t’abandonne
Le soin de ce tableau.
Jamais pour les amours,
Je n’ai monté ma lyre,
Comment pourrai-je dire,
Je l’aimerai toujours !

Naguère un noble acteur,
Un nouveau phénomène,
Étonnait sur la scène,
Un peuple admirateur.
Il a fini son cours,
Mais d’Hamlet et d’Oreste,
Le souvenir nous reste,
Je l’aimerai toujours.

Esclaves des grandeurs,
Rampez au pied des trônes,
J’encense les couronnes,
Quand elles sont de fleurs.
Je m’endors loin des cours
Bercé par l’espérance,
En priant pour la France,
Je l’aimerai toujours.

Fuyez loin de ces lieux,
Farouche jésuitisme ;
Par votre fanatisme,
N’effrayez plus nos dieux ;
Dans vos sanglans discours,
Trop de haine s’exhale,
Prêchez-nous la morale,
Je l’aimerai toujours.

Symbole des plaisirs,
Aimables hirondelles,
Par vos battemens d’ailes,
Provoquez mes désirs.
Je crains les noirs vautours ;
Ils creuseraient ma tombe,
Mais la douce colombe,
Je l’aimerai toujours.

Vous dont la volupté
S’allie à tant de grâces,
Fillettes sur vos traces,
Je cherche une beauté,
Pour embellir mes jours,
Si l’hymen nous rassemble,
Ah ! qu’elle vous ressemble,
Je l’aimerai toujours.
D. et L.

Dans Chansons nouvelles, nationales et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’Éditeur et Roy-Terry, 1829 ; t. III, pp. 248-250.
Disponibilité : Google Livres.


Je m’en ris comme de l’an quarante.

Air : Du Curé de Pomponne.

Amis, je trouve un d’ ces sujets,
Qu’on n’ peut, soit dit sans morgue,
Comm’ bien d’autres de mes couplets,
Assassiner sur l’orgue.
Au reste, pour un ou deux sous,
Qu’ mon esprit soit en vente,
Quant à moi, voyez-vous,
Je m’en ris
Comme de l’an quarante.

On dit qu’ lorsqu’on a des écus,
On vit s’lon son envie.
Eh bien ! moi, quoique j’ n’en ai plus,
J’ fais tout d’ même un bout d’ vie,
Je sais qu’il serait assez doux
D’avoir mille écus d’ rente ;
Mais au fond, voyez-vous,
Je m’en ris
Comme de l’an quarante.

L’autre jour, avec mon objet,
J’étais sur l’ pas d’ la porte,
Arrive un monsieur qui, tout net,
La bouscule et l’emporte.
Qué’ qu’ça fait, pour ell’ fussions-nous
Trois, quatre, dix ou trente ;
Quant à moi, voyez-vous,
Je m’en ris
Comme de l’an quarante.

Je n’aim’ pas ces gens obstinés,
Soi-disant bons apôtres,
Toujours prêts à fourrer leur nez
Dans les affair’s des autres.
Que ma sœur attrapp’ son époux,
Qu’ lui cajol’ sa servante ;
Quant à moi, voyez-vous,
Je m’en ris
Comme de l’an quarante.

Quand un ministre, un grand seigneur,
Me reçoit à sa table,
Moi, qui suis fier d’un tel honneur,
J’ me montre assez aimable.
Tant que j’avale ses ragoûts,
Dans mes vers je le chante ;
Mais après, voyez-vous,
Je m’en ris
Comme de l’an quarante.

Comme on dit qu’on fait en mourant
Une chienn’ de figure ;
Moi, qui sait vivre en bon vivant,
Je s’rais content, j’ vous jure,
Si l’on n’ mettait sous les clous
Qu’en dix-huit cent nonante.
Au surplus, voyez-vous,
Je m’en ris
Comme de l’an quarante.

Dans Chansons nouvelles, nationales et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’Éditeur et Roy-Terry, 1829 ; t. III, pp. 278-280.
Disponibilité : Google Livres.


L’Ermite de Courcelles.¹

Air : Ne dormez plus, etc.

Pour me dérober
Au fracas bruyant de nos villes ;
Pour ne plus tomber
En des mains ladres ou serviles,
Bien loin des méchans
J’ai fui dans les champs,
Et j’occupe l’unique étage
D’un gothique et vieil ermitage.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus.

Sortez, un beau jour,
De votre maison enfumée,
Et de mon séjour
Prenez la route parfumée :
Puis vous me direz
Si vous préférez
Les tapis de fleurs qu’elle étale
Aux cailloux de la capitale.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus.

Chez moi, lorsqu’enfin
L’un de vous d’humeur intraitable,
S’écrîra : J’ai faim !
Le dîner sera sur la table ;
Vous n’y verrez pas
Truffes, ananas ;
Mais en fruits, ce que chacun aime :
On pourra le cueillir soi-même.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus.

Aux belles d’ici,
Quand vous quitterez la fourchette,
Voulez-vous aussi
Dire un petit mot en cachette ?
Perdez-vous soudain
Au fond du jardin :
Là, s’élève un tertre de mousse
Où la résistance s’émousse.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus.

Quand vous reviendrez,
Assis auprès de Fanchonnette,
Vous entonnerez
Une petite chansonnette ;
Chants, baisers, de front
Gaîment marcheront,
Et le joyeux vin de Champagne
Nous mettra bientôt en campagne.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus,

De plus sages lois
Conservant la douce espérance,
Chantez les exploits
Qui jadis illustraient la France ;
Narguez les méchans,
Et pour qu’à vos chants
Rien n’oppose encor des entraves,
J’ai chez moi les portraits des braves.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus.

Quand le soir viendra,
Dans l’ermitage de Courcelles,
On sautillera
Au rustique son des crecelles ;
Puis vous dormirez
Et vous apprendrez
Combien sur un lit de fougère
L’existence est douce et légère.
Du gai savoir, aimables élus,
Rendez visite au pauvre reclus.

1. M. Émile Debraux demeurait à Courcelles, près Paris.
Note de l’Éditeur.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 53-56.
Disponibilité : Google Livres.


L’Heureux Employé.

Air : La seul’ prom’nade qu’a du prix.

Travailler peu, gagner beaucoup,
C’est un état fort à mon goût. (Refrain : bis)

Mon grand’père était un brave homme ;
Il me disait assez souvent :
Mon cher fils, de Paris à Rome,
Il pleut, il grêle, il fait du vent.
Un badaud parfois s’extasie,
Sur nos bois, nos champs, notre lac ;
C’est fort beau pour la poésie,
Mais ça n’emplit pas l’estomac.
Travailler peu, etc.

Dédaignant cette humble sentence,
Sur la foi d’un mauvais plaisant,
Mon père adopta l’existence
D’un honnête et simple artisan.
Il eût, dans cet état prospère,
Nargué le sort des plus grands rois ;
Mais, hélas, mon pauvre cher père,
Par an se reposait neuf mois.
Travailler peu, etc.

Préférant l’étude à l’enclume,
Sur l’écriture on m’exerça ;
Et quand je sus tenir ma plume,
Dans la chicane on me lança.
Accablé d’exploits, de cédules,
Pour avoir le temps de danser
J’avalais les points, les virgules,
Mauvais moyen pour engraisser.
Travailler peu, etc.

Un jour au bal de la Villette,
Pinçant gaîment mon rigodon,
Dans le cœur de gente fillette,
Je sus éveiller Cupidon.
Près d’un grand seigneur très-docile
La belle avait garde à carreau ;
Et comme ici-bas tout s’enfile,
Je devins sous-chef de bureau.
Travailler peu, etc.

Quel état ! jugez-en vous-mêmes :
On arrive, on prend le journal,
Puis tranchant des maîtres suprêmes,
On dit c’est bien, on dit c’est mal.
On dit : la ligue est assoupie,
L’âge d’or renaîtra bientôt ;
Quel bonheur ! et puis l’on copie
Le projet d’un nouvel impôt.
Travailler peu, etc.

Au 20 mars, quand la France en larmes
Réclama le bras de ses preux,
Des Français qui prirent les armes
L’employé fut le plus heureux ;
De l’airain bravant la furie,
Ses destins étaient séduisans ;
Il pouvait servir sa patrie
Et garder ses appointemens.
Travailler peu, etc.

Rois, quand le destin vous exile
Sur le trône, objet de vos vœux,
Le plaisir vient parer l’asile
Où je vois blanchir mes cheveux.
Sous un dais si la nuit vous jette,
Vous tremblez d’un sinistre éveil ;
Et moi, sur mon humble couchette,
Je goûte le plus doux sommeil.

Travailler peu, gagner beaucoup,
C’est un état fort à mon goût. (Refrain : bis)

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 287-289.
Disponibilité : Google Livres.


La Belle Main.

Air : Je vous prêterai mon manchon.

C’est le fils au papa Gingembre
Qu’est un gaillard des plus adroits !
Depuis janvier jusqu’à décembre,
Il fait bon usage d’ ses doigts.
Matin et soir, pour vous rendre service,
Sa p’tit’ plume est toujours en exercice.

Aussi, comme il vous fait tricoter ça ! Et ses doigts donc, c’est eux qu’il faut voir ! Quelle adresse ! quelle vivacité ! Rien que de les voir brandouiller, ça vous cause un plaisir, une jouissance !…

Il fait ceci, et puis ceci, et puis cela.
Dieu ! quell’ bell’ main il a,
C’ petit gueux-là !
Dieu ! quell’ bell’ main il a !

Ma filleule, la p’tite Hortense,
Ayant à s’ plaindre d’ son Lucas,
Voulut, en manière d’ vengeance,
D’mander un bout d’ lettre à Thomas.
Afin d’ savoir c’ qui d’ Lucas la détourne,
De tous côtés, il la tourne et retourne.

Elle ne voulait pas lui dire d’abord que son mari l’avait laissée jeûner pendant huit grands jours ; mais lui, qu’est malin, s’ douta d’ quéqu’ chose comme ça, et quand il eut mis la main sur l’objet dont il était question ; il arrangea si bien les affaires, que, depuis ce temps-là, la petite Hortense ne se plaint plus du tout. Et pourquoi ne se plaint-elle plus ? C est que

Il lui fit ceci, etc.

La fille à la mèr’ Dubocage,
Deux jours avant son union,
Vint, r’lativ’ment à son mariage,
Lui d’mander une instruction.
Tout aussitôt, v’là sa verv’ qui s’allume,
Et sous ses doigts dès qu’il sentit la plume…

Y s’ donna un mouvement désordonné pour lui faire connaître une infinité de choses qu’il fallait absolument qu’elle connût, car, enfin, on est bien aise de savoir ce que c’est que le mariage avant d’en tâter, et cette polissonne de Lise en voulait savoir si long, mais si long, ah !

Il lui fit ceci, etc.

S’ennuyant de n’êtr’ que servante,
Jeann’ton, pour calmer son ennui,
Voulut qu’il la rendit savante ;
Et depuis qu’elle a passé sous lui,
Ell’ jou’ des doigts avec un’ telle adresse,
Qu’elle est à mêm’ d’instruir’ tout’ notr’ jeunesse.

Comme cette pauvre Jeanneton a les yeux dépareillés, et la taille un peu de travers, c’était jadis à qui ne la r’garderait pas ; mais depuis qu’on sait qu’elle est à même d’apprendre aux garçons la manière de trousser un compliment aux jeunes filles, c’est à qui se portera dessus ; et cela ne m’étonne pas, car cet enragé de Thomas y en a montré si gros, mais si gros !…

Il lui fit ceci, etc.

Y a pas jusqu’à ma tant’ Victoire
Qui voulut tâter d’ son talent,
Ell’ lui fit connaitr’ son histoire :
Il s’en chargea pour de l’argent.
Il sut trouver l’ moyen d’ la satisfaire :
En un clin-d’œil, il remplit son affaire.

Enfin, comme elle était contente, c’te chère femme, elle qui, depuis dix ans, traînait son objet de porte en porte, sans trouver un voisin qui voulût tout seulement y mettre le doigt d’sus ! Eh bien ! ce vaurien de Thomas, je n’ sais comment il s’y prit, mais il lui fit un plaisir ! un plaisir ! que c’te pauvre bonne femme n’en pouvait plus parler, quoi !

Il lui fit ceci, etc.

Un jour, une certain’ duchesse,
Ayant visité nos endroits,
Le petit vaurien eut l’adresse
De lui montrer l’ talent d’ ses doigts,
Ayant, fin’ment, par un brin d’ contrebande,
Trouvé l’ moyen d’ lui mettre en main sa d’mande.

Il lui coula en douceur une infinité de choses tellement palpables et touchantes, que c’te pauvre duchesse, qui se trouvait toute je ne sais comment, n’eut plus la force de lui rien refuser, et que, pour être à même de l’avoir sous la main quand le besoin la presserait, elle décida qu’à l’avenir ce serait lui qui aurait l’honneur de la monter… en voiture. Dame ! c’est que je suis bien certaine aussi que…

Il lui fit ceci, etc.

Le v’là lancé dans le grand monde,
Et je suis sûr’ qu’il ira loin,
Car la brune ainsi que la blonde
D’ ses p’tits talents auront besoin.
C’est immanquable avec un’ tell’ science ;
Fill’s, femme’s ou veuv’s, tout est d’ sa compétence !

Toutes ces petites filles que leurs parents ne veulent pas marier et qui prennent sur elles d’avoir un amant ; toutes ces pauvres veuves qui éprouvent un vide… de cœur, depuis que leurs hommes ne sont plus ; toutes ces belles dames qui sont forcées de jeûner pendant qu’ leurs maris sont en voyage ; sans compter celles qui sont obligées de se brosser le ventre parce que leurs messieurs portent en ville, tout ça a ses affaires, ses besoins, et lui, ce coquin de Thomas, je ne sais pas comment il fait son compte : il est toujours prêt, toujours prêt !

Il fait ceci, et puis ceci, et puis cela.
Dieu ! quell’ bell’ main il a,
Ce p’tit gueux-là !
Dieu ! quell’ bell’ main il a !

Dans Le nouveau Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle.
Bruxelles : Sous le manteau, 1881 ; pp. 3-6.
Disponibilité : BnF, collection Gallica.


La Boutonnière.

Riche de pudeur et d’attraits,
Ce matin, la charmante Adèle
M’a demandé quelques couplets,
Et j’ai pris la plume pour elle.
Ah ! comment n’être pas épris,
Quand pour moi, cessant d’être fière,
Une femme m’offre pour prix
Et pour sujet, la boutonnière.

Malheureux, qui pour les hochets
Des grandeurs ou de la richesse,
Dans de vains et tristes regrets
Voit se consumer sa jeunesse ;
Mais, dans le silence des bois,
D’une beauté vive et légère,
Heureux qui, la première fois,
Peut entr’ouvrir la boutonnière.

Lorsque de rubans, chamarrés,
Fruit de l’intrigue et de l’adresse,
Des mortels, d’orgueil enivrés,
En tout lieu, prônent leur noblesse ;
À chaque retour du printemps,
Je me ris de l’Europe entière
Quand la rose ou la fleur des champs
Vient briller à ma boutonnière.

Prix du sang que dans les combats
Ils ont versé pour la patrie,
Les galons de nos vieux soldats
Plaisent à mon âme attendrie ;
Je me rappelle à cet aspect
Nos maux sur la plage étrangère,
Et je contemple avec respect
L’ornement de leur boutonnière.

On vante la bonté des grands,
Et cependant, j’ai vu mon frère,
Les pieds déchirés et sanglans,
Regagner sa triste chaumière ;
Serait-il simple paysan,
S’il eût voulu, dans sa misère,
Contre un habit de courtisan,
Changer sa vieille boutonnière ?

Désaugiers, filleul de Panard,
Si jusqu’à toi, mon nom pénètre,
Sur mes couplets, tu peux sans fard
Prononcer et trancher en maître ;
Mais ne monte point tes leçons
Sur une gamme trop sévère,
Car ne veux pas pour des chansons
Voir décorer ma boutonnière.

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 131-132.
Disponibilité : Google Livres.


La Colonne.

(1818.)

O toi, dont le noble délire,
Charma ton pays étonné,
Eh quoi ! Béranger, sur ta lyre,
Mon sujet n’a pas résonné !
Toi, chantre des fils de Bellone,
Tu devrais rougir, sur ma foi,
De m’entendre dire avant toi :
Français, je chante la Colonne.

Salut, Monument gigantesque
De la valeur et des beaux-arts ;
D’une teinte chevaleresque,
Toi seul colores nos remparts.
De quelle gloire t’environne
Le tableau de tant de hauts faits ;
Ah ! qu’on est fier d’être Français,
Quand on regarde la Colonne.

Avec eux la gloire s’exile,
Osa-t-on dire des proscrits ;
Et chacun, vers le champ-d’asile,
Tournait ses regards attendris.
Malgré les rigueurs de Bellone,
La gloire ne peut s’exiler,
Tant qu’en France on verra briller
Des noms gravés sur la Colonne.

L’Europe qui, dans ma patrie,
Un jour pâlit à ton aspect,
En brisant ta tête flétrie,
Pour toi conserva du respect.
Car, des vainqueurs de Babylone,
Des héros, morts chez l’étranger,
Les ombres, pour la protéger,
Planaient autour de la Colonne.

Anglais, fier d’un jour de victoire,
Par vingt rois, conquis bravement,
Tu prétends, pour tromper l’histoire,
Imiter ce beau monument.
Souviens-toi donc, race Bretonne,
Qu’en dépit de tes factions,
Du bronze de vingt nations
Nous avons formé la Colonne.

Et vous, qui domptiez les orages,
Guerriers, vous pouvez désormais,
Du sort mépriser les outrages,
Les Héros ne meurent jamais.
Vos noms, si le temps vous moissonne,
Iront à la postérité ;
Vos brevets d’immortalité
Sont burinés sur la Colonne.

Proscrits, sur l’onde fugitive
Cherchez un destin moins fatal ;
Pour moi, comme la sensitive,
Je mourrais loin du sol natal !
Et si la France, un jour, m’ordonne
De chercher au loin le bonheur,
J’irai mourir au champ-d’honneur,
Ou bien au pied de la Colonne.

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 6-8.
Disponibilité : Google Livres.


La Comète de 1832.

Air nouveau de M. Reinnass.

Qu’ai-je entendu ? l’on dit qu’une comète
Va nous porter enfin le coup mortel ;
Pauvres pécheurs, il faut que l’on se mette
Vite en état de marcher droit au ciel.
Vous que parfois la conscience oppresse,
Repentez-vous, bientôt Dieu jugera :
Ouvre tes bras, ma gentille maîtresse,
La mort viendra
Sitôt qu’elle voudra.

D’où vient, mortels, votre air de pénitence,
À vos regrets qui peut donner l’éveil ?
Que fut pour vous cette frêle existence ?
Beaucoup d’orage et si peu de soleil ;
L’amour lui seul, d’une simple caresse,
Dota la vie et la vie enivra :
Ouvre tes bras, ma gentille maîtresse,
La mort viendra
Sitôt qu’elle voudra.

Ces plats valets à qui tout météore
Semble un despote orgueilleux de ses droits,
Jusques au sol vont abaisser encore
Leur front souillé de la bave des rois.
Du feu vengeur, vos cris, votre bassesse,
Vils courtisans, rien ne vous sauvera :
Ouvre tes bras, ma gentille maîtresse,
La mort viendra
Sitôt qu’elle voudra.

Ces potentats, ces chefs de vingt royaumes,
Qui font toujours moins de bien que de bruit,
Ne sont-ils pas comme nous des atomes
Qu’un souffle élève et qu’un souffle détruit.
Ils vont pousser des houras de détresse,
Quand de leurs mains le sceptre glissera :
Ouvre tes bras, ma gentille maîtresse,
La mort viendra
Sitôt qu’elle voudra.

Créé d’un mot, d’un mot réduit en poudre,
Ce globe errant dans la vague des airs,
Grâce à Franklin, brava long-tems la foudre,
Mais l’axe plie, adieu tout l’univers.
Compas en main, plus d’un savant s’empresse,
À calculer le jour où tout mourra :
Ouvre tes bras, ma gentille maîtresse,
La mort viendra
Sitôt qu’elle voudra.

D’un tel malheur sans rechercher les causes,
Sans afficher des regrets toujours vains,
Enivrons-nous du parfum de nos roses,
Enivrons-nous du bouquet de nos vins.
Que l’or chez nous paraisse et disparaisse,
Puisqu’une obole à Caron suffira :
Ouvre tes bras, ma gentille maîtresse,
La mort viendra
Sitôt qu’elle voudra.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 243-245.
Disponibilité : Google Livres.


La Fille du torrent.

Romance.

Air Nouveau.

Ô Témesvar, ô Fingal, ô Resvole,
De Mehala chantez les nobles feux ;
Ma voix aussi, par les enfans d’Éole,
Voit ses accens reportés jusqu’aux cieux. (bis)
Astre des nuits qui blanchis le feuillage,
À la lueur de ton disque d’argent,
Je vois une ombre au milieu d’un nuage
C’est Malvina, la fille du Torrent.

Quand des Austers tu bravais les tempêtes,
Fils de Fingal, assis sur un rocher,
Du dieu d’hymen on célébrait les fêtes,
On unissait la rose et le laurier.
Noble Morven, qui te ceindra l’écharpe ?
Disait partout le barde en soupirant,
Et les échos répondaient à la harpe
C’est Malvina, la fille du Torrent.

Espoir trompeur, ô terrible journée !
Orage affreux gronda sur le palais 
Il éteignit les flambeaux d’hyménée,
Le myrthe heureux devint un noir cyprès.
Le ciel s’embrâse, il frappe, tout succombe,
L’autel gémit et s’écroule à l’instant,
Sur ses débris, il s’élève une tombe,
C’est Malvina, la fille du Torrent.

Dans Chansons nationales et autres, de P.-Émile Debraux.
Paris : Le Couvey, 1822 ; pp. 50-51.
Disponibilité : Google Livres.


La Fougère.

Mot donné par une dame.

Air de la Boutonnière.

Sur moi connaissant ton pouvoir,
Quoi ! piquante et douce Héloïse,
Sur la fougère, et dès ce soir,
Ta bouche veut que je devise.
J’obéirai, mais, pas à pas,
Daigne me suivre, ma bergère,
Car sans toi je n’aimerais pas
À m’étendre sur la fougère.

Si le rossignol perd sa voix
Lorsque les hivers apparaissent,
Il gazouille, quand de nos bois
Les sombres frimas disparaissent.
Comme lui mon chant subito
Revient lorsque ma main légère,
Sous la neige au bas d’un coteau,
Peut enfin palper la fougère.

Afin de crier halte-là !
Aux rigueurs de gentille femme,
Dans les bosquets conduisez-la,
Les bosquets amollissent l’âme.
Croyez-moi, malgré sa vertu,
Le tendron d’humeur la plus fière
Est bien près de se voir vaincu
Lorsqu’on arrive à la fougère.

Sur ma bouche, pour m’arrêter,
Tu poses tes lèvres jolies,
Et tu me défends de chanter
Ce que tu nommes des folies.
Tu veux des sujets à fracas
J’y consens ; mais pourtant, ma chère,
J’aime mieux, en fait de combats,
Ceux qu’on livre sur la fougère.

Je vole en des champs valeureux
Chercher des sujets héroïques,
Et je vois s’égorger entre eux
Des tigres et des fanatiques.
Dieu tout-puissant ! met le holà,
Car ce ne fut point, je l’espère,
Pour la teindre de ce sang-là
Que tu fis naître la fougère.

Qu’ai-je dit ! j’en ai du remord
Dieu, dans tout, prouve sa puissance :
Sur les fleurs où le brave est mort,
Un fils recevra la naissance,
Et, du preux les restes sacrés,
De l’enfant, la sève première,
Souvent ne seront séparés,
Que par quelques brins de fougère.

Ô toi dont l’ordre me guida,
À mes couplets mets une digue,
De courir sur mon agenda ;
Je sens que ma main se fatigue ;
Cette fatigue, en peu de temps
Cessera, si tu veux, ma chère,
Lui permettre quelques instants
De reposer sur la fougère.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 164-166.
Disponibilité : Google Livres.


La Grimace.

Air : De la vallée de Barcelonnette.

Afin d’ me rendre à votr’ leçon,
Un soir j’appell’ ma muse.
J’ lui d’mande pour un’ nouvell’ chanson
Un r’frain qui vous amuse. (bis)
V’là qu’en véritable Escobar,
Avant de r’monter au Parnasse ;
Après bien des si, bien des car,
Ell’ me fait la grimace.

Du quartier malgré l’ ris moqueur,
Cloé s’ dit un’ saint’ femme :
À vingt amans ell’ donn’ son cœur,
Mais l’ ciel possèd’ son âme.
Si par fois du fruit d’ ses amours
Un hôpital la débarasse,
En r’vanche à.⁠.⁠.⁠.⁠. tous les jours,
Ell’ va fair’ la grimace.

Un Parisien qu’ l’âge a vaincu,
À la fin d’ sa carrière
Se dit : j’ m’en fich’ ! j’ai bien vécu,
Franchissons la barrière.
Y n’ frémit qu’involontair’ment,
Quand la mort d’ici bas l’ déplace,
Mais chacun d’ nous sait qu’un Normand
Fait un’ plus laid’ grimace.

Chaqu’ jour on voit plus d’un vaurien
Plein d’ morgue et d’insolence,
Pour les gens qui lui prêt’t leur bien
S’ montrer sans r’connaissance.
Pierr’, Paul et Jean d’vienn’t possédés
Quand un créancier les tracasse ;
Comme j’ suis pour les procédés,
Moi j’ les paye en grimace.

Dieux ! quel délir’ lorsque l’amour,
D’un’ main plus qu’ fortunée,
M’ conduit au déclin d’un beau jour
Auprès d’ ma Dulcinée ;
Je m’ crois l’ plus heureux des amans
Sitôt qu’ dans ses bras ell’ m’enlace,
Ses yeux font à d’ certains momens
Un’ si joli’ grimace !

J’suis heureux, dans l’ mond’ tout m’ convient ;
Sans m’ battre avec personne,
J’ prends toujours le temps comme il vient
Et l’argent pour c’ qu’on l’ donne.
Je fredonn’ du matin au soir,
Aucun flatteur ne m’embarrasse,
Et jamais aux pieds du pouvoir
Je n’ vais fair’ la grimace.

Celui qui vend bien cher ici
C’ qu’il nomme l’ jus d’ la treille,
Nous l’ prôn’ fort souvent, Dieu merci,
Comme un’ chos’ sans pareille : (bis)
Facilement j’ conviendrai d’ bonn’ foi
Qu’ c’est l’ plus honnête homme d’ sa race ;
Mais en buvant, je n’sais pourquoi,
J’ fais toujours la grimace.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 260-262.
Disponibilité : Google Livres.


La Mort de Gros-Pierre.

Air : De temps en temps.

Qui de vous a connu Gros-Pierre ?
Amis, c’était un gai luron,
Tant que vacilla sa paupière
Il fut toujours franc, toujours rond.
Hier il a perdu la vie,
Au cabaret, ce bon vivant
Fut frappé d’une apoplexie :
Pouvait-on mourir plus gaîment ? (bis)

À l’instant même l’on appelle
Cinq médecins du premier rang,
Qui malgré l’excès de leur zèle
Sont tous d’un avis différent.
Sans respect pour les vieilles nuques,
On se bouscule et le mourant
Voit voltiger les cinq perruques :
Pouvait-on mourir plus gaîment ?

Tous ses compagnons de ribotte,
Pour charmer sa dernière nuit,
Barbouillés de lie et de crotte,
Se pressent autour de son lit.
À chacun d’eux qui n’y voit goutte,
Faisant sonner son testament,
Il fait encor payer la goutte :
Pouvait-on mourir plus gaîment ?

Des parens la froide cohorte
Vient compatir à ses douleurs,
À partir du seuil de la porte
Ils versent des torrens de pleurs.
Ah ! leur dit-il, vile canaille,
Vous la goberez joliment,
Car je n’ai plus ni sou ni maille :
Pouvait-on mourir plus gaîment ?

Du Seigneur un très saint ministre
Arrive enfin dans son taudis
Et lui parle d’un ton sinistre,
Et du diable et du paradis ;
Puis après, soit dit sans reproche,
Pour un écu s’adoucissant,
Il tire un bon dieu de sa poche :
Pouvait-on mourir plus gaîment ?

Un troupeau de missionnaires
Attiré par le vin clairet,
Ayant planté croix et bannières,
Au beau milieu du cabaret,
En carnaval l’ami Gros-Pierre
Se crut ma foi, car en mourant
ll fredonnait la sabotière :
Pouvait-on mourir plus gaîment ? (bis)

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 250-252.
Disponibilité : Google Livres.


Le Bal de Jupiter.

Air : Voulez-vous passer ? payez.

Quelques gouttes d’un vieux bourgogne
Ayant mis Jupiter en train,
Avec l’accent d’un vieil ivrogne,
Il dit, empoignant un crin-crin : (bis)
L’univers est dans son assiette ;
Chacun est sage à qui mieux mieux ;
C’est fort beau, mais c’est ennuyeux ;
Moi j’aime qu’on soit en goguette.
Allons ! vite, il faut danser,
Que l’on chasse
Et que l’on déchasse.
Allons ! vite, il faut danser,
Le grand branle va commencer.

Qu’Attila prenne une varlope,
Et qu’aidé par trois Momusiens,
Le gaillard bâtisse une échoppe
Pour placer nos musiciens.
Tamerland, de crâne mémoire,
Allumera les lampions ;
Et les Césars, les Scipions
s’écrieront : Qu’est-c’ qui d’mande à boire ?
Allons ! vite, etc.

Virgile, ce roi des poètes,
Soufflera du turlututu ;
Romulus aura des cliquettes,
Et Brutus le chapeau pointu.
La guimbarde est pour Charles-Quatre,
Le tambour sera pour Caton,
Et pour jouer du mirliton
Tibère va se mettre en quatre.
Allons ! vite, etc.

Mahomet vendra la piquette,
Hippocrate le vieux cognac ;
Lucrèce offrira la galette ;
Bajazet, l’once de tabac ;
Cléopatre l’Égyptienne
Percevra les petits écus ;
Et les cachets seront vendus
Par Cicéron et Démosthène.
Allons ! vite, etc.

Les femmes étant assez rares,
Les hommes danseront entre eux ;
Gengis-Kan, ce roi des Tartares,
Fera face à Cadet-Buteux ;
La mère Angot, voilà la belle
Que je garde au grand Menzicoff ;
Et je mets le vieux Souwaroff
Sous le bras de Polichinelle.
Allons ! vite, etc.

Quoiqu’il soit vigoureux, ingambe,
Je défends au grand Washington
De repasser un croc en jambe
À ce bon George le Breton ;
Plus, je veux qu’une fois en place,
Miaulis, joyeux et content,
Ne donne plus au grand sultan
D’autres coups de poing sur la face.
Allons ! vite, etc.

Malgré ce désir pacifique
Dans le bal on se bouscula :
L’Europe, en voyant L’Amérique,
Fit un faux-pas, et chancela.
Bolivar culbuta L’Espagne ;
Sur Mahmoud tomba Canaris ;
Tandis que Jupin, presque gris,
Chantait, en battant la campagne :
Allons ! vite, il faut danser
Que l’on chasse
Et que l’on déchasse.
Allons ! vite, il faut danser,
Le grand branle va commencer.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 172-175.
Disponibilité : Google Livres.


Le Banquet d’Anacréon.

Air : Je pars, etc.

Quel sujet s’offre à mes désirs !
Je chante les plaisirs
Qu’on goûte en cette enceinte ;
Daignez accompagner ma voix,
Vous qu’on a vus cent fois
Se ranger sous ses lois.
Gaîté
Beauté,
Simplicité,
Franchise, liberté,
Y brillent sans contrainte,
Et ce fripon d’amour,
S’y glissant à son tour,
Y voulut un beau jour,
Laisser sa douce empreinte.
Quel plaisir de suivre vos traces :
Votre temple de Comus
Est bien plus le temple des Grâces
Que le temple du dieu Bacchus.
Troupe aimable,
Lorsqu’à table,
Vous chantez de gais refrains,
On oublie
De la vie,
Les soucis et les chagrins.
Obéissant,
Au président,
Le groupe sautillant,
Bientôt quitte la danse,
Le joyeux chef de ces lurons,
Entonne les flonflons,
La séance commence.
Le plus gai de ses enfans,
C’est le Roger-Bontemps,
Qu’à sa gauche il installe,
Dont les refrains hardis,
Bruyans et rebondis,
Font trembler les lundi
Les vitraux de la salle ;
À sa gauche, un autre compère,
Que partout on accueille ainsi,
Sur sa musette légère,
En pince aussi, dieu merci.
Doux langage,
Noble image,
De ses vers forcent le succès,
Et Minerve,
À sa verve,
A dicté les Chapeaux français.
Mais c’est neuf heures qu’on entend,
Sitôt le président
Prend sa coupe légère ;
Portons, dit-il, une santé,
Soudain avec gaîté,
Ce toast est porté :
Aux belles qui par leurs faveurs,
Nous prodiguent les fleurs,
À nos joyeux chanteurs,
Aux aimables auteurs,
Ainsi qu’aux visiteurs,
Gais amis, francs buveurs,
Desséchons notre verre ;
Puis il dit, s’adressant aux dames,
Quand on a couvert la santé,
Comme on sait que sans vous, mesdames,
Il n’est point de félicité,
Pour vous plaire,
Votre père,
N’ayant rien à vous refuser,
Avec joie,
Vous octroie,
Un quart-d’heure, afin de jaser ;
Mais soudain,
Quel son argentin,
Quel sémillant refrein,
Tout à coup nous réveille,
C’est aux dames à chanter, car
Déjà de toute part
L’oreille s’émerveille.
J’entends
Les aimables accens
De vingt minois charmans ;
Mais plaignez mon silence,
Et ne l’accusez pas,
Voyez mon embarras,
Car, sur leurs noms, hélas !
Je suis dans l’ignorance.
Cependant de l’aimable muse,
Qui brille dans vos foyers,
Je serais, amis, sans excuse,
Si j’oubliais les lauriers.
Héloïse,
Pour devise,
Prit l’Amour, la France et l’honneur,
Et la muse,
Qui l’amuse,
Fait envie à plus d’un auteur.
Vous, dont j’ai tu les chants exquis,
Dans ce faible croquis,
De nos douces folies,
Belles, calmez votre courroux,
Et ramenez chez nous,
Vos grâces tant chéries ;
Enfin,
Pour finir par la fin,
Par ordre du destin,
En dernier je me place,
Et vous dis franchement,
Je suis un bon vivant :
N’ayant que ce talent
Des autres je me passe.
Je chéris le vin et les belles.
N’est-ce pas tout comme vous ?
J’aime à me faire aimer d’elles ?
N’est-ce pas tout comme vous.
La folie
Me rallie
Sous votre étendard si doux,
Et ma belle,
M’est fidèle,
Fidèle… tout comme à vous.

Joyeux amis, jeunes beautés,
Maintenant écoutez
Ma prière
Dernière :
Puissé-je être du plaisir,
Près de vous le saisir,
Jusqu’au dernier soupir.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 121-126.
Disponibilité : Google Livres.


Le Bouquet de la reconnaissance.

Couplets adressés au docteur Morel de Rubempré
dans un banquet donné à l’occasion de ma convalescence
d’une longue maladie, dont il a su me tirer.

Air : Allez prendre les eaux d’Enghien.

Sous les coups d’une maladie
Qui sur moi vint à s’acharner,
Je sentais le feu de la vie
S’assoupir et m’abandonner.
Quand d’un ami l’heureuse adresse
A rallumé ce feu mortel ;
Ô vous que la santé délaisse
Allez voir le docteur Morel¹.

Jeunes beautés à qui l’enfance
Vient de faire enfin ses adieux,
Sur le seuil de l’adolescence
La pâleur se glisse en vos yeux.
Ouvrez vos gentilles oreilles
À cet avis tant solennel :
Tenez-vous aux couleurs vermeilles,
Allez voir le docteur Morel.

Vous, dont la poitrine un peu frêle,
Par la douleur, de temps en temps,
Sans le moindre égard vous rappelle
Les excès de vos jeunes ans,
Écoutez en toute assurance
Ce que vous dit le ménestrel :
Pour prolonger votre existence,
Allez voir le docteur Morel.

Guerriers, que vingt ans de services,
Ont couverts de gloire et d’honneur ;
Vous, dont les larges cicatrices
Attestent la bouillante ardeur,
Afin d’étouffer les murmures
Que vous arrache un mal cruel :
Voulez-vous guérir vos blessures,
Allez voir le docteur Morel.

Abusant de notre faiblesse,
Parfois l’Amour, ce dieu trompeur,
Nous vise, et du trait qui nous blesse
De nos beaux jours ternit la fleur.
Combien de maux, combien de larmes,
Fait naître cet enfant du ciel !
Voulez-vous émousser ses armes,
Allez voir le docteur Morel.

Du plaisir, poursuivant les traces,
Étrangers et provincial,
Vous qui caressez trop les grâces
Des Nymphes du Palais-Royal ;
Parfois, au sein de leur calice,
On rencontre un poison cruel,
Voulez-vous qu’on vous en guérisse,
Allez voir le docteur Morel.

Enfin, belle au déclin de l’âge,
Tendre épouse à l’œil abattu,
Fillette que trompe un volage,
Et qui regrettez la vertu ;
Désirez-vous les mains habiles
D’un guide sûr et paternel :
Voulez-vous des conseils utiles,
Allez voir le docteur Morel.

1. Le docteur Morel demeure rue Saint-Merry, hôtel Jabach.

Dans Chansons nouvelles, nationales et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’Éditeur et Roy-Terry, 1829 ; t. III, pp. 303-305.
Disponibilité : Google Livres.


Le Chansonnier.

Air des Chevilles de maître Adam.

Hier au soir un vieil ami d’enfance
Me demandait : Mon cher, comment fais-tu
Pour soutenir ta débile existence
Sans un emploi qui te vaille un écu ?
Oui, j’en conviens, pour manger et pour boire,
De temps en temps je n’ai pas un denier,
Et cependant, mon cher, tu peux m’en croire,
Rien n’est heureux comme un vrai chansonnier.

Crois-en, l’ami, crois-en ma chansonnette,
Le vrai poète est un magicien
Soumettant tout aux lois de sa baguette :
Le plus râpé vit en Épicurien.
Grâce aux talens de sa muse bavarde,
Quand il saisit un chiffon de papier,
D’un hareng saur il fait une poularde :
Rien n’est heureux comme un vrai chansonnier.

Lorsque pour lui Plutus est un peu traître,
Heureux s’il loge au-dessus d’un traiteur !
Il peut manger sa croûte à la fenêtre :
Cela vaut mieux que de dîner par cœur ;
Puis en ces lieux il vient, il monte, il entre,
Et grâce aux chants que sa voix sait brailler,
De quelques bis il se remplit le ventre :
Rien n’est heureux comme un vrai chansonnier.

Dans tous les temps, grâce à la retenue
Qu’en son costume on le voit apporter,
Si les frimas l’attrapent dans la rue,
ll n’y tient pas, il n’a rien à gâter ;
À son retour il saisit ses pincettes,
De ses brouillons il se forme un brasier,
Puis il se chauffe en brûlant ses boulettes :
Rien n’est heureux comme un vrai chansonnier.

Frères auteurs, comme dans ma patrie
Plus d’un poète, hélas ! est mort de faim,
Il se pourrait, malgré votre génie,
Que vous fussiez sans logis et sans pain :
Eh bien ! alors décochez, comme Émile,
Sur maints abus un couplet chicanier,
On saura bien vous trouver un asile :
Rien n’est heureux comme un vrai chansonnier.

Pour en finir, lorsqu’il meurt à Bicêtre,
Lieu où l’esprit conduit assez souvent,
Le vieux Caron, qui doit bien s’y connaître,
N’ose jamais lui demander d’argent :
Sa muse, après vingt ou trente ans d’angoisse,
Va d’Apollon grossir le poulailler ;
Puis on l’enterre aux frais de la paroisse :
Rien n’est heureux comme un vrai chansonnier.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 102-104.
Disponibilité : Google Livres.


Le Cimetière.

Air : Plus d’un Gascon erre, exagère.

Certain jour dans un cimetière
Je me promenais en rêveur,
Contre l’espèce humaine entière
Exaltant ma mauvaise humeur ;
Vertu, bonté, là sur la pierre,
Disais-je, sont assez souvent,
C’est un reste de la poussière
Que l’on faisait de son vivant.
Plus d’alarmes,
Séchons nos larmes,
Et répétons à l’impromptu :
Dieu ! que les morts ont de vertu !

D’abord je vois sous une grille
Une tombe de marbre blanc :
Pour une mère de famille
On éleva ce monument.
Toujours vertueuse et sincère,
Près de mourir elle avoua
Que son mari n’était pas père
De quatre enfans quelle créa.
Plus d’alarmes, etc.

Quelle est cette urne funéraire
Sur laquelle on grava ces mots :
Ci-gît une épouse bien chère,
Passans, priez pour son repos ;
Elle fut et sage et fidèle.
Son époux en est bien certain ;
Car cette femme jeune et belle
Mourut le jour de son hymen.
Plus d’alarmes, etc.

Près du tombeau d’un fils unique,
Un homme très peu fastueux
Me dit d’une voix pathétique :
Pleurez, mon fils fut vertueux.
Après mainte et mainte escapade,
Ce fils un peu trop dégourdi
Resta quarante jours malade
Juste à l’hospice du Midi.
Plus d’alarmes, etc.

Une urne vient frapper ma vue,
J’y lis ces mots assez touchans 
Ci-gît une jeune ingénue
Enlevée à la fleur des ans !
J’ai su depuis que la novice
Dont les parens étaient en pleurs,
En accouchant dans un hospice,
Était morte dans les douleurs.
Plus d’alarmes, etc.

Un peu plus loin est l’épitaphe
D’un ancien père capucin ;
On a mis sur le cénotaphe :
Priez, il mourut comme un saint.
Ce saint-là bravant l’anathème,
Creva d’une indigestion,
Pour avoir un jour de carême
Mangé tout seul un gros dindon.
Plus d’alarmes, etc.

Là repose, dit-on, un brave
Qui n’a déserté que trois fois !
Un marchand, de l’honneur esclave,
Qui faillissait tous les trois mois ;
Un libéral dont l’opulence
Sur le tapis vert s’engloutit ;
Un héros qui trahit la France,
Un bon Francais qui la vendit.
Plus d’alarmes,
Séchons nos larmes,
Et répétons à l’impromptu :
Dieu ! que les morts ont de vertu !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 204-207.
Disponibilité : Google Livres.


Le Conscrit.
(ou Avez-vous jamais vu la guerre ?)

(1818.)

Air : La vérité perd ses attraits.

J’avais à peine dix-huit ans,
Qu’exempt de chagrin et d’affaire,
Gaîment je consacrais mon temps
À boire, à dormir, à rien faire.
Un beau jour survient une loi,
Qui m’envoie au bout de la terre,
Batailler pour je ne sais quoi :
Avez-vous jamais vu la guerre !

La souveraine du Brabant
Prétendait, avec hardiesse,
Avoir le pied plus élégant
Que le pied de notre princesse.
Pour soutenir des droits si beaux,
On rangea, grâce au ministère,
Cent mille hommes sous les drapeaux :
Avez-vous jamais vu la guerre !

J’avais le regard louche et faux,
J’avais les jambes non pareilles,
On ferma l’œil sur mes défauts,
On me promit monts et merveilles.
De moi, que rendait tout blafard
Le bruit du canon, du tonnerre,
On prétendit faire un César :
Avez-vous jamais vu la guerre !

Amis, l’agréable métier,
Que le noble métier des armes !
Le diable, au fond d’un bénitier,
Trouverait, je crois, plus de charmes.
Doux navets, tendres haricots,
Bon pain noir, excellente eau claire,
Voilà le festin des héros :
Avez-vous jamais vu la guerre !

La gloire n’avait pas pour moi
Entr’ouvert ses voiles de roses,
Et j’étais peu jaloux, ma foi,
Des honneurs de l’apothéose.
Pour calmer mes sens effrayés,
Sans rire, on m’offrit pour salaire,
Cinq sous par jour, jamais payés :
Avez-vous jamais vu la guerre !

Aux champs de la destruction,
Je trouve besogne nouvelle ;
Me plante-t-on de faction,
Ou bien j’y brûle, ou bien j’y gèle.
Je fais prendre un convoi d’argent,
Et pour prix de mon ministère,
Mon caporal est fait sergent :
Avez-vous jamais vu la guerre !

Cette injustice me frappa,
Je pris la poudre d’escampette ;
Par malheur on me rattrapa,
Mon affaire fut bientôt faite.
Ma tête était mal en renom,
Et pour la rendre moins légère,
On voulut y loger du plomb :
Avez-vous jamais vu la guerre !

Par bonheur on se culbuta,
En l’honneur de nos souveraines ;
Mais j’ignore qui l’emporta,
Du noble pied de ces deux reines.
Voici les résultats connus,
C’est que nous, juges de l’affaire,
Nous revînmes les pieds tout nus :
Avez-vous jamais vu la guerre !

Amis, ne me soupçonnez pas,
Malgré cette plaisanterie,
D’avoir jamais craint le trépas,
En combattant pour ma patrie.
Mais, lorsque j’entends répéter
Qu’au bonheur la paix est contraire,
Je suis toujours prêt à chanter :
Avez-vous jamais vu la guerre !

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 8-11.
Disponibilité : Google Livres.


Le Malade.

Chansonnette lorraine.

Air lorrain, ou air de Cadet Buteux.

Voulant, pour paraître ingambe,
Grimper sur un ch’vau,
J’ai chut, et v’là qu’à la gambe
Y m’ survint un mau ;
J’ si su l’ lit à chaque aurore ;
Eh bé ! malgrai c’la
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là

À c’ matin v’là qu’ je m’ réveille,
Ayant sao, ma foi !
V’là qu’ j’impognis un’ bouteille,
Qu’ n’était mais pour moi ;
Avec main né mi j’ la flore,
Et pis j’avala :
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

Bair’ sans mangi, ça m’achevre ;
Cherchons d’ao lard.
Quoi que j’ vois ? c’est ben un lièvre :
J’ veux en preindre m’ part.
Mais, mein Dieu ! quell’ faim m’ dévore !
Le lièvre y coula :
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

V’là qu’ la fiotte à Clarisse
Étint v’nu pour m’ vair.
Dret sur mein lit sans malice
J’ lai ty pas fait choir ?
Dans la bagu’ de c’te p’tiott’ Flore
Mein doigt s’ faufila.
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

Sun homme entre : à mal y pense ;
Y m’ baie un soufflet :
Je n’ dis mot ; mais y r’commence :
Ma fin’ ! ça m’ déplaît ;
D’un p’tiot coup d’ poing je l’ restaure,
Et su’ l’ flanc le v’là :
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

À neuil, ma femm’, qu’est Lorraine,
M’appell’ mau sujet :
Ma foi ! ça m’ flinqu’ la migraine,
J’ ly r’passe ein pich’net.
D’ la machaire d’ la picore
Chaqu’ dent défila :
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

V’là-t’y pas que l’ gard’-champêtre
V’nit m’ fair’ du boucan :
J’ lui dis, l’y montrant la f’nêtre :
Moi, j’ n’aim’ mi l’ cancan.
Y fait l’ crâne, et l’ mirliflore
Su’ l’ dos s’étala :
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

Enfin, bref, en un’ journée.
J’ai fait les cent coups,
Et la justice obstinée
M’ fourr’ sous les verroux.
Mais, ma fin’ ! bé loin qu’ j’en plore,
Rions, puisque m’y v’là :
J’ vois qu’ je n’ mourrim’s point écore
D’ çott’ maladi’-là.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 63-66.
Disponibilité : Google Livres.


Le Mont-Saint-Jean.

Cantate.
(1818.)

Dans cette plaine où l’Angleterre
De notre sang teignit les fleurs,
Le front incliné vers la terre
Un Français répandait des pleurs ;
Assis sur le bord d’une tombe
Dont l’aspect réveille ses maux,
Sur sa main sa tête retombe,
Et sa voix murmure ces mots :

Ô Mont-Saint-Jean ! nouvelles Thermopyles,
Si quelqu’un profanait tes funèbres asiles,
Fais-lui crier par tes échos :
Tu vas fouler la cendre des héros.

J’ai vu les arts et les bergères
Engloutis dans l’obscurité,
Près des légions étrangères
N’oser fleurir en liberté.
J’ai vu la palme la plus belle
Plier, tomber et se flétrir ;
J’ai vu la victoire infidèle !…
Et je viens apprendre à mourir.
Ô Mont-Saint-Jean, etc.

Honteux de se voir les esclaves
De ces rois dits nos alliés,
J’ai vu l’élite de nos braves
Courber leurs fronts humiliés ;
J’ai vu leur phalange attendrie
Maudire un indigne repos,
Et sur les maux de la patrie,
Pleurer au pied de ses drapeaux.
Ô Mont-Saint-Jean, etc.

Là, des premiers soldats du monde
Le sang inonda les guérets,
Et l’on vit la terre féconde
Changer ses épis en cyprès.
Chaque nuit, dans la brise errante
Des eaux, des forêts et des cieux,
Des preux j’entends la voix mourante
Nous crier pour derniers adieux :
Ô Mont-Saint-Jean, etc.

Ce ruisseau dont l’onde rapide
Roula jadis des flots de sang,
Pour promener son eau limpide
Des bois s’échappe en frémissant.
Il fuit, et dans de vastes ondes
Il va se perdre en peu d’instans ;
Ainsi tous les peuples des mondes
Se perdront dans la nuit des temps.
Ô Mont-Saint-Jean ! etc.

Ici l’Ottoman ou le Perse,
Peut-être en un lointain hiver,
Entendra résonner la herse,
Et sous le fer gémir le fer.
En voyant la face intrépide
Du preux que le soc a foulé,
Il dira, l’œil de pleurs humide :
Ici l’univers a tremblé.

Ô Mont-Saint-Jean, nouvelles Thermopyles,
Si quelqu’un profanait tes funèbres asiles,
Fais-lui crier par tes échos :
Tu vas ſouler la cendre des héros.

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 3-5.
Disponibilité : Google Livres.


Le Moulin de Mathelin.

(Historique. — 1814.)

Air : Ermite, bon Ermite.

De douces rêveries
Le cœur tout agité,
Sur des rives fleuries
J’errais en liberté,
Lorsqu’une voix plaintive,
Réveillant les échos,
Tint mon âme captive
En murmurant ces mots :
Passans, Dieu vous bénisse !
Donnez à Mathelin,
Afin qu’il rebâtisse,
Qu’il rebâtisse
Son pauvre moulin.

Sous ses vieilles murailles
Mon esprit se forma ;
Du glaive des batailles,
Là, mon père m’arma ;
Ce toit de l’indigence
Fut témoin tour à tour
Des larmes de l’absence,
Du bonheur du retour.
Passans, etc.

Là, par son badinage
Fanchette m’égaya ;
Là, des maux du jeune âge
Son amour me paya ;
Là, sur ma simple couche
Dévoré de désirs,
Je puisai sur sa bouche
Cinquante ans de plaisirs.
Passans, etc.

Là, ma jeune famille
Dormait sur mes genoux,
Quand soudain l’éclair brille,
Et le Nord fond sur nous ;
Mon cœur, qui se soulève,
À mon bras mutilé
A dit : Saisis un glaive.
Et mon toit fut brûlé !
Passans, etc.

Près de mon domicile
Est un parc enchanté ;
D’Oudinot c’est l’asile¹ :
Le feu l’a respecté,
Pourtant il eut du trône
Plus qu’il n’avait perdu ;
Moi, réduit à l’aumône,
On ne m’a rien rendu.
Passans, etc.

Ses poutres enfumées
À mes yeux surpassaient
Les maisons parfumées
Où nos preux mollissaient.
D’ailleurs, aux jours prospères,
Ne fut-il pas jadis
Le tombeau de mes pères.
Le berceau de mes fils ?
Passans, etc.

Ô vous qui dans nos joutes
Avez tant amassé,
Payez-moi quelques gouttes
Du sang que j’ai versé ;
De ma splendeur première
Ne veux rien recouvrir ;
Rendez-moi ma chaumière :
Que je puisse y mourir !
Passans, Dieu vous bénisse !
Donnez à Mathelin,
Afin qu’il rebâtisse,
Qu’il rebâtisse
Son pauvre moulin.

1. Le parc superbe de Jend’heurs [Jean d’Heurs],
à une lieue et demie du moulin de Mathelin,
et à trois lieues de Bar-le-Duc, appartient à Oudinot.
Les alliés l’ont regardé comme inviolable.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 69-72.
Disponibilité : Google Livres.


Le P’tit Germain.

Air : Dans la Bass’ Normandie.

Dans un hameau d’ Lorraine
J’ naquis un beau matin ;
J’eus la dame pour marraine,
Pour patron l’ sacristain.
Des paysans
Trop médisans
Sur ma naissanc’ fir’nt un compte plaisant,
Et l’ curé dit en m’ baptisant :
Et claq’, claq’, claq’, mon p’tit Germain,
Et claq’ toujours, tu f’ras ton ch’min.

D’ la raison quand j’eus l’âge,
Afin d’ bien m’éduquer,
Chez l’ bedeau du village
L’ parrain m’ fit bivaquer.
À ses sermons
Bêtes et longs,
Même en bâillant, j’ claquais déjà, ma foi ;
Aussi n’y avait des prix qu’ pour moi :
Et claq’, claq’, etc.

Du destin quand la roue
D’un’ belle vint m’ rendre amant,
J’ lui claquais sur la joue
En forme d’ sentiment,
Puis, pas à pas,
J’allais plus bas ;
Alors son œil, pétillant de désir,
M’ disait en rougissant d’ plaisir :
Et claq’, claq’, etc.

Des enfans d’ la victoire
La France app’la les bras,
J’ partis chercher la gloire
Au milieu des combats.
Au champ d’honneur
J’ vis qu’ la valeur
Était souvent l’esclave d’ la faveur,
Et j’ répétai du fond du cœur :
Et claq’, claq’, etc.

Notr’ général imberbe
Fit, pour prendre un convoi,
Un plan, dit-on, superbe ;
C’était d’ l’hébreu pour moi ;
Mais c’est égal :
Du général
J’ trouvai, d’vant lui, le projet étonnant ;
Huit jours après j’étais lieut’nant…
Et claq’, claq’, etc.

L’ Directoir’, notr’ bon maître,
M’empêcha d’ parvenir,
L’ filleul chéri d’un prêtre
N’ pouvait pas lui convenir.
Comm’ j’enrageais !
Mais je m’ taisais :
Fût-on gueux, eût-on l’ corps en cerceau,
Chacun tient à son p’tit morceau.
Et claq’, claq’, etc.

Enn’mi de la puissance
Tant qu’on n’ me nomm’rait rien,
J’ m’étais promis d’avance
D’ n’êtr’ qu’un bon citoyen :
J’ cédai plus tard
Quand un César
Vint, pour ma voix, m’offrir biens et repos.
Ah ! quel pouvoir ont les héros !
Et claq’, claq’, etc.

Voyez mon aptitude :
Pour voter tranquill’ment
J’avais pris l’habitude
De claquer en dormant ;
Et quelquefois,
Él’vant la voix,
J’applaudissais même avant qu’on n’ parlât ;
Aussi j’ devins m’embr’ du Sénat :
Et claq’, claq’, etc.

Quand l’Europe en furie
M’naça les Parisiens,
J’ t’remblai pour ma patrie
Et surtout pour mes biens :
À chaque roi
J’allais tout droit
Comme un oison dir’ pour toute oraison :
« Oui, Sir’, g’na qu’ vous qu’avez raison. »
Et claq’, claq’, etc.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 22-25.
Disponibilité : Google Livres.


Le Petit Mimile.

Chansonnette.
(1819.)

Air : Tous les bourgeois de Chartres.

« J’apprends, mon p’tit Mimile
» Qu’ t’es palfrenier du Roi,
» Gn’y a personn’ dans not’ ville
» Qui sach’ c’ que c’est plus qu’ moi,
» C’est sans dout’ queuq’ emploi
» Bourgeois ou militaire,
» Au surplus ça n’ nous r’garde pas,
» Mon Fieu, tu f’ras
» Comm’ tu voudras,
» Nous n’ te tourment’rons guère.

» J’ te l’ dirai sans rancune,
» J’ me doutais qu’ par là-bas
» T’avais fait ta fortune,
» Car tu n’écrivais pas.
» Après tant d’embarras,
» Pis qu’ t’es tiré d’affaire,
» Envoi’-nous un millier d’ ducats ;
» Ensuite, etc.

» Ton papa que ta lettre
» A satisfait beaucoup,
» Veut qu’ tu y envoi d’ quoi s’ mettre
» Dans les vign’s jusqu’au cou ;
» Mais n’ te gên’ pas pour ça,
» Y n’ boit pas fort, ton père,
» Un tonneau d’ Bourgogn’ suffira,
» Ensuite, etc.

» Ton oncle l’ garde-chasse
» Commence à bien s’user,
» Ta tante Boniface
» Dit qu’y n’ sait plus viser.
» Tu sais qu’ son grand-papa
» D’ l’État fut pensionnaire,
» Fais-lui rendre c’te pension là,
» Ensuite, etc.

» Ton grand cousin Giraffe
» Va tout droit à son but,
» Il sait d’jà l’estographe
» Et l’ ba, be, bi, bo, bu ;
» Y en a d’ pus bêt’ que ça
» Dans l’ nouveau ministère,
» Mais c’est égal, pouss’ le par là,
» Ensuite, etc.

» Quant au cousin Batisse,
» Y n’ manqu’ra pas d’emploi,
» Car il est royalisse
» Plus encor que le Roi ;
» Pour n’ pas s’ battre y s’ cacha
» Tout l’ temps d’ la dernièr’ guerre,
» I n’ demand’ que la croix pour ça,
» Ensuite, etc.

» Ton filleux, Fanſan l’ bête,
» Est un grand garnement
» Dans l’ cas de tenir tête
» À tout un régiment ;
» Puisque c’ chien d’enſant-là
» A l’ goût du militaire,
» D’une épaulette y s’ content’ra ;
» Ensuite, etc.

» Ta p’tit’ sœur Madelaine,
» Grâce au cousin Gauthier,
» Depuis trois mois est pleine,
» On n’ veut pas les marier,
» Ainsi quand l’ pap’ viendra
» Pour sacrer notre père,
» Arrange avec lui c’ t’affair’-là ;
» Ensuite, etc.

» Maint’nant chaque dimanche,
» Ton parrain Tournesol
» Porte un’ cocarde blanche
» Larg’ comme un parasol ;
» D’ puis vingt ans, puisqu’il a
» Vingt ſois changé d’ bannière,
» Faut qu’ tu l’ fass’ jug’ de paix s’ tilà,
» Ensuite, etc.

» Y faudrait pour bien faire
» Qu’ ton oncl’ Jean soit juré,
» Qu’ notr’ bedeau soit vicaire,
» Qu’ notr’ vicair’ soit curé,
» Pour finir c’t articl’ là,
» Enfin qu’ ton per’ soit maire,
» Le reste d’ la ville attendra,
» Ensuite tu f’ras
» Comm’ tu voudras,
» Nous n’ te tourment’rons guère.

Dans Chansons nationales et autres, de P.-Émile Debraux.
Paris : Le Couvey, 1822 ; pp. 285-288.
Disponibilité : Google Livres.


Le Pot à l’eau.

Air : Du Bouton.

Vous me demandez des couplets,
Il vous en faut, bons ou mauvais :
À votre vœu je vais me rendre ;
Mais où diable irai-je les prendre ?
N’ai pour réchauffer mon cerveau
Qu’un pot à l’eau, (6 fois)

Mon sujet fort peu vous sourit,
Mais lorsque Bacchus, dans la nuit,
De vos fours a fait des fournaises,
Dites-moi, n’êtes-vous pas aises
De pouvoir vider à gogo
Le pot à l’eau ?

Lorsque dans nos joyeux festins,
Quelqu’un fait manquer les tintins,
Pour lui donner un peu d’oreille,
Un moyen nous sert à merveille ;
Et quel est ce moyen nouveau ?
Le pot à l’eau !

Ce moyen là conviendrait bien
À maint et maint musicien :
Ils aiment tant l’eau de la seine,
Qu’ils chanteraient mieux sur la scène,
Si l’on mettait près du rideau
Le pot à l’eau.

Ceux que le vin seul rend guerriers
Ne sont pas nés dans nos foyers :
Un Français, au champ de la gloire,
Est toujours sûr de la victoire,
Quand même il n’aurait pour tonneau
Qu’un pot à l’eau.

II est certain cas cependant
Où ce pot nous semble charmant ;
C’est quand la beauté nous le prête.
Heureux qui de gente fillette,
Peut saisir lorsqu’il a bien chaud
Le pot à l’eau !

Pourtant en fêtant les tendrons,
Redoutez de certains affronts ;
Car c’est bien le diable en personne
Qu’un médecin quand il ordonne,
Au lieu de vin du Clos-Vougeot,
Le pot à l’eau !

Je pourrais, sur un tel sujet,
Brocher encor plus d’un couplet ;
Mais de moi l’on rirait, je gage,
Si j’allais dans mon bavardage,
Tarir, pour un méchant bravo,
Le pot à l’eau.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 230-232.
Disponibilité : Google Livres.


Le Pourvoyeur.

Air de la Colonne.

Au milieu de votre goguette,
Au sein de votre douce ardeur ;
Joyeux amis de la musette,
Écoutez votre pourvoyeur.
La gaîté qui chez vous s’allume,
Excite si bien mes désirs,
Que je sens que de vos plaisirs
Je prendrai fort bien la coutume.

À vos refrains toujours fidèles,
Tous les soirs vous chantez ici
La gloire et le vin et les belles,
Moi, morbleu, je les aime aussi ;
Et dussé-je être atteint d’un rhume,
Dût ma voix me dire halte-là ;
De me taire à ce sujet-là,
Je ne prendrai pas la coutume !

Point de paresseux, de malades,
Quand il faut porter des santés ;
Versons rasades sur rasades,
En l’honneur des sociétés.
Pour que l’ardeur qui vous consume,
Ne vous profite pas en vain, 
Je promets de mettre en mon vin
Un peu moins d’eau que de coutume.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 241-242.
Disponibilité : Google Livres.


Le Retour de la Liberté.

(Septembre 1825.)

Assez long-temps, sur ma lyre chérie,
On n’entendit vibrer qu’un son plaintif ;
Assez long-temps, dans ma belle patrie,
On n’entonna qu’un chant presque furtif.
D’un plus beau jour paraît enfin l’aurore ;
Par les accens d’une douce gaîté,
Saluons, saluons encore,
Le retour de la liberté !

Je n’ai jamais encensé la puissance,
Je n’ai jamais encensé les partis ;
Dans tous les temps, ma voix fut à la France ;
Ses vrais amis sont toujours mes amis.
Et quand j’ai vu le bien qui vient d’éclore ;
J’ai cru pouvoir vous dire avec fierté :
Saluons, saluons encore,
Le retour de la liberté !

N’ai-je pas vu, semblables aux harpies,
À tout propos gâtant ce qu’ils touchaient,
Certains messieurs, dont les ciseaux impies
Sur nos écrits rognaient et retranchaient ?
Du prince enfin la voix ferme et sonore,
À ces ciseaux ravit leur âpreté ;
Saluons, saluons encore,
Le retour de la liberté !

Des jeunes gens l’erreur est le partage,
Des jeunes gens dans un climat lointain,
Contre la France, employant leur courage,
Ont été pris les armes à la main ;
Mais à la voix du prince qui l’implore,
Thémis retient son glaive ensanglanté ;
Saluons, saluons encore,
Le retour de la liberté !

Le cœur navré des malheurs de la guerre,
Des insensés ne réfléchissant pas,
À la patrie ont préféré leur mère,
Ou pour l’amour déserté les combats ;
De cette erreur qu’humanité déplore,
Au souverain, l’oubli n’a rien coûté ;
Saluons, saluons encore,
Le retour de la liberté !

Puisqu’aujourd’hui, régnant en souveraine,
La vérité peut élever sa voix,
Prions le ciel pour qu’elle se maintienne
Pendant long-temps dans le palais des rois ;
Et pour prouver l’espoir qui nous dévore,
Le verre en main, buvant à sa santé,
Saluons, saluons encore,
Le retour de la liberté !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 131-133.
Disponibilité : Google Livres.


Le Roi de la Fève.

Air : Je suis rond.

Je suis roi, bien roi, bien roi, très roi,
Oui, morgué, quand je boi,
Roi de la terre
Entière
Je suis roi, bien roi, bien roi, très roi,
Et je vous fais la loi
De trinquer avec moi.

C’est de votre aveu,
Que je tiens ma couronne,
Je veux en ce lieu
M’escrimer avec feu,
Quand c’est la beauté,
Qui la fève me donne,
Ma muse en gaîté,
Répète en liberté :
Je suis roi, etc.

Gens de bon aloi,
Qui chérissez la France,
Puisse votre roi,
Vous aimer comme moi.
Si le souverain
Pensait ce que je pense,
Il dirait soudain,
Et le verre à la main :
Je suis roi, etc.

Si j’avais vraiment
Le titre qu’on me donne,
Mon amusement
Serait assurément,
De pouvoir souvent,
À gentille personne,
Offrir bien ou mal
Mon bâton tout royal.

Je suis roi, bien roi, bien roi, très roi,
Oui, morgué, quand je boi,
Roi de la terre
Entière
Je suis roi, bien roi, bien roi, très roi,
Et je vous fais la loi
De trinquer avec moi.

Dans Chansons nouvelles, nationales et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’Éditeur et Roy-Terry, 1829 ; t. III, pp. 301-302.
Disponibilité : Google Livres.


Le Sol natal.

Air de l’Immortel laurier.

Franchissant d’un pas incertain
Les remparts que baignent ses larmes,
Un troubadour, la lyre en main,
Disait à ses compagnons d’armes :
Le voilà donc ce jour si beau
Que nos vœux appelaient sans cesse.
Saluons par des chants d’ivresse
Le sol où fut notre berceau !

En vain en de lointains climats,
Quand plana sa main desséchée,
La sombre reine des frimas,
Sous des roses nous fut cachée.
Ce suave et brillant manteau
Trouvait notre âme indifférente,
La rose est bien plus odorante
Au sol où fut notre berceau.

L’Italienne au cœur jaloux,
L’Espagnole aux cheveux d’ébène,
L’Écossaise au parler si doux,
Un jour nous séduisait à peine.
De l’amour le pâle flambeau
N’éclaira jamais nos folies,
Les femmes sont bien plus jolies
Au sol où fut notre berceau !

Lorsqu’à nos pleurs se mariait
Le ravage de la tempête,
Aussitôt chacun s’écriait :
Grand Dieu ! ta volonté soit faite !
Qu’avant l’âge où s’ouvre un tombeau,
L’existence nous soit ravie,
Mais laisse-nous quitter la vie
Au sol où fut notre berceau !

Au sein de l’hospitalité,
Parfois sur la terre étrangère,
Non de bonheur, mais de gaîté,
Vient une lueur passagère,
Le mousseux qui monte au cerveau,
Aux douleurs arrache une trève,
On rit, on s’endort… et l’on rêve,
Au sol où fut notre berceau.

Ainsi chantait le troubadour
Embrasé d’un noble délire,
Et les ménestrels tour à tour
Accompagnaient ainsi sa lyre :
Fut-il pour nous un jour plus beau ?
Qu’avec orgueil nos larmes coulent :
Nous pouvons mourir, nos pieds foulent
Le sol où fut notre berceau !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 100-102.
Disponibilité : Google Livres.


Le Souffleur.

Air nouveau de M. Reinnass,
ou air : Plantez-moi des vignes.

Sur un théâtre un vendredi,
Loin de la capitale,
Un jour ma mère me pondit
En jouant la Vestale :
À l’instant l’ souffleur,
M’ pressant sur son cœur,
M’ dit ces paroles touchantes :
Sans écornifler,
À force d’ souffler,
T’ach’ de souffler des rentes.

Des petits cabots ambulans
Augmentant les phalanges,
Je débutai par souffler dans
Les greniers et les granges.
Mais un jour papa
M’ dit : À ce métier-là
Tu n’attrap’ras qu’ des lentes.
Sans écornifler, etc.

Ayant, par un jour de micmac ;
Dans les yeux du cher père
Soufflé son once de tabac,
Je m’ sauvai d’ sa colère :
Puis j’ devins souffleur
Chez un cabaleur
Des chambres constituantes.
Sans écornifler, etc.

Ayant à nos bons citoyens
Soufflé l’ parti fort sage
D’ s’amuser à vendre les biens
D’ ceux qui étaient en voyage,
Ce p’tit soufflement
M’ valut tout bêt’ment
Ma p’tit’ part dans les ventes.
Sans écornifler, etc.

Plus tard, grâce au tempérament
D’un’ princesse nouvelle,
Ayant soufflé, je n’ sais comment,
Son cœur et sa chandelle,
Pour prix d’ mon encens
J’obtins deux rubans
Plus rouges qu’amarantes.
Sans écornifler, etc.

J’ai soufflé pour chaqu’ potentat
Que la France a vu r’luire ;
J’ai soufflé pour le consultat,
J’ai soufflé pour l’empire.
J’ai, dans les cent jours,
Soufflé les discours
D’un échappé d’Otrantes.
Sans écornifler, etc.

Ayant des châteaux, des écus,
Qu’un beau titre accompagne
Aujourd’hui je ne souffle plus
Que Bordeaux ou Champagne
Mais j’ dis à mon fieu :
Imit’-moi, morbleu !
Et près de nos régentes,
Sans écornifler,
À force d’ souffler,
Tâch’ d’ souffler des rentes.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 184-186.
Disponibilité : Google Livres.


Le Voyage en galiote.
(ou La Galiote.)

Air : L’hymen est un lien charmant.

Puisque mon grand cousin Martin,
À Rolboise a plié bagage ;
Pour empocher son héritage
Partons, me dis-je un beau matin. (bis)
À la suite d’une ribote,
Dans les transports du sentiment,
Va, crois-moi, me dit ma Javote,
Puisqu’enfin il faut que tu trotte,
Pour voyager commodément,
Ah ! qu’on est bien dans la Galiote !

Je pars, et filant de mon mieux,
(À pied, pour ménager ma poche),
Je parviens à l’aimable coche,
Éreinté comme un malheureux. (bis)
Sur une planche qui rabote
Je m’étends fort douillettement ;
Et le roulis, qui m’y dorlotte,
Me met le derrière en compote :
Pour voyager, etc.

Sur l’avant de notre vaisseau,
Pour me dérober au martyre,
J’allai, me postant sans mot dire,
Regarder comment coulait l’eau. (bis)
Tout-à-coup la corde qui flotte
Se relève rapidement,
Me saisit par ma redingote
Et dans l’eau soudain je barbote :
Pour voyager, etc.

Je nage comme un chien de plomb,
Et sans le bateau du navire,
Droit au fond du liquide empire
J’aurais, ma foi, coulé d’à plomb ; (bis)
Grâce au croc de notre pilote,
Qui me pêcha fort joliment,
Je regrimpai sur notre flotte,
Tout dégouttant d’herbe et de crotte :
Pour voyager, etc.

Pour sécher mes pauvres habits
Je pris un parti des plus sages ;
Le long d’un paquet de cordages,
Sur le tillac je m’étendis. (bis)
Mais le goudron se ravigote,
À la chaleur du fondement,
Et j’y laisse tout en pelote
Le derrière de ma culotte :
Pour voyager, etc.

Regagner mon banc ennuyeux
Ne fit qu’échanger mon supplice,
Car le poupon et la nourrice
L’empoisonnaient à qui mieux mieux. (bis)
Quelques mariniers en ribote,
Se cognaient fort élégamment,
Et sans porter la moindre botte
J’attrapai plus d’une calotte :
Pour voyager, etc.

J’allais, tout droit au premier bord,
Me faire porter à la nage,
Lorsqu’aux yeux de notre équipage
Rolboise enfin offrit son port. (bis)
Dans le transport qui me picote,
Je m’élance rapidement,
Mais soudain la planche tremblote,
Et je prends un bain dans la crotte :
Pour voyager, etc.

Pour si peu vous gardez le lit ?
Me dit quelqu’un dans le village ;
S’il fût survenu quelqu’orage,
Eh ! ventrebleu, qu’eussiez-vous dit ? (bis)
Faut voir comme le vent tripote
La chaloupe et le bâtiment !
Mais à ça près de la gavote
Que sur l’eau danse alors la flotte,
Pour voyager commodément,
Ah ! qu’on est bien dans la Galiote ?

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 36-38.
Disponibilité : Google Livres.


Les Amis de la Musette.

Air : Ne vendez pas la peau de l’ours.

Trop souvent la machine ronde
Nous offre un coup d’œil ennuyeux :
En coquins cette terre abonde,
Mes chers amis, fermons les yeux !
Mais si le plaisir qui nous guette,
Nous offre en ce lieu ses secours,
Ouvrons-les, ouvrons-les toujours
Chez les amis de la musette !

Accourez, gentilles bergères,
Objets de nos brûlans désirs,
Venez par vos danses légères
Augmenter encor nos plaisirs.
Repoussant la voix inquiète
D’un sage plein d’austérité,
On rend hommage à la beauté
Chez les amis de la musette,

Gais chansonniers que le Parnasse
Doit un jour admettre en son sein,
Accourez ici, chaque grâce
Permet parfois un doux larcin.
Sur votre lyre gentillette,
Tachez d’obtenir quelques sons :
On est fou de bonnes chansons,
Chez les amis de la musette.

Mais vous, nobles pleins d’arrogance,
Et vous, rimailleurs ennuyeux,
Régalez-nous de votre absence :
Pour vous point de place en ces lieux.
Et toi, politique indiscrète,
Porte au loin ton esprit grondeur :
On chante la gloire et l’honneur
Chez les amis de la musette.

Plus que les instrumens à corde,
Ceux à vent sèchent le palais,
Sur ce point-là puisqu’on s’accorde,
Sachez ce qu’on doit faire exprès.
Fût-ce même de la piquette
Qu’on vous versât en ce moment,
ll faut boire sec et souvent
Chez les amis de la musette.

Enfin, dans nos couplets caustiques,
Fidèles à nos doux penchans,
Attaquons les abus antiques,
Rions des sots et des méchans.
Qu’avec nous Paris en goguette,
Buvant, chantant en liberté,
Retrouve sa vieille gaîté
Chez les amis de la musette.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 244-246.
Disponibilité : Google Livres.


Les Cinq Fleurs.

(1821.)

Hier, je voulais que ma belle
M’accordât enfin ses faveurs.
Mon ami, j’y consens, dit-elle,
Mais avant regarde ces fleurs ;
À des mortels que notre France admire,
Fais-en le noble et digne envoi,
Et puis après, ce que ton cœur désire,
C’est à toi,
(Émile), c’est à toi. (ter)

Un laurier soudain se présente…
Que faire d’un simple laurier ?
Cependant, ma main chancelante
Veut en couronner un guerrier.
Approche donc, toi, dont la voix hardie,
Au sein d’un jour de désarroi,
A conservé l’honneur de la patrie
C’est à toi,
(Cambronne), c’est à toi.

À mes yeux un olivier brille ;
Salut, symbole de la paix !
Puisse-tu sur notre famille
Long-temps répandre tes bienfaits !
Ô jeune enfant ! en qui la France espère,
Chacun te dira comme moi :
S’il faut donner cette arbre tutélaire,
C’est à toi,
(Henri), c’est à toi.

Eh quoi ! gentille violette,
Je te trouve parmi ces fleurs !
À qui veux-tu, jeune indiscrète,
Oser présenter tes couleurs ?
Toi qui m’appris, aux champs de la Russie,
À fixer la mort sans effroi ;
Fleur de mérite et fleur de modestie,
C’est à toi,
(Eugène), c’est à toi.

Mais, je découvre une immortelle…
La France, avec moi de moitié,
Offre cette palme nouvelle
Au modèle de l’amitié.
À ce mortel, dont l’âme toujours fière,
À son ami gardant sa foi,
Jusqu’au tombeau partagea sa misère :
C’est à toi,
(Bertrand), c’est à toi.

Dans la corbeille gentillette,
Il restait encor une fleur,
J’en fis la demande à Lisette,
D’un ton qui pénétra son cœur.
Posant un doigt sur ma bouche mi-close,
La belle, dans un doux émoi,
Balbutiait, en me tendant la rose :
C’est à toi,
(Émile), c’est toi. (ter)

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 128-130.
Disponibilité : Google Livres.


Les Goguettes.

ou
petit tableau des sociétés lyriques
connues sous cette dénomination vulgaire.

Air : Trou la la.

Quel cancan (bis)
Dans nos goguet’s à présent !
Quel cancan ! (bis)
C’est vraiment
Fort amusant !
Sociétaires, visiteurs,
Auditeurs, chanteurs, auteurs,
C’est à qui clabaudera,
C’est à qui s’écorchera.
Quel cancan ! etc.

D’abord ces gens du bureau
Qui, fiers d’un titre si beau,
Quand ils ont leur bel habit,
Sont gais comm’ des bonnets d’ nuit.
Quel, cancan ! etc.

Faut voir ces brav’s présidens,
Vous ont-y d’ fameux rubans !
Celui d’ la légion d’honneur
N’est qu’un chiffon près du leur.
Quel cancan ! etc.

Puis ces bons maîtres des chants,
Pleins de verve et de talens,
Qui n’ chant’raient pas sans fausser :
« Mam’sell, voulez-vous danser ? »
Quel cancan ! etc.

Ces secrétair’s bons lurons
N’ sachant pas signer leurs noms,
Écrivant sossietté
Par trois S et par deux T.
Quel cancan ! etc.

Et ces aimables censeurs
Qui, bavards et tapageurs,
Pour que l’ silenc’ règn’ toujours,
Après vous braill’nt comm’ des sourds.
Quel cancan ! etc.

Plus loin je vois maint auteur
Qui, dans sa bouillante ardeur,
Au Parnass’ veut êtr’ placé,
Et n’ sait pas son A B C.
Quel cancan ! etc.

Et c’ pourvoyeur bon enfant,
Qui vous dit effrontément :
Sablez ce nectar si doux !
C’est d’ la piquette à huit sous !
Quel cancan ! etc.

Mes amis, pas de courroux,
J’ n’ai pas voulu parler d’ vous ;
Si j’ai vu pareil tableau,
C’ n’était que d’ l’aut’ côté d’ l’eau.
Quel cancan (bis)
Dans nos goguett’s à présent !
Quel cancan ! (bis)
C’est vraiment
Fort amusant !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 29-31.
Disponibilité : Google Livres.


Les Joyeux Troubadours.

Air : Amis, qu’une bouteille.

Un jour, dans l’Empyrée
Jupiter s’ennuya ;
Sous la voûte azurée
À l’instant il cria :
D’ici je veux descendre,
Ma foudre m’étourdit ;
Mais de quel côté prendre ?
Et Bachus répondit :
Descends, descends, Dieu du tonnerre,
À nos chansons accours, accours, accours ;
On sait rire, on sait boire, on sait plaire
Aux joyeux troubadours.

Où trouver sur la terre
Ces jolis riens charmans,
Cette amitié sincère
Qui désarme le temps.
Cette douce auréole
Qui charme et qui grandit
Le chant le plus frivole ?
Et Bachus répondit :
Descends, descends, etc.

J’aime assez de l’Olympe
Découvrir la rondeur
Sous la gentille guimpe
D’un minois enchanteur.
Mais où trouver des belles
Qui, sans art, sans dépit,
Sachent rester fidelles ?
Et Bachus répondit :
Descends, descends, etc.

D’un sommeil salutaire,
Malgré Ies partisans,
Moi, j’aime à lui soustraire
Les trois quarts de mes ans.
Où trouver maint bon diable
Qui consacre la nuit
À la passer à table,
Et Bachus répondit :
Descends, descends, etc.

Par le Dieu de la treille,
Des cieux le roi séduit,
Sur l’aigle non-pareille,
S’assit et descendit :
Planant sur un nuage
Et suivant son essor,
De rivage en rivage,
Écho disait encor :
Descends, descends, Dieu du tonnerre,
À nos chansons, accours, accours, accours ;
On sait rire, on sait boire, on sait plaire ;
Aux joyeux troubadours.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 46-48.
Disponibilité : Google Livres.


Les Marche-Pieds.

Air de la petite bergère.

Que je meure ou que je parvienne,
C’est de mon cœur l’unique sentiment ;
Mais quel que soit le destin qui m’advienne,
Amis, je le dis hautement :
Si quelque jour, à force de naufrages,
J’atteins ce mont des auteurs envié,
De Béranger les sublimes ouvrages
M’auront servi de marche-pied.

La nature, à mes vœux rebelle,
Me fit chétif, petit, mal achevé,
Et je devins amoureux d’une belle
Au maintien noble et relevé.
Quoiqu’entre nous, pour empirer la chose,
L’amour, hélas ! ne fut pas de moitié,
J’allai mourir sur ses lèvres de rose :
Un Terneau fut mon marche-pied.

Malheur aux mauvais patriotes
Qui préférant le repos aux lauriers,
Ne sauraient pas comme les Cypriotes,
Mourir pour sauver leurs foyers ;
Mais effrayé de l’indigne servage
Que lui réserve un perfide allié
À son pays, pour sortir d’esclavage,
Heureux qui sert de marche-pied.

Princes, de vos sanglantes armes,
Portez au loin l’éclat toujours vainqueur ;
Les dignités qui coûteraient des larmes,
Jamais ne séduiront mon cœur.
Fi d’un ruban qui, pour tromper l’histoire,
Fut bassement près des rois mendié ;
Mais qu’il est doux d’arriver à la gloire
Quand Vénus est le marche-pied.

Un ordre a conçu l’espérance
De tout courber sous le glaive romain ;
À ces mortels que repousse la France,
Ministres, tendrez-vous la main ?
Tel qui jadis implorait une aumône,
Peut, relevant son front humilié,
Par un seul bon s’élancer jusqu’au trône
Et renverser le marche-pied.

Un conquérant, cher à l’histoire,
Guida nos preux, que la gloire soldait ;
Et sous un char, traîné par la victoire,
Écrasa qui le retardait.
Souviens-toi donc, toi dont la rage immonde
Veut avilir son front disgracié,
Que pour monter à l’empire du monde
Les rois furent son marche-pied.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 84-86.
Disponibilité : Google Livres.


Les Trompeurs.
(ou Chacun trompe à qui mieux mieux.)

Air : Tout ça file, etc.

Reprenons mon vieil essor,
À l’appel sachons me rendre,
Puisque l’on condamne encor
Ma voix à se faire entendre ;
Vous voulez qu’on vous amuse
Par quelque refrain joyeux,
Vous n’entendrez que ma muse :
Chacun trompe (ter) à qui mieux mieux.

Lise, à son époux marin,
Partant pour le Nouveau-Monde,
Témoigne un mortel chagrin
De lui voir affronter l’onde :
Que de pleurs sur le rivage
S’échappent de ses beaux yeux,
Un mois dure son veuvage :
Chacun trompe à qui mieux mieux.

Un révérend capucin
Veut guider notre carrière,
Et d’un mortel faire un saint
Par le jeûne et la prière :
Mais son ventre d’ordonnance
Prouve qu’en docteur pieux,
Il prêche et fuit l’abstinence :
Chacun trompe à qui mieux mieux.

Dans un éloquent sermon,
Le matin tonne cet autre
Contre l’œuvre du démon,
Et le soir, mon bon apôtre,
Dans sa petite chambrette,
En tête-à-tête joyeux,
Instruit une bergerette :
Chacun trompe à qui mieux mieux.

Dans un état fort souvent,
Nouveau ministre se nomme,
Qui s’écrie en arrivant :
Je suis un bien honnête homme ;
La largeur de mes sacoches
Ne choquera point vos yeux,
Et puis il emplit ses poches :
Chacun trompe à qui mieux mieux.

Tel qui promit du bordeaux,
Nous donne de l’eau rougie ;
Maubreuil voulait des châteaux,
On le mène à Pélagie.
La Charte aux fils de Mont-Rouge
Déplaît tant, que, jeune ou vieux,
On la pointe à boulet rouge :
Chacun trompe à qui mieux mieux.

Bâtard du sacré vallon,
Je prétends vous faire accroire
Que jamais mon Apollon
Ne fit bâiller l’auditoire.
Je soutiens que de ma lyre
Les chants sont délicieux,
Qu’ils excitent le délire :
Chacun trompe à qui mieux mieux.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 271-273.
Disponibilité : Google Livres.


Lisette.

(1822.)

Air : Passez vot’ chemin.

Malgré le sombre délire
Qui suspendit mon essor,
Quoi ! Lise, tu veux encor
Remettre en mes mains la lyre !
Ma Lisette, y penses-tu ?
Ah ! friponne, quel sourire !
Tout mon cœur en a battu,
Et je n’ai plus rien à dire.
Mais si tu veux, à commencer,
Que ma muse, à l’instant soit prête,
Viens donc m’embrasser,
Lisette, (bis)
Viens donc m’embrasser. (3 fois)

J’ai trop tôt, femmes charmantes,
Chéri vos gentils minois ;
J’ai trop tôt suivi vos lois,
Et trouvé trop d’inconstantes.
Contre l’amour j’ai juré,
Et pour venger son injure,
L’amour a déjà marbré
Le noir de ma chevelure.
Ah ! pour m’empêcher de penser
À des temps qu’hélas ! je regrette,
Viens donc, etc.

À peine aux bosquets de Flore,
Le Printemps rend leur éclat,
Que des roses, l’incarnat,
Au soleil se décolore ;
Le souffle des aquilons
Avec force précipite
Les saisons sur les saisons,
Afin de régner plus vite.
Pour moi, les fleurs vont se passer ;
Pour en parer encor ma tête,
Viens donc, etc.

J’avais, dès ma tendre enfance,
Cru que la Divinité
Respectait la liberté,
Et prêchait la tolérance ;
Cependant, avec aigreur,
Du Seigneur, quelques ministres,
Sur la plus petite erreur
Lancent des regards sinistres.
De mon cœur, afin d’expulser
Leurs arrêts que le ciel rejette,
Viens donc, etc.

Avec orgueil de nos armes
J’ai suivi tous les succès ;
Je suis fier d’être Français,
Et j’ai répandu des larmes
Quand j’ai vu, dans nos foyers,
Courbés, par des vents contraires,
Tant de preux et de lauriers
S’engloutir dans des chaumières.
De mon esprit, pour effacer
Que la gloire en France végète,
Viens donc, etc.

Ma Lise, combien te dois-je
Pour tes doux et tendres soins ?
Cinq à six couplets au moins ;
Et je veux.⁠.⁠.⁠.⁠. Mais, qu’aperçois-je ?
Tandis que je griffonnais,
Le dieu malin, qui me guette,
A, je le crois, tout exprès,
Entr’ouvert ta colerette.
Un doux besoin vient me presser,
Ah ! pour prix de ma chansonnette,
Viens donc m’embrasser,
Lisette, (bis)
Viens donc m’embrasser. (3 fois)

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 299-302.
Disponibilité : Google Livres.


Ma Lisa, tiens bien ton bonnet.

Air du Passe-partout.

Ma pauvre enfant, aux discours de ton père
Prête l’oreille encor quelques instants :
Tu vas bientôt m’ planter là, comm’ ta mère,
Puisque tu vas atteindre tes quinze ans.
Des gringalets déjà l’essaim s’ prépare
À te pousser quelque botte en secret ;
Pour conserver c’te fleur qui d’ vient si rare,
Ma Lisa (bis), tiens bien ton bonnet !

Tu trouveras quelquefois sur ta route
Un va-nu-pieds, bien rond et bien carré,
Qui pouss’ toujours, sans que rien le déroute,
Jusqu’à c’ qu’au centr’ sa main ait pénétré.
Il est si gros, et toi t’es si mignonne,
Qu’ son p’tit doigt seul, j’en suis sûr, t’effraîrait :
Tout ce qu’il touch’ s’élargit, se chiffonne…
Ma Lisa, tiens bien ton bonnet !

Il en est un de plus mince encolure,
Petit mais fort et bien ferme des reins,
Qui, quoiqu’il n’ait ni talent ni figure,
Sur c’ qui lui plaît aime à fourrer ses mains.
P’tit comme il est, c’est raide comme un cierge ;
Dans l’ plus p’tit trou ça s’ gliss’ comme un furet ;
Et près de lui si tu veux rester vierge,
Ma Lisa, tiens bien ton bonnet !

J’en vois quéq’z’uns qu’ont les manièr’s gentilles,
De la jeunesse et d’ la vivacité :
Ces garçons-là ça tourn’ la tête aux filles,
Mais presque tous ils ont le cœur gâté.
Sur leurs discours, crois-moi, tir’ la ficelle :
Dans c’ siècle-ci, plus d’un mauvais sujet
Change en gratt’-cul la rosé la plus belle.
Ma Lisa, tiens bien ton bonnet !

Ce grenadier de notre vieille garde,
Qui te poursuit de son œil plein de feu,
Est un malin, et si tu n’y prends garde,
Il pourra bien t’effeuiller un p’tit peu.
Ce gaillard-là me paraît fort ingambe,
Et si tu l’ laiss’s te m’ner au cabaret,
Il te donn’ra quéqu’ jour un croc en jambe.
Ma Lisa, tiens bien ton bonnet !

Ce p’tit auteur qui pinc’ la chansonnette
Voudrait aussi te faire les beaux bras ;
Tout en chantant ta blanche collerette,
J’ l’ai vu fourrer sa main un peu plus bas.
De l’écouter ne fais pas la bêtise :
Prends ça sur toi, vois-tu, ça t’ maigrirait…
Ces auteurs-là, c’est gueux comm’ rats d’église !
Ma Lisa, tiens bien ton bonnet !

Choisis un vieux qu’ait d’ la vaissell’ de poche.
Tu vas r’clamer pour ton tempérament ;
Mais, vois-tu bien, sans trop fair’ de bamboche,
Tu peux avoir encore un autre amant.
Si celui-là fait danser ta mitraille,
Tâch’ d’amasser quelques sous en secret ;
Et si tu veux n’ pas mourir sur la paille,
Ma Lisa, tiens bien ton bonnet !

Dans Le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle.
Rome : à l’enseigne des sept péchés capitaux, s. d. ; tome I, pp. 40-42.
Disponibilité : BnF, collection Gallica.


Mon cousin Jacques.

Air : Je n’y tiens pas la main.

Je vais ici du petit cousin Jacques
Vous retracer le portrait trait pour trait.
Il vint au monde en un beau jour de Pâques,
Le nez au vent et la jambe en arrêt ;
Dès qu’il passa par un certain ovale,
À l’instant même à sa mère on cria :
— Soyez tranquille, allez ; c’est bien un mâle !
Dieu ! quelle tête il a !

Quand de latin pour se bourrer la tête,
D’un magister il vint garnir les bancs,
Le petit Jacques, à plus d’une fillette,
Sans se gêner, poussait des argumens :
— Mais voyez donc, disait son matamore,
Malgré les coups de ce martinet-là,
Le petit gueux, il se raidit encore :
Dieu ! quelle tête il a !

À quatorze ans, de la gentille Adèle
Le libertin chiffonna le mouchoir,
Et sans façon, sur l’herbette-nouvelle,
Il lui montra… tout son petit savoir.
— Ah ! nom d’un chien ! s’écriait la d’moiselle,
Après avoir connu ce vaurien-là,
L’ diable m’emport’ si j’ pass’ pour un’ pucelle !
Dieu ! quelle tête il a !

Pour enfoncer dans… les cœurs sa… doctrine
Il se donnait un si fort mouvement
Que chaque époux d’une aimable cousine,
La premier’ nuit, disait en murmurant :
— Mes raisonn’ments sont trop courts pour madame,
Et je conçois le pourquoi de cela :
Ce cochon d’ Jacques a fréquenté ma femme…
Dieu ! quelle tête, il a !

De son village oubliant la simplesse,
L’ mauvais sujet vint s’ fair’ voir à la cour,
Et la marquis’, la baronn’, la comtesse,
Entre ses bras répétaient tour à tour :
— De la nobless’ quoique le… cœur soit large
Les… arguments de ce petit gueux-là
Dans notre… esprit ne laissent pas de marge.
Dieu ! quelle tête il a !

Mais le plus fort, c’est qu’une pauvre veuve,
Veuve, dit-on, de tout un régiment,
De son talent ayant fait une épreuve,
Sur un fauteuil disait en tremblottant :
— J’en ai tant vu, de mainte et mainte espèce,
Qu’ je n’ sens plus rien, mais avec c’ gaillard-là
J’éprouve encore un certain je n’ sais qu’est-ce…
Dieu ! quelle tête il a !

Dans Le Parnasse satyrique du dix-neuvième siècle.
Rome : à l’enseigne des sept péchés capitaux, s. d. ; tome I, pp. 42-44.
Disponibilité : BnF, collection Gallica.


Mon jour de présidence.

Air du Curé de Pompone.

La goguette des francs vauriens,
Connaissant mon mérite,
Je fus, par ces épicuriens,
Nommé président d’ suite.
Dans un’ espèc’ de niche à chien
On mit mon excellence.
Ah ! il m’en souviendra,
Larira,
D’ mon jour de présidence.

Un peintre, pour deux saucissons,
Un beau jour de ripaille,
Avait, en guise d’écussons,
Barbouillé la muraille.
Là tous les faiseurs de chansons
Semblaient en pénitence.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

Au bureau sitôt qu’on m’ plaça,
Je voulus faire en sorte
Qu’à l’avenir chacun laissât
Les sabots à la porte ;
Mais Fanchon si bien s’ trémoussa
Qu’ bonsoir mon ordonnance.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

Le maintien grave comme un chat
Pissant sur un’ toiture,
Dès après l’ dernier entrechat
J’ voulus fair’ l’ouverture ;
Tout à coup l’ chef d’ordre s’ lâcha :
V’là l’ coup d’ chien qui commence.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

L’ secrétair’ se lève en héros,
Apostrophe l’ chef d’ordre :
Va-t’en, de toi l’on a plein l’ dos :
T’es un chef de désordre.
On n’ doit pas manger d’haricots
Les dimanch’s de séance.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

L’ chef d’ordr’, qui n’aim’ pas les propos,
Encor’ moins les coups d’ patte,
Lui lâch’, par dessous les tréteaux,
Un soigné coup d’ savate ;
Et v’là l’homme aux procès-verbaux
Qui fait la révérence.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

On s’ chamaille, on s’ bouscule, on s’ bat,
On cass’ brocs, verr’s et vitres ;
On dirait l’ célèbre combat
Des Stentors, des Lapithres.
Et puis, au milieu du sabbat,
v’là l’ quart-d’œil qui s’avance.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

Avec lui survienn’t dans l’ salon
Des empoigneurs en masse ;
Président, bureau, tout du long,
Nous voici dans la nasse.
Et puis on m’ fourre au violon,
Moi qui n’aim’ pas la danse.
Ah ! il m’en souviendra, etc.

Emprisonné, crotté, battu,
Tout ça grâce à ma place,
J’en suis pour mon maillet pointu,
Les rubans et la casse.
Au diabl’ ce fauteuil impromptu !
J’aim’rais mieux la potence,
Ah ! il m’en souviendra,
Larira,
D’ mon jour de présidence.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 164-167.
Disponibilité : Google Livres.


Mon Oraison funèbre.

Air : Toujours seule, disait Nina.

Verre en main
S’il fallait demain
M’en aller au manoir
Noir,
Gais amis,
Des pleurs ennemis,
Oublirez-vous mon nom ?
Non.
Point de cris, point de pamoison,
Voici ma funèbre oraison :
Il pinta bien,
Il aima bien,
Que manqua-t-il au vaurien ?
Rien !

On voulut,
Ce qui lui déplut,
N’en pas faire un balourd ;
Lourd ;
Mais le gueux,
Un peu trop fougueux,
Dit : pour être un phénix,
Nix.
Et si sa musette en gaîté
Fit sonner des S pour des T,
Il pinta, etc.

Le destin,
Bizarre et lutin,
En fit un gringalet
Laid.
Un long né
De grêle échiné
Fait au sexe trompeur
Peur.
Et pourtant malgré ce né-là,
Que de belles il enjôla !
Il pinta, etc.

Sans trembler,
Sans se désoler,
Lui, quand il fut conscrit,
Rit.
Aux combats,
Prenant ses ébats,
Il fut pour l’Autrichien
Chien.
Et si même, au moins je le crois,
Il gagna, mais n’eut pas la croix,
Il pinta, etc.

Par le fer
Ayant bien souffert,
Des combats revenu
Nu.
Il trouva,
Quand il arriva,
De ses biens le circuit
Cuit.
Mais sans lit, sans or, sans habits,
S’il ne mangea que du pain bis,
Il pinta, etc.

Sur les rois,
Le peuple et ses droits,
Donnant à ses discours
Cours,
De couplets,
Par trop aigrelets,
Le gaillard fut pour prix
Pris ;
Mais loin de se mettre en courroux,
Se riant des fers, des verrous,
Il pinta, etc.

Quoiqu’enfin
Jusques à la fin
Il fut sans médecin
Sain,
Vint Caron,
Et le gai luron
Est sans aucun remord
Mort.
Pas d’un liard on n’héritera,
Mais, morbleu ! tant qu’il respira.
Il pinta bien,
Il aima bien,
Que manqua-t-il au vaurien ?
Rien !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 313-316.
Disponibilité : Google Livres.


Mon portrait.

Air : À la façon de Barbari, etc.

Je n’ai que trop chanté, morbleu !
Les héros et la gloire,
Et je veux, pour changer un peu,
Vous conter mon histoire ;
Que j’aie ou non votre agrément,
À vous l’ dir’ franchement,
J’ m’en moqu’ joliment :
Rire de tout, ne craindre rien,
Nom d’un chien,
Voilà le portrait d’un vaurien,
Et c’est l’ mien.

Dans un beau village lorrain
Au fond d’une chaumière,
Je naquis un certain matin
La tête la première ;
Sitôt que le corps y passa,
Admirez cela,
Je chantais déjà :
Rire de tout, etc…

À n’otr’ magister ignorant,
Bon Dieu, que j’ donnai de peine !
J’avais le fouet régulièr’ment
Mes sept fois par semaine,
Mais c’est égal, dans un cachot,
Même en buvant d’ l’eau,
J’ n’en chantais qu’ plus haut :
Rire de tout, etc…

V’là qu’un décret dit tout à coup
Qu’ pour défendre la patrie,
Il faut s’aller fair’ casser l’ cou
Au fin fond d’ la Russie ;
Tiens, que j’ dis, mais que j’ dis tout bas,
Je n’ m’en doutais pas,
Mais vit’ l’arme au bras.
Rire de tout, etc…

Loin de trouver dans c’ pays d ’chien
Des rôtis, des gibelottes,
N’y avait pas même un morceau d’ pain
À s’ mettre sous les quenottes ;
Mais chacun d’ nous, presqu’étouffé,
Chantait, empaffé
De sucre et d’ café :
Rire de tout, etc…

Prenn’ qui voudra des bastions
À coup de couleuvrines,
Moi, ventrebleu ! j’ dis qu’ les canons
Ne val’t pas les chopines ;
Mais lorsqu’on meurt en combattant ;
Dieu ! quel agrément :
Pas d’ frais d’enterrement.
Rire de tout, etc…

Un jour la fille d’un Crésus,
Me jugeant un bon drille,
Dans sa poch’ met ses vieux écus,
Moi sous l’ bras j’ prends la fille ;
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
L’ reste alla tout d’ go :
Rire de tout, etc…

Si tu veux éviter l’enfer,
M’ dit quelqu’un, faut qu’ tu dises,
.   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .   .
Pour laver tes sottises ;
J’en suis, ma foi désespéré,
Mais je chanterai
Le plus que j’ pourrai :
Rire de tout, ne craindre rien,
Nom d’un chien,
Voilà le portrait d’un vaurien,
Et c’est l’ mien.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 97-100.
Disponibilité : Google Livres.


N’est-ce pas un Français ?

Air du Dieu des bonnes gens.

Je ne suis pas de ces prôneurs vulgaires,
Qui, soi-disant pour défendre nos droits,
Dans des couplets bruyans et mercenaires,
Ont insulté les peuples et les rois.
Mais du pays qui me donna naissance
Les étrangers ravalent les succès,
Et si quelqu’un doit défendre la France,
N’est-ce pas un Français ? (bis)

Pour leur pays affrontant la mitraille,
Tous les mortels aimant la liberté,
Ont tour à tour, sur les champs de bataille,
Acquis des droits à l’immortalité.
Mais si l’un d’eux, favori de la gloire,
Redouble alors de valeur, de hauts faits,
Si plus souvent il fixe la victoire,
N’est-ce pas un Français ?

Sur l’univers plongé dans l’ignorance,
Régnait encor la féodalité,
Et l’univers, vaincu par la souffrance,
Courbait son front sous un joug détesté ;
Quel mortel vint, qui, brisant nos entraves,
Par ses écrits immortels à jamais,
Fit des héros d’une horde d’esclaves,
N’est-ce pas un Français ?

Voulant du nord sauver l’antique gloire,
Nous avons vu l’un de nos vieux guerriers,
Sortir des rangs qu’illustrait la victoire
Pour ombrager un roi de ses lauriers.
Ce roi n’est plus, la Suède se donne
Au protecteur qui lui rendit la paix ;
Qui sut ainsi gagner une couronne,
N’est-ce pas un Français ?

Ce bon Henri, que partout on révère,
Qui par son glaive a reconquis ses droits,
Rendit hommage à la simple bergère,
Rendit hommage à la fille des rois.
Si l’univers honore sa mémoire,
C’est qu’il gagna le cœur de ses sujets :
Eh ! bien ce roi, qui des rois est la gloire,
N’est-ce pas un Français ?

Dans ces combats, où Bellone en furie
Brisa sur nous son glaive ensanglanté,
Que de guerriers, l’orgueil de leur patrie,
Sont en héros morts pour la liberté !
Mais en tombant, quel mortel fit entendre
Ces mots sacrés qu’on n’oublira jamais :
Mourons, amis, plutôt que de nous rendre ;
N’est-ce pas un Français ?

Bien des mortels ont conquis l’avantage
De dire : enfin, nos rivaux ont vécu ;
Mais quel vainqueur a le rare courage,
De soulager celui qu’il a vaincu ?
Et qui, pleurant sur la misère extrême
Des malheureux que sa valeur a faits,
Pour les vêtir se dépouille lui-même ;
N’est-ce pas un Français ?

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 138-140.
Disponibilité : Google Livres.


Regardez, mais n’y touchez pas.

Air : Du magistrat irréprochable.

Quel refrain ma muse en goguette
Va-t-elle aujourd’hui fredonner ?
Après vous, hélas ! la pauvrette
Peut trouver à peine à glaner.
En pillant dans plus d’un ouvrage,
Je pourrais sortir d’embarras ;
Non, non, me dis-je avec courage :
Regardons, mais n’y touchons pas.

À seize ans fillette charmante
Fit naître l’amour dans mon sein,
Et sous la gaze transparente
Je me permis plus d’un larcin.
Moitié désir, moitié sagesse, 
Sa bouche, en murmurant tout bas,
Répétait, malgré son ivresse :
Regardez, mais n’y touchez pas.

D’après un conseil fort utile,
Dans un bois voulant l’attirer,
Un jour, hors des murs de la ville,
Je sus à propos l’égarer ;
Et là, partageant mon délire,
Elle osa rester dans mes bras,
Et n’eut plus la force de dire :
Regardez, mais n’y touchez pas.

Savez-vous pourquoi la victoire
Toujours a chéri le Français ?
Pourquoi, dans les champs de la gloire,
Chaque jour doubla ses succès ?
C’est qu’aux légions du Bosphore
Il répéta jusqu’au trépas
(Montrant l’étendard qu’il honore) :
Regardez, mais n’y touchez pas.

Je n’ai jamais de l’opulence
Envié les nombreux trésors ;
Gaîment je souffre l’abstinence,
Je bois gaîment, gaîment je dors.
Aux riches en vain l’industrie
Prodigue les mets délicats,
Le dégoût survient et leur crie :
Regardez, mais n’y touchez pas.

Savez-vous pourquoi de la vie
Je profite en épicurien ?
C’est qu’un jour la Parque ennemie
De moi ne respectera rien ;
Ailleurs, avant qu’on nous installe,
Jouissons donc, puisque là-bas
On nous dira comme à Tantale :
Regardez, mais n’y touchez pas.

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 100-102.
Disponibilité : Google Livres.


Réponse de Lisette.

Air : Savez-vous pourquoi la walse,
ou air de Reinnass.

Loin de toi, rêvant sous la treille,
J’espérais des songes charmans,
Quand Zéphir, jusqu’à mon oreille,
A porté tes derniers accens.
Une chanson bien ou mal faite,
Je le crois, vaut bien un baiser,
Et voilà pourquoi, cher poète,
Lisette, (bis)
Et voilà pourquoi, cher poète,
Lisette vient t’embrasser.

De ses dons l’avare nature
Ne fut pas prodigue envers toi ;
Ni ta taille, ni ta figure,
Aux amours ne feront la loi ;
Mais cette beauté qu’on souhaite,
Un bon cœur peut la remplacer.
Et voilà, etc.

Quelquefois si contre les femmes,
D’un refus voulant te venger,
Tu lanças quelques épigrammes,
Le trait fut piquant, mais léger ;
Jamais, dans une chansonnette,
Tu n’essayas de les blesser.
Et voilà, etc.

À nos vœux la gloire rebelle,
Une fois nous abandonna,
Et ta muse, à nos preux fidèle,
Au silence se condamna ;
Au rang des muses qu’on achète,
On ne t’a pas vu l’abaisser,
Et voilà, etc.

Ne flattant jamais la puissance,
Mais ne la décriant jamais,
Quel que fût le sort de la France,
Tu tâchas d’être bon Français ;
Dans l’ordre de la girouette,
Tu n’as pas voulu te placer.
Et voilà, etc.

Des auteurs qu’en France on admire,
Tu veux suivre en vain les drapeaux,
Après toi, j’ose te le dire,
Ta muse n’aura plus d’échos ;
Mais Béranger dans sa retraite,
Un jour daigna la caresser.¹
Et voilà pourquoi, cher poète,
Lisette, (bis)
Et voilà pourquoi, cher poète,
Lisette vient t’embrasser.

1. Béranger, à Sainte-Pélagie, daigna plusieurs fois,
à la suite de petits banquets donnés à ses compagnons d’infortune,
leur chanter des chansons de moi.
(Voyage à Sainte-Pélagie, t. II, p. 55.)

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. II, pp. 5-7.
Disponibilité : Google Livres.


Te Souviens-tu !.⁠.⁠.⁠.
(ou Soldat, t’en souviens-tu ?)

Te souviens-tu, disait un capitaine
Au vétéran qui mendiait son pain,
Te souviens-tu qu’autrefois dans la plaine
Tu détournas un sabre de mon sein ?
Sous les drapeaux d’une mère chérie,
Tous deux jadis nous avons combattu ;
Je m’en souviens, car je te dois la vie ;
Mais, toi, soldat.⁠.⁠.⁠., dis-moi, t’en souviens-tu ?

Te souviens-tu de ces jours trop rapides,
Où le Français acquit tant de renom ?
Te souviens-tu que sur les pyramides,
Chacun de nous osa graver son nom ?
Malgré les vents, malgré la terre et l’onde,
On vit flotter, après l’avoir vaincu,
Nos étendards sur le berceau du Monde,
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens tu ?

Te souviens-tu que les preux d’Italie
Ont vainement combattu contre nous ?
Te souviens-tu que les preux d’Ibérie
Devant nos chefs ont plié les genoux ?
Te souviens-tu qu’aux champs de l’Allemagne
Nos bataillons, arrivant impromptu,
En quatre jours ont fait une campagne ?
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?

Te souviens-tu de ces plaines glacées
Où le Français, abordant en vainqueur,
Vit sur son front les neiges amassées
Glacer son corps, sans refroidir son cœur ?
Souvent alors au milieu des alarmes,
Nos pleurs coulaient, mais notre œil abattu
Brillait encor lorsqu’on volait aux armes :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?

Te souviens-tu qu’un jour notre patrie
Vivante encor, descendit au cercueil,
Et que l’on vit, dans Lutèce flétrie,
Les étrangers marcher avec orgueil ?
Grave en ton cœur, ce jour pour le maudire,
Et quand Bellone enfin aura paru,
Qu’un chef jamais n’ait besoin de te dire :
Dis-moi, soldat, dis-moi, t’en souviens-tu ?

Te souviens-tu.⁠.⁠.⁠., mais ici ma voix tremble,
Car je n’ai plus de noble souvenir ;
Viens-t’en, l’ami, nous pleurerons ensemble,
En attendant un meilleur avenir.
Mais si la mort, planant sur ma chaumière,
Me rappelait au repos qui m’est dû,
Tu fermeras doucement ma paupière,
En me disant : soldat, t’en souviens-tu ?

Dans Chansons nationales nouvelles et autres,
de P.-Émile Debraux.
Paris : chez l’éditeur et à la librairie française et étrangère, 182⁠[.] ; pp. 140-142.
Disponibilité : Google Livres.


Un tiens vaut mieux que deux tu l’auras.

Air : Sous l’heureux Ciel.

J’avais projet de chanter sur ma lyre
Des demi-dieux, des princes, des héros ;
J’aurais voulu, dans mon noble délire,
Marcher l’égal des Lebrun, des Rousseaux ;
Mais embouchant l’éclatante trompette,
Je ramperais de trop loin sur leurs pas.
Je reviens donc à l’humble chansonnette :
Vaut mieux un tiens que deux fois tu l’auras.

Le cœur épris de dame Bérangère,
Le beau Damis, prêt d’obtenir sa main,
Dans un bosquet pressait fort la bergère
De lui donner un à-compte d’hymen.
À votre époux ne soyez plus rebelle,
Lui disait-il, car ne le suis-je pas ?
Pas tout-à-fait, lui répondit la belle ;
Vaut mieux un tiens que deux fois tu l’auras.

Du vieux Mondor l’insensible héritière
Voit sur ses pas voltiger maint amant ;
Chacun aspire au désir de lui plaire,
Et plus encore aux écus du traitant.
Chacun lui dit : D’une éternelle flamme
Je veux brûler pour vos divins appas.
Brûlez, messieurs, brûlez, répond la dame :
Vaut mieux un tiens que deux fois tu l’auras.

Des grands seigneurs courtisan parasite,
Le vieil Arcas tranche du protecteur :
« Je puis, dit-il, frayer seul au mérite
Le vrai chemin qui conduit au bonheur. »
Mais l’intrigant, moyennant des espèces,
Vend au public le crédit qu’il n’a pas.
Méfiez-vous de ces fausses promesses :
Vaut mieux un tiens que deux fois tu l’auras.

Un conquérant, grâce aux fils de la France,
Semait au loin le bruit de ses exploits :
Seul de l’Europe il tenait la balance,
Dictait le sort des peuples et des rois ;
Mais en voulant faire couler le Tage
Et le Danube au sein de ses états,
Il perdit tout ; Mars brisa son ouvrage :
Vaut mieux un tiens que deux fois tu l’auras.

Si l’on en croit les enfans de l’église,
Des saints autels en suivant le flambeau,
Le ciel pour nous est la terre promise
Qui nous attend au-delà du tombeau.
Mais s’il fallait, pour ce noble héritage,
Bâiller, pleurer et jeûner ici-bas,
J’aimerais mieux m’arrêter en voyage :
Vaut mieux un tiens que deux fois tu l’auras,

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. I, pp. 125-127.
Disponibilité : Google Livres.


Vivons en bons frères.

Air : Avez-vous jamais vu la guerre.

Joyeux enfans d’Anacréon,
Ici le plaisir me ramène,
Puisqu’il est certain qu’Apollon
Chez vous établit son domaine.
Amis, daignez à l’unisson,
Daignez joindre vos voix légères,
À ce refrain de ma chanson,
Et morbleu, vivons en bons frères !

Chacun doit convenir, hélas !
Qu’ici-bas l’homme est un peu bête,
Jusqu’au moment de son trépas
De soucis il emplit sa tête.
Ventrebleu, de côté, laissons
Et les chagrins et les affaires ;
Rions le plus que nous pourrons,
Et morbleu, vivons en bons frères !

Parler des disputes des grands
Est un parti qui n’est pas sage ;
Économisons notre temps
Pour un plus agréable usage.
Si les gouvernans des états,
Entre eux se déclarent la guerre,
Laissons battre les potentats,
Et morbleu, vivons en bons frères !

Dans cet asile où le plaisir
Naquit toujours de la concorde,
Ne laissons jamais survenir
Un des brandons de la discorde ;
Ne réveillons, par aucuns mots,
Des disputes assez légères ;
De côté, laissons les propos,
Et morbleu, vivons en bons frères !

Aimons, chérissons la beauté,
Elle mérite notre hommage,
Cédons toujours la primauté,
À ce sexe aimable et volage ;
Contons-leur, en amans soumis,
Quelques gaudrioles légères.
Respectons celles des amis,
Et morbleu, vivons en bons frères !

Dans Chansons complètes de P.-Émile-Debraux,
augmentées d’une notice et d’une chanson sur Debraux par M. de Béranger…
Paris : s. n., 1835-1836 ; t. III, pp. 261-262.
Disponibilité : Google Livres.


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